S. f. (Littérature) figure de Rhétorique, par laquelle on emploie des termes qui, pris à la lettre, signifient toute autre chose que ce qu'on veut leur faire signifier. L'allégorie n'est proprement autre chose qu'une métaphore continuée, qui sert de comparaison pour faire entendre un sens qu'on n'exprime point, mais qu'on a en vue. C'est ainsi que les Orateurs et les Poètes ont coutume de représenter un état sous l'image d'un vaisseau, et les troubles qui l'agitent sous celle des flots et des vents déchainés ; par les pilotes, ils entendent les souverains ou les magistrats ; par le port, la paix ou la concorde. Horace fait un pareil tableau de sa patrie prête à être replongée dans les horreurs d'une guerre civile, dans cette belle ode qui commence ainsi :

O navis, refèrent in mare te novi

Fluctus, &c.

La plupart des Théologiens trouvent l'ancien Testament plein d'allégories et de sens typiques, qu'ils rapportent au nouveau ; mais on convient que le sens allégorique, à moins qu'il ne soit fondé sur une tradition constante, ne forme pas un argument sur, comme le sens littéral. Sans cette sage précaution, chaque fanatique trouverait dans l'Ecriture de quoi appuyer ses visions. En effet, c'est en matière de religion surtout que l'allégorie est d'un plus grand usage. Philon le Juif a fait trois livres d'allégories sur l'histoire des six jours (voyez HEXAMERON) ; et l'on sait assez quelle carrière les Rabbins ont donné à leur imagination dans le Talmud et dans leurs autres commentaires.

Les Payens eux-mêmes faisaient grand usage des allégories, et cela avant les Juifs ; car quelques-uns de leurs philosophes voulant donner des sens raisonnables à leurs fables et à l'histoire de leurs dieux, prétendirent qu'elles signifiaient toute autre chose que ce qu'elles portaient à la lettre ; et de-là vint le mot d'allégorie, c'est-à-dire un discours qui, à le prendre dans son sens figuré, , signifie toute autre chose que ce qu'il énonce. Ils eurent donc recours à cet expédient pour contenter de leur mieux ceux qui étaient choqués des absurdités dont les Poètes avaient farci la religion, en leur insinuant qu'il ne fallait pas prendre à la lettre ces fictions ; qu'elles contenaient des mystères, et que leurs dieux avaient été des personnages tout autrement respectables que ne les dépeignait la Mythologie, dont ils donnèrent des explications telles qu'ils les voulaient imaginer : en sorte qu'on ne vit plus dans les fables que ce qui n'y était réellement pas ; on abandonna l'historique qui révoltait, pour se jeter dans la mysticité qu'on n'entendait pas.

M. de la Nause, dans un discours sur l'origine et l'antiquité de la Cabale, inséré dans le tome IX. de l'académie des Belles-Lettres, prétend que ce n'était point pour se cacher, mais pour se faire mieux entendre, que les Orientaux employaient leur style figuré, les Egyptiens leurs hiéroglyphes, les Poètes leurs images, et les Philosophes la singularité de leurs discours, qui étaient autant d'espèces d'allégories. En ce cas il faudra dire que l'explication était plus obscure que le texte, et l'expérience le prouva bien ; car on brouilla si bien les signes figuratifs avec les choses figurées, et la lettre de l'allégorie avec le sens qu'on prétendait qu'elle enveloppait, qu'il fut très-difficile, pour ne pas dire impossible, de démêler l'un d'avec l'autre. Les Platoniciens surtout donnaient beaucoup dans cette méthode ; et le désir de les imiter en transportant quelques-unes de leurs idées aux mystères de la véritable religion, enfanta dans les premiers siècles de l'Eglise les hérésies des Marcionites, des Valentiniens, et de plusieurs autres, compris sous le nom de Gnostiques.

C'était de quelques Juifs récemment convertis, tels qu'Ebion, que cette manière de raisonner s'était introduite parmi les Chrétiens. Philon, comme nous l'avons déjà dit, et plusieurs autres docteurs juifs s'appliquaient à ce sens figuré, flatteur pour certains esprits, par la nouveauté et la singularité des découvertes qu'ils s'imaginent y faire. Quelques auteurs des premiers siècles du Christianisme, tels qu'Origène, imitèrent les Juifs, et expliquèrent aussi l'ancien et le nouveau Testament par des allégories. Voyez ALLEGORIQUES et PROPHETIE.

Quelques auteurs, et entr'autres le P. le Bossu, ont pensé que le sujet du poème épique n'était qu'une maxime de morale allégoriée, qu'on revêtait d'abord d'une action chimérique, dont les acteurs étaient A et B ; qu'on cherchait ensuite dans l'histoire quelque fait intéressant, dont la vérité mise avec le fabuleux, put donner au poème quelque vraisemblance ; et qu'ensuite on donnait des noms aux acteurs, comme Achille, Enée, Renaud, etc. Voyez ce qu'on doit penser de cette prétention, sous le mot EPOPEE ou POEME EPIQUE. (G)