S. f. (Belles Lettres) discours qu'un orateur prononce en public, ou qu'un écrivain, tel qu'un historien ou un poète, met dans la bouche de ses personnages.

Ménage dérive ce mot de l'italien arenga, qui signifie la même chose ; Ferrari le fait venir d'arringo, joute, ou place de joute ; d'autres le tirent du latin ara, parce que les Rhéteurs prononçaient quelquefois leurs harangues devant certains autels, comme Caligula en avait établi la coutume à Lyon.

Aut Lugdunensem rhetor dicturus ad aram. Juven.

Ce mot se prend quelquefois dans un mauvais sens, pour un discours diffus ou trop pompeux, et qui n'est qu'une pure déclamation ; et en ce sens un harangueur est un orateur ennuyeux.

Les héros d'Homère haranguent ordinairement avant que de combattre ; et les criminels en Angleterre haranguent sur l'échafaud avant que de mourir : bien des gens trouvent l'un aussi déplacé que l'autre.

L'usage des harangues dans les historiens a de tout temps eu des partisans et des censeurs ; selon ceux-ci elles sont peu vraisemblables, elles rompent le fil de la narration : comment a-t-on pu en avoir des copies fidèles ? c'est une imagination des historiens, qui sans égard à la différence des temps, ont prêté à tous leurs personnages le même langage et le même style ; comme si Romulus, par exemple, avait pu et dû parler aussi poliment que Scipion. Voilà les objections qu'on fait contre les harangues, et surtout contre les harangues directes.

Leurs défenseurs prétendent au contraire qu'elles répandent de la variété dans l'histoire, et que quelquefois on ne peut les en retrancher, sans lui dérober une partie considérable des faits : " Car, dit à ce sujet M. l'abbé de Vertot, il faut qu'un historien remonte, autant qu'il se peut, jusqu'aux causes les plus cachées des événements ; qu'il découvre les desseins des ennemis ; qu'il rapporte les délibérations, et qu'il fasse voir les différentes actions des hommes, leurs vues les plus secrètes et leurs intérêts les plus cachés. Or c'est à quoi servent les harangues, surtout dans l'histoire d'un état républicain. On sait que dans la république romaine, par exemple, les résolutions publiques dépendaient de la pluralité des voix, et qu'elles étaient communément précédées des discours de ceux qui avaient droit de suffrage, et que ceux-ci apportaient presque toujours dans l'assemblée des harangues préparées ". De même les généraux rendaient compte au sénat assemblé du détail de leurs exploits et des harangues qu'ils avaient faites ; les historiens ne pouvaient-ils pas avoir communication des unes et des autres ?

Quoi qu'il en sait, l'usage des harangues militaires surtout parait attesté par toute l'antiquité : " mais pour juger sainement, dit M. Rollin, de cette coutume de haranguer les troupes généralement employée chez les anciens, il faut se transporter dans les siècles où ils vivaient, et faire une attention particulière à leurs mœurs et à leurs usages ".

" Les armées, continue-t-il, chez les Grecs et chez les Romains étaient composées des mêmes citoyens à qui dans la ville et en temps de paix on avait coutume de communiquer toutes les affaires ; le général ne faisait dans le camp ou sur le champ de bataille, que ce qu'il aurait été obligé de faire dans la tribune aux harangues ; il honorait ses troupes, attirait leur confiance, intéressait le soldat, réveillait ou augmentait son courage, le rassurait dans les entreprises périlleuses, le consolait ou ranimait sa valeur après un échec, le flattait même en lui faisant confidence de ses desseins, de ses craintes, de ses espérances. On a des exemples des effets merveilleux que produisait cette éloquence militaire ". Mais la difficulté est de comprendre comment un général pouvait se faire entendre des troupes. Outre que chez les anciens les armées n'étaient pas toujours fort nombreuses, toute l'armée était instruite du discours du général, à peu-près comme dans la place publique à Rome et à Athènes le peuple était instruit des discours des orateurs. Il suffisait que les plus anciens, les principaux des manipules et des chambrées se trouvassent à la harangue dont ensuite ils rendaient compte aux autres ; les soldats sans armes debout et pressés occupaient peu de place ; et d'ailleurs les anciens s'exerçaient dès la jeunesse à parler d'une voix forte et distincte, pour se faire entendre de la multitude dans les délibérations publiques.

Quand les armées étaient plus nombreuses, et que rangées en ordre de bataille et prêtes à en venir aux mains elles occupaient plus de terrain, le général monté à cheval ou sur un char parcourait les rangs et disait quelques mots aux différents corps pour les animer, et son discours passait de main en main. Quand les armées étaient composées de troupes de différentes nations, le prince ou le général se contentait de parler sa langue naturelle aux corps qui l'entendaient, et faisait annoncer aux autres ses vues et ses desseins par des truchements ; ou le général assemblait les officiers, et après leur avoir exposé ce qu'il souhaitait qu'on dit aux troupes de sa part, il les renvoyait chacun dans leur corps ou dans leurs compagnies, pour leur faire le rapport de ce qu'ils avaient entendu, et pour les animer au combat.

Au reste, cette coutume de haranguer les troupes a duré longtemps chez les Romains, comme le prouvent les allocutions militaires représentées sur les médailles. Voyez ALLOCUTIONS. On en trouve aussi quelques exemples parmi les modernes, et l'on n'oubliera jamais celle que Henri IV. fit à ses troupes avant la bataille d'Ivry : " Vous êtes François ; voilà l'ennemi ; je suis votre roi : ralliez-vous à mon panache blanc, vous le verrez toujours au chemin de l'honneur et de la gloire ".

Mais il est bon d'observer que dans les harangues directes que les historiens ont supposées prononcées en de pareilles occasions, la plupart semblent plutôt avoir cherché l'occasion de montrer leur esprit et leur éloquence, que de nous transmettre ce qui y avait été dit réellement. (G)