VIE (Littérature) , sorte de vie pure, religieuse, et dont une des pratiques consistait à ne point manger la chair des animaux.

Orphée, dit Eschyle dans Aristophane, nous a montré les cérémonies, et nous a enseigné à nous abstenir de tout meurtre. Horace exprime la même idée encore plus élégamment :

Sylvestres homines sacer interpresque deorum

Coedibus et victu faedo deterruit Orpheus.

" Le divin Orphée, l'interprete des dieux, détourna les hommes du meurtre, et leur fit quitter le genre de vie brutal qu'ils menaient ". Il composa des hymnes en l'honneur des dieux, et apprit aux mortels les cérémonies de la religion. Les poètes furent les premiers prêtres, les premiers philosophes, et les premiers législateurs.

Platon, après avoir raisonné dans le VI. livre de ses lais, de la brutalité de plusieurs peuples, et de l'usage que quelques-uns avaient encore d'immoler des hommes, ajoute que les anciens Grecs tout au contraire n'auraient pas osé tuer un bœuf ; et qu'alors on ne sacrifiait point d'animaux aux dieux. Les gâteaux, dit-il, les fruits trempés dans le miel, et telles autres offrandes pures étaient ce qu'on leur présentait. On s'abstenait de la chair, et c'eut été un acte impie que d'en manger, ou de souiller de sang les autels. Alors se forma parmi-nous, continue-t-il, une sorte de vie, nommée vie orphique, où l'usage des choses inanimées était libre et permis, au lieu que l'usage de celles qui avaient eu vie, était défendu.

Cette pratique d'austérité mérite le nom d'orphique, et parce qu'Orphée en était l'instituteur, et parce que le même Orphée, le plus ancien des sages, pouvait avoir donné son nom à tous ceux qui faisaient profession de vertu et de lettres. C'est ce que l'on voit clairement dans un passage d'Euripide ; car Thésée, à-peu-près contemporain d'Orphée, reprochant à son fils Hippolite le peu de rapport qu'il y a entre l'action infâme dont il le croit coupable, et l'austère sagesse dont ce jeune homme faisait profession : " Voilà donc cet homme, lui dit-il, qui est en commerce avec les dieux, comme un personnage d'éminente vertu : voilà cet exemple de tempérance, et d'une conduite irreprochable. N'espère pas m'imposer plus longtemps par ce vain éclat, ni que j'attribue aux dieux un commerce qui serait une preuve de leur folie. Trompe-nous, si tu peux, maintenant par ton affectation de ne rien manger qui ait eu vie ; et soumis à ton Orphée, joue l'inspiré, et te remplis de la fumée du vain savoir, puisque te voilà pris dans le crime ".

On trouve dans ce passage les trois points qui constituaient la vie orphique, savoir la religion, l'abstinence de ce qui avait eu vie, et la science.

Les Livres d'Orphée, qui justifiaient sa science, sont cités par tous les anciens auteurs. Euripide, dans un chœur de son Alceste, après avoir dit que la nécessité est insurmontable, ajoute que les livres d'Orphée n'indiquent aucun remède contre ce mal. C'est de l'étude de ces livres et de leur intelligence, autant que de l'attachement pour la chasse et pour la déesse qui y préside, dont Thésée veut parler lorsqu'il reproche à Hippolite son prétendu commerce avec les dieux.

En un mot, Orphée fut une espèce de réformateur, qui, à l'aide de la poésie et de la musique, ayant adouci des hommes féroces, donna naissance à une secte distinguée par son attachement à l'étude de la religion, et par une austérité de vie, dont la pratique éloignant les hommes des plaisirs sensuels, si funestes à la vertu, les portait à une haute perfection. Témoin l'Hippolite d'Euripide, qui, libre de toute passion, aima mieux perdre la vie, que de manquer au secret qu'il avait promis.

Il fait lui-même au commencement de la pièce une peinture charmante de la vie orphique sous l'allégorie d'une prairie, conservée contre tout ce qui peut en altérer la fraicheur, dans laquelle il vient de cueillir la couronne qu'il offre à Diane. " Recevez, lui dit-il, de ma main, déesse respectable, la couronne de fleurs que j'ai cueillie dans une prairie, où la fraicheur de l'herbe n'a jamais été livrée à l'avidité des troupeaux, ni au tranchant d'une faux sacrilege ; la seule abeille en suce les fleurs, que la Pudeur elle-même prend soin d'arroser d'une eau toujours pure. Ceux en qui la tempérance est un don du ciel, ont seuls le droit d'en cueillir : l'accès en est défendu aux mécans. Ornez-en vos beaux cheveux, et soyez propice à la main pleine d'innocence qui vous l'offre. Seul entre les mortels, j'ai l'avantage de vivre avec vous, de vous entendre et de vous répondre. Quoique privé de votre vue, accordez-moi, grande déesse, de terminer ma carrière comme je l'ai commencée " !

Il la termina en effet par une action de vertu, et fit voir en sa personne ce que la justice peut sur une âme, qui ayant reçu de la naissance de grandes dispositions au bien, les a nourries par la pratique d'une vie pure, qu'on appelait alors et qu'on a appelé depuis la vie orphique. (D.J.)

ORPHIQUES, adject. (Littérature) surnom des orgies de Bacchus ; il leur fut donné, les uns disent en mémoire de ce qu'Orphée avait perdu la vie dans la célébration des orgies, d'autres parce qu'il avait introduit dans la Grèce la pratique de ces fêtes singulières dont l'Egypte était le berceau. (D.J.)