S. m. (Littérature) le mot venenum des latins ne signifie pas toujours du poison ; il désigne encore assez souvent ces drogues dont les Peintres et les Teinturiers se servent ; c'est dans ce sens, par exemple, que Virgile l'emploie au second livre des géorgiques,

Alba neque assyrio fucatur lana veneno.

" L'étoffe n'est pas teinte en couleur de pourpre. " Horace, ode 27, liv. I. dit :

Quis te solvère thessalis

Magus venenis ? Quis poterit deus ?

" Quel enchanteur avec toutes les herbes de Thessalie, toute la force de ses charmes, que dis-je, quel dieu pourra vous tirer de ce mauvais pas ? " Les thessala venena d'Horace sont des sucs d'herbes magiques, propres à corriger la malignité du plus puissant poison.

Du temps d'Horace, on n'avait point encore oublié l'histoire que Tite-Live, dec. 1. l. VIII. raconte de plusieurs dames romaines qui composèrent des poisons, et qui furent découvertes par une esclave. Sur les recherches que fit l'édile, on trouva 170 patriciennes coupables d'empoisonnement, et qui furent condamnées aux derniers supplices. Les morts qu'elles avaient causées étaient en si grand nombre qu'on attribua d'abord ce malheur à l'intempérie pestilentielle de l'air, et l'on nomma exprès un dictateur qui alla attacher en cérémonie un clou au temple de Jupiter, ainsi qu'on le pratiquait dans une calamité publique. (D.J.)

POISON, (Médecine) les choses prises intérieurement, ou appliquées de quelque manière que ce sait, sur un corps vivant, capables d'éteindre les fonctions vitales, ou de mettre les parties solides et fluides hors d'état de continuer la vie, s'appellent poisons. Dans ce sens, on peut rapporter à cette classe grand nombre d'autres corps qui ne peuvent nuire qu'autant que l'usage immodéré qu'on en fait, empêche ou détruit les fonctions vitales.

Les corps âcres, mécaniques, qui en blessant ou en détruisant les parties solides, menacent de la mort, lorsqu'on les a avalés, ne peuvent être évacués d'abord que par le secours des onctueux, qui pris en grande quantité, enveloppent leurs parties nuisibles.

Tout ce qui est capable, en coagulant les humeurs, d'arrêter la circulation, doit être délayé à la faveur des aqueux saponacés ; et dès qu'on connait la nature de la coagulation, il faut employer les contre-poisons convenables pour la dissiper.

A l'égard des corps qui détruisent l'union qui se trouve dans les parties solides et les fluides, ils sont très-dangereux ; l'usage des acides et des doux astringens est capable d'arrêter le progrès de leur action.

Dans la peste et les autres maladies contagieuses, la nature présente des poisons d'une espèce incompréhensible, qui paraissent seulement attaquer les actions vitales : on ne peut venir à bout de les détruire par l'application des principes de la médecine rationelle, mais uniquement par un contrepoison que l'expérience a découvert.

On connait encore de semblables poisons qui changent tellement la nature de l'air, qu'il devient mortel à l'économie animale. Telle est la fumée des charbons, du soufre, celle d'une liqueur fermentante, ces vapeurs fortes et suffocantes que les auteurs ont nommées esprits sauvages ; il faut éviter toutes ces choses, ou y remédier à l'aide du feu, ou de quelqu'autre vapeur qui y soit contraire.

POISON, (Jurisprudence) ou crime de poison est le crime de ceux qui font mourir quelqu'un par le moyen de certaines choses venimeuses, soit qu'on les mêle dans les aliments ou dans quelque breuvage, soit qu'on insinue le poison par la respiration ou par la transpiration, soit par une plaie ou morsure de quelque bête.

Cette manière de procurer la mort est des plus barbares et des plus cruelles ; et la loi 1 et 3 au code ad legem corneliam de sicariis et veneficiis, disent que plus est hominem extinguere veneno quàm gladio. La raison est que l'on se défie ordinairement et que l'on peut se précautionner contre l'homicide qui se commet par le fer, au lieu que l'homicide qui se commet par le poison, se fait sourdement, et est souvent commis par ceux dont on se défie le moins, de manière qu'il est plus difficîle de s'en garantir.

Ce crime a toujours été en horreur chez toutes les nations policées.

Gravina a avancé mal-à-propos qu'avant l'an 422 de la fondation de Rome, on n'avait point encore fait de loi contre les empoisonneurs.

Il est vrai que dans les premiers temps de Rome où l'innocence des mœurs s'était encore conservée, on ne connaissait point l'usage du poison, au moyen de quoi l'on n'avait point établi de peine contre ce crime.

Mais la fréquentation des nations voisines ayant peu-à-peu corrompu les mœurs, la loi des 12 tables, laquelle fut affichée à Rome en 304, prononça des peines contre les empoisonneurs.

Ce qui a sans doute induit Gravina en erreur, est que ce fut vers l'an 422, sous le consulat de Valerius Flaccus et de M. Claudius Marcellus, qu'on vit paraitre pour la première fois dans Rome une troupe de dames, qui par des poisons qu'elles débitaient, firent un grand ravage dans la république.

La mort subite de plusieurs personnes de toutes sortes de qualités ayant rempli la ville d'étonnement et de crainte, la cause de ce désordre fut révélée par une esclave qui en avertit le magistrat, et lui découvrit que ce qu'on avait cru jusqu'alors être une peste causée par l'intempérie de l'air, n'était autre chose qu'un effet de la méchanceté de ces dames romaines lesquelles préparaient tous les jours des poisons, et que si on voulait la faire suivre, elle en ferait connaître la vérité.

Sur cet avis, on fit suivre cette esclave, et l'on surprit en effet plusieurs dames qui composaient des poisons et quantité de drogues inconnues que l'on apporta dans la place publique ; on y fit aussi amener vingt de ces dames ; il y en eu deux qui soutinrent que ces médicaments n'étaient pas des poisons, mais des remèdes pour la santé ; mais comme l'esclave qui les avait accusées, leur soutenait le contraire, on leur ordonna de boire les breuvages qu'elles avaient composés : ce qu'elles firent toutes et en moururent. Le magistrat se saisit de leurs complices, de sorte qu'outre les 20 dont on vient de parler, il y en eut encore 170 punies.

Une femme de Smyrne fut accusée devant Dolabella, proconsul dans l'Asie, d'avoir empoisonné son mari, parce qu'il avait tué un fils qu'elle avait eu d'un premier lit ; Dolabella se trouva embarassé, ne pouvant absoudre une femme criminelle ; mais ne pouvant aussi se résoudre à condamner une mère qui n'était devenue coupable que par un juste excès de tendresse, il renvoya la connaissance de cette affaire à l'aréopage qui ne put la décider, il ordonna seulement que l'accusateur et l'accusée comparaitraient dans cent ans pour être jugés en dernier ressort.

L'empereur Tibere ayant fait empoisonner Germanicus par le ministère de Pison, gouverneur de Syrie, lorsqu'on brula le corps de Germanicus, selon la coutume des Romains, son cœur parut tout entier au milieu des flammes ; on prétend que l'on vit la même chose à Rouen, lorsque la pucelle d'Orléans y fut brulée. C'est une opinion commune que le cœur étant une fois imbu de venin, ne peut plus être consumé par les flammes.

Les médecins regardent aussi comme un indice certain de poison dans un corps mort, lorsqu'il se trouve un petit ulcère dans la partie supérieure de l'estomac ; cependant le docteur Sebastiano Rotari, en son traité qui a pour titre Allegazioni medicophysice, soutient que cet indice est fort trompeur, et que ce petit ulcère peut venir de plusieurs autres causes qu'il explique.

Pour revenir aux peines prononcées contre les empoisonneurs : environ 200 ans après le fait des dames romaines, Lucius Cornelius Sylla fit une loi appelée de son nom Cornelia de veneficis, par laquelle il prononça la même peine contre les empoisonneurs que contre les homicides, c'est-à-dire, l'exil et le bannissement qui sont la même chose que l'interdiction de l'eau et du feu ; cette loi fut préférée à celle que César, étant dictateur, publia dans la suite sur la même matière.

Il y eut aussi quelques senatus-consultes donnés en interprétation de la loi Cornelia de veneficis, et dont l'esprit est le même. On voit dans la loi 3, ff. ad leg. cornel. de sic. et venef. qu'un de ces senatus-consultes prononçait la peine d'exil contre ceux qui sans avoir eu dessein de causer la mort d'une femme, l'avaient cependant fait mourir en lui donnant des remèdes pour faciliter la conception.

Le paragraphe suivant fait mention d'un autre senatus-consulte qui décerne la peine portée par la loi Cornelia contre ceux qui auraient donné ou vendu des drogues et des herbes malfaisantes, sous prétexte de laver ou purger le corps.

Enfin la loi 8, au même titre, enjoignait aux présidents des provinces d'envoyer en exil les femmes qui faisaient des efforts surnaturels, ou qui employaient de mauvaises pratiques pour se procurer l'avortement. Ces drogues et autres moyens contraires à la nature étaient regardés comme des poisons, et ceux qui s'en servaient, traités comme des empoisonneurs.

En France, le crime de poison est puni par le feu ; et lorsqu'il s'est trouvé des empoisonneurs qui avaient nombre de complices, on a quelquefois établi une chambre ardente pour faire le procès à ces coupables.

La déclaration de Louis XIV. du mois de Juillet 1682, est la règle que l'on suit sur cette matière.

Elle porte que ceux qui seront convaincus de s'être servi de poison, seront punis de mort, soit que la mort des personnes auxquelles ils auront voulu faire prendre le poison, se soit ensuivie ou non.

Ceux qui sont convaincus d'avoir composé et distribué du poison pour empoisonner, sont punis des mêmes peines.

Ceux qui ont connaissance que l'on a travaillé à faire du poison, qu'il en a été demandé ou donné, sont tenus de dénoncer incessamment ce qu'ils en savent au procureur général, ou à son substitut, et en cas d'absence, au premier officier public des lieux, à peine d'être procédé contr'eux extraordinairement, et d'être punis selon les circonstances et l'exigence des cas, comme fauteurs et complices de ces crimes, sans que les dénonciateurs soient sujets à aucune peine, ni même aux intérêts civils, lorsqu'ils auront déclaré et articulé des faits ou indices considérables qui seront trouvés véritables et conformes à leur dénonciation ; quoique dans la suite les personnes comprises dans lesdites dénonciations, soient déchargées des accusations, dérogeant à cet effet à l'article 73 de l'ordonnance d'Orléans, pour l'effet du poison seulement, sauf à punir les calomniateurs selon la rigueur de l'ordonnance.

La peine de mort a lieu contre ceux qui sont convaincus d'avoir attenté à la vie de quelqu'un par poison ; en sorte qu'il n'ait pas tenu à eux que ce crime n'ait été consommé.

L'édit répute au nombre des poisons, non-seulement ceux qui peuvent causer une mort prompte et violente, mais aussi ceux qui en altérant peu-à-peu la santé, causent des maladies, soit que les poisons soient simples, naturels, ou composés.

Il est défendu en conséquence à toutes personnes, à peine de la vie, même aux Médecins, Chirurgiens, et Apothicaires, à peine de punition corporelle, d'avoir et garder de tels poisons simples ou préparés, qui retenant toujours leur qualité de venin, et n'entrant en aucune composition ordinaire, ne peuvent servir qu'à nuire, étant de leur nature pernicieux et mortels.

A l'égard de l'arsenic, du réalgal, de l'orpiment, et du sublimé, quoique ce soient des poisons dangereux, comme ils entrent dans plusieurs compositions nécessaires, pour empêcher qu'on n'en abuse, l'article 7 ordonne qu'il ne sera permis qu'aux marchands qui demeurent dans les villes, d'en vendre et d'en délivrer eux-mêmes seulement aux Médecins, Apothicaires, Chirurgiens, Orfèvres, Teinturiers, Maréchaux, et autres personnes publiques, qui par leur profession sont obligés d'en employer, lesquels néanmoins en les prenant, écriront sur un registre du marchand, leur nom, qualité, et demeure, et la quantité qu'ils auront pris de ces minéraux.

Les personnes inconnues aux marchands, telles que les chirurgiens et maréchaux des bourgs et villages, doivent apporter un certificat du juge des lieux, ou d'un notaire et deux témoins, ou du curé et de deux principaux habitants.

Ceux auxquels il est permis d'acheter de ces minéraux, doivent les mettre en lieu sur et en garder la clé, et écrire sur un registre l'emploi qu'ils en ont fait.

Les Médecins, Chirurgiens, Apothicaires, Epiciers-Droguistes, Orfèvres, Teinturiers, Maréchaux, et tous autres, ne peuvent distribuer des minéraux en substance à quelque personne, ni sous quelque prétexte que ce sait, sous peine corporelle.

Ils doivent composer eux-mêmes, ou faire composer en leur présence par leurs garçons, les remèdes où il doit entrer des minéraux.

Personne autre que les Médecins et Apothicaires, ne peut employer aucuns insectes venimeux, comme serpens, viperes, et autres semblables, même sous prétexte de s'en servir à des médicaments, ou à faire des expériences, à-moins qu'ils n'en aient la permission par écrit.

Il est aussi défendu à toutes personnes autres que les médecins approuvés dans le lieu, aux professeurs de Chimie, et aux maîtres Apothicaires, d'avoir aucuns laboratoires, et d'y travailler à aucune préparation de drogues ou distillation, sous quelque prétexte que ce sait, sans en avoir la permission par lettres du grand sceau, et qu'après en avoir fait leur déclaration aux officiers de police.

Enfin, les distillateurs même et vendeurs d'eau-de-vie, ne peuvent faire aucune distillation que celle de l'eau-de-vie, sauf à être choisi entr'eux le nombre qui sera jugé nécessaire pour la confection des eaux-fortes, dont l'usage est permis ; et ils ne peuvent y travailler qu'en observant les formalités dont il est parlé dans l'article précédent.

Cette déclaration de 1682 a, comme on voit, pour objet non-seulement de punir ceux qui seraient convaincus de s'être servis de poison, pour attenter à la vie de quelqu'un, mais aussi d'ôter toutes les occasions de s'en pouvoir servir pour un pareil dessein. Voyez le traité de Linder, de venenis, et Zachias, la Rocheflavin, la biblioth. canon. Duperrier. (A)