S. m. pl. (Littérature) joueurs d'instruments qui, dans la naissance de notre poésie, se joignaient aux troubadours ou poètes provençaux, et couraient avec eux les provinces.

L'histoire du théâtre français nous apprend qu'on nommait ainsi des espèces de bâteleurs, qui accompagnaient les trouveurs ou poètes provençaux, fameux dès le XIe siècle. Le terme de jongleur parait être une corruption du mot latin joculator, en français joueur. Il est fait mention des jongleurs dès le temps de l'empereur Henri II. qui mourut en 1056. Comme ils jouaient de différents instruments, ils s'associèrent avec les trouveurs et les chanteurs, pour exécuter les ouvrages des premiers, et ainsi de compagnie ils s'introduisirent dans les palais des rois et des princes, et en tirèrent de magnifiques présents. Quelque temps après la mort de Jeanne première du nom, reine de Naples et de Sicîle et comtesse de Provence, arrivée en 1382, tous ceux de la profession des trouveurs et des jongleurs se séparèrent en deux différentes espèces d'acteurs. Les uns, sous l'ancien nom de jongleurs, joignirent aux instruments le chant ou le récit des vers ; les autres prirent simplement le nom de joueurs, en latin joculatores, ainsi qu'ils sont nommés par les ordonnances. Tous les jeux de ceux-ci consistaient en gesticulations, tours de passe-passe, etc. ou par eux-mêmes, ou par des singes qu'ils portaient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque. Mais leurs excès ridicules et extravagans les firent tellement mépriser, que pour signifier alors une chose mauvaise, folle, vaine et fausse, on l'appelait jonglerie ; et Philippe-Auguste dès la première année de son règne les chassa de sa cour et les bannit de ses états. Quelques-uns néanmoins qui se réformèrent s'y établirent et y furent tolérés dans la suite du règne de ce prince et des rois ses successeurs, comme on le voit par un tarif fait par S. Louis pour régler les droits de péage dû. à l'entrée de Paris sous le petit-châtelet. L'un de ces articles porte, que les jongleurs seraient quittes de tout péage en faisant le récit d'un couplet de chanson devant le péager. Un autre porte " que le marchand qui apporterait un singe pour le vendre, payerait quatre deniers ; que si le singe appartenait à un homme qui l'eut acheté pour son plaisir, il ne donnerait rien, et que s'il était à un joueur, il jouerait devant le péager ; et que par ce jeu il serait quitte du péage tant du singe que de tout ce qu'il aurait acheté pour son usage ". C'est de-là que vient cet ancien proverbe, payer en monnaie de singe, en gambades. Tous prirent dans la suite le nom de jongleurs comme le plus ancien, et les femmes qui se mêlaient de ce métier celui de jongleresses. Ils se retiraient à Paris dans une seule rue qui en avait pris le nom de rue des jongleurs, et qui est aujourd'hui celle de saint Julien des Menétriers. On y allait louer ceux que l'on jugeait à propos pour s'en servir dans les fêtes ou assemblées de plaisir. Par une ordonnance de Guillaume de Clermont, prévôt de Paris, du 14 Septembre 1395, il fut défendu aux jongleurs de rien dire, représenter, ou chanter, soit dans les places publiques, soit ailleurs, qui put causer quelque scandale, à peine d'amende et de deux mois de prison au pain et à l'eau. Depuis ce temps il n'en est plus parlé ; c'est que dans la suite les acteurs s'étant adonnés à faire des tours surprenans avec des épées ou autres armes, etc. on les appela batalores, en français bateleurs ; et qu'enfin ces jeux devinrent le partage des danseurs de corde et des sauteurs. De la Marre, Traité de la police. Histoire du théat. franç. Moréri.

JONGLEUR, (Divination) magiciens ou enchanteurs fort renommés parmi les nations sauvages d'Amérique, et qui font aussi parmi elles profession de la Médecine.

Les jongleurs, dit le P. Charlevoix, font profession de n'avoir commerce qu'avec ce qu'ils appellent génies bienfaisants, et ils se vantent de connaître par leur moyen ce qui se passe dans les pays les plus éloignés, ou ce qui doit arriver dans les temps les plus reculés ; de découvrir la source et la nature des maladies les plus cachées, et d'avoir le secret de les guérir ; de discerner dans les affaires les plus embrouillées le parti qu'il faut prendre ; de faire réussir les négociations les plus difficiles ; de rendre les dieux propices aux guerriers et aux chasseurs ; d'entendre le langage des oiseaux, etc.

Quoiqu'on ait Ve naître ces imposteurs, s'il leur prend envie de se donner une naissance surnaturelle, ils trouvent des gens qui les en croient sur leur parole, comme s'ils les avaient vus descendre du ciel, et qui prennent pour une espèce d'enchantement et d'illusion de les avoir crus nés comme les autres hommes.

Une de leurs plus ordinaires préparations pour faire leurs prestiges c'est de s'enfermer dans des étuves pour se faire suer. Ils ne diffèrent alors en rien des Pythies telles que les Poètes nous les ont représentées sur le trépié. On les y voit entrer dans des convulsions et des enthousiasmes ; prendre des tons de voix, et faire des actions qui paraissent au-dessus des forces humaines. Le langage qu'ils parlent dans leurs invocations n'a rien de commun avec aucune langue sauvage ; et il est vraisemblable qu'il ne consiste qu'en des sons informes, produits sur le champ par une imagination échauffée, et que ces charlatants ont trouvé le moyen de faire passer pour un langage divin ; ils prennent différents tons, quelquefois ils grossissent leurs voix, puis ils contrefont une petite voix grêle, assez semblable à celle de nos marionnettes, et on croit que c'est l'esprit qui leur parle. On assure qu'ils souffrent beaucoup dans ces occasions, et qu'il s'en trouve qu'on n'engage pas aisément, même en les payant bien, à se livrer ainsi à l'esprit qui les agite. On a Ve les pieux dont ces étuves étaient fermées, se courber jusqu'à terre, tandis que le jongleur se tenait tranquille, sans remuer, sans y toucher, qu'il chantait et qu'il prédisait l'avenir. Cette circonstance et quelques prédictions singulières et circonstanciées qu'on leur a entendues faire assez longtemps avant l'événement, et pleinement justifiées par l'événement, font penser qu'il entre quelquefois du surnaturel dans leurs opérations, et qu'ils ne devinent pas toujours par hasard.

Les jongleurs de profession ne sont jamais revêtus de ce caractère qui leur fait contracter une espèce de pacte avec les génies, et qui rend leurs personnes respectables au peuple, qu'après s'y être disposés par des jeunes qu'ils poussent très-loin, et pendant lesquels ils ne font autre chose que battre le tambour, crier, heurler, chanter et fumer. L'installation se fait ensuite dans une espèce de bacchanale, avec des cérémonies si extravagantes, et accompagnées de tant de fureurs, qu'on dirait que le démon y prend dès-lors possession de leurs personnes. Ils ne sont point à proprement parler les prêtres de la nation, car ce sont les chefs de famille qui exercent cet emploi, mais ils se donnent pour les interpretes des dieux. Ils se servent pour leurs prestiges d'os et de peaux de serpens, dont ils se font aussi des bandeaux et des ceintures. Il est certain qu'ils ont le secret de les enchanter, ou pour parler plus juste, de les engourdir ; qu'ils les prennent tout vivants, les manient, les mettent dans leur sein, sans qu'il leur en arrive aucun mal. C'est encore aux jongleurs qu'il appartient d'expliquer les songes, les présages, et de presser ou de retarder la marche de l'armée dans les expéditions militaires, car on y en mène toujours quelqu'un. Ils persuadent à la multitude qu'ils ont des transports extatiques, dans lesquels les génies leur découvrent l'avenir et les choses cachées, et par ce moyen ils lui persuadent tout ce qu'ils veulent.

Mais la principale occupation des jongleurs, ou du moins celle dont ils retirent le plus de profit, c'est la Médecine. Quoiqu'en général ils exercent cet art avec des principes fondés sur la connaissance des simples, sur l'expérience et sur la conjecture, comme on fait par-tout, ils y mêlent ordinairement de la superstition et de la charlatanerie.

Par exemple, ils déclarent en certaines occasions qu'ils vont communiquer aux racines et aux plantes la vertu de guérir toutes sortes de playes, et même de rendre la vie aux morts. Aussi-tôt ils se mettent à chanter, et l'on suppose que pendant ce concert, qu'ils accompagnent de beaucoup de grimaces, la vertu médicinale se répand sur les drogues. Le principal jongleur les éprouve ensuite ; il commence par se faire saigner les lèvres. Le sang que l'imposteur a soin de sucer adroitement cesse de couler, et on crie miracle. Après cela il prend un animal mort, il laisse aux assistants tout le loisir de se bien assurer qu'il est sans vie, puis au moyen d'une canule qui lui est insérée sous la queue, il la fait remuer, en lui soufflant des herbes dans la gueule. Quelquefois ils font semblant d'ensorceler divers sauvages qui paraissent expirer ; puis en leur mettant d'une certaine poudre sur les lèvres, ils les font revivre. Souvent quand il y a des blessures le jongleur déchire la playe avec ses dents, et montrant ensuite un morceau de bois ou quelque chose semblable, qu'il avait eu la précaution de mettre dans sa bouche, il fait croire au malade qu'il l'a tiré de sa playe, et que c'était le charme qui causait le danger de sa maladie.

Si le malade se met en tête que son mal est l'effet d'un maléfice, alors toute l'attention se porte à le découvrir, et c'est le devoir du jongleur. Il commence lui-même par se faire suer ; et quand il s'est bien fatigué à crier, à se débattre et à invoquer son génie, la première chose extraordinaire qui lui vient en pensée, il y attribue la cause de la maladie. Plusieurs avant que d'entrer dans l'étuve prennent un breuvage composé, fort propre, disent-ils, à leur faire recevoir l'impression céleste, et l'on prétend que la présence de l'esprit se manifeste par un vent impétueux qui se lève tout à coup, ou par un mugissement que l'on entend sous terre, ou par l'agitation et l'ébranlement de l'étuve. Alors plein de sa prétendue divinité, et plus semblable à un énergumene qu'à un homme inspiré du ciel, il prononce d'un ton affirmatif sur l'état du malade, et rencontre quelquefois assez juste.

Dans l'Acadie les jongleurs s'appelaient autmoins. Quand ils étaient appelés pour voir un malade, ils commençaient par le considérer assez longtemps, puis ils soufflaient sur lui. Si cela ne produisait rien, ils entraient dans une espèce de fureur, s'agitaient, criaient, menaçaient le démon en lui parlant et lui poussant des estocades, comme s'ils l'eussent Ve devant leurs yeux, et finissaient par arracher de terre un bâton auquel était attaché un petit os, qu'ils avaient eu la précaution de planter en entrant dans la cabane, et ils prononçaient qu'ils avaient extirpé la cause du mal.

Chez les Natchez, autre nation d'Amérique, les jongleurs sont bien payés quand le malade guérit ; mais s'il meurt, il leur en coute souvent la vie à eux-mêmes. D'autres jongleurs entreprennent de procurer la pluie et le beau temps. Vers le printemps on se cottise pour acheter de ces prétendus magiciens un temps favorable aux biens de la terre. Si c'est de la pluie qu'on demande, ils se remplissent la bouche d'eau, avec un chalumeau dont un bout est percé de plusieurs trous comme un entonnoir, ils soufflent en l'air du côté où ils aperçoivent quelque nuage. S'il est question d'avoir du beau temps, ils montent sur le toit de leurs cabanes, et font signe aux nuages de passer outre. Si cela arrive, ils dansent et chantent autour de leurs idoles, avalent de la fumée de tabac, et présentent au ciel leurs calumets. Si on obtient ce qu'ils ont promis, ils sont bien récompensés ; s'ils ne réussissent pas, ils sont mis à mort sans miséricorde. Histoire de la nouv. Franc. tom. I. Journal d'un voyage d'Amérique, pag. 214, 235, 347, 360 et suiv. 368, 428 et 427.