S. m. (Littérature) tour construite à l'entrée des ports ou aux environs, laquelle par le moyen des feux qu'on y tient allumés, sert sur mer à guider pendant la nuit ceux qui approchent des côtes.

Ces tours étaient en usage dès les plus anciens temps. Leschès, auteur de la petite Iliade, qui vivait en la trentième olympiade, en mettait une au promontoire de Sigée, auprès duquel il y avait une rade où les vaisseaux abordaient. Il y avait des tours semblables dans le pirée d'Athènes et dans beaucoup d'autres ports de la Grèce. Elles étaient d'abord d'une structure fort simple ; mais Ptolomée Philadelphe en fit faire une dans l'île de Pharos, si grande et si magnifique, que quelques-uns l'ont mise parmi les merveilles du monde. Cette tour, élevée l'an 470 de la fondation de Rome, prit bien-tôt le nom de l'île ; on l'appela le phare, nom qui depuis a été donné à toutes les autres tours servant au même usage. Voici l'histoire des phares d'après un mémoire de dom Bernard de Montfaucon, inséré dans le recueil de Littér. tom. VI.

Les rois d'Egypte joignirent l'île de Pharos à la terre par une chaussée, et par un pont qui allait de la chaussée à l'ile. Elle avait un promontoire ou une roche contre laquelle les flots de la mer se brisaient. Ce fut sur cette roche que Ptolomée fit bâtir de pierre blanche la tour du phare, ayant plusieurs étages voutés, à-peu-près comme la tour de Babylone, qui était à huit étages, ou plutôt, comme Hérodote s'exprime, à huit tours l'une sur l'autre.

L'extraordinaire hauteur de cette tour faisait que le feu que l'on allumait dessus paraissait comme une lune, c'est ce qui a fait dire à Stace :

Lumina noctivagae tollit Paros aemula lunae.

Mais quand on le voyait de loin, il semblait plus petit, et avait la forme d'une étoîle assez élevée sur l'horizon, ce qui trompait quelquefois les mariniers, qui croyant voir un de ces astres qui les guidaient pour la navigation, tournaient leurs proues d'un autre côté, et allaient se jeter dans les sables de la Marmarique.

Le géographe de Nubie, auteur qui écrivait il y a environ 650 ans, parle de la tour du phare comme d'un édifice qui subsistait encore de son temps : il l'appelle un candélabre, à cause du feu et de la flamme qui y paraissait toutes les nuits. Il n'y en a point, dit-il, de semblables dans tout l'univers ; quand à la solidité de sa structure, elle est bâtie de pierres très-dures jointes ensemble avec des ligatures de plomb. La hauteur de la tour, poursuit-il, est de trois cent coudées ou de cent statures ; c'est ainsi qu'il s'exprime pour marquer que la tour avait la taille de cent hommes, en comptant trois coudées pour la taille d'un homme. Selon la description du même auteur, il fallait qu'elle fut fort large en bas, puisqu'il dit qu'on y avait bâti des maisons. Il ajoute que cette partie d'en bas, qui était si large, occupait la moitié de la hauteur de cette tour ; que l'étage qui était au-dessus de la première voute était beaucoup plus étroit que le précédent, en sorte qu'il laissait une galerie où l'on pouvait se promener. Il parle plus obscurément des étages supérieurs, et il dit seulement qu'à mesure qu'on monte, les escaliers sont plus courts, et qu'il y a des fenêtres de tous côtés pour éclairer les montées.

Pline dit que ce phare couta huit cent talents, qui à raison de quatre cent cinquante livres sterlings pour chaque talent, supposé que ce soit monnaie d'Alexandrie, font la somme de trois cent soixante mille livres sterlings. Sostrate Gnidien qui en fut l'architecte, sentant tout le prix de son travail, craignit l'envie et la basse jalousie, de tout temps ennemies du vrai mérite, s'il en faisait parade et s'il ne l'appuyait d'une puissante protection. Touché également de l'amour de la gloire et de celui du repos, il voulut concilier l'un avec l'autre. Dans cette vue il dédia ce phare au roi, par une inscription toute à son avantage ; mais il ne la grava que sur du plâtre, proprement plaqué sur une autre inscription contenant ces mots : Sostrate Gnidien, fils de Dixiphane, a consacré cet ouvrage aux dieux nos conservateurs et au salut des navigateurs. Par cet artifice la première dédicace ne subsista guère que pendant la vie du roi, le plâtre se détruisant peu-à-peu, et l'autre parut alors, et a transmis le nom de Sostrate à la postérité. Fischer a représenté le phare de Sostrate dans son Essai d'Architecture historique, planche IX. liv. I.

Le phare d'Alexandrie, qui communiqua son nom à tous les autres, leur servit aussi de modèle. Hérodien nous apprend qu'ils étaient tous de la même forme. Voici la description qu'il en donne à l'occasion de ces catafalques qu'on dressait aux funérailles des empereurs. " Au-dessus du premier carré il y a un autre étage plus petit, orné de même, et qui a des portes ouvertes ; sur celui-là il y en a un autre, et sur celui-ci encore un autre, c'est-à-dire jusqu'à trois ou quatre, dont les plus hauts sont toujours de moindre enceinte que les plus bas, de sorte que le haut est le plus petit de tous ; tout le catafalque est semblable à ces tours qu'on voit sur les ports et qu'on appelle phares, où l'on met des feux pour éclairer les vaisseaux, et leur donner moyen de se retirer en lieu sur ".

Il y a eu plusieurs phares en Italie. Pline parle de ceux de Ravenne et de Pouzzol ; Suétone fait aussi mention du phare de l'île de Caprée, qu'un tremblement de terre fit tomber peu de jours avant la mort de Tibere. il ne faut pas douter qu'on n'en ait fait encore bien d'autres.

Denis de Bysance, géographe, cité par Pierre Gilles, fait la description d'un phare célèbre situé à l'embouchure du fleuve Chrysorrhoas, qui se dégorgeait dans le Bosphore de Thrace. Au sommet de la colline, dit-il, au bas de laquelle coule le Chrysorrhoas, on voit la tour Timée d'une hauteur extraordinaire, d'où l'on découvre une grande plage de mer, et que l'on a bâtie pour la sûreté de ceux qui navigeaient, en allumant des feux à son sommet pour les guider, ce qui était d'autant plus nécessaire que l'un et l'autre bord de cette mer est sans ports, et que les ancres ne sauraient prendre à son fond ; mais les Barbares de la côte allumaient d'autres feux aux endroits les plus élevés des bords de la mer pour tromper les mariniers et profiter de leur naufrage, lorsque se guidant par ces faux signaux, ils allaient se briser sur la côte ; à-présent, poursuit cet auteur, la tour est à-demi ruinée, et l'on n'y met plus de fanal.

Un des plus célèbres phares que l'on connaisse, et qui subsistait encore en 1643, c'est celui de Boulogne sur mer, Bononia, qui s'appelait aussi autrefois Gessoriacum. Il semble qu'il n'y ait pas lieu de douter que ce ne soit de ce phare dont parle Suétone dans la vie de l'empereur Caïus Caligula qui le fit bâtir. Il a d'autant plus lieu de croire que l'histoire ne fait mention que d'un phare bâti sur cette côte, et qu'on n'y a jamais remarqué de trace d'aucun autre.

Cette tour fut élevée sur le promontoire ou sur la falaise qui commandait au port de la ville. Elle était octogone ; chacun des côtés avait, selon Bucherius, vingt-quatre ou vingt-cinq pieds. Son circuit était donc d'environ deux cent pieds, et son diamètre de soixante-six. Elle avait douze entablements ou espèces de galeries qu'on voyait au-dehors, en y comprenant celle d'en bas cachée par un petit fort que les Anglais avaient bâti tout-autour quand ils s'en rendirent maîtres en 1545. Chaque entablement ménagé sur l'épaisseur du mur de dessous, faisait comme une petite galerie d'un pied et demi ; ainsi ce phare allait toujours en diminuant, comme nous avons Ve des autres phares.

Ce phare était appelé depuis plusieurs siècles turris ordants, ou turris ordensis. Les Boulonnais l'appelaient la tour d'ordre. Plusieurs croient, avec assez d'apparence, que turris ordants ou ordensis s'était fait de turris ardents, la tour ardente, ce qui convenait parfaitement à une tour où le feu paraissait toutes les nuits.

Comme il n'y a point d'ouvrage fait par la main des hommes qui ne périsse enfin, soit par l'injure du temps, soit par quelqu'autre accident, la tour et la forteresse tombèrent. Voici comment ; cette partie de la falaise ou de la roche qui avançait du côté de la mer, était comme un rempart qui mettait la tour et la forteresse à couvert contre la violence des marées et des flots ; mais les habitants y ayant ouvert des carrières pour vendre de la pierre aux Hollandais et à quelques villes voisines, tout ce devant se trouva à la fin dégarni, et alors la mer ne trouvant plus cette barrière, venait se briser au-dessous de la tour, et en détachait toujours quelques pièces ; d'un autre côté, les eaux qui découlaient de la falaise, minaient insensiblement la roche, et creusaient sous les fondements du phare et de la forteresse, de sorte que l'an 1644, le 19 de Juillet, la tour et la forteresse tombèrent en plein midi. C'est encore un bonheur qu'un boulonnais, plus curieux que ses compatriotes, nous ait conservé la figure de ce phare ; il serait à souhaiter qu'il se fût avisé de nous instruire de même sur les dimensions.

Ce phare, bâti par les Romains, éclairait les vaisseaux qui passaient de la Grande-Bretagne dans les Gaules. Il ne faut point douter qu'il n'y en eut aussi un à la côte opposée, puisqu'il y était aussi nécessaire pour guider ceux qui passaient dans l'ile. Plusieurs personnes croient que la vieille tour qui subsiste aujourd'hui au milieu du château de Douvre, était le phare des Romains : d'autres pensent que ce phare était situé où est le grand monceau de pierres et de chaux qu'on voit auprès du château de Douvre, et que les gens du pays appellent la goutte du diable.

L'archevêque de Cantorbéry envoya au P. Montfaucon un plan de ce qu'il croyait être le phare de Douvre. En fouillant dans un grand monceau de masures, par l'ordre de cet archevêque, on trouva un phare tout à fait semblable à celui de Boulogne, sans aucune différence, ce qui fait juger que celui qui est encore aujourd'hui sur pied, ne fut fait que quand l'ancien eut été ruiné.

Le nom de phare s'étendit bien davantage que celui de mausolée. Grégoire de Tours le prend en un autre sens. On vit, dit-il, un phare de feu qui sortit de l'église de saint Hilaire, et qui vint fondre sur le roi Clovis. Il se sert aussi de ce nom pour marquer un incendie : ils mirent, dit-il, le feu à l'église de saint Hilaire, et firent un grand phare ; et pendant que l'église brulait, ils pillèrent le monastère : un bruleur d'église était par conséquent un faiseur de phares.

On appela phares dans des temps postérieurs, certaines machines où l'on mettait plusieurs lampes ou plusieurs cierges, et qui approchaient de nos lustres ; elles étaient de diverses formes.

Ce mot phare a encore été pris en un sens plus métaphorique ; on appelle quelquefois phare tout ce qui éclaire en instruisant, et même les gens d'esprit qui servent à éclairer les autres : c'est en ce sens que Ronsard disait à Charles IX.

Soyez mon phare, et garde d'abymes

Ma nef qui tombe en si profonde mer.

(Le chevalier DE JAUCOURT ).