S. f. (Belles Lettres) , inscription gravée, ou supposée devoir l'être, sur un tombeau, à la mémoire d'une personne défunte.

Ce mot est formé du grec , sur, et de , j'ensevelis. Voyez SEPULCRE. Il y a un style particulier pour les épitaphes, surtout pour celles qui sont conçues en latin, qu'on nomme style lapidaire. Voyez STYLE LAPIDAIRE.

A Sparte on n'accordait des épitaphes qu'à ceux qui étaient morts dans un combat, et pour le service de la patrie ; usage fondé sur le génie de cette république, ou plutôt sur la constitution politique de son gouvernement, qui n'admettait guère que la vertu guerrière. On dit que le mausolée du duc de Malboroug est encore sans épitaphe, quoique sa veuve eut promis une récompense de 500 liv. sterl. à celui qui en composerait une digne de ce héros.

Dans les épitaphes on fait quelquefois parler la personne morte, par forme de prosopopée ; nous en avons un bel exemple, digne du siècle d'Auguste, dans ces deux vers, où une femme morte à la fleur de son âge, tient ce langage à son mari :

Immatura peri ; sed tu felicior, annos

Vive tuos, conjux optime, vive meos.

Du même genre est celle-ci, faite par Antipater le Thessalonicien, qu'on trouve dans l'Anthologie manuscrite de la bibliothèque du Roi, et que M. Boivin a traduite ainsi :

" Née en Lybie, ensevelie à la fleur de mes ans sous la poussière ausonienne, je repose près de Rome, le long de ce rivage sablonneux. L'illustre Pompéia, qui m'a élevée avec une tendresse de mère, a pleuré ma mort, et a déposé mes cendres dans un tombeau qui m'égale aux personnes libres. Les feux de mon bucher ont prévenu ceux de l'hymen qu'elle me préparait avec empressement. Le flambeau de Proserpine a trompé nos vœux ".

La formule sta viator, qui se rencontre dans un grand nombre d'épitaphes modernes (comme dans celle-ci : Sta, viator ; heroem calcas), fait allusion à la coutume des anciens Romains, dont les tombeaux étaient le long des grands chemins. Voyez TOMBEAU. (G)

L'épitaphe est communément un trait de louange ou de morale, ou de l'une et de l'autre.

L'épitaphe de cet homme si grand et si simple, si vaillant et si humain, si heureux et si sage, auquel l'antiquité pourrait tout au plus opposer Scipion et César, si le premier avait été plus modeste, et le second moins ambitieux ; cette épitaphe qui ne se trouve plus que dans les livres :

Turenne a son tombeau parmi ceux de nos Rais, &c.

fait encore plus l'éloge de Louis XIV. que celui de M. de Turenne.

Celle d'Alexandre, que gâte le second vers, et qu'il faut réduire au premier :

Sufficit huic tumulus, cui non suffecerat orbis.

est un trait de morale plein de force et de vérité : c'est dommage qu'Aristote ne l'ait pas faite par anticipation, et qu'Alexandre ne l'ait pas lue.

Le même contraste est vivement exprimé dans celle de Newton :

Isaacum Newton,

Quem immortalem

Testantur Tempus, Natura, Caelum,

Mortalem hoc marmor

Fatetur.

Mais ce contraste si humiliant pour le conquérant, n'ôte rien à la gloire du philosophe. Qu'un être avec des ressorts fragiles, des organes faibles et bornés, calcule les temps, mesure le Ciel, sonde la Nature ; c'est un prodige. Qu'un être haut de cinq pieds, qui ne fait que de naître et qui Ve mourir, dépeuple la terre pour se loger, et s'y trouve encore à l'étroit ; c'est un petit monstre.

Du reste cette idée a été cent fois employée par les Poètes. Voyez dans les Catalectes l'épitaphe de Scipion l'Afriquain, celle de Cicéron, celle d'Antenor. Voyez Ovide sur la mort de Tibulle, Properce sur la mort d'Achille, etc.

Les Anglais n'ont mis sur le tombeau de Dryden que ce mot pour tout éloge,

Dryden.

& les Italiens sur le tombeau du Tasse,

Les os du Tasse.

Il n'y a guère que les hommes de génie qu'il soit sur de louer ainsi.

Parmi les épitaphes épigrammatiques, les unes ne sont que naïves et plaisantes, les autres sont mordantes et cruelles. Du nombre des premières est celle-ci, qu'on ne croirait jamais avoir été faite sérieusement, et qu'on a vue cependant gravée dans une de nos églises :

Ci git le vieux corps tout usé

Du Lieutenant civil rusé, &c.

Lorsque la plaisanterie ne porte que sur un leger ridicule, comme dans l'exemple précédent, elle n'est qu'indécente ; on croit voir les fossoyeurs d'Hamlet, qui jouent avec des ossements. Mais les épitaphes insultantes et calomnieuses, telles que la rage en inspire trop souvent, sont de tous les genres de satyre le plus noir et le plus lâche. Il y a quelque chose de plus infame que la calomnie ; c'est la calomnie contre les morts. L'expression des anciens, troubler la cendre des morts, est trop faible. Le satyrique qui outrage un homme qui n'est plus, ressemble à ces animaux carnaciers qui fouillent dans les tombeaux pour se repaitre de cadavres. Voyez SATYRE.

Quelquefois l'épitaphe n'est que morale, et n'a rien de personnel ; telle est celle de Jovianus Pontanus, qui n'a point été mise sur son tombeau :

Servire superbis dominis,

Ferre jugum superstitionis,

Quos habes caros sepelire,

Condimenta vitae sunt.

L'épitaphe à la gloire d'un mort, est de toutes les louanges la plus noble et la plus pure, surtout lorsqu'elle n'est que l'expression naïve du caractère et des actions d'un homme de bien. Les vertus privées ont droit à cet hommage, comme les vertus publiques ; et les titres de bon parent, de bon ami, de bon citoyen, méritent bien d'être gravés sur le marbre. Qu'il me soit permis à cette occasion de placer ici, non pas comme un modèle, mais comme un faible témoignage de ma reconnaissance, l'épitaphe d'un citoyen dont la mémoire me sera toujours chère :

Non sibi, sed patriae vixit, regique, suisque.

Quod daret, hinc dives ; felix numerare beatos.

Les gens de Lettres seraient bien à plaindre, si dans un ouvrage public on leur enviait quelques retours sur eux-mêmes, quelques traits relatifs à leurs sentiments et à leurs devoirs. Si leur plume doit leur être bonne à quelque chose, c'est à ne pas mourir ingrats. Mais la reconnaissance fait en eux, parce qu'elle est noble, ce que l'espoir des récompenses n'eut jamais fait, parce qu'il est bas et servile. On a remarqué au commencement de cet article, que le tombeau du duc de Malboroug était encore sans épitaphe ; le prix proposé justifie et rend vraisemblable la stérilité des poètes anglais. Devant une place assiégée un officier français fit proposer aux grenadiers une somme considérable pour celui qui le premier planterait une fascine dans un fossé exposé à tout le feu des ennemis. Aucun des grenadiers ne se présenta ; le général étonné, leur en fit des reproches : Nous nous serions tous offerts, lui dit l'un de ces braves soldats, si l'on n'avait pas mis cette action à prix d'argent. Il en est des bons vers comme des actions courageuses. Voyez ELOGE.

Quelques auteurs ont fait eux-mêmes leur épitaphe. Celle de la Fontaine, modèle de naïveté, est connue de tout le monde. Il serait à souhaiter que chacun fit la sienne de bonne heure ; qu'il la fit la plus flatteuse qu'il est possible, et qu'il employât toute sa vie à la mériter. Art. de M. MARMONTEL.