S. m. (Histoire naturelle et Littérature) , de , cheval, et , être furieux.

Ce mot signifie principalement deux choses dans les écrits des anciens : 1°. une certaine liqueur qui coule des parties naturelles d'une jument en chaleur. Voyez Aristote, Histoire anim. lib. VI. cap. xxij. et Pline, liv. XXVIII. chap. XIe 2°. une excroissance de chair que les poulains nouveaux-nés ont quelquefois sur le front, selon le même Pline, liv. VIII. ch. xlij.

Les anciens prétendent que ces deux sortes d'hippomanés, ont une vertu singulière dans les philtres et autres compositions destinées à des maléfices ; que la cavale n'a pas plutôt mis bas son poulain, qu'elle lui mange cette excroissance charnue, sans quoi elle ne le voudrait pas nourrir ; qu'enfin si elle donne le temps à quelqu'un d'emporter ce morceau de chair, la seule odeur la fait devenir furieuse.

Virgile a su tirer parti de ces contes, en parlant des sortileges, auxquels la malheureuse Didon eut recours dans son désespoir.

Quaeritur, et nascentis equi de fronte revulsus

Et matri praereptus amor. Aenéid. lib. IV. Ve 515.

Encore moins pouvait-il oublier d'en faire mention dans ses Géorgiques ; mais c'est toujours avec cet art qu'il a d'annoblir les plus petites choses.

Hinc demùm Hippomanès, vero quod nomine dicunt

Pastores ; lentum distillat ab inguine virus,

Hippomanes quod saepè malae légère novercae,

Miscueruntque herbas, et non innoxia verba.

Il parait par Juvenal, satyre VI. que cette opinion était assez accréditée ; car ce poète attribue la plupart des désordres de Caligula, à une potion que sa femme Caesonie lui avait donnée, et dans laquelle elle avait fait entrer l'hippomanés.

Cependant Ovide se moque de toutes ces niaiseries dans les vers suivants.

Fallitur Aemonias quisquis descendit ad artes,

Datque quod à teneri fronte revulsit equi ;

Non faciunt ut vivat amor medeides herbae,

Mixtaque cum magicis versa venena sonis.

Sit procul omne nefas ; ut amaberis, amabilis esto !

Enfin, le mot hippomanés designe encore dans Théocrite une plante de l'Arcadie, qui met en fureur les poulains et les juments ; ici nos Botanistes recherchant quelle était cette plante, se sont épuisés en conjectures. Les uns ont pensé que c'était le cynocrambe ou apocynum, d'autres le suc de tithymale, et d'autres, avec Anguillard, le stramonium, fructu spinoso rotundo, semine nigricante de Tournefort, que nos François appellent pomme épineuse.

Saumaise, qui ne veut point entendre parler de cette plante, aime mieux altérer le texte de Théocrite ; il soutient que ce poète n'a point dit , mais , et par , il entend la cavale de bronze qui était auprès du temple de Jupiter Olympien. Cette cavale, au rapport de quelques écrivains, excitait dans les chevaux les émotions de l'amour, comme si elle eut été vivante ; et cette vertu, disaient-ils, lui était communiquée par l'hippomanés qu'on avait mêlé avec le cuivre en la fondant. M. Bayle a très-bien refuté Saumaise, dans sa dissertation sur cette matière, que tout le monde connait.

Les sages modernes ont entièrement abandonné les anciens sur le prétendu hippomanés, comme plante, comme philtre, veneficium amoris, et comme excroissance sur le front des poulains. La description publiée par Raygerus en 1678, dans les actes des curieux d'Allemagne, ann. 8, d'une substance charnue toute fraiche, tirée du front d'un poulain, que sa mère avait ensuite nourri, ne peut passer que pour un cas extraordinaire, un vrai jeu de la nature.

Mais, suivant M. Daubenton, l'hippomanés est une matière semblable à de la gelée blanche qui se trouve constamment placée dans la cavité qui est entre l'amnios et l'allantoïde de la jument pleine ; il peut arriver assez souvent, que cette matière vienne au-dehors avec la tête du poulain, étant ordinairement à l'endroit le plus bas de la matrice. Cette matière qui est flottante sans aucune attache, doit tomber dans cet endroit, et passer au-dehors aussi-tôt que les membranes sont déchirées ; la formation de l'hippomanés, ou de la liqueur contenue entre l'amnios et l'allantoïde, étant une fois découverte, il est aisé de comprendre l'odeur forte d'urine qu'elle rend par l'évaporation, et le caractère du sédiment de cette liqueur ; mais ne pouvant entrer dans de pareils détails, nous renvoyons les curieux au mémoire de ce physicien, qui se trouve dans le Recueil de l'acad. des Sciences, année 1751. (D.J.)