S. m. (Littérature) abstinence religieuse, accompagnée de deuil et de macération.

L'usage du jeune est de la plus grande antiquité ; quelques théologiens en trouvent l'origine dans le paradis terrestre, où Dieu défendit à Adam de manger du fruit de l'arbre de vie ; mais c'est-là confondre le jeune avec la privation d'une seule chose. Sans faire remonter si haut l'établissement de cette pratique, et sans parler de sa solennité parmi les Juifs, dont nous ferons un article à part, nous remarquerons que d'autres peuples, comme les Egyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, avaient aussi leurs jeunes sacrés en Egypte, par exemple, on jeunait solennellement en l'honneur d'Isis, au rapport d'Hérodote.

Les Grecs adoptèrent les mêmes coutumes : chez les Athéniens il y avait plusieurs fêtes, entr'autres celle d'Eleusine, et des Thesmophories, dont l'observation était accompagnée de jeunes, particulièrement pour les femmes, qui passaient un jour entier dans un équipage lugubre, sans prendre aucune nourriture. Plutarque appelle cette journée, la plus triste des Thesmophories : ceux qui voulaient se faire initier dans les mystères de Cybèle, étaient obligés de se disposer à l'initiation par un jeune de dix jours ; s'il en faut croire Apulée, Jupiter, Cérès, et les autres divinités du paganisme, exigeaient le même devoir des prêtres ou prêtresses, qui rendaient leurs oracles ; comme aussi de ceux qui se présentaient pour les consulter ; et lorsqu'il s'agissait de se purifier de quelque manière que ce fût, c'était un préliminaire indispensable.

Les Romains, plus superstitieux que les Grecs, poussèrent encore plus loin l'usage des jeunes ; Numa Pompilius lui-même observait des jeunes périodiques, avant les sacrifices qu'il offrait chaque année, pour les biens de la terre. Nous lisons dans Tite-Live, que les Décemvirs, ayant consulté par ordre du sénat, les livres de la sybille, à l'occasion de plusieurs prodiges arrivés coup-sur-coup, ils déclarèrent que pour en arrêter les suites, il fallait fixer un jeune public en l'honneur de Cérès, et l'observer de cinq en cinq ans : il parait aussi qu'il y avait à Rome des jeunes réglés en l'honneur de Jupiter.

Si nous passons aux nations asiatiques, nous trouverons dans les Mémoires du P. le Comte, que les Chinois ont de temps immémorial, des jeunes établis dans leur pays, pour les préserver des années de stérilités, des inondations, des tremblements de terre, et autres desastres. Tout le monde sait que les Mahométans suivent religieusement le même usage ; qu'ils ont leur ramadan, et des dervis qui poussent au plus haut point d'extravagance leurs jeunes et leurs mortifications.

Quand on réfléchit sur une pratique si généralement répandue, on vient à comprendre qu'elle s'est établie d'elle-même, et que les peuples s'y sont d'abord abandonné naturellement. Dans les afflictions particulières, un père, une mère, un enfant chéri, venant à mourir dans une famille, toute la maison était en deuil, tout le monde s'empressait à lui rendre les derniers devoirs ; on le pleurait ; on lavait son corps ; on l'embaumait ; on lui faisait des obseques conformes à son rang : dans ces occasions, on ne pensait guère à manger, on jeunait sans s'en apercevoir.

De même dans les désolations publiques, quand un état était affligé d'une sécheresse extraordinaire, de plaies excessives, de guerres cruelles, de maladies contagieuses, en un mot de ces fléaux où la force et l'industrie ne peuvent rien ; on s'abandonne aux larmes ; on met les désolations qu'on éprouve sur la colere des dieux qu'on a forgés ; on s'humilie devant eux ; on leur offre les mortifications de l'abstinence ; les malheurs cessent ; ils ne durent pas toujours ; on se persuade alors qu'il en faut attribuer la cause aux larmes et au jeune, et on continue d'y recourir dans des conjonctures semblables.

Ainsi les hommes affligés de calamités particulières ou publiques, se sont livrés à la tristesse, et ont négligé de prendre de la nourriture ; ensuite ils ont envisagé cette abstinence volontaire comme un acte de religion. Ils ont cru qu'en macérant leur corps, quand leur âme était désolée, ils pouvaient émouvoir la miséricorde de leurs dieux ou de leurs idoles : cette idée saisissant tous les peuples, leur a inspiré le deuil, les vœux, les prières, les sacrifices, les mortifications, et l'abstinence. Enfin, Jesus-Christ étant venu sur la terre, a sanctifié le jeune, et toutes les sectes chrétiennes l'ont adopté ; mais avec un discernement bien différent ; les unes en regardant superstitieusement cette observation comme une œuvre de salut ; les autres, en ne portant leurs vues que sur la solide piété, qui se doit toute entière à de plus grands objets. (D.J.)

JEUNES des Juifs. (Histoire sacrée et prophane.) Ce peuple de col roide, toujours attaché à la lettre de la loi, sans être capable d’en saisir l’esprit, a cru de tout temps pouvoir racheter ses péchés par des rites extérieurs, des macérations, des jeunes. Il en observa de lui-même étant en Egypte. De-là vint que Moïse entrant dans le génie de cette nation, lui prescrivit un jeune solennel pour la purifier dans le désert.

Diverses conjonctures engagèrent les souverains sacrificateurs à multiplier ces sortes de cérémonies. L'histoire sacrée fait mention de quatre grands jeunes réglés que les Juifs de la captivité observaient depuis la destruction de la ville et du temple, en mémoire des calamités qu'ils avaient souffertes.

Le premier de ces jeunes tombait le 10 du dixième mois, parce que ce jour-là Nabuchodonosor avait mis la première fois le siège devant Jérusalem. II. Rais, xxv. 1. Jérémie, LII. 4. Zacharie, VIII. 19.

Le second jeune arrivait le 9 du quatrième mois, à cause que ce jour-là la ville avait été prise. II. Rais, xxv. 3. Jérémie, XXIX. 2. Zacharie, VIII. 19.

Le troisième jeune se célébrait le 10 du cinquième mois, parce qu'en ce jour la ville et le temple avaient été brulés par Nébuzaradan. Jérémie, LII. 12. Zacharie, VII. 3. et VIII. 19.

Le quatrième jeune se solennisait le 3 du septième mois, parce que dans ce jour Gnédalia avait été tué, et qu'à l'occasion de cet accident le reste du peuple avait été dispersé et chassé du pays, ce qui avait achevé de le détruire. Jérémie, XLI. 1. Zacharie, VII. 5. et VIII. 19.

Les Juifs observent encore aujourd'hui ces quatre grands jeunes, quoiqu'ils ne soient pas fixés exactement aux mêmes jours dans leur présent calendrier, que dans le premier.

Leur présent calendrier, pour le dire en passant, a été fait par R. Hillel, vers l'an 360 de Notre Seigneur. Leur année ancienne était une année lunaire qu'on accordait avec la solaire par le moyen des intercalations ; la manière en est inconnue : ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle avait toujours son commencement à l'équinoxe du printemps, saison à laquelle le provenu de leurs troupeaux et de leurs champs, dont l'usage était requis dans leurs fêtes de Pâques et de Pentecôte, le fixait nécessairement.

Outre ces grands jeunes universels, il y avait des jeunes de surérogation deux fois par semaine, dont ceux qui se piquaient de régularité, se faisaient une loi particulière ; et l'on voit qu'ils étaient en usage du temps de J. C. puisque le Pharisien de l'évangîle se glorifiait de les garder religieusement, jejuno bis sabbato, dit-il.

Ils avaient en outre les jeunes des vieilles et des nouvelles lunes, c'est-à-dire des derniers jours de leurs mois lunaires, et des jeunes de l'anniversaire de la mort de leurs proches parents et intimes amis.

Enfin on a Ve des Juifs qui jeunaient un certain jour de l'année, en mémoire de la version des septante, pour expier cette lache condescendance de leurs docteurs pour un prince étranger ; et cette prévarication insigne contre la dignité de leur loi qui dans leur opinion n'avait été faite que pour eux seuls.

Je n'entrerai point dans le détail des observances dont ils accompagnaient ces actes d'humiliation ; ce sont des choses connues de tout le monde ; on sait que leurs abstinences devaient durer 27 ou 28 heures, qu'elles commençaient avant le coucher du soleil, et ne finissaient que le lendemain quand les étoiles paraissaient ; qu'ils prenaient ces jours-là des surtous blancs faits exprès, en signe de pénitence ; qu'ils se couvraient d'un sac ; qu'ils se couchaient sur la cendre ; qu'ils en mettaient sur leur tête, et dans les grandes occasions sur l'arche de l'alliance ; que plusieurs passaient toute la nuit et le jour suivant dans le temple, en prières, en lectures tristes, les pieds nuds et la discipline à la main, dont ils s'appliquaient des coups par compte et par nombre ; qu'enfin pour couronner régulièrement leurs abstinences, ils se contentaient de manger le soir du pain trempé dans l'eau, et du sel pour tout assaisonnement, y joignant quelquefois des herbes amères, avec quelques légumes.

Mais ceux qui souhaiteront s'instruire particulièrement de toutes ces choses, peuvent consulter Maimonides, Léon de Modène, Buxtorf, Basnage, et plusieurs autres savants qui ont traité à fond des cérémonies judaïques, anciennes et nouvelles. (D.J.)

JEUNE, (Médecine) la privation totale des aliments, aux heures où on a coutume d'en prendre, est souvent d'un aussi grand effet pour préserver des maladies, ou pour empêcher les progrès de celles qui commencent, que la modération dans leur usage est utîle et nécessaire pour conserver la santé : ainsi les personnes d'un tempérament faible, délicat, se trouvent très-bien non-seulement de diminuer de temps en temps la quantité ordinaire de leur nourriture, mais encore de s'abstenir entièrement de manger, en retranchant par intervalles quelque repas ; ce qui est surtout très-salutaire dans le cas de pléthore, comme lorsqu'on a passé quelque temps sans faire autant d'exercice qu'à l'ordinaire, lorsqu'on a été exposé par quelque cause que ce sait, à quelque suppression de la transpiration insensible, ou de toute autre évacuation nécessaire ou utile, lorsque les humeurs condensées par le froid et la plus grande action des vaisseaux qui en est une suite, se disposent à tomber en fonte, par le retour de la chaleur de l'air.

C'est pourquoi le jeune que pratiquent les Chrétiens à l'entrée du printemps, semble ne devoir être regardé comme une loi de privation agréable à Dieu, qu'autant qu'elle est une leçon de tempérance, un précepte médicinal, une abstinence salutaire qui tend à préserver des maladies de la saison, qui dépendent principalement de la surabondance des humeurs.

Le jeune ne convient pas cependant également à toute sorte de personnes ; il faut être d'un âge avancé pour le bien supporter, parce qu'on fait alors moins de dissipation : aussi Hippocrate assure-t-il (aphor. XIIIe sect. 1.) que les vieilles gens se passent plus facilement de manger que les autres, par opposition aux enfants qui ne se passent que difficilement de prendre de la nourriture, et ainsi à proportion, tout étant égal, par rapport aux différents temps de la vie. Voyez DIETE, ALIMENT, ABSTINENCE, NOURRITURE.