S. f. (Belles Lettres) figure de Rhétorique dans laquelle l'orateur interrompt le discours qu'il tenait à l'auditoire, pour s'adresser directement et nommément à quelque personne, soit aux dieux, soit aux hommes, aux vivants ou aux morts, ou à quelqu'être, même aux choses inanimées, ou à des êtres métaphysiques, et qu'on est en usage de personnifier.

De ce dernier genre est ce trait de M. Bossuet dans son oraison funèbre de la duchesse d'Orléans : " Hélas, nous ne pouvons arrêter un moment les yeux sur la gloire de la Princesse, sans que la mort s'y mêle aussi-tôt pour tout offusquer de son ombre ! O mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un moment la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie ".

Cicéron dans l'oraison pour Milon, s'adresse aux citoyens illustres qui avaient répandu leur sang pour la patrie, et les intéresse à la défense d'un homme qui en avait tué l'ennemi dans la personne de Clodius. Dans la même pièce il apostrophe les tombeaux, les autels, les bois sacrés du mont Albain. Vos Albani tumuli atque luci, &c.

Enée dans un récit remarque, que si on avait été attentif à un certain événement, Troie n'aurait pas été prise :

Trojaque nunc stares, Priamique arx alta maneres.

Aeneid. II.

L'apostrophe fait sentir toute la tendresse d'un bon citoyen pour sa patrie.

Celle que Démosthène adresse aux Grecs tués à la bataille de Marathon, est célèbre ; le cardinal du Perron a dit qu'elle fit autant d'honneur à cet orateur, que s'il eut ressuscité ces guerriers. On regarde aussi comme un des plus beaux endroits de Cicéron, celle qu'il adresse à Tubéron dans l'oraison pour Ligarius : Quid enim, Tubero, tuus ille districtus in acie Pharsalicâ gladius agebat ? etc. Cette apostrophe est remarquable, et par la vivacité du discours, et par l'émotion qu'elle produisit dans l'âme de César.

Au reste il en est de l'apostrophe comme des autres figures. Pour plaire elle doit n'être pas prodiguée à tout propos. L'auditeur souffrirait impatiemment qu'on le perdit incessamment de vue, pour ne s'adresser qu'à des êtres qu'il suppose toujours moins intéressés que lui au discours de l'orateur.

Le mot apostrophe est grec, , aversio, formé d', ab, et de , verto, je tourne ; quia orator ab auditore convertit sermonem ad aliam personam. (G)

APOSTROPHE, s. m. est aussi un terme de Grammaire, et vient d', substantif masculin ; d'où les Latins ont fait apostrophus pour le même usage. R. , averto, je détourne, j'ôte. L'usage de l'apostrophe en grec, en latin et en français, est de marquer le retranchement d'une voyelle à la fin d'un mot pour la facilité de la prononciation. Le signe de ce retranchement est une petite virgule que l'on met au haut de la consonne, et à la place de la voyelle qui serait après cette consonne, s'il n'y avait point d'apostrophe ; ainsi on écrit en latin men' pour mène ? tanton' pour tantò-ne ?

.... Tanton' me crimine dignum ?

Virg. Aeneid. Ve 668.

.... Tanton' placuit concurrere motu ?

Virg. Aeneid. XII. Ve 503.

viden' pour vides-ne ? ain' pour ais-ne ? dixtin' pour dixisti-ne ? et en français grand'messe, grand'mère, pas grand'chose, grand'peur, &c.

Ce retranchement est plus ordinaire quand le mot suivant commence par une voyelle.

En français l'e muet ou féminin est la seule voyelle qui s'élide toujours devant une autre voyelle, au moins dans la prononciation ; car dans l'écriture on ne marque l'élision par l'apostrophe que dans les monosyllabes je, me, te, se le, ce, que, de, ne, et dans jusque et quoique, quoiqu'il arrive. Ailleurs on écrit l'e muet quoiqu'on ne le prononce pas : ainsi on écrit, une armée en bataille, et l'on prononce un armé en bataille.

L'a ne doit être supprimé que dans l'article et dans le pronom la, l'âme, l'église, je l'entends, pour je la entends. On dit la onzième, ce qui est peut-être venu de ce que ce nom de nombre s'écrit souvent en chiffre, le XI. roi, la XI. lettre. Les enfants disent m'amie, et le peuple dit aussi m'amour.

L'i ne se perd que dans la conjonction si devant le pronom masculin, tant au singulier qu'au pluriel ; s'il vient, s'ils viennent, mais on dit si elles viennent.

L'u ne s'élide point, il m'a paru étonné. J'avoue que je suis toujours surpris quand je trouve dans de nouveaux livres, viendra-t'il, dira-t'il : ce n'est pas là le cas de l'apostrophe, il n'y a point là de lettre élidée ; le t en ces occasions n'est qu'une lettre euphonique, pour empêcher le bâillement ou rencontre des deux voyelles ; c'est le cas du tiret ou division : on doit écrire viendra-t-il, dira-t-il. Les Protes ne lisent-ils donc point les grammaires qu'ils impriment ?

Tous nos dictionnaires français font ce mot du genre féminin ; il devrait pourtant être masculin quand il signifie ce signe qui marque la suppression d'une voyelle finale. Après tout on n'a pas occasion dans la pratique de donner un genre à ce mot en français : mais c'est une faute à ces dictionnaires quand ils font venir ce mot d', qui est le nom d'une figure de Rhétorique. Les dictionnaires latins sont plus exacts ; Martinius dit, apostrophe. R. , figura Rhetoricae ; et il ajoute immédiatement, apostrophus : R. , signum rejectae vocalis. Isidore, au liv. I. de ses origines, chapitre XVIIIe où il parle des figures ou signes dont on se sert en écrivant, dit : apostrophos, pars circuli dextra, et ad summam litteram apposita, fit ita', quâ notâ deesse ostenditur in sermone ultimas vocales (F)