JEUX, (Littérature grecque et romaine) les plus fameux, les plus solennels, et peut-être les plus anciens jeux de la Grèce, étaient les jeux olympiques, qui se célébraient tous les 4 ans à Olympie ville d'Elide dans le Péloponnèse. Quoique je ne me lasse guère à lire tout ce qu'en racontent Diodore de Sicile, Plutarque et surtout Pausanias, je sais bien cependant que je n'en dois prendre ici que la fleur.

Comme l'origine des jeux olympiques est ensevelie dans la plus profonde antiquité, l'on trouve diverses opinions sur leur établissement. Diodore de Sicîle dit que ce fut Hercule de Crète qui les institua, sans nous apprendre ni en quel temps, ni à quelle occasion. Le sentiment le plus commun parmi les savants est que la première célébration s'en fit dans l'Elide, l'an du monde 2635, qui répond à la vingt-neuvième du règne d'Acrise roi d'Argos, et à la 34e. du règne de Sycion, dix-neuvième roi de Sycione. Quoi qu'il en sait, depuis leur première institution, ils furent alternativement renouvellés et interrompus jusqu'au règne d'Iphitus roi d'Elide, et contemporain de Lycurgue, qui les rétablit avec beaucoup de lustre, l'an 3208. Il ordonna que pendant la durée des jeux toutes les affaires cesseraient, afin que chacun eut la liberté de s'y rendre.

Ils se célébraient vers le solstice d'été, et duraient cinq jours. Comme ils étaient consacrés à Jupiter, et faisaient partie des cérémonies religieuse du paganisme, le premier jour était destiné aux sacrifices ; le second au pentathle et à la course à pied ; le troisième au combat du pancrace et de la lutte simple ; les deux autres aux courses à pied, à celle des chevaux et à celle des chars. Il y eut de temps-en-temps quelques variétés à cet égard qu'on peut lire dans Pausanias.

Les athletes combattirent nus dans ces jeux, depuis la trente-deuxième olympiade, où il arriva à un nommé Orcippus de perdre la victoire, parce que dans le fort du combat son caleçon s'étant dénoué, l'embarrassa de manière à lui ôter la liberté des mouvements. Ce règlement en exigea un autre : c'est qu'il fut défendu aux femmes et aux filles, sous peine de la vie, d'assister à ces jeux, et même de passer l'Alphée pendant tout le temps de leur célébration.

Cette défense fut si exactement observée, qu'il n'arriva jamais qu'à une seule femme de violer cette loi. Cette femme que les uns nomment Callipatire, et les autres Phevenia, étant devenue veuve s'habilla à la façon des maîtres d'exercice, et conduisit elle-même son fils Pisidore à Olympie. Le jeune homme ayant été déclaré vainqueur, la mère transportée de joie, jeta son habit d'homme, sauta pardessus la barrière, et elle fut connue pour ce qu'elle était. Cependant on lui pardonna cette infraction de la loi en considération de son père, de ses frères et de son fils, qui tous avaient été couronnés aux mêmes jeux. Depuis ce temps-là il fut défendu aux maîtres d'exercices de paraitre autrement que nus à ces spectacles. La peine imposée par la loi, était de précipiter les femmes qui oseraient l'enfreindre, d'un rocher fort escarpé qu'on appelait le mont Typée, et qui était au-delà de l'Alphée.

On obligeait les athletes à Olympie, de jurer deux choses avant que d'être admis aux jeux ; 1°. qu'ils seraient soumis pendant dix mois consécutifs à tous les exercices, et à toutes les épreuves auxquelles les engageait l'institution athlétique ; 2°. qu'ils observeraient religieusement toutes les lois prescrites dans chaque sorte de combat, et qu'ils ne feraient rien, ni directement ni indirectement, contre l'ordre et la police établie dans les jeux. On leur faisait prêter ce serment devant la statue de Jupiter surnommé , à cause de cette cérémonie ; et cette statue qui tenait un foudre dans chaque main, pour inspirer plus de terreur aux parjures, était érigée dans le sénat des Eléens.

Il leur était aussi défendu, sous peine d'une amende considérable, d'user de la moindre fraude pour être déclaré vainqueur ; mais ni les lais, ni les peines ne sont pas toujours un frein capable de contenir l'ambition dans de justes bornes. Il y eut des supercheries, et la punition sévère qu'on en tira, n'empêcha pas qu'on ne retombât de temps en temps dans les mêmes fautes.

On trouvait, dit Pausanias, en allant du temple de la mère des dieux au stade, six statues de Jupiter, qui toutes six étaient de bronze, et toutes faites du produit des amendes imposées aux athletes qui avaient usé de fraude pour remporter le prix, ainsi que le marquaient les inscriptions. Les vers qui étaient sur la première statue, avertissaient que le prix des jeux olympiques s'acquérait, non par argent, mais par la légéreté des pieds et par la force du corps. Ceux de la seconde portaient que cette statue avait été érigée à Jupiter pour faire craindre aux athletes la vengeance du dieu, s'ils osaient violer les lois qui leur étaient prescrites.

Le concours prodigieux du monde qu'attirait à Olympie la célébration de ces jeux, avait enrichi cette ville et toute l'Elide : aussi n'y avait-il rien dans toute la Grèce de comparable au temple et à la statue de Jupiter olympien. Autour de ce temple était un bois sacré nommé l'Attis, dans lequel avec les chapelles, les autels et les autres monuments consacrés aux dieux, et dont on trouve une description fort détaillée dans l'auteur que j'ai cité tant de fais, étaient les statues toutes de la main des sculpteurs les plus célébres, érigées en l'honneur des vainqueurs.

Les jeux olympiques étaient sans contredit entre tous les jeux de la Grèce, ceux qui tenaient le premier rang ; et cela pour trois raisons : ils étaient consacrés à Jupiter le plus grand des dieux ; ils avaient été institués par Hercule le plus grand des héros ; enfin on les célébrait avec plus de pompe et de magnificence que tous les autres, et ils attiraient un plus grand nombre de spectateurs, qu'on y voyait accourir de tous les endroits de la terre. Aussi les Grecs ne concevaient-ils rien de comparable à la victoire qu'on y remportait ; ils la regardaient comme le comble de la gloire, et ne croyaient pas qu'il fût permis à un mortel de porter plus loin ses désirs.

Je ne m'étendrai pas sur les récompenses des vainqueurs dans ces jeux, parce qu'il n'y a personne qui ignore que leur prix était une couronne d'olivier. Il faut avouer que celui qui a dit le premier que l'opinion gouverne le monde, avait bien raison. En effet, qui pourrait croire, si tant de monuments ne l'attestaient, que pour une couronne d'olivier, toute une nation se dévouât à des combats si pénibles et si hasardeux ? D'un autre côté, les Grecs par une sage politique, avaient attaché tant d'honneur à cette couronne, qu'il n'est pas étonnant qu'un peuple qui n'avait de passion que pour la gloire en général, crut ne pouvoir trop payer celle-ci, qui de toutes les espèces de gloire était la plus flatteuse. Car nous ne voyons point que ni Miltiade, ni Cimon, ni Thémistocle, Epaminondas, ni Philopoemen, ces grands hommes qui ont fait des actions si mémorables, aient été plus distingués parmi leurs concitoyens, qu'un simple athlete qui avait remporté le prix ou de la lutte, ou de la course du stade, ou de la course de l'hippodrome.

Il était en marbre ou en bronze à côté du capitaine et du héros. Ce n'est donc point une exagération que ce que dit Ciceron dans ses tusculanes, que la couronne d'olivier à Olympie, était un consulat pour les Grecs ; et dans l'oraison pour Flaccus, que de remporter la victoire aux jeux olympiques, était presque aussi glorieux en Grèce, que l'honneur du triomphe pour un romain.

Mais Horace parle de ces sortes de victoires dans des termes encore plus forts : il ne craint point de dire qu'elles élevaient les vainqueurs au-dessus de la condition humaine ; ce n'étaient plus des hommes, c'étaient des dieux :

Palmaque nobilis

Terrarum dominos evehit ad deos.

& ailleurs :

Sive quos Elaea domum reducit

Palma coelestes.

Le vainqueur était proclamé par un héraut public au son des trompettes ; on le nommait par son nom, on y ajoutait celui de son père, celui de la ville d'où il était, quelquefois même celui de sa tribu. Il était couronné de la main d'un des Hellanodices ; ensuite on le conduisait en pompe au prytanée, où un festin public et somptueux l'attendait. Retournait-il dans sa ville, ses concitoyens venaient en foule au-devant de lui, et le recevaient avec l'appareil d'une espèce de triomphe ; persuadés que la gloire dont il était couvert illustrait leur patrie, et rejaillissait sur chacun d'eux.

Il n'avait plus à craindre la pauvreté, ni ses tristes humiliations ; on pourvoyait à sa subsistance, on éternisait même sa gloire par ces monuments qui semblent braver l'injure des temps. Les plus célébres statuaires briguaient l'honneur de le mettre en marbre ou en bronze avec les marques de sa victoire, dans le bois sacré d'Olympie. A peine trouverait-on cent statues dans les jardins de Versailles qui sont immenses ! J'ai voulu voir, dit l'abbé Gedoin, combien il y en avait dans l'Attis sur l'énumération que Pausanias en fait, j'en ai compté, ajoute-t-il, jusqu'à cinq cent ; et las de compter, j'ai abandonné l'entreprise : encore Pausanias déclare-t-il qu'il ne parle que des statues érigées aux dieux et aux athletes les plus célèbres.

Quel effet ne devait pas produire cette quantité prodigieuse de belles statues posées dans un même lieu, toutes du ciseau des meilleurs artistes de leur temps ? A chaque pas que l'on faisait en comparant une statue avec une autre, on distinguait les différentes écoles, et l'on apprenait l'histoire de l'art même. On voyait, pour ainsi dire, son enfance dans les ouvrages des élèves de Dipoene et de Scyllis ; son progrès dans les ouvrages de Calamis, de Canachus, de Myron ; sa perfection dans ceux de Phidias, d'Alcamene, d'Onatas, de Scopas, de Praxitele, de Polyclete, de Lysippe, de Pythagore de Rhegium ; et enfin sa décadence dans les monuments du temps postérieur : car alors entre l'antique et le moderne, il y avait un âge moyen, ou l'art avait été porté à sa perfection. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu pour les curieux un plus beau spectacle ; et c'était aussi par ce spectacle que les Grecs entretenaient dans l'âme des particuliers, cette noble émulation qui leur faisait compter pour rien les peines, les fatigues, les dangers et la mort même, quand il s'agissait d'acquérir de la gloire.

J'ai parlé en temps et lieu, des Hellanodices qui présidaient aux jeux de la Grèce, décidaient des victoires, et adjugeaient les couronnes ; mais je n'imaginais pas qu'un roi juif ait eu jamais part à cette dignité, cependant Josephe m'a tiré d'erreur. Il m'apprend dans ses antiquités, liv. XVI. ch. j. et ix. qu'Hérode surnommé le grand, allant en Italie pour faire sa cour à Auguste, s'arrêta quelque temps en Grèce, et se trouva aux jeux olympiques de la cent quatre-vingt-onzième olympiade, 16 ans avant la naissance de J. C. Comme on ne manqua pas de lui rendre les respects dû. à son rang, et qu'il ne vit sans peine que les jeux consacrés à Jupiter, avaient beaucoup perdu de leur splendeur, parce que les Eléens étaient trop pauvres pour fournir à leur entretien, il leur fit présent d'un fonds considérable pour les remettre sur l'ancien pied. Alors par reconnaissance d'un si grand service, il fut élu président de ces jeux pendant le cours de sa vie. La passion qu'on portait à leur célébration, les soutenait encore d'une façon assez brillante sur la fin du iv. siècle. Nous tenons cette anecdote du R. P. de Montfaucon, qui l'a tirée des œuvres de S. Jean Chrysostome, lequel comme on sait, fleurissait sous le règne de Théodose et d'Arcadius son fils.

Après que l'athlete s'est préparé pendant 30 jours dans la ville d'Olympie, dit ce père de l'Eglise, on l'amène au fauxbourg à la vue de tout le monde, et le héraut crie à haute voix : " Quelqu'un peut-il accuser ce combattant d'être esclave, ou voleur, ou de mauvaises mœurs " ? S'il y avait même soupçon d'esclavage, il ne pouvait être admis au combat.

On lit dans les écrits du même orateur, syrien de naissance, que les athletes étaient encore tout nuds, et se tenaient debout exposés aux rayons du soleil. Les spectateurs étaient assis depuis minuit jusqu'au lendemain à midi, pour voir les athletes qui remporteraient la victoire. Pendant toute la nuit le héraut veillait soigneusement, pour empêcher que quelqu'un des combattants ne se sauvât à la faveur des ténébres, et ne se déshonorât par cette fuite.

A ces combats olympiques les lutteurs, ceux qui se battaient à coups de poing, enfin les pancrasiastes, c'est-à-dire ceux qui disputaient la victoire dans tous les exercices gymniques, le faisaient à différentes reprises ; mais le héraut les proclamait, et les couronnait dès le moment qu'ils étaient déclarés vainqueurs.

On élisait alors quelquefois pour chef des chœurs de musique, de jeunes garçons, apparemment enfants de qualité, qu'on appelait thallophores, parce qu'ils portaient seuls des rameaux à la main(D.J.)