S. m. (Histoire ancienne et Architecture) aquéduc souterrain qui reçoit les eaux et les ordures d'une grande ville : mais le mot cloaque n'est guère du bel usage que pour les ouvrages des anciens ; en parlant des ouvrages modernes, on dit ordinairement égout. Le mot latin est cloaca, mot que quelques étymologistes dérivent de cluo, salir, infecter par sa mauvaise odeur.

Le cloaque est assez exactement défini par le célèbre jurisconsulte Ulpien, un lieu souterrain fait par art pour écouler les eaux et les immondices d'une ville.

Denis d'Halicarnasse nous apprend que le roi Tarquin le vieux est le premier qui commença de faire des canaux sous la ville de Rome, pour en conduire les immondices dans le Tibre. Les canaux de cette espèce augmentèrent insensiblement, se multiplièrent à mesure que la ville s'agrandit, et furent enfin portés à leur perfection sous les empereurs.

Comme les Romains dans les premiers temps de la république travaillaient à ces canaux, ils trouvèrent dans un d'eux la statue d'une femme ; ils en furent frappés : ils en firent une déesse qui présidait aux cloaques, et qu'ils nommèrent Cloacine. S. Augustin en parle au liv. IV. de la cité de Dieu, ch. xxiij.

Il n'en fallait pas tant pour engager des peuples de ce caractère à la multiplication de ces sortes d'ouvrages : leur religion s'y vit intéressée ; car ils mêlaient une espèce de sentiment religieux à leur attachement pour la ville de Rome ; cette ville fondée sous les meilleurs auspices ; cette ville dont le capitole devait être éternel comme elle, et la ville éternelle comme son fondateur, le désir de l'embellir fit sur leur esprit une impression qu'on ne saurait imaginer.

L'exemple, l'émulation, l'envie de s'illustrer, de s'attirer les suffrages et la considération de ses compatriotes, et plus que tout cela, l'amour pour le bien commun, que nous regardons aujourd'hui comme un être de raison, produisirent ces édifices superbes et nécessaires qu'on admirera toujours ; ces chemins publics qui ont résisté à l'injure de tous les temps ; ces aquéducs qui s'étendaient quelquefois à cent milles d'Italie, qui étaient percés à-travers les montagnes, qui fournissaient à Rome cinq cent mille muids d'eau dans vingt-quatre heures ; ces cloaques immenses bâtis sous toute l'étendue de la ville en forme de voute, sous lesquels on allait en bateau, où dans quelques endroits des charrettes chargées de foin pouvaient passer, et qui étaient arrosés d'une eau continuelle qui empêchait les ordures d'y pouvoir séjourner (il y en avait un entr'autres qui se rendait dans le Tibre de tous les côtés et de toutes les parties de la ville) ; c'était, dit Pline, le plus grand ouvrage que des mortels eussent jamais exécuté.

Cassiodore qui vivait en 470, qui était préfet du prétoire sous Théodoric roi des Goths, et bon connaisseur en Architecture, avoue dans le recueil de ses lettres, epist. xxx. lib. V. qu'on ne pouvait considérer les cloaques de Rome sans en être émerveillé.

Pline, lib. XXXIII. ch. XVe dans la description qu'il donne des ouvrages que l'on voyait de son temps dans cette capitale du monde, remarque encore que l'on y admirait par-dessus tous les aquéducs souterrains de ce genre, ceux que construisit Agrippa à ses dépens pendant son édilité, et dans lesquels il fit écouler toutes les eaux et les ordures de cette ville immense. Il s'agit ici d'Agrippa favori et gendre d'Auguste, qui décora Rome non-seulement des cloaques dont parle Pline, mais de nouveaux chemins publics, et d'autres ouvrages aussi magnifiques qu'utiles, en particulier de ce fameux temple qu'il nomma le panthéon, construit en l'honneur de tous les dieux, et qui subsiste encore à quelques égards sans ses anciennes statues et ses autres ornements, sous le nom de Notre-Dame de la Rotonde.

Le soin et l'inspection des cloaques appartinrent, jusqu'au temps d'Auguste, aux édiles, qui nommaient à cet effet des officiers, sous le titre de curatores cloacarum.

Voilà quel était l'esprit dont les Romains étaient animés : en lisant leur histoire, nous les voyons d'autres hommes que nous ; car ils ignoraient ce que nous connaissons trop, l'indifférence pour la patrie. M. de Voltaire suppose que dans les premiers temps de la république, un citoyen dont la passion dominante était le désir de rendre son pays florissant, remit au consul Appius un mémoire dans lequel il représentait les avantages qu'on retirerait de réparer les grands chemins et le capitole, de former des marchés et des places publiques, de bâtir de nouveaux cloaques pour emporter les ordures de la ville, source de maladies qui faisaient périr plusieurs citoyens : le consul Appius touché de la lecture de ce mémoire, et pénétré des vérités qu'il contenait, immortalisa son nom quelque temps après par la voie Appienne : Flaminius fit la voie Flaminienne ; un autre embellit le capitole ; un autre établit des marchés publics ; et d'autres construisirent les aquéducs et les égouts. L'écrit du citoyen obscur, dit à ce sujet l'illustre écrivain déjà cité, fut une semence qui germa bien-tôt dans l'esprit de ces grands hommes, capables de l'exécution des plus grandes choses. Cet article est de M(D.J.)