S. m. terme de Grammaire ; ce mot vient du latin regimen, gouvernement : il est employé en Grammaire dans un sens figuré, dont on peut voir le fondement à l'article GOUVERNER. Il s'agit ici d'en déterminer le sens propre par rapport au langage grammatical. Quoiqu'on ait insinué, à l'article que l'on vient de citer, qu'il fallait donner le nom de complément à ce que l'on appelle régime, il ne faut pourtant pas confondre ces deux termes comme synonymes : je vais déterminer la notion précise de l'un et de l'autre en deux articles séparés ; et par-là je suppléerai l'article COMPLEMENT, que M. du Marsais a omis en son lieu, quoiqu'il fasse fréquemment usage de ce terme.

Art. I. Du complément. On doit regarder comme complément d'un mot, ce qu'on ajoute à ce mot pour en déterminer la signification, de quelque manière que ce puisse être. Or il y a deux sortes de mots dont la signification peut être déterminée par des compléments : 1°. tous ceux qui ont une signification générale susceptible de différents degrés ; 2°. ceux qui ont une signification relative à un terme quelconque.

Les mots dont la signification générale est susceptible de différents degrés, exigent nécessairement un complément, dès qu'il faut assigner quelque degré déterminé : et tels sont les noms appelatifs ; les adjectifs et les adverbes qui, renfermant dans leur signification une idée de quantité, sont susceptibles en latin et en grec de ce que l'on appelle des degrés de comparaison ou de signification ; et enfin tous les verbes dont l'idée individuelle peut aussi recevoir ces différents degrés. Voici des exemples. Livre est un nom appelatif ; la signification générale en est restreinte quand on dit, un livre nouveau, le livre de Pierre (liber Petri), un livre de grammaire, un livre qui peut être utîle ; et dans ces phrases, nouveau, de Pierre (Petri), de grammaire, qui peut être utile, sont autant de compléments du nom livre. Savant est un adjectif ; la signification générale en est restreinte quand on dit, par exemple, qu'un homme est peu savant, qu'il est fort savant, qu'il est plus savant que sage, qu'il est moins savant qu'un autre, qu'il est aussi savant aujourd'hui qu'il l'était il y a vingt ans, qu'il est savant en droit, etc. dans toutes ces phrases, les différents compléments de l'adjectif savant sont peu, fort, plus que sage, moins qu'un autre, aussi aujourd'hui qu'il l'était il y a vingt ans, en droit. C'est la même chose, par exemple, du verbe aimer ; on aime simplement et sans détermination de degré, on aime peu, on aime beaucoup, on aime ardemment, on aime plus sincérement, on aime en apparence, on aime avec une constance que rien ne peut altérer ; voilà autant de manières de déterminer le degré de la signification du verbe aimer, et conséquemment autant de compléments de ce verbe. L'adverbe sagement peut recevoir aussi divers compléments ; on peut dire, peu sagement, fort sagement, plus sagement que jamais, aussi sagement qu'heureusement, sagement sans affectation, &c.

Les mots qui ont une signification relative, exigent de même un complément, dès qu'il faut déterminer l'idée générale de la relation par celle d'un terme conséquent : et tels sont plusieurs noms appelatifs, plusieurs adjectifs, quelques adverbes, tous les verbes actifs relatifs et quelques autres, et toutes les prépositions. Exemples de noms relatifs : le fondateur de Rome, l'auteur des tropes, le père de Ciceron, la mère des Graques, le frère de Romulus, le mari de Lucrèce, etc. dans tous ces exemples, le complément commence par de. Exemples d'adjectifs relatifs : nécessaire à la vie, digne de louange, facîle à concevoir, etc. Exemples de verbes relatifs : aimer Dieu, craindre sa justice, aller à la ville, revenir de l'armée, passer par le jardin ; ressembler à quelqu'un, se repentir de sa faute, commencer à boire, désirer d'être riche, etc. quand on dit, donner quelque chose à quelqu'un, recevoir un présent de son ami, les verbes donner et recevoir ont chacun deux compléments qui tombent sur l'idée de la relation qu'ils expriment. Exemples d'adverbes relatifs : relativement à vos intérêts, indépendamment des circonstances, quant à moi, pourvu que vous le vouliez, conformément à la nature. Quant aux prépositions, il est de leur essence d'exiger un complément, qui est un nom, un pronom ou un infinitif ; et il serait inutîle d'en accumuler ici des exemples. Voyez PREPOSITION et RELATIF, art. I.

" Un nom substantif, dit M. du Marsais (voyez CONSTRUCTION), ne peut déterminer que trois sortes de mots : 1° un autre nom (& dans le système de l'auteur il faut entendre les adjectifs), 2°. un verbe, 3°. ou enfin une préposition ". Cette remarque parait avoir été adoptée par M. l'abbé Fromant (Suppl. page 256) ; et j'avoue qu'elle peut être vraie dans notre langue : car quoique nos adverbes admettent des compléments, il est pourtant nécessaire d'observer que le complément immédiat de l'adverbe est chez nous une préposition, conformément à ; ce qui suit est le complément de la préposition même ; conformément à la nature. Il n'en est pas de même en latin, parce que la terminaison du complément y désigne le rapport qui le lie au terme antécédent, et rend inutîle la préposition, qui n'aurait pas d'autre effet : le nom peut donc y être, selon l'occurrence, le complément immédiat de l'adverbe, ainsi que je l'ai prouvé ailleurs sur les phrases ubi terrarum, tunc temporis, convenienter naturae. Voyez Mot, article II. n. 2.

Un mot qui sert de complément à un autre, peut lui-même en exiger un second, qui, par la même raison, peut encore être suivi d'un troisième, auquel un quatrième sera pareillement subordonné, et ainsi de suite ; de sorte que chaque complément étant nécessaire à la plénitude du sens du mot qu'il modifie, les deux derniers constituent le complément total de l'antépénultième ; les trois derniers font la totalité du complément de celui qui précède l'antépénultième ; et ainsi de suite jusqu'au premier complément, qui ne remplit toute sa destination, qu'autant qu'il est accompagné de tous ceux qui lui sont subordonnés.

Par exemple, dans cette phrase, nous avons à vivre avec des hommes semblables à nous : ce dernier nous est le complément de la préposition à ; à nous est celui de l'adjectif semblables ; semblables à nous est le complément total du nom appelatif les hommes ; les hommes semblables à nous, c'est la totalité du complément de la préposition de ; de les ou des hommes semblables à nous, est le complément total d'un nom appelatif sous-entendu, par exemple, la multitude (voyez PREPOSITION, rem. 5) ; la multitude des hommes semblables à nous, c'est le complément de la préposition avec ; avec la multitude des hommes semblables à nous, c'est celui de l'infinitif vivre ; vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, est la totalité du complément de la préposition à ; à vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, c'est le complément total d'un nom appelatif sous-entendu, qui doit exprimer l'objet du verbe avons, par exemple, obligation ; ainsi obligation à vivre avec la multitude des hommes semblables à nous, est le complément total du verbe avons : ce verbe avec la totalité de son complément est l'attribut total dont le sujet est nous.

Il suit de cette observation, qu'il peut y avoir complément incomplexe, et complément complexe. Le complément est incomplexe, quand il est exprimé par un seul mot, qui est ou un nom, ou un pronom, ou un adjectif, ou un infinitif, ou un adverbe ; comme avec soin, pour nous, raison favorable, sans répondre, vivre honnêtement. Le complément est complexe, quand il est exprimé par plusieurs mots, dont le premier, selon l'ordre analytique, modifie immédiatement le mot antécédent, et est lui-même modifié par le suivant ; comme avec le soin requis ; pour nous tous ; raison favorable à ma cause ; sans répondre un mot ; vivre fort honnêtement.

Dans le complément complexe, il faut distinguer le mot qui y est le premier selon l'ordre analytique, et la totalité des mots qui font la complexité. Si le premier mot est un adjectif, ou un nom, ou l'équivalent d'un nom, on peut le regarder comme le complément grammatical ; parce que c'est le seul qui soit assujetti par les lois de la syntaxe des langues qui admettent la déclinaison, à prendre telle ou telle forme, en qualité de complément : si le premier mot est au contraire un adverbe ou une préposition, comme ces mots sont indéclinables et ne changent pas de forme, on regardera seulement le premier mot comme complément initial, selon que le premier mot est un complément grammatical ou initial ; le tout prend le nom de complément logique, ou de complément total.

Par exemple, dans cette phrase, avec les soins requis dans les circonstances de cette nature ; le mot nature est le complément grammatical de la préposition de : cette nature en est le complément logique : la préposition de est le complément initial du nom appelatif les circonstances ; et de cette nature en est le complément total : les circonstances, voilà le complément grammatical de la préposition dans ; et les circonstances de cette nature en est le complément logique : dans est le complément initial du participe requis ; et dans les circonstances de cette nature en est le complément total : le participe requis est le complément grammatical du nom appelatif les soins ; requis dans les circonstances de cette nature, en est le complément logique : les soins, c'est le complément grammatical de la préposition avec ; et les soins requis dans les circonstances de cette nature, en est le complément logique.

Ceux qui se contentent d'envisager les choses superficiellement, seront choqués de ce détail qui leur paraitra minutieux : mais mon expérience me met en état d'assurer qu'il est d'une nécessité indispensable pour tous les maîtres qui veulent conduire leurs élèves par des voies lumineuses, et principalement pour ceux qui adopteraient la méthode d'introduction aux langues, que j'ai proposée au mot METHODE. Si l'on veut examiner l'analyse que j'y ai faite d'une phrase de Ciceron, on y verra qu'il est nécessaire non-seulement d'établir les distinctions que l'on a vues jusqu'ici, mais encore de caractériser, par des dénominations différentes, les différentes espèces de complément qui peuvent tomber sur un même mot.

Un même mot, et spécialement le verbe, peut admettre autant de compléments différents, qu'il peut y avoir de manières possibles de déterminer la signification du mot. Rien de plus propre à mettre en abrégé, sous les yeux, toutes ces diverses manières, que le vers technique dont se servent les rhéteurs pour caractériser les différentes circonstances d'un fait.

Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando.

Le premier mot quis, est le seul qui ne marquera aucun complément, parce qu'il indique au contraire le sujet ; mais tous les autres désignent autant de compléments différents.

Quid, désigne le complément qui exprime l'objet sur lequel tombe directement le rapport énoncé par le mot completté : tel est le complément de toute préposition, à moi, chez nous, envers Dieu, contre la loi, pour dire, etc. Tel est encore le complément immédiat de tout verbe actif relatif, aimer la vertu, désirer les richesses, bâtir une maison, teindre une étoffe, &c.

Le rapport énoncé par plusieurs verbes relatifs exige souvent deux termes, comme donner un livre au public ; ces deux compléments sont également directs et nécessaires, et il faut les distinguer : celui qui est immédiat et sans préposition, peut s'appeler complément objectif, comme un livre : celui qui est amené par une préposition, c'est le complément relatif, comme au public.

Ubi désigne le complément qui exprime une circonstance de lieu : mais ce seul mot ubi, représente ici les quatre mots dont on se sert communément pour indiquer ce qu'on nomme les questions de lieu, ubi, unde, quà, quò ; ce qui désigne quatre sortes de compléments circonstanciels de lieu. Le premier est le complément circonstanciel du lieu de la scène, c'est-à-dire, où l'événement se passe ; comme vivre à Paris, être au lit, etc. Le second est le complément circonstanciel du lieu de départ, comme venir de Rome, partir de sa province, etc. Le troisième est le complément circonstanciel du lieu de passage, comme passer par la Champagne, aller en Italie par mer, etc. Le quatrième est le complément circonstanciel du lieu de tendance, comme aller en Afrique, passer de Flandre en Alsace, &c.

Quibus auxiliis ; ces mots désignent le complément qui exprime l'instrument et les moyens de l'action énoncée par le mot completté ; comme se conduire avec assez de précaution pour ne pas échouer ; frapper du bâton, de l'épée, obtenir un emploi par la protection d'un grand, etc. On peut appeler ceci le complément auxiliaire. On peut encore comprendre sous cet aspect le complément qui exprime la matière dont une chose est faite, et que l'on peut appeler le complément matériel ; comme une statue d'or, une fortune cimentée du sang des malheureux.

Cur, désigne en général tout complément qui énonce une cause soit efficiente, soit finale : on le nomme complément circonstanciel de cause, s'il s'agit de la cause efficiente, ou même d'une cause occasionnelle ; ainsi quand on dit, un tableau peint par Rubens, il y a un complément circonstanciel de cause ; c'est la même chose quand on dit, il a manqué le succès pour avoir négligé les moyens. S'il s'agit d'une cause finale, on dit un complément circonstanciel de fin, comme Dieu nous a créés pour sa gloire ; s'occuper afin d'éviter l'ennui.

Quomodo, désigne le complément qui exprime une manière particulière d'être qu'il faut ajouter à l'idée principale du mot completté : communément cette expression est un adverbe de manière, simple ou modifié, ou bien une phrase adverbiale commençant par une préposition ; comme vivre honnêtement, vivre conformément aux lais, parler avec facilité. On peut donner à ce complément le nom de modificatif.

Quando, désigne le complément qui exprime une circonstance de temps. Or une circonstance de temps peut être déterminée, ou par une époque, qui est un point fixe dans la suite continue du temps ; ou par une durée dont on peut assigner le commencement et la fin. La première détermination répond à la question quando, (quand), et l'on peut appeler la phrase qui l'exprime, complément circonstanciel de date ; comme il mourut hier ; nous finirons l'année prochaine ; Jésus naquit sous le règne d'Auguste. La seconde détermination répond à la question quandiu, (pendant combien de temps) ; et l'on peut donner à la phrase qui l'exprime le nom de complément circonstanciel de durée, comme il a vécu trente-trois ans ; cet habit durera longtemps.

Il ne faut pas douter qu'une métaphysique pointilleuse ne trouvât encore d'autres compléments, qu'elle désignerait par d'autres dénominations : mais on peut les réduire à-peu-près tous aux chefs généraux que je viens d'indiquer ; et peut-être n'en ai-je que trop assigné pour bien des gens, ennemis naturels des détails raisonnés. C'est pourtant une nécessité indispensable de distinguer ces différentes sortes de compléments, afin d'entendre plus nettement les lois que la syntaxe peut imposer à chaque espèce, et l'ordre que la construction peut leur assigner.

Par rapport à ce dernier point, je veux dire l'ordre que doivent garder entr'eux les différents compléments d'un même mot, la Grammaire générale établit une règle, dont l'usage ne s'écarte que peu ou point dans les langues particulières, pour peu qu'elles fassent cas de la clarté de l'énonciation. La voici.

De plusieurs compléments qui tombent sur le même mot, il faut mettre le plus court le premier après le mot completté ; ensuite le plus court de ceux qui restent, et ainsi de suite jusqu'au plus long de tous qui doit être le dernier. Exemple : Carthage, qui faisait la guerre avec son opulence contre la pauvreté romaine, avait par cela même du désavantage. (Consid. sur la grand. et la décad. des Rom. chap. iv.) Dans cette proposition complexe, le verbe principal avait, est suivi de deux compléments ; le premier est un complément circonstanciel de cause, par cela même, lequel a plus de briéveté que le complément objectif du désavantage, qui en conséquence est placé le dernier : dans la proposition incidente, qui fait partie du sujet principal, le verbe faisait a 1°. un complément objectif, la guerre ; 2°. un complément auxiliaire qui est plus long, avec son opulence ; 3°. enfin, un complément relatif qui est le plus long de tous, contre la pauvreté romaine.

La raison de cette règle, est que dans l'ordre analytique, qui est le seul qu'envisage la Grammaire générale, et qui est à-peu-près la boussole des usages particuliers des langues analogues, la relation d'un complément au mot qu'il complete est d'autant plus sensible, que les deux termes sont plus rapprochés, et surtout dans les langues où la diversité des terminaisons ne peut caractériser celle des fonctions des mots. Or il est constant que la phrase a d'autant plus de netteté, que le rapport mutuel de ses parties est plus marqué ; ainsi il importe à la netteté de l'expression, cujus summa laus perspicuitas, de n'éloigner d'un mot, que le moins qu'il est possible, ce qui lui sert de complément. Cependant quand plusieurs compléments concourent à la détermination d'un même terme, ils ne peuvent pas tous le suivre immédiatement ; et il ne reste plus qu'à en rapprocher le plus qu'il est possible celui qu'on est forcé d'en tenir éloigné : c'est ce que l'on fait en mettant d'abord le premier celui qui a le plus de briéveté, et réservant pour la fin celui qui a le plus d'étendue.

Si chacun des compléments qui concourent à la détermination d'un même terme a une certaine étendue, il peut encore arriver que le dernier se trouve assez éloigné du centre commun pour n'y avoir plus une relation aussi marquée qu'il importe à la clarté de la phrase. Dans ce cas l'analyse même autorise une sorte d'hyperbate, qui, loin de nuire à la clarté de l'énonciation, sert au contraire à l'augmenter, en fortifiant les traits des rapports mutuels des parties de la phrase : il consiste à placer avant le mot completté l'un de ses compléments ; ce n'est ni l'objet, ni le relatif ; c'est communément un complément auxiliaire, ou modificatif, ou de cause, ou de fin, ou de temps, ou de lieu. Ainsi, dans l'exemple déjà cité M. de Montesquieu aurait pu dire, en transposant le complément auxiliaire de la proposition incidente, Carthage, qui, AVEC SON OPULENCE, faisait la guerre contre la pauvreté romaine ; et la phrase n'aurait été ni moins claire, ni beaucoup moins harmonieuse : peut-être aurait-elle perdu quelque chose de son énergie, par la séparation des termes opposés son opulence et la pauvreté romaine ; et c'est probablement ce qui assure la préférence au tour adopté par l'auteur, car les grands écrivains, sans rechercher les antithèses, ne négligent pas celles qui sortent de leur sujet, et encore moins celles qui font à leur sujet.

Il arrive quelquefois que l'on voîle la lettre de cette loi pour en conserver l'esprit ; et dans ce cas, l'exception devient une nouvelle preuve de la nécessité de la règle. Ainsi, au lieu de dire, l'Evangîle inspire une piété qui n'a rien de suspect, aux personnes qui veulent être sincèrement à Dieu ; il faut dire, l'Evangîle inspire aux personnes qui veulent être sincèrement à Dieu, une piété qui n'a rien de suspect : " et cela, dit le P. Buffier, n. 774. afin d'éviter l'équivoque qui pourrait se trouver dans le mot aux personnes ; car on ne verrait point si ce mot est régi par le verbe inspire, ou par l'adjectif suspect. L'arrangement des mots ne consiste pas seulement, dit Th. Corneille (Not. sur la rem. 454. de Vaugelas), à les placer d'une manière qui flatte l'oreille, mais à ne laisser aucune équivoque dans le discours. Dans ces exemples, je ferai avec une ponctualité dont vous aurez lieu d'être satisfait, toutes les choses qui sont de mon ministère, il n'y a point d'équivoque, mais l'oreille n'est pas contente de l'arrangement des mots : il faut écrire, je ferai toutes les choses qui sont de mon ministère, avec une ponctualité dont vous aurez lieu d'être satisfait. "

M. Corneille ne semble faire de cet arrangement qu'une affaire d'oreille ; mais il faut remonter plus haut pour trouver le vice du premier arrangement de l'exemple proposé : il n'y a point d'équivoque, j'en conviens, parce qu'il ne s'y présente pas deux sens dont le choix soit incertain ; mais il y a obscurité, parce que le véritable sens ne s'y montre pas avec assez de netteté, à cause du trop grand éloignement où se trouve le complément objectif.

Tel est le principe général par lequel il faut juger de la construction de tant de phrases citées par nos Grammairiens : les compléments doivent être d'autant plus près du mot completté, qu'ils ont moins d'étendue ; et comme cette loi est dictée par l'intérêt de la clarté, dès que l'observation rigoureuse de la loi y est contraire, c'est une autre loi d'y déroger.

En vertu de la première loi, il faut dire, employons aux affaires de notre salut toute cette vaine curiosité qui se répand au-dehors, selon la correction indiquée par le P. Bouhours (rem. nouv. tom. I. p. 219.) ; et il faut dire pareillement, qu'ils placent dans leurs cartes, tout ce qu'ils entendent dire, et non pas qu'ils placent tout ce qu'ils entendent dire, dans leurs cartes.

En vertu de la seconde loi, il faut dire avec le P. Bouhours, ibid. et avec Th. Corneille (loc. cit.) : il se persuada qu'en attaquant la ville par divers endroits, il réparerait la perte qu'il venait de faire ; et non pas, il se persuada qu'il reparerait la perte qu'il venait de faire, en attaquant la ville par divers endroits ; quoi que ce second arrangement ne soit pas contraire à la lettre de la première règle.

Cette règle au reste ne s'est entendue jusqu'ici que de l'ordre des compléments différents d'un même mot ; mais elle doit s'entendre aussi des parties intégrantes d'un même complément, réunies par quelque conjonction : les parties les plus courtes doivent être les premières, et les plus longues, être les dernières, précisément pour la même raison de netteté. Ainsi, pour employer les exemples du P. Buffier (n. 771.) on dirait, Dieu agit avec justice et par des voies ineffables, en mettant à la tête la plus courte partie du complément modificatif : mais si cette même partie devenait plus longue par quelque addition, elle se placerait la dernière, et l'on dirait, Dieu agit par des voies ineffables, et avec une justice que nous devons adorer en tremblant.

C'est cette règle ainsi entendue, et non aucune des raisons alleguées par Vaugelas (34. rem. nouv. à la fin du tom. II.) qui démontre le vice de cette phrase : je fermerai la bouche à ceux qui le blâment, quand je leur aurai montré que sa façon d'écrire est excellente, quoiqu'elle s'éloigne un peu de celle de nos anciens poètes qu'ils louent, plutôt par un dégoût des choses présentes que par les sentiments d'une véritable estime, et QU'IL MERITE LE NOM DE POETE. Cette dernière partie intégrante de la totalité du complément objectif est déplacée, parce qu'elle est la plus courte, et pourtant la dernière ; la relation du verbe montrer à ce complément n'est plus assez sensible : il fallait dire, quand je leur aurai montré QU'IL MERITE LE NOM DE POETE, et que sa façon d'écrire est excellente, quoiqu'elle s'éloigne, &c.

Il n'y a peut-être pas une règle de syntaxe plus importante, surtout pour la langue française, que celle qui vient d'être exposée et développée dans un détail que je ne me serais pas permis sans cette considération ; elle est, à mon gré, le principe fondamental, et peut-être le principe unique, qui constitue véritablement le nombre et l'harmonie dans notre langue. Cependant, de tous nos Grammairiens, je ne vois que le P. Buffier qui l'ait aperçue, et il ne l'a pas même vue dans toute son étendue. Mais je suis fort surpris que M. Restaut, qui cite la grammaire de ce savant jésuite, comme l'une des bonnes sources où il a puisé ses principes généraux et raisonnés, n'y ait pas aperçu un principe, qui y est d'ailleurs très-bien raisonné et démontré, et qui est en soi très-lumineux, très-fecond, et d'un usage très-étendu. Je suis encore bien plus étonné qu'il ait échappé aux regards philosophiques de M. l'abbé Fromant, qui n'en dit pas un mot dans le chapitre de son supplément où il parle de la syntaxe, de la construction, et de l'inversion. Je m'estimerais trop heureux, si ma remarque déterminait nos Grammairiens à en faire usage : ce serait poser l'un des principaux fondements du style grammatical, et le principe le plus opposé au phébus et au galimathias. Mais il faut y ajouter quelques autres règles qui concernent encore l'arrangement des compléments.

Si les divers compléments d'un même mot, ou les différentes parties d'un même complément, ont à-peu-près la même étendue ; ce n'est plus l'affaire du compas d'en décider l'arrangement, c'est un point qui ressortit au tribunal de la Logique : elle prononce qu'on doit alors placer le plus près du mot completté, celui des compléments auquel il a un rapport plus nécessaire. Or le rapport au complément modificatif est le plus nécessaire de tous, puis celui au complément objectif, ensuite la relation au complément relatif ; et les autres sont à-peu-près à un degré égal d'importance : ainsi, il faut dire, l'Evangîle inspire insensiblement 2. la piété 3. aux fidéles, en mettant d'abord le complément modificatif, puis le complément objectif, et enfin le complément relatif.

Ajoutons encore une autre remarque non moins importante à celles qui précèdent : c'est qu'il ne faut jamais rompre l'unité d'un complément total, pour jeter entre ses parties un autre complément du même mot. La raison de cette règle est évidente : la parole doit être une image fidèle de la pensée ; et il faudrait, s'il était possible, exprimer chaque pensée, ou du moins chaque idée, par un seul mot, afin d'en peindre mieux l'indivisibilité ; mais comme il n'est pas toujours possible de réduire l'expression à cette simplicité, il est du-moins nécessaire de rendre inséparables les parties d'une image dont l'objet original est indivisible, afin que l'image ne soit point en contradiction avec l'original, et qu'il y ait harmonie entre les mots et les idées.

C'est dans la violation de cette règle, que consiste le défaut de quelques phrases censurées justement par Th. Corneille (not. sur la rem. 454. de Vaugelas) : par exemple, on leur peut conter quelque histoire remarquable, sur les principales villes, qui y attache la mémoire ; il est évident que l'antécédent de qui c'est quelque histoire remarquable, et que cet antécédent, avec la proposition incidente qui y attache la mémoire, exprime une idée totale qui est le complément objectif du verbe conter : l'unité est donc rompue par l'arrangement de cette phrase, et il fallait dire, on peut leur conter, sur les principales villes, quelque histoire remarquable qui y attache la mémoire.

C'est le même défaut dans cette autre phrase ; il y a un air de vanité et d'affectation, dans Pline le jeune, qui gâte ses lettres : l'unité est encore rompue, et il fallait dire ; il y a dans Pline le jeune, un air de vanité et d'affectation qui gâte ses lettres : l'esprit a tant de droit de s'attendre à trouver cette unité d'image dans la parole, qu'en conséquence du premier arrangement il se porte à croire que l'on veut faire entendre que c'est Pline lui-même qui gâte ses lettres ; il n'en est empêché que par l'absurdité de l'idée, et il lui en coute un effort désagréable pour démêler le vrai sens de la phrase.

Je trouve une faute de cette espèce dans la Bruyere (caract. de ce siècle, ch. j.) : Il y a, dit-il, des endroits dans l'opéra qui laissent en désirer d'autres ; il devait dire, il y a dans l'opéra des endroits qui en laissent désirer d'autres. J'en fais la remarque, parce que la Bruyere est un écrivain qui peut faire autorité, et qu'il est utîle de montrer que les grands hommes sont pourtant des hommes. Ce n'est pas un petit nombre de fautes échappées à la fragilité humaine, qui peuvent faire tort à leur réputation ; au lieu que ce petit nombre de mauvais exemples pourrait induire en erreur la foule des hommes subalternes, qui ne savent écrire que par imitation, et qui ne remontent pas aux principes. Voici l'avis que leur donne Vaugelas, l'un de nos plus grands maîtres. (rem. 454.) " L'arrangement des mots est un des plus grands secrets du style. Qui n'a point cela, ne peut pas dire qu'il sache écrire. Il a beau employer de belles phrases et de beaux mots ; étant mal placés, ils ne sauraient avoir ni beauté, ni grâce ; outre qu'ils embarrassent l'expression, et lui ôtent la clarté qui est le principal : Tantum series juncturaque pollet. "

Avant que d'entamer ce que j'ai à dire sur le régime, je crois qu'il est bon de remarquer, que les règles que je viens d'assigner sur l'arrangement de divers compléments, ne peuvent concerner que l'ordre analytique qu'il faut suivre quand on fait la construction d'une phrase, ou l'ordre usuel des langues analogues comme la nôtre. Car pour les langues transpositives, où la terminaison des mots sert à caractériser l'espèce le rapport auquel ils sont employés, la nécessité de marquer ce rapport par la place des mots n'existe plus au même degré.

Art. II. Du REGIME. Les grammaires des langues modernes se sont formées d'après celle du latin, dont la religion a perpétué l'étude dans toute l'Europe ; et c'est dans cette source qu'il faut aller puiser la notion des termes techniques que nous avons pris à notre service, assez souvent sans les bien entendre, et sans en avoir besoin. Or il parait, par l'examen exact des différentes phrases où les Grammairiens latins parlent de régime, qu'ils entendent, par ce terme, la forme particulière que doit prendre un complément grammatical d'un mot, en conséquence du rapport particulier sous lequel il est alors envisagé. Ainsi le régime du verbe actif relatif est, dit-on, l'accusatif, parce qu'en latin le nom ou le pronom qui en est le complément objectif grammatical doit être à l'accusatif ; l'accusatif est le cas destiné par l'usage de la langue latine, à marquer que le nom ou le pronom qui en est revêtu, est le terme objectif de l'action énoncée par le verbe actif relatif. Pareillement quand on dit liber Petri, le nom Petri est au génitif, parce qu'il exprime le terme conséquent du rapport dont liber est le terme antécédent, et que le régime d'un nom appelatif que l'on détermine par un rapport quelconque à un autre nom, est en latin le génitif. Voyez GENITIF.

Considérés en eux-mêmes, et indépendamment de toute phrase, les mots sont des signes d'idées totales ; et sous cet aspect ils sont tous intrinséquement et essentiellement semblables les uns aux autres ; ils diffèrent ensuite à raison de la différence des idées spécifiques qui constituent les diverses sortes de mots, etc. Mais un mot considéré seul peut montrer l'idée dont il est le signe, tantôt sous un aspect et tantôt sous un autre ; cet aspect particulier une fois fixé, il ne faut plus délibérer sur la forme du mot ; en vertu de la syntaxe usuelle de la langue il doit prendre telle terminaison : que l'aspect vienne à changer, la même idée principale sera conservée, mais la forme extérieure du mot doit changer aussi, et la syntaxe lui assigne telle autre terminaison. C'est un domestique, toujours le même homme, qui, en changeant de service, change de livrée.

Il y a, par exemple, un nom latin qui exprime l'idée de l'Etre suprême ; quel est-il, si on le dépouille de toutes les fonctions dont il peut être chargé dans la phrase ? Il n'existe en cette langue aucun mot consideré dans cet état d'abstraction, parce que ses mots ayant été faits pour la phrase, ne sont connus que sous quelqu'une des terminaisons qui les y attachent. Ainsi, le nom qui exprime l'idée de l'Etre suprême, s'il se présente comme sujet de la proposition, c'est Deus ; comme quand on dit, mundum creavit DEUS : s'il est le terme objectif de l'action énoncée par un verbe actif relatif, ou le terme conséquent du rapport abstrait énoncé par certaines prépositions, c'est Deum ; comme dans cette phrase, DEUM time et fac quod vis, ou dans celle-ci, elevabis ad DEUM faciem tuam (Job. 22. 26.) : si ce nom est le terme conséquent d'un rapport sous lequel on envisage un nom appelatif pour en déterminer la signification, sans pourtant exprimer ce rapport par aucune préposition, c'est Dei ; comme dans nomen DEI, etc. Voilà l'effet du régime ; c'est de déterminer les différentes terminaisons d'un mot qui exprime une certaine idée principale, selon la diversité des fonctions dont ce mot est chargé dans la phrase, à raison de la diversité des points de vue sous lesquels on peut envisager l'idée principale dont l'usage l'a rendu le signe.

Il faut remarquer que les Grammairiens n'ont pas coutume de regarder comme un effet du régime la détermination du genre, du nombre et du cas d'un adjectif rapporté à un nom : c'est un effet de la concordance, qui est fondée sur le principe de l'identité du sujet énoncé par le nom et par l'adjectif. Voyez CONCORDANCE et IDENTITE. Au contraire la détermination des terminaisons par les lois du régime suppose diversité entre les mots régissant et le mot régi, ou plutôt entre les idées énoncées par ces mots ; comme on peut le voir dans ces exemples, amo Deum, ex Deo, sapientia Dei, etc. c'est qu'il ne peut y avoir de rapport qu'entre des choses différentes, et que tout régime caractérise essentiellement le terme conséquent d'un rapport ; ainsi le régime est fondé sur le principe de la diversité des idées mises en rapport, et des termes rapprochés dont l'un détermine l'autre en vertu de ce rapport. Voyez DETERMINATION.

Il suit de-là qu'à prendre le mot régime dans le sens généralement adopté, il n'aurait jamais dû être employé, par rapport aux noms et aux pronoms, dans les grammaires particulières des langues analogues qui ne déclinent point, comme le français, l'italien, l'espagnol, etc. car le régime est dans ce sens la forme particulière que doit prendre un complement grammatical d'un mot en conséquence du rapport particulier sous lequel il est alors envisagé : or dans les langues qui ne déclinent point, les mots paraissent constamment sous la même forme, et conséquemment il n'y a point proprement de régime.

Ce n'est pas que les noms et les pronoms ne varient leurs formes relativement aux nombres, mais les formes numériques ne sont point celles qui sont soumises aux lois du régime ; elles sont toujours déterminées par le besoin intrinseque d'exprimer telle ou telle quotité d'individus : le régime ne dispose que des cas.

Les Grammairiens attachés par l'habitude, souvent plus puissante que la raison, au langage qu'ils ont reçu de main en main, ne manqueront pas d'insister en faveur du régime qu'ils voudront maintenir dans notre grammaire, sous prétexte que l'usage de notre langue fixe du-moins la place de chaque complément ; et voilà, disent-ils, en quoi consiste chez nous l'influence du régime. Mais qu'ils prennent garde que la disposition des compléments est une affaire de construction, que la détermination du régime est une affaire de syntaxe, et que, comme l'a très-sagement observé M. du Marsais au mot CONSTRUCTION, on ne doit pas confondre la construction avec la syntaxe. " Cicéron, dit-il, a dit selon trois combinaisons différentes, accepi litteras tuas, tuas accepi litteras, et litteras accepi tuas : il y a là trois constructions, puisqu'il y a trois différents arrangements de mots ; cependant il n'y a qu'une syntaxe, car dans chacune de ces constructions il y a les mêmes signes des rapports que les mots ont entr'eux ". C'est-à-dire que le régime est toujours le même dans chacune de ces trois phrases, quoique la construction y soit différente.

Si par rapport à notre langue on persistait à vouloir regarder comme régime, la place qui est assignée à chacun des compléments d'un même mot, à raison de leur étendue respective ; il faudrait donc convenir que le même complément est sujet à différents régimes, selon les différents degrés d'étendue qu'il peut avoir relativement aux autres compléments du même mot ; mais sous prétexte de conserver le langage des Grammairiens, ce serait en effet l'anéantir, puisque ce serait l'entendre dans un sens absolument inconnu jusqu'ici, et opposé d'ailleurs à la signification naturelle des mots.

Ces observations sappent par le fondement la doctrine de M. l'abbé Girard concernant le régime tom. I. disc. IIIe pag. 87. Il consiste, selon lui, dans des rapports de dépendance soumis aux règles pour la construction de la phrase. " Ce n'est autre chose, dit-il, que le concours des mots pour les expressions d'un sens ou d'une pensée. Dans ce concours de mots il y en a qui tiennent le haut bout ; ils en régissent d'autres, c'est-à-dire qu'ils les assujettissent à certaines lois : il y en a qui se présentent d'un air soumis ; ils sont régis ou tenus de se conformer à l'état et aux lois des autres ; et il y en a qui sans être assujettis ni assujettir d'autres, n'ont de lois à observer que celle de la place dans l'arrangement général. Ce qui fait que quoique tous les mots de la phrase soient en régime, concourant tous à l'expression du sens, ils ne le sont pas néanmoins de la même manière, les uns étant en régime dominant, les autres en régime assujetti, et des troisiemes en régime libre, selon la fonction qu'ils y font ".

Une première erreur de ce grammairien, consiste en ce qu'il rapporte le régime à la construction de la phrase ; au-lieu qu'il est évident, par ce qui précède, qu'il est du district de la syntaxe, et qu'il demeure constamment le même malgré tous les changements de construction. D'ailleurs le régime consiste dans la détermination des formes des compléments grammaticaux considérés comme termes de certains rapports, et il ne consiste pas dans les rapports mêmes, comme le prétend M. l'abbé Girard.

Une seconde erreur, c'est que cet académicien, d'ailleurs habîle et profond, ébloui par l'afféterie même de son style, est tombé dans une contradiction évidente ; car comment peut-il se faire que le régime consiste, comme il le dit, dans des rapports de dépendance, et qu'il y ait cependant des mots qui soient en régime libre ? Dépendance et liberté sont des attributs incompatibles, et cette contradiction, ne fût-elle que dans les termes et non entre les idées, c'est assurément un vice impardonnable dans le style didactique, où la netteté et la clarté doivent être portées jusqu'au scrupule.

J'ajoute que l'idée d'un régime libre, à prendre la chose dans le sens même de l'auteur, est une idée absolument fausse, parce que rien n'est indépendant dans une phrase, à moins qu'il n'y ait périssologie, voyez PLEONASME. Vérifions ceci sur la période même dont M. Girard se sert pour faire reconnaître toutes les parties de la phrase : Monsieur, quoique le mérite ait ordinairement un avantage solide sur la fortune ; cependant, chose étrange ! nous donnons toujours la préférence à celle-ci.

Cette période est composée de deux phrases, dit l'auteur, dans chacune desquelles se trouvent les sept membres qu'il distingue. Je ne m'attacherai ici qu'à celui qu'il appelle adjonctif ; et qu'il prétend être en régime libre ; c'est monsieur dans la première partie de la période, et chose étrange dans le second. Toute proposition a deux parties, le sujet et l'attribut (voyez PROPOSITION) et j'avoue que monsieur n'appartient ni au sujet ni à l'attribut de la première proposition, quoique le mérite ait ordinairement un avantage solide sur la fortune ; par conséquent ce mot est libre de toute dépendance à cet égard ; mais de-là même il n'est ni ne peut être en régime dans cette proposition. Cependant si l'on avait à exprimer la même pensée en une langue transpositive ; par exemple, en latin, il ne serait pas libre de traduire monsieur par tel cas que l'on voudrait de dominus ; il faudrait indispensablement employer le vocatif domine, qui est proprement le nominatif de la seconde personne, (voyez VOCATIF) ; ce qui prouve, ce me semble, que domine serait envisagé comme sujet d'un verbe à la seconde personne, par exemple audi ou esto attentus, parce que dans les langues, comme par-tout ailleurs, rien ne se fait sans cause : il doit donc en être de même en français, où il faut entendre monsieur écoutez ou soyez attentif ; parce que l'analyse, qui est le lien unique de la communication de toutes les langues, est la même dans tous les idiomes, et y opère les mêmes effets : ainsi monsieur est en français dans une dépendance réelle, mais c'est à l'égard d'un verbe sous-entendu dont il est le sujet.

Chose étrange, dans la seconde proposition, est aussi en dépendance, non par rapport à la proposition énoncée nous donnons toujours la préférence à celle-ci, mais par rapport à une autre dont le reste est supprimé ; en voici la preuve. En traduisant cette période en latin, il ne nous sera pas libre de rendre à notre gré les deux mots chose étrange ; nous ne pourrons opter qu'entre le nominatif et l'accusatif ; et ce reste de liberté ne vient pas de ce que ces mots sont en régime libre ou dans l'indépendance, car les six cas alors devraient être également indifférents ; cela vient de ce qu'on peut envisager la dépendance nécessaire de ces deux mots sous l'un ou sous l'autre des deux aspects désignés par les deux cas. Si l'on dit res miranda au nominatif, c'est que l'on suppose dans la plénitude analytique, haec res est miranda : si l'on préfère l'accusatif rem mirandam, c'est que l'on envisage la proposition pleine dico rem mirandam, ou même en rappelant le second adjonctif au premier, domine audi rem mirandam. L'application est aisée à faire à la phrase française, le détail en serait ici superflu ; je viens à la conclusion. L'abbé Girard n'avait pas assez approfondi l'analyse grammaticale ou logique du langage, et sans autre examen il avait jugé indépendant ce dont il ne retrouvait pas le correlatif dans les parties exprimées de la phrase. D'autre part, ces mots mêmes indépendants, il voulait qu'ils fussent en régime, parce qu'il avait faussement attaché à ce mot une idée de relation à la construction, quoiqu'il n'ignorât pas sans-doute qu'en latin et en grec le régime est relatif à la syntaxe ; mais il avait proscrit de notre grammaire la doctrine ridicule des cas : il ne pouvait donc plus admettre le régime dans le même sens que le faisaient avant lui la foule des grammatistes ; et malgré ses déclarations réitérées de ne consulter que l'usage de notre langue, et de parler le langage propre de notre grammaire, sans égard pour la grammaire latine, trop servilement copiée jusqu'à lui, il n'avait pu abandonner entièrement le mot de régime : inde mali labes.

Je n'entrerai pas ici dans le détail énorme des méprises où sont tombés les rudimentaires et les méthodistes sur les prétendus régimes de quelques noms, de plusieurs adjectifs, de quantité de verbes, etc. Ce détail ne saurait convenir à l'Encyclopédie ; mais on trouvera pourtant sur cela même quantité de bonnes observations dans plusieurs articles de cet ouvrage. Voyez ACCUSATIF, DATIF, GENITIF, ABLATIF, CONSTRUCTION, INVERSION, METHODE, PROPOSITION, PREPOSITION, etc.

Chaque cas a une destination marquée et unique, si ce n'est peut-être l'accusatif, qui est destiné à être le régime objectif d'un verbe ou d'une préposition : toute la doctrine du régime latin se réduit là ; si les mots énoncés ne suffisent pas pour rendre raison des cas d'après ces vues générales, l'ellipse doit fournir ceux qui manquent. Poenitet me peccati, il faut suppléer memoria qui est le sujet de poenitet, et le mot completté par peccati, qui en est régi. Doceo pueros grammaticam, il faut suppléer circà avant grammaticam, parce que cet accusatif ne peut être que le régime d'une préposition, puisque le régime objectif de doceo est l'accusatif pueros. Ferire ense, l'ablatif ense n'est point le régime du verbe ferire, il l'est de la préposition sousentendue cum. Dans labrorum tenùs, le génitif labrorum n'est point régime de tenùs qui gouverne l'ablatif ; il l'est du nom sous-entendu regione. Il en est de même dans mille autres cas, qui ne sont et ne peuvent être entendus que par des grammairiens véritablement logiciens et philosophes. (E. R. M. B.)

REGIME, s. m. (Médec. Hygiene et Thérap.) , diaeta, regimen, victus ordinatio. C'est la pratique qu'on doit suivre pour user avec ordre et d'une manière réglée, des choses dites dans les écoles non-naturelles ; c'est-à-dire de tout ce qui est nécessaire à la vie animale, et de ce qui en est inséparable, tant en santé qu'en maladie. Voyez NON-NATURELLES, choses.

Cette pratique a donc pour objet de rendre convenable, de faire servir à la conservation de la santé l'usage de ces choses ; de substituer cet usage réglé à l'abus de ces choses qui pourrait causer ou qui a causé le dérangement de la santé, l'état de maladie ; par conséquent de diriger l'influence de ces choses dans l'économie animale, de manière qu'elles contribuent essentiellement à préserver la santé des altérations qu'elle peut éprouver, ou à la rétablir lorsqu'elle est altérée. Voyez SANTE et MALADIE.

Ainsi le régime peut être considéré comme conservatif, ou comme préservatif, ou comme curatif, selon les différentes circonstances qui en exigent l'observation. La doctrine qui prescrit les règles en quoi il consiste, fait une partie essentielle de la science de la Médecine en général. Il est traité des deux premiers objets du régime dans la partie de cette science appelée hygiene, et du dernier, dans celle que l'on nomme thérapeutique. Voyez MEDECINE, HYGIENE, THERAPEUTIQUE.

L'assemblage général des préceptes qui enseignent ce qui constitue le régime, forme aussi une partie distinguée dans la théorie de la Médecine, que l'on appelle diététique ; et l'usage même de ces préceptes est ce qu'on appelle diete, qui dans ce sens est comme synonyme à régime (Voyez DIETE) ; en sorte que le régime et la diete paraissent avoir la même signification, puisque ces deux mots doivent présenter la même idée, et qu'il n'y a pas de différence entre vivre de régime et pratiquer la diete, qui n'est autre chose qu'une manière de vivre, d'user de la vie réglée, et conforme à ce qui convient à l'économie animale. Mais communément on n'étend pas cette signification de la diete à l'usage de toutes les choses non-naturelles ; on la borne à ce qui a rapport à la nourriture seulement, et même souvent à sa privation ; au lieu que le régime présente l'idée de tout ce qui est nécessaire dans l'usage de ces choses, pour le maintien de la santé, et pour la préservation ou la curation des maladies, selon l'application que l'on fait de ce terme.

Il s'agit ici par conséquent en traitant du régime, de rapporter les règles en quoi il consiste, pour déterminer le bon et le mauvais usage de toutes les choses non-naturelles. Il a été fait une exposition générale de ce qu'il importe à savoir pour fixer ces règles, dans les articles HYGIENE et NON-NATURELLES, choses ; il reste à en faire l'application aux différentes circonstances qui déterminent les différences que comporte le régime, tant par rapport à la santé, que par rapport à la maladie, selon la différente disposition qui se trouve dans ces états opposés.

I. Du régime conservatif. D'abord pour ce qui regarde la santé, le régime varie selon la différence du tempérament, de l'âge, du sexe, des saisons, des climats.

1°. Pour bien régler ce qui convient à chaque tempérament, il faut en bien connaître la nature. Voyez TEMPERAMENT.

Le tempérament bilieux qui rend le système des solides fort tendu, et susceptible de beaucoup d'irritabilité et d'action, ce qui fait que les humeurs sont ordinairement en mouvement et dans une grande agitation, et produisent beaucoup de chaleur animale, exige que l'on vive dans un air qui tende plus à être frais et humide, qu'à être chaud et sec ; que l'on use d'aliments humectants, rafraichissants, d'une boisson abondante, tempérante ; que l'on favorise l'excrétion des matières fécales et la transpiration ; que l'on évite l'usage des aliments échauffans, des viandes grasses, des mets fortement assaisonnés, épicés, aromatiques, des liqueurs fortes, l'excès des liqueurs fermentées, le trop grand mouvement du corps et de l'esprit, les passions de l'âme, qui causent beaucoup d'agitation, d'éretisme, comme l'ambition, la colere.

Le tempérament mélancolique donnant de la roideur aux fibres, et rendant compacte la substance des solides, ce qui fait que les organes sont moins actifs, que le cours des humeurs est lent, paresseux, que le sang et tous les fluides sont disposés à l'épaississement ; qu'il s'établit une disposition dominante à ce qu'il se forme une sorte d'embarras dans l'exercice des fonctions tant du corps que de l'esprit, il convient en conséquence que ceux qui sont de ce tempérament évitent tout ce qui peut contribuer à épaissir, à engourdir les humeurs, comme l'excès de la chaleur et du froid, les aliments grossiers, de difficîle digestion, tels que les viandes dures, coriaces, les légumes farineux ; que l'on ne fasse point usage de liqueurs spiritueuses, coagulantes ; que l'on cherche à vivre dans un air tempéré qui tienne plus du chaud et de l'humide que du froid et du sec, pour opposer les contraires aux contraires ; que l'on vive sobrement d'aliments legers, et que l'on use d'une boisson abondante d'eau pure ou mêlée à une petite quantité de liqueur fermentée ou légèrement aromatisée ; que l'on se livre avec modération à l'exercice du corps, surtout par l'équittation, les voyages ; que l'on cherche aussi beaucoup à se procurer de la dissipation, par la variété des objets agréables, et en évitant toute contention, tout travail d'esprit, qui ne récréent pas, et qui fatiguent.

Le tempérament sanguin établissant la disposition à former une plus grande quantité de sang, tout étant égal, que dans les autres tempéraments ; ceux qui sont ainsi constitués doivent éviter soigneusement tout ce qui peut contribuer à faire surabonder cette partie des humeurs ; ils doivent s'abstenir de manger beaucoup de viande, et de tout aliment bien nourrissant ; de faire un grand usage du vin, des liqueurs spiritueuses ; de se livrer trop au repos, au sommeil. Il leur est très-utîle et avantageux de vivre dans un air tempéré, parce que la chaleur et le froid leur sont également contraires ; de vivre sobrement ; de s'accoutumer de bonne heure à la tempérance, à un genre de vie dur, à des aliments grossiers ; d'user d'une boisson légère, délayante et apéritive ; de favoriser les hémorrhagies naturelles, et de se préserver de tout ce qui peut en causer la diminution, la suppression, et de fuir le chagrin, ainsi que toute affection de l'âme, qui peut ralentir le cours des humeurs.

Comme dans le tempérament phlegmatique ou pituiteux, c'est la sérosité visqueuse, glaireuse qui domine dans la masse des humeurs, dont le mouvement est très-languissant, et que toutes les actions du corps et de l'esprit sont très-paresseuses, il convient donc d'exciter le cours des fluides, en réveillant l'irritabilité, trop peu dominante dans les solides ; d'employer tout ce qui est propre à fortifier les organes, et qui peut corriger l'intempérie froide et humide, par le chaud et le sec. Ainsi on doit dans cette disposition éviter de vivre dans un air humide et froid, de se nourrir d'aliments végétaux, qui n'ont point de saveur forte, tels que la plupart des fruits et le jardinage crud ou sans assaisonnement ; les viandes rôties, surtout les viandes noires, sont préférables, ainsi que les mets épicés, aromatisés, la boisson du bon vin, ou d'autres liqueurs fermentées bien spiritueuses : l'exercice est très-nécessaire, pour dissiper les humidités surabondantes, et favoriser à cet effet la transpiration, et les autres excrétions séreuses. On doit éviter soigneusement toute affection de l'âme, qui jette dans l'abattement, et rechercher au contraire ce qui peut exciter, fortifier le corps et l'esprit, et procurer de l'agilité à l'un et à l'autre, même en se livrant quelquefois à des passions vives, propres à causer de l'émotion, de l'agitation, et des impressions fortes.

2°. La différence de l'âge rendant les corps différemment constitués, et faisant passer le même individu comme par différents tempéraments, à-proportion qu'il eprouve les changements que les progrès de la vie occasionnent, exige par conséquent aussi une manière de vivre conforme à ces dispositions, si différentes dans le cours de la vie.

L'âge d'impuberté, qui renferme l'enfance, laquelle se termine à sept ans environ, et l'âge puéril, qui s'étend jusqu'à quatorze ans, peut être comparé au tempérament sanguin, attendu que le chaud et l'humide dominent dans cet âge. Comme dans ce tempérament ils demandent par conséquent le même régime, à-proportion des forces, qui doit être le même aussi dans tous les temps de la vie, pour la saison du printemps, qui est distinguée des autres par les mêmes qualités qui sont dominantes dans l'enfance et le tempérament sanguin ; ce qu'on peut dire encore des climats tempérés tirant vers les climats chauds.

L'âge de puberté, qui renferme l'adolescence, laquelle s'étend jusqu'à vingt-cinq ans, et la jeunesse qui finit à trente-cinq, est distingué par le chaud et le sec, qui, tout étant égal, sont dominans dans l'économie animale ; il a par conséquent beaucoup de rapport au tempérament bilieux, et à la saison de l'été, ainsi qu'aux climats chauds, dans lesquels les mêmes qualités dominent. Ainsi le régime que l'on a dit convenir à ce tempérament, convient aussi aux personnes de cet âge, avec les modifications proportionnées à la constitution propre de chaque individu.

L'âge de virilité renferme l'âge de force, qui comprend le sixième septenaire, et celui de consistance, qui est terminé avec le septième septenaire, a pour qualités dominantes le froid et l'humide, comme le tempérament phlegmatique, la saison de l'automne, et les climats tempérés tirant vers les climats froids. Ainsi ce qui convient à ce tempérament convient aussi à cet âge, à cette saison, et à ces climats, avec les exceptions ou les changements qui peuvent indiquer la nature particulière de chaque sujet.

L'âge de vieillesse, qui comprend l'âge de déclin, lequel s'étend jusqu'à la fin du dixième septenaire et l'âge de décrépitude, qui se termine avec la vie, poussée aussi loin qu'il est possible, a pour qualités dominantes le froid et le sec, comme le tempérament mélancholique, la saison de l'hiver, et les climats froids. Ainsi le régime qui a été proposé pour ce tempérament, est aussi convenable à cet âge, à cette saison, et à ces climats, toujours sous la réserve des indications particulières à la nature des sujets.

Mais le régime qui convient à chaque âge, peut être plus particulièrement connu d'après ce qui suit.

En général, il faut donner beaucoup à manger aux enfants, selon le conseil d'Hippocrate, aphor. 13. 14, parce qu'ils sont naturellement voraces, qu'ils supportent difficilement la privation des aliments, le jeune ; qu'ils ont beaucoup de chaleur innée, et qu'ils consomment beaucoup de nourriture par l'accroissement et la dissipation. Moins les enfants sont éloignés de la naissance, plus il faut leur permettre de se livrer au sommeil ; et à-proportion qu'ils avancent en âge, il faut en retrancher. Il est essentiel pour la santé des enfants que l'on leur tienne le ventre libre, s'ils ne l'ont pas tel naturellement, parce que quand il reste resserré pendant un certain temps, c'est une marque qu'ils ont de la disposition à être malades. Mais pour un plus grand détail sur ce qui regarde le régime qui convient aux enfants, voyez ENFANCE, et ENFANS, maladies des.

Pour ce qui est des jeunes gens, de ceux qui sont dans la vigueur de l'âge ; selon le conseil de Celse, ils sont moins dans le cas d'avoir besoin de vivre de régime, que dans tout autre temps de la vie, parce que les fautes qu'ils peuvent commettre en fait de régime sont de moindre conséquence par leurs effets, et que leurs forces naturelles les mettent en état de supporter, sans des altérations considérables pour la santé, les excès qui peuvent leur être contraires ; il suffit presque pour se conserver qu'ils évitent de s'exposer à l'air froid, d'user de boissons froides quand le corps est bien échauffé par les différents exercices, par les travaux auxquels on se livre à cet âge. Ils doivent encore éviter tout ce qui peut échauffer, trop agiter le sang et épuiser les forces, comme l'usage des boissons fortes, les passions violentes, et l'excès des plaisirs de l'amour.

Dans l'âge plus avancé, et dans la vieillesse, on doit avoir d'autant plus de soin de sa santé, que l'on devient dans ces derniers temps de la vie susceptible de plus en plus d'être affecté désavantageusement par l'abus des choses non-naturelles ; il faut alors chercher à vivre dans un air assez chaud et un peu humide ; favoriser la transpiration, éviter soigneusement pour cet effet les impressions de l'air froid ; être très tempérant dans l'usage des aliments, manger peu de viande, beaucoup de fruits cuits, d'herbages bouillis ; boire de bon vin, mais bien trempé (car quoi qu'on en dise, le prétendu lait des vieillards employé sans correctif est trop stimulant, et ne peut qu'être nuisible, ainsi que toutes les liqueurs spiritueuses, coagulantes, et tout ce qui peut exciter de fortes contractions dans les solides, et hâter les effets de la disposition du corps au dessechement) ; et enfin chercher le repos et la tranquillité de l'âme le plus qu'il est possible.

3°. Le régime qui convient aux différents sexes peut être déterminé en général par la manière de vivre convenable aux différentes constitutions.

Les personnes robustes et saines qui se trouvent principalement parmi les hommes, doivent, selon le conseil de Celse, ne pas mettre trop d'uniformité dans leur nourriture et dans leur conduite, relativement aux soins de leur santé ; ceux qui sont naturellement vigoureux, ne doivent pas affecter une résidence choisie ; ils font bien de varier à cet égard, d'être tantôt en ville, tantôt en campagne, de manger et de boire tantôt plus, tantôt moins, pourvu que ce soit toujours sans excès ; de manger indifféremment de tout ce qui n'est pas malsain de sa nature ; de se donner quelquefois beaucoup d'exercice, d'autres fois de n'en prendre que peu : en un mot, ils doivent s'accoutumer à tout, afin d'être moins susceptibles des altérations dans l'économie animale, auxquelles on peut être exposé dans les différents changements de vie, que souvent on ne peut éviter, et dans les différentes situations où l'on est forcé de se trouver, comme les gens de guerre. Mais quoique les personnes robustes ne doivent pas beaucoup s'écouter pour ce qui intéresse la santé, ils ne doivent jamais abuser de leurs forces ; jamais dans les plaisirs et la joie ils ne doivent se permettre les emportements de la débauche : leur vigueur est un trésor qu'ils doivent ne pas épuiser, pour être en état de résister aux infirmités inséparables de la vie humaine.

Les gens faibles et délicats ; et dans cette classe on peut ranger les femmes en général, ainsi que la plupart des habitants des grandes villes, selon Celse, surtout les hommes de lettres, et tous ceux qui mènent une vie studieuse et sédentaire ; toutes ces différentes personnes doivent continuellement s'occuper à compenser par la tempérance, la régularité dans leur manière de vivre, et les attentions sur ce qui regarde la conservation de leur santé, ce qu'ils perdent journellement de la disposition à jouir d'une vie saine et longue, par une suite naturelle de leur faiblesse naturelle ou de leur genre de vie. Avec ces précautions, bien de ces personnes se soutiennent, à tout prendre, beaucoup mieux que les gens les plus robustes, parce que ces derniers comptant trop sur leurs forces, négligent ou méprisent absolument les soins, les attentions sur leur santé, et s'attirent mille maux par l'abus qu'ils en font et les excès de toute espèce.

Les femmes ont particulièrement à observer de ne rien faire qui puisse déranger les évacuations menstruelles, et de favoriser cette excrétion de la manière la plus convenable. Voyez MENSTRUES. Elles doivent être encore plus attentives sur elles-mêmes dans le temps de grossesse. Voyez GROSSESSE. Elles ont à ménager dans tous les temps de la vie, surtout dans celui de la suppression naturelle des règles, la délicatesse, la sensibilité de leur genre nerveux. Voyez NERVEUX genre, HYSTERICITE, VAPEURS. Elles doivent chercher à se fortifier le corps et l'esprit, par l'habitude de l'exercice et de la dissipation, en s'y livrant avec modération.

4°. A l'égard des saisons, l'été demande que l'on se nourrisse d'aliments legers, doux, humectants, laxatifs ; que l'on mange peu de viande, beaucoup de fruits que la nature donne alors à nos désirs et à nos véritables besoins ; d'herbages, de laitage, avec une boisson abondante d'eau pure ou de vin leger bien trempé, ou de quelque tisane acescente ; que l'on ne fasse que peu d'exercice, en évitant soigneusement tout excès à cet égard. L'hiver, au contraire exige que l'on prenne une nourriture qui ait de la consistance, tirée des aliments solides, fermes, secs et assaisonnés de sel et d'épiceries : on doit préférer la viande rôtie, le pain bien cuit ; la boisson doit être peu abondante, souvent de bon vin sans eau ; et il faut dans cette saison se livrer beaucoup à l'exercice. Pour ce qui est du printemps et de l'automne, la nourriture et l'exercice doivent être réglés de manière qu'ils tiennent le milieu entre ce qu'exige le temps bien froid ou bien chaud, en proportionnant le régime selon que l'un ou l'autre est plus dominant ; et pour se précautionner contre les injures de l'air et sa variabilité dans ces saisons moyennes, rien ne convient mieux, n'est plus nécessaire que d'avoir attention au printemps à ne pas quitter trop tôt les habits d'hiver, et en automne, à ne pas différer trop longtemps de quitter les habits legers, et de se vêtir chaudement. Voyez NON-NATURELLES, choses.

5°. Par rapport aux climats, on n'a autre chose à dire du différent régime qu'ils exigent ; si ce n'est, qu'il doit être déterminé par le rapport qu'ils ont, comme il a été dit ci-devant, avec les différentes saisons de l'année ; et selon que le chaud, le froid ou le tempéré y sont dominans ; la manière de vivre doit être proportionnée, d'après ce qui vient d'être prescrit pour chaque saison : en général on mange beaucoup, et des aliments grossiers, surtout beaucoup de viande dans les pays froids, et on vit plus sobrement, plus frugalement, on ne mange presque que des végétaux dans les pays chauds ; la boisson y est cordiale par l'usage du vin que la nature y donne pour servir à relever les forces : l'abus des liqueurs fortes, coagulantes est très-nuisible aux habitants du nord auquel la nature les refuse ; ils sont plus disposés aux travaux du corps, et les peuples du midi plus portés à se livrer au repos, à l'oisiveté, sont plus propres aux travaux de l'esprit. Voyez CLIMAT.

II. Du régime préservatif. Après avoir parcouru les différentes combinaisons qui constituent le régime propre à conserver la santé relativement aux différentes circonstances qui exigent ces différences dans la manière de vivre, il se présente à dire quelque chose du régime, qui convient pour préserver des maladies dont on peut être menacé.

Un homme, dit Galien, de med. art. constit. c. xix. est dans un état mitoyen, entre la santé et la maladie, lorsqu'il est affecté de quelqu'in disposition, qui ne l'oblige pas cependant à quitter ses occupations ordinaires et à garder le lit : comme, par exemple, lorsqu'il éprouve un embarras considérable dans la tête, avec un sentiment de pesanteur, quelquefois de douleur, du dégoût pour les aliments, de la lassitude, de l'engourdissement dans les membres, de l'assoupissement ou autres symptômes semblables qui annoncent une altération dans la santé, sans lésion assez décidée pour constituer une maladie ; il ne faut pas attendre que le mal empire, on doit tâcher de détruire les principes de ces indispositions avant qu'elles deviennent des maladies réelles.

Ainsi en supposant que la cause du mal est une plénitude produite par des excès de bouche, ou par une suppression de la transpiration, ou de quelqu'autre évacuation naturelle, ou par une vie trop sédentaire ; après avoir été exercé habituellement, on doit d'abord retrancher les aliments, et se tenir à la tisane pendant un jour ou deux, ce qui suffit souvent pour dissiper les causes d'une maladie naissante : mais si les symptômes sont assez pressants pour exiger un remède plus prompt, plus efficace, on aura recours à la saignée, ou aux purgatifs ou aux sudorifiques : si la menace d'une maladie vient d'indigestion ou d'un amas de crudités, il faut se tenir chaudement dans une grande tranquillité, vivre quelques jours dans l'abstinence avec beaucoup de lavage, et de temps en temps quelque peu de bon vin pour fortifier l'estomac.

En général, dit encore Galien, on opposera aux principes des maux dont on se plaint et dont on veut prévenir les suites, des moyens propres à produire des effets contraires à ceux qu'on doit attendre naturellement des causes qui ont produit ces dérangements dans la santé ; si les humeurs pêchent par l'épaississement, on travaillera à les atténuer ; à les adoucir, si elles sont trop actives, âcres ; à les évacuer, si elles sont trop abondantes ; à faciliter la coction, si elles sont trop crues ; tantôt à détendre les parties en contraction, tantôt à déboucher les vaisseaux obstrués, ainsi du reste.

Souvent quand un commencement de frisson ou de toux annonçait un prochain accès de fièvre, le grand médecin Sydenham arrêtait les progrès du mal, en ordonnant de prendre l'air, de se livrer à l'exercice, de boire quelque tisane rafraichissante, de ne point manger de viande, et de s'abstenir de toute boisson fermentée. Voyez ses œuvres de tussi epidemicâ.

Boerhaave qui avait si bien lu tous les ouvrages des Médecins anciens et modernes de quelque réputation, et qui possédait si parfaitement l'art d'extraire de leurs écrits ce qui s'y trouve de plus intéressant, a compris toute la prophylactique par rapport aux maladies naissantes dans les préceptes qui suivent, qui ne diffèrent point de ceux de Galien et de Sydenham.

On prévient les maux, dit le professeur de Leyde, institut. med. §. 1050. en attaquant leurs causes dès qu'on en aperçoit les premiers effets ; et les préservatifs qu'il faut y opposer sont principalement l'abstinence, le repos, la boisson abondante d'eau chaude, ensuite un exercice modéré, mais continué, jusqu'à ce que l'on commence à s'apercevoir de quelque légère sueur, et enfin une bonne dose de sommeil dans un lit où l'on prenne soin d'être bien couvert, c'est le moyen de relâcher les vaisseaux engorgés, de délayer les humeurs épaisses, et de disposer à être évacuées celles qui pourraient nuire.

III. Du régime curatif. La manière de vivre des malades doit être presqu'aussi différente de celles qu'ils suivaient étant en santé, que cet état diffère de celui dans lequel ils sont tombés ; ainsi on peut la régler en général par la maxime que les contraires se guérissent ou sont guéris par les contraires.

Mais il s'agit ici de faire l'exposition abrégée des préceptes que les Médecins, tant anciens que modernes, ont établis pour servir à diriger les malades dans la conduite qu'ils doivent ou que l'on doit tenir à leur égard, tant par rapport aux aliments et à la boisson qu'ils doivent prendre, que par rapport aux qualités de l'air qui leur conviennent, et aux différentes situations dans lesquelles ils doivent se tenir relativement au repos ou au mouvement du corps.

Comme il n'est rien à l'égard de quoi l'on peche plus aisément dans les maladies qu'en fait de nourriture, les règles, à ce sujet, sont les plus importantes à prescrire, et doivent être traitées les premières : on Ve les présenter en abrégé, d'après le grand Boerhaave, dans ses aphorismes, et leur illustre commentateur le baron van Swieten.

L'indication principale pour le régime que l'on doit prescrire aux malades, doit être sans doute de soutenir les forces, parce que ce n'est que par leur moyen que la nature peut détruire la cause de la maladie : ainsi, contre l'avis d'Asclépiade, on ne doit pas d'abord interdire tout aliment à ceux qui paraissent être dans un commencement de maladie inévitable ; mais s'il est dangereux alors d'affoiblir trop par une diete sévère, il l'est bien davantage de ne pas diminuer assez la quantité de la nourriture, parce que, comme le dit Celse, lib. III. cap. iv. il ne faut pas trop occuper la nature à faire la digestion des aliments, tandis qu'elle a besoin d'employer ses efforts à corriger la matière morbifique, ou si elle n'en est pas susceptible, à en faire la coction et à la dissiper par les évacuations auxquelles elle peut être disposée.

Cependant, comme Hippocrate avertit, aphor. 5. sect. 1. qu'il y a plus à craindre de mauvais effets d'une trop grande abstinence que d'une nourriture trop forte, et que celle-là est toujours très-nuisible dans les maladies aiguës ; il vaut mieux s'exposer à pécher par excès que par défaut, parce que la nature, avec des forces entières que lui fournissent les aliments, peut se suffire pour les travailler et attaquer en même temps avec succès la cause de la maladie ; au lieu que manquant de forces faute de nourriture, elle reste, pour ainsi dire, dans l'inaction.

Pour déterminer donc la quantité de nourriture que l'on peut permettre dans les maladies, on doit se régler sur les symptômes qui annoncent ce que sera la maladie, par rapport à sa violence et à sa durée : plus la maladie parait devoir être aiguë et courte, moins il faut nourrir le malade ; et au contraire si elle doit être longue et peu considérable, on doit permettre une plus grande quantité d'aliments à proportion et plus nourrissants : mais on doit avoir attention, surtout, à observer l'effet que produit la nourriture qu'on donne au malade, parce que si elle est trop forte, il ne tardera pas à ressentir une pesanteur dans l'estomac et un abattement dans les forces, qui fera connaître qu'il faut diminuer la quantité des aliments ; si au contraire il n'en reste aucune incommodité, on peut augmenter la quantité et la force de la nourriture, selon que l'état des forces du malade et celui de la maladie peuvent le permettre.

On doit aussi se régler par l'âge du malade, parce qu'en général tous les animaux supportent d'autant moins la privation des aliments, tout étant égal, qu'ils sont plus jeunes ou plus avancés dans la vieillesse. Voyez ENFANS (maladies des), VIEILLESSE. Ainsi l'on ne doit pas exiger dans les maladies une aussi grande abstinence des jeunes gens et des vieillards, que des adultes dans l'âge moyen.

Il faut encore avoir égard aux différents temps de la maladie ; en sorte que lorsqu'elle est parvenue à sa plus grande intensité, on doit, à proportion, donner toujours moins de nourriture, et toujours plus légère : au lieu que pendant son accroissement et pendant son déclin on doit en permettre une quantité d'autant plus grande et plus forte à proportion, que l'on est plus éloigné, avant ou après, du temps où le malade est dans l'état le plus violent, c'est-à-dire que la diete doit être moins sévère dans le temps de la maladie où il y a moins de fonctions lésées, ou lorsque les lésions des fonctions qui la constituent sont moins considérables.

On doit encore faire attention au climat dans lequel on se trouve, pour determiner la manière de se nourrir des malades ; parce qu'à proportion qu'on habite des pays plus chauds, plus près de l'équateur, on soutient plus facilement l'abstinence des aliments, et que c'est le contraire à l'égard des pays plus froids, plus voisins des pôles ; la différence des saisons exige la même proportion dans l'administration des aliments dans les maladies, que la différence des climats. On doit par conséquent, tout étant égal, prescrire une diete moins sevère en hiver qu'en été.

On doit aussi avoir beaucoup d'égard au tempérament des malades et à leur habitude en santé relativement à leur nourriture, pour régler celle qui leur convient dans l'état opposé ; en sorte qu'il faut en permettre davantage à proportion aux personnes d'un tempérament chaud et vif, et à ceux qui mangent beaucoup lorsqu'ils se portent bien, et donner des aliments plus nourrissants à ceux qui sont accoutumés à la bonne chère.

Il convient encore, selon que le recommande Hippocrate, de affect. cap. XIe que les aliments qu'on accorde aux malades soient d'une nature approchante de ceux dont ils usent en santé. Les choses dont on a l'habitude, dit encore le père de la Médecine, aphor. 50. sect. 2. quoique de moins bonne qualité, sont moins nuisibles que celles auxquelles on n'est pas accoutumé, quelque bonnes qu'elles puissent être.

Pour ce qui est du temps de donner des aliments aux malades, on doit avoir égard à la nature de la maladie, et les faire administrer dans la partie du jour, où les symptômes sont le moins considérables, où il reste le moins de lésion de fonctions, parce que la digestion s'exécute mieux à proportion qu'il y a un plus grand nombre de fonctions qui restent ou qui redeviennent intègres, et que celles qui sont lésées se rapprochent davantage de l'état naturel ; et au contraire, etc. Ainsi c'est dans le temps de l'intermission de la fièvre où l'on doit permettre le plus de nourriture à un malade, parce que les fonctions lésées sont alors rétablies, et que l'exercice s'en fait presqu'aussi parfaitement que dans l'état de santé : on doit dans cette circonstance donner des aliments en d'autant plus grande quantité et d'autant plus solides, plus nourrissants, que l'intervalle des accès est plus considérable, et que l'on est plus éloigné du retour de la fièvre ; et au contraire, etc.

Dans les fièvres continues avec remission, c'est dans le temps où la fièvre est moins considérable, que l'on doit le plus donner de la nourriture aux malades ; mais comme il y a toujours lésion de fonctions, cette nourriture doit être d'autant moins abondante et d'autant moins forte qu'il subsiste encore plus de lésion de fonctions, et que l'on est moins éloigné du redoublement de la fièvre qui doit survenir.

Dans celle qui est continue, toujours avec la même intensité, sans diminution, ni augmentation, la nourriture doit être donnée après le sommeil, et par conséquent le matin de préférence, parce que les forces sont alors réparées, ou qu'elles sont moins affaissées dans ce temps-là, tout étant égal.

Mais en général, selon le conseil de Celse qui propose les préceptes les plus sages à cet égard, de re medicâ, lib. III. cap. Ve il n'est point de temps dans les maladies où l'on ne doive donner de la nourriture, lorsqu'il s'agit de soutenir les forces et d'en prévenir l'épuisement ; cependant on doit observer dans tous les temps de ne faire prendre des aliments qu'à proportion de ce qu'il reste de forces dans les viscères, pour que la digestion s'en fasse le moins imparfaitement qu'il est possible, et que le travail de la digestion n'augmente pas le défaut de forces, au lieu de le réparer.

Ainsi non-seulement on ne doit donner aux malades que des aliments d'autant plus légers, plus faciles à digérer, qu'il y a plus de lésion de fonction, et à proportion des forces qui restent, mais encore en plus petite quantité à-la-fais, et d'autant plus répétée, que la digestion en est faite : car il faut toujours laisser le temps à une digestion de se finir avant de donner matière à une nouvelle, en sorte que dans les maladies les plus aiguës, où il se fait une grande dissipation des forces, il vaut mieux donner toutes les heures de la nourriture la plus légère, que d'en donner moins souvent d'une nature plus forte.

Pour ce qui est de l'espèce d'aliments que l'on doit donner aux malades, elle est déterminée par la nature de la maladie et par l'usage : dans les maladies aiguës, les anciens médecins ne permettaient pas les bouillons de viande qui sont dans ces temps-ci d'un usage presque général, contre le gré de tous les Médecins éclairés, qui sentent combien cette pratique est vicieuse, et souvent contraire à la guerison des maladies, parce que c'est une sorte d'aliment qui tend beaucoup à la corruption : on doit au-moins éviter de le donner bien chargé de jus, et l'on doit corriger sa disposition septique, en y faisant cuire des plantes acides, comme l'oseille, ou en y délayant du jus de citron, d'orange ou de grenade ; ou lorsque la maladie permet de rendre la nourriture un peu plus forte, on peut y faire bouillir du pain qui est acescent de sa nature ; ce qui peut se répéter dans ce cas deux ou trois fois par jour, en donnant, dans les intervalles, des crêmes de grains farineux, comme le ris, l'orge ou l'avoine, faite à l'eau ou au bouillon bien léger, en sorte que les malades n'usent de ces différentes nourritures tout-au-plus que de quatre en quatre heures, dans les temps éloignés de la force de la maladie qui ne comporte point une nourriture de si grande consistance, et qui ne permet, dans les maladies aiguës, que les bouillons les plus légers, comme ceux de poulet ou viande de mouton, avec du veau, en petite quantité et en grand lavage ; et mieux encore, de simples décoctions en tisanes ou en crêmes des grains mentionnés sans viande.

Les Médecins doivent toujours préférer ce dernier parti, lorsqu'ils ont le bonheur de trouver dans leurs malades assez de docilité pour se soumettre au régime le plus convenable, et qu'ils n'ont pas affaire avec gens qui soient dans l'idée commune et très-pernicieuse, que plus la maladie est considérable, plus on doit rendre les bouillons nourrissants ; ce qui est précisément le contraire de ce qui doit se pratiquer. Voyez ALIMENS.

En général, la quantité et la force de la nourriture doivent être réglées par le plus ou le moins d'éloignement de l'état naturel que présente la maladie : toujours, eu égard au tempérament, à l'âge, au climat, à la saison et à l'habitude, comme il a déjà été établi ci-devant, et avec attention de consulter aussi l'appétit du malade, qui doit contribuer ou concourir à régler l'indication en ce genre, excepté lorsqu'il peut être regardé comme un symptôme de la maladie.

Ainsi, après que les évacuations critiques se sont faites, et que l'on a purgé les malades, s'il en restait l'indication, la maladie tendant à sa fin d'une manière marquée, les malades commençant alors ordinairement à désirer une nourriture plus solide, on leur accorde des bouillons plus forts, des soupes de pain, de grains ; et lorsque la convalescence est bien décidée, des œufs frais, des viandes legeres en petite quantité, que l'on augmente à proportion que les forces se rétablissent davantage. Voyez CONVALESCENCE.

A l'égard de la boisson qui convient aux malades, et qui peut aussi leur servir de nourriture ou de remède, selon la matière dont elle est composée, il est d'usage dans les maladies aiguës, d'employer la tisane d'orge ou d'avoine, la tisane émulsionnée, les plantes, feuilles, bois ou racines ; on y ajoute souvent la crême de tartre ou le nitre, le cristal minéral, le sucre ou le miel, selon les différentes indications à remplir. Voyez PTISANE. On rend ces préparations plus ou moins chargées et nourrissantes, ou médicamenteuses, selon que l'état de la maladie et celui des forces le comportent ou l'exigent.

Pour ce qui est de la quantité, on doit engager les malades à boire plus abondamment, à proportion que la maladie est plus violente, que la chaleur animale ou celle de la saison est plus considérable ; on ne saurait trop recommander aux malades une boisson copieuse, surtout dans le commencement des maladies, pour détremper les mauvais levains des premières voyes et en préparer l'évacuation, pour délayer la masse des humeurs, en adoucir l'acrimonie, favoriser les sécrétions, les coctions, les crises, et disposer aux purgations, en détendant et relâchant les organes par lesquels elles doivent s'opérer : Corpora quae purgare volueris, meabilia facias opportet, dit le divin Hippocrate, (aphor. IXe sect. 2.) ainsi la boisson abondante est un des plus grands moyens que l'on puisse employer pour aider la nature dans le traitement des maladies en général, et surtout des maladies aiguës.

Il n'est pas moins important de déterminer les attentions que l'on doit avoir à l'égard de l'air dans lequel vivent les malades ; d'abord il est très-nécessaire que celui qui les environne, dans lequel ils respirent, soit souvent renouvellé, pour ne pas lui laisser contracter la corruption, inévitable par toutes les matières qui y sont disposées, dont il se fait une exhalaison continuelle dans le logement des malades, d'où il résulte d'autant plus de mauvais effets, qu'il est moins spacieux, moins exposé à un bon air, qu'il a moins d'ouvertures pour lui donner un libre accès ; que l'on laisse davantage cette habitation se remplir de la fumée des chandelles, des lampes à l'huîle de noix, des charbons, etc. de l'exhalaison des matières fécales du malade même, surtout lorsqu'il sue ou qu'il transpire beaucoup, et des personnes qui le servent, qui sont auprès de lui ; ce qui rend l'air extrêmement mal-sain pour tous ceux qui sont obligés d'y rester, et surtout pour les malades dont la respiration devient par là de plus en plus gênée, laborieuse, surtout si la chaleur de l'air est trop considérable et qu'elle excède le quinzième degré, environ, du thermomètre de Reaumur ; si les malades sont retenus dans leur lit bien fermés, excessivement chargés de couvertures jusqu'à la sueur forcée qui ne peut être que très-nuisible dans ce cas : ainsi on ne peut prendre trop de soin pour empêcher que les malades ne soient placés dans une habitation trop petite, dans un air trop peu renouvellé, corrompu et trop chaud ; ce qui est d'autant plus nuisible, s'il y a un grand nombre de malades renfermés dans le même lieu. Voyez HOPITAL, PRISON.

On ne peut aussi trop faire attention à la manière dont les malades sont couverts dans leurs lits : ils ne doivent l'être précisément qu'autant qu'il le faut pour leur procurer une chaleur tempérée ; on ne doit pas non plus les retenir continuellement au lit dans les temps de la maladie, où les forces leur permettent de rester levés plus ou moins dans le cours de la journée, ce qui leur est extrêmement salutaire, (excepté dans les cas de disposition actuelle à une sueur critique. Voyez SUEUR.) Le contraire leur est extrêmement désavantageux, puisque l'on pourrait rendre malade l'homme qui se porte le mieux, si on le forçait à se tenir au lit bien chaudement pendant plusieurs jours de suite ; en sorte qu'il n'est pas d'abus dans le régime plus pernicieux que de les tenir trop au lit, de les y tenir trop couverts et dans un air trop chaud, dans un air étouffé ; ce que les médecins ont bien de la peine à empêcher, parmi les femmelettes surtout, à qui on confie ordinairement le soin des malades, et même parmi les gens au-dessus du commun : car, en général, au grand désagrément des médecins, dans tous les états, presque tout le monde est aussi peu instruit et pense comme le peuple pour ce qui regarde l'exercice de la médecine ; si peu on cherche, hors de la profession qui y est destinée, à acquérir des connaissances sur ce qui a rapport à l'oeconomie animale, à la physique du corps humain, à la conservation de la santé, au régime propre pour la maintenir et se préserver des maladies ; connaissances les plus intéressantes et les plus utiles que l'on puisse avoir relativement à cette vie. Voyez MEDECINE.