FELICISSIMUS, FELICITAS, (Littérature) en français heureux, très-heureux, etc. titres fréquents dans les monuments publics des Romains, adoptés d'abord par Sylla, prodigués ensuite aux empereurs, et qu'enfin les villes, les provinces et les colonies les plus malheureuses, dépendantes de l'empire, eurent la bassesse de s'appliquer, pour ne pas déplaire aux souverains de Rome.

Ajoutons même qu'entre les différents titres qui se lisent sur les monuments antiques, celui de felix ou felicitas, est un de ceux qui s'y trouvent le plus souvent. Sylla, le barbare Sylla, que la fortune combla de ses faveurs jusqu'à la mort, quoique sa cruauté l'en eut rendu très-indigne, fut le premier des Romains qui prit le nom de felix, heureux.

Mais à qui ou à quoi dans la suite ne prodigua-t-on pas faussement ce glorieux titre de felix ou de felicitas ? Il fut attribué au triste temps présent, felicitas temporis, felix temporum reparatio ; au siècle infortuné, saeculi felicitas : au sénat abattu, au peuple romain asservi, felicitas populi romani ; à Rome malheureuse, romae felici ; à l'empire consterné sous Macrin, ce vil gladiateur et chasseur de bêtes sauvages, felicitas imperii ; à toute la terre gémissante, felicitas orbis ; mais surtout aux plus infâmes empereurs, depuis que Commode prince détestable, et détesté de tout l'Univers, se le fut approprié.

On donna même à ses successeurs le titre de felicissimus, dans le bas-empire ; la mode s'était alors introduite de porter au superlatif la plupart des titres, à proportion qu'ils étaient le moins mérités, beatissimus, nobilissimus, piissimus.

A l'exemple de l'état romain et des empereurs, quantité de colonies se piquèrent de se dire heureuses sur leurs monnaies, par adulation pour les princes regnans dont elles voulaient tâcher de gagner les bonnes grâces, en se vantant de jouir d'une félicité qu'elles étaient bien éloignées de posséder. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler qu'entre les colonies qui prirent le titre de felix, les médailles nomment Carthage et Jérusalem.

Les provinces, à l'imitation des villes, affectèrent aussi sur leurs monuments publics, de se proclamer heureuses. La Dace publie qu'elle est heureuse sous Marc-Jules-Philippe : oui, Dacia felix se trouve sur les médailles frappées sous le règne de cet arabe, qui parvint au trône par le brigandage et le poison.

Enfin pour abréger, l'on poussa la bassesse sous Commode, jusqu'à faire graver sur les médailles de ce monstre dont j'ai déjà parlé, que le monde était heureux d'être sous son empire : .

C'en est assez pour qu'on puisse apprécier dans l'occasion les monuments de ce genre à leur juste valeur ; car les excès de la flatterie sont et seront toujours en raison de la servitude. Cicéron a si bien connu cette vérité, quand il nous peint les Asiatiques en ces mots ; diuturnâ servitute ad nimiam ascentationem eruditi. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.