sub. m. (Littérature) moitié de vers, demi-vers, repos au milieu du vers. Cet article qui parait d'abord une minutie, demande pourtant l'attention de quiconque veut s'instruire. Ce repos à la moitié d'un vers, n'est proprement le partage que des vers alexandrins. La nécessité de couper toujours ces vers en deux parties égales, et la nécessité non moins forte d'éviter la monotonie, d'observer ce repos et de le cacher, sont des chaînes qui rendent l'art d'autant plus précieux, qu'il est plus difficile.

Voici des vers techniques qu'on propose (quelque faibles qu'ils soient) pour montrer par quelle méthode on doit rompre cette monotonie, que la loi de l'hémistiche semble entraîner avec elle.

Observez l 'hémistiche, et redoutez l'ennui

Qu'un repos uniforme attache auprès de lui.

Que votre phrase heureuse, et clairement rendue

Sait tantôt terminée, et tantôt suspendue ;

C'est le secret de l'Art. Imitez ces accens

Dont l'aisé Géliotte avait charmé nos sens :

Toujours harmonieux, et libre sans licence,

Il n'appesantit point ses sons et sa cadence.

Sallé, dont Terpsicore avait conduit les pas,

Fit sentir la mesure, et ne la marqua pas.

Ceux qui n'ont point d'oreilles n'ont qu'à consulter seulement les points et les virgules de ces vers ; ils verront qu'étant toujours partagés en deux parties égales, chacune de six syllabes, cependant la cadence y est toujours variée, la phrase y est contenue ou dans un demi-vers, ou dans un vers entier, ou dans deux. On peut même ne complete r le sens qu'au bout de six ou de huit ; et c'est ce mélange qui produit une harmonie dont on est frappé, et dont peu de lecteurs voient la cause.

Plusieurs dictionnaires disent que l'hémistiche est la même chose que la césure, mais il y a une grande différence : l'hémistiche est toujours à la moitié du vers ; la césure qui rompt le vers est par-tout où elle coupe la phrase.

Tien. Le voilà. Marchons. Il est à nous. Vien. Frappe.

Presque chaque mot est une césure dans ce vers.

Hélas, quel est le prix des vertus ? La souffrance.

Dans les vers de cinq pieds ou de dix syllabes, il n'y a point d'hémistiche, quoi qu'en disent tant de dictionnaires ; il n'y a que des césures ; on ne peut couper ces vers en deux parties égales de deux pieds et demi.

Ainsi partagés, | boiteux et malfaits,

Ces vers languissants | ne plairaient jamais.

On en voulut faire autrefois de cette espèce dans le temps qu'on cherchait l'harmonie qu'on n'a que très-difficilement trouvée. On prétendait imiter les vers pentamètres latins, les seuls qui ont en effet naturellement cet hémistiche ; mais on ne songeait pas que les vers pentamètres étaient variés par les spondées et par les dactiles ; que leurs hémistiches pouvaient contenir ou cinq, ou six, ou sept syllabes. Mais ce genre de vers français au contraire ne peuvent jamais avoir que des hémistiches de cinq syllabes égales, et ces deux mesures étant trop rapprochées, il en résultait nécessairement cette uniformité ennuyeuse qu'on ne peut rompre, comme dans les vers alexandrins. De plus, le vers pentamètre latin venant après un hexamètre, produisait une variété qui nous manque.

Ces vers de cinq pieds à deux hémistiches égaux pourraient se souffrir dans des chansons : ce fut pour la Musique que Sapho inventa chez les Grecs une mesure à-peu-près semblable, qu'Horace les imita quelquefois lorsque le chant était joint à la Poésie, selon sa première institution. On pourrait parmi nous introduire dans le chant cette mesure qui approche de la saphique.

L'amour est un dieu | que la terre adore,

Il fait nos tourments, | il sait les guérir.

Dans un doux repos | heureux qui l'ignore !

Plus heureux cent fois | qui peut le servir.

Mais ces vers ne pourraient être tolérés dans des ouvrages de longue haleine, à cause de la cadence uniforme. Les vers de dix syllabes ordinaires sont d'une autre mesure ; la césure sans hémistiche est presque toujours à la fin du second pied, de sorte que le vers est souvent en deux mesures, l'une de quatre, l'autre de six syllabes ; mais on lui donne aussi souvent une autre place, tant la variété est nécessaire.

Languissant, faible, et courbé sous les maux,

J'ai consumé mes jours dans les travaux :

Quel fut le prix de tant de soins ? L'envie.

Son souffle impur empoisonna ma vie.

Au premier vers la césure est après le mot faible ; au second après jours ; au troisième elle est encore plus loin après soins ; au quatrième elle est après impur.

Dans les vers de huit syllabes il n'y a jamais d'hémistiche, et rarement de césure.

Loin de nous ce discours vulgaire,

Que la nature dégenere,

Que tout passe et que tout finit.

La nature est inépuisable,

Et le travail infatigable

Est un dieu qui la rajeunit.

Au premier vers s'il y avait une césure, elle serait à la troisième syllabe, loin de nous ; au second vers à la quatrième syllabe, nature. Il n'est qu'un cas où ces vers consacrés à l'ode ont des césures, c'est quand le vers contient deux sens complets comme dans celui-ci.

Je vis en paix, je fuis la cour.

Il est sensible que je vis en paix, forme une césure ; mais cette mesure répétée serait intolérable. L'harmonie de ces vers de quatre pieds consiste dans le choix heureux des mots et des rimes croisées : faible mérite sans les pensées et les images.

Les Grecs et les Latins n'avaient point d'hémistiche dans leurs vers hexamètres ; les Italiens n'en ont dans aucune de leurs poésies.

Le donne, j cavalier, l'armi, gli amori,

Le cortésie, l'audaci imprese jo canto

Che furo al tempo che passaro j mori

D'africa il mar, e in francia nocquer tanto, &c.

Ces vers sont composés d'onze syllabes, et le génie de la langue italienne l'exige. S'il y avait un hémistiche, il faudrait qu'il tombât au deuxième pied et trois quarts.

La Poésie anglaise est dans le même cas ; les grands vers anglais sont de dix syllabes ; ils n'ont point d'hémistiche, mais ils ont des césures marquées.

At tropington | not far from cambridge, stood

A cross a pleasing stream | a bridge of wood,

Near it a mill | in low and plashy ground,

Where corn for all the neighbouring parts | was grown'd.

Les césures différentes de ces vers sont désignées par les tirets |.

Au reste, il est peut-être inutîle de dire que ces vers sont le commencement de l'ancien conte du berceau, traité depuis par la Fontaine. Mais ce qui est utîle pour les amateurs, c'est de savoir que non seulement les Anglais et les Italiens sont affranchis de la gêne de l'hémistiche, mais encore qu'ils se permettent tous les hiatus qui choquent nos oreilles, et qu'à cette liberté ils ajoutent celle d'allonger et d'accourcir les mots selon le besoin, d'en changer la terminaison, de leur ôter des lettres ; qu'enfin, dans leurs pièces dramatiques, et dans quelques poèmes, ils ont secoué le joug de la rime : de sorte qu'il est plus aisé de faire cent vers italiens et anglais passables, que dix français, à génie égal.

Les vers allemands ont un hémistiche, les espagnols n'en ont point : tel est le génie différent des langues, dépendant en grande partie de celui des nations. Ce génie qui consiste dans la construction des phrases, dans les termes plus ou moins longs, dans la facilité des inversions, dans les verbes auxiliaires, dans le plus ou moins d'articles, dans le mélange plus ou moins heureux des voyelles et des consonnes : ce génie, dis-je, détermine toutes les différences qui se trouvent dans la poésie de toutes les nations ; l'hémistiche tient évidemment à ce génie des langues.

C'est bien peu de chose qu'un hémistiche ; ce mot semblait à peine mériter un article ; cependant on a été forcé de s'y arrêter un peu ; rien n'est à mépriser dans les Arts ; les moindres règles sont quelquefois d'un très-grand détail. Cette observation sert à justifier l'immensité de ce Dictionnaire, et doit inspirer de la reconnaissance pour les peines prodigieuses de ceux qui ont entrepris un ouvrage, lequel doit rejeter à la vérité toute déclamation, tout paradoxe, toute opinion hasardée, mais qui exige que tout soit approfondi. Article de M. DE VOLTAIRE.