ou RUNES, CARACTERES, (Histoire ancienne et Belles Lettres) c'est ainsi qu'on nomme des caractères très-différents de tous ceux qui nous sont connus dans une langue que l'on croit être la celtique, que l'on trouve gravés sur des rochers, sur des pierres, et sur des bâtons de bois, qui se rencontrent dans les pays septentrionaux de l'Europe, c'est-à-dire, en Danemarck, rn Suède, en Norvège, et même dans la partie la plus septentrionale de la Tartarie.

Le mot rune ou runor, vient, dit-on, d'un mot de l'ancienne langue gothique, qui signifie couper, tailler. Quelques savants craient que les caractères runiques n'ont été connus dans le nord, que lorsque la lumière de l'Evangîle fut portée aux peuples qui habitaient ces contrées ; il y en a même qui craient que les runes ne sont que les caractères romains mal tracés. L'histoire romaine nous apprend que sous le règne de l'empereur Valents, un évêque des Goths établis dans la Thrace et la Mésie, nommé Ulphilas, traduisit la bible en langue gothique, et l'écrivit en caractères runiques ; cela a fait que quelques-uns ont cru que c'était cet évêque qui avait été l'inventeur de ces caractères. Mais M. Mallet présume que Ulphilas n'a fait qu'ajouter quelques nouveaux caractères à l'alphabet runique, déjà connu des Goths ; cet alphabet n'était composé que de seize lettres ; par conséquent il ne pouvait rendre plusieurs sons étrangers à la langue gothique qui devaient se trouver dans l'ouvrage d'Ulphilas. Il est certain, suivant la remarque du même auteur, que toutes les chroniques et les poésies du nord s'accordent à attribuer aux runes une antiquité très-reculée ; suivant ces monuments, c'est Odin le conquérant, le législateur, et le dieu de ces peuples septentrionaux, qui leur donna ces caractères qu'il avait vraisemblablement apportés de la Scythie sa partie ; aussi trouve-t-on parmi les titres de ce dieu celui d'inventeur des runes. D'ailleurs on a plusieurs monuments qui prouvent que des rois payens du nord ont fait usage des runes ; dans la Blekingie, province de Suède, on voit un chemin taillé dans le roc, où l'on trouve divers caractères runiques qui ont été tracés par le roi Harald Hildetand, qui était payen, et qui régnait au commencement du septième siècle, c'est-à-dire, longtemps avant que l'Evangîle fût portée dans ces contrées.

Les peuples grossiers du nord n'eurent pas de peine à se persuader qu'il y avait quelque chose de surnaturel ou de magique dans l'écriture qui leur avait été apportée ; peut-être même que Odin leur fit entendre qu'il opérait des prodiges par son secours. On distinguait donc plusieurs espèces de runes ; il y en avait de nuisibles, que l'on nommait runes amères ; on les employait lorsqu'on voulait faire du mal. Les runes secourables détournaient les accidents ; les runes victorieuses procuraient la victoire à ceux qui en faisaient usage ; les runes médicinales guérissaient des maladies ; on les gravait sur des feuilles d'arbres. Enfin, il y avait des runes pour éviter les naufrages, pour soulager les femmes en travail, pour préserver des empoisonnements, pour se rendre une belle favorable ; mais une faute d'orthographe était de la dernière conséquence ; elle exposait sa maîtresse à quelque maladie dangereuse, à laquelle on ne pouvait remédier que par d'autres runes écrites avec la dernière exactitude. Ces runes ne différaient que par les cérémonies qu'on observait en les écrivant, par la matière sur laquelle on les tracait, par l'endroit où on les exposait, par la manière dont on arrangeait les lignes, soit en cercle, soit en serpentant, soit en triangle, etc. Sur quoi M. Mallet observe avec beaucoup de raison, que la magie opère des prodiges chez toutes les nations qui y craient.

Les caractères runiques furent aussi employés à des usages plus raisonnables et moins superstitieux ; on s'en servait pour écrire des lettres, et pour graver des inscriptions et des épitaphes ; on a remarqué que les plus anciennes sont les mieux gravées ; il est rare d'en trouver qui soient écrites de la droite à la gauche ; mais on en rencontre assez communément qui sont écrites de haut-en-bas sur une même ligne, à la manière des Chinois.

De tous les monuments écrits en caractères runiques, il n'y en a point qui se soient mieux conservés que ceux qui ont été gravés sur des rochers ; cependant on traçait aussi ces caractères sur des écorces de bouleau, sur des peaux préparées, sur des bâtons de bois poli, sur des planches. On a trouvé des bâtons chargés de caractères runiques, qui n'étaient autre chose que des espèces d'almanachs. L'usage de ces caractères s'est maintenu dans le nord longtemps après que le Christianisme y eut été embrassé ; l'on assure même que l'on s'en sert encore parmi les montagnards d'une province de Suède. Voyez l'introduction à l'histoire du Danemarck, de M. Mallet.

On a trouvé dans la Helsingie, province du nord de la Suède, plusieurs monuments chargés de caractères qui diffèrent considérablement des runes ordinaires. Ces caractères ont été déchiffrés par M. Magnus Celsius, professeur en Astronomie dans l'université d'Upsal, qui a trouvé que l'alphabet de ces runes de Helsingie était aussi composé de seize lettres ; ce sont des traits ou des lignes courbes qui, quoique d'ailleurs parfaitement semblables, ont des sons différents, suivant la manière dont elles sont disposées, soit perpendiculairement, soit en diagonale. On ne peut décider si les runes ordinaires ont donné naissance aux caractères de Helsingie, ou si ce sont ces derniers dont on a dérivé les runes ordinaires. M. Celsius croit que ces caractères ont été dérivés des lettres grecques ou romaines, ce qui n'est guère probable ; Ve que jamais les Grecs ni les Romains n'ont pénétré dans ces pays septentrionaux. Le même auteur remarque qu'il n'y a point de caractères qui ressemblent plus à ces runes, que ceux que l'on trouve encore dans les inscriptions qui accompagnent les ruines de Persepolis ou de Tchelminar en Perse. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 445, où l'on trouvera l'alphabet des runes de Helsingie, donné par M. Celsius.