est, en Musique, faire marcher d'une manière convenable et régulière les doigts sur quelque instrument, et principalement sur l'orgue et le clavecin, pour en jouer le plus facilement et le plus nettement qu'il est possible.

Sur les instruments à manche, tels que le violon et le violoncelle, le point principal du doigter consiste dans les diverses positions de main ; c'est par-là que les mêmes passages peuvent devenir faciles ou difficiles, selon les positions et les cordes sur lesquelles on les prend ; et c'est quand un symphoniste est parvenu à passer rapidement et avec précision et justesse par toutes ces différentes positions, qu'on dit qu'il posséde bien son manche.

Sur l'orgue ou le clavecin, le doigter est autre chose. Il y a deux manières de jouer sur ces instruments, savoir les pièces et l'accompagnement. Pour jouer des pièces, on a égard à la facilité de l'exécution et à la bonne grâce de la main. Comme il y a un nombre excessif de passages possibles, dont la plupart demandent une manière particulière de faire marcher les doigts, il faudrait pour donner des régles suffisantes sur cette partie, entrer dans des détails que cet ouvrage ne saurait comporter, et sur lesquels l'habitude tient lieu de règle, quand une fois on a la main bien posée. Les préceptes généraux qu'on peut donner sont 1°. de placer les deux mains sur le clavier, de manière qu'on n'ait rien de gêné dans son attitude ; ce qui oblige d'exclure communément le pouce de la main droite, parce que les deux pouces placés sur le clavier, et principalement sur les touches blanches, donneraient aux bras une situation contrainte et de mauvaise grâce. 2°. De tenir le poignet à la hauteur du clavier, les doigts un peu recourbés sur les touches, et un peu écartés les uns des autres, pour être prêts à tomber sur des touches différentes. 3°. De ne point porter successivement le même doigt sur deux touches consécutives, mais d'employer tous les doigts de chaque main, excepté, comme je l'ai déjà dit, le pouce de la main droite qui ne ferait qu'embarrasser les autres doigts, et ne doit être employé qu'à de grands intervalles, pour éviter la trop forte extension des doigts. 4°. De monter diatoniquement avec le troisième et le quatrième doigt de la main droite, marchant alternativement ; la main gauche monte avec le quatrième doigt et le pouce, ou bien tous les doigts montent successivement. 5°. Pour descendre, c'est avec le troisième et le second doigt de la main droite, et avec le troisième et le quatrième de la gauche. Mais ces règles souffrent un si grand nombre d'exceptions, qu'on ne peut jamais les apprendre que par la pratique.

Pour l'accompagnement, le doigter de la main gauche est le même que pour les pièces, puisqu'il faut toujours que cette main joue les basses que l'on doit accompagner. Quant à la main droite, son doigter consiste à arranger les doigts, et à les faire marcher de manière à faire entendre les accords et leur succession ; de sorte que, quiconque entend bien la mécanique des doigts en cette partie, possède en même temps la science de l'accompagnement. M. Rameau a fort bien expliqué cette mécanique dans sa dissertation sur l'accompagnement, et nous croyons ne pouvoir mieux faire que de donner ici un précis de la partie de cette dissertation qui regarde le doigter.

Tout accord peut s'arranger par tierces. L'accord parfait, c'est-à-dire l'accord d'une tonique ainsi arrangé sur le clavier, est formé par trois touches, qui doivent être frappées du second, du quatrième, et du cinquième doigt. Dans cette situation, c'est le doigt le plus bas, c'est-à-dire le second, qui touche la tonique. Dans les deux autres faces, il se trouve toujours un doigt au-dessous de cette même tonique ; il faut le placer à la quarte. Quant au troisième doigt qui se trouve au-dessus et au-dessous des deux autres, il faut le placer à la tierce de son voisin.

Une règle générale pour la succession des accords est qu'il doit y avoir liaison entr'eux, c'est-à-dire que quelqu'un des sons de l'accord précédent se prolonge sur l'accord suivant, et entre dans son harmonie. C'est de cette règle que se tire toute la mécanique du doigter.

Puisque pour passer régulièrement d'un accord à un autre, il faut que quelque doigt reste en place, il est évident qu'il n'y a que quatre manières de succession régulière entre deux accords parfaits ; savoir la basse fondamentale montant, ou descendant, de tierce, ou de quinte.

Quand la basse procede par tierces, deux doigts restent en place ; en montant, ce sont ceux qui formaient la tierce et la quinte, qui restent pour former l'octave et la tierce, tandis que celui qui formait l'octave descend sur la quinte ; en descendant, ce sont les doigts qui formaient l'octave et la tierce, qui restent pour former la tierce et la quinte, tandis que celui qui faisait la quinte, monte sur l'octave.

Quand la basse procede par quintes, un doigt seul reste en place, et les deux autres marchent ; en montant, c'est la quinte qui reste pour faire l'octave, tandis que l'octave et la tierce descendent sur la tierce et sur la quinte ; en descendant, l'octave reste pour faire la quinte, tandis que la tierce et la quinte montent sur l'octave et sur la tierce. Dans toutes ces diverses successions, les deux mains ont toujours un mouvement contraire.

En s'exerçant ainsi sur divers endroits du clavier, on se familiarise bien-tôt au jeu des doigts sur chacune de ces marches, et les suites d'accords parfaits ne peuvent plus embarrasser.

Pour les dissonnances, il faut d'abord remarquer que tout accord dissonnant occupe les quatre doigts, lesquels peuvent être arrangés tous par tierces : dans le premier cas, c'est le plus bas des doigts, c'est-à-dire le second doigt de la main, qui fait entendre le son fondamental de l'accord : dans le second cas, c'est le supérieur des deux doigts joints. Sur cette observation, on connait aisément le doigt qui fait la dissonnance, et qui par conséquent doit descendre pour la sauver.

Selon les différents accords consonnans ou dissonnans qui suivent un accord dissonnant, il faut faire descendre un doigt seul, ou deux, ou trois. A la suite d'un accord dissonnant, l'accord parfait qui le sauve se trouve aisément sous les doigts. Dans une suite d'accords dissonnans, quand un doigt seul descend, comme dans la cadence interrompue, c'est toujours celui qui a fait la dissonnance, c'est-à-dire l'inférieur des deux joints, ou le supérieur de tous, s'il sont arrangés par tierces. Faut-il faire descendre deux doigts, comme dans la cadence parfaite ? ajoutez à celui dont nous venons de parler, son voisin au-dessous, et s'il n'en a point, le supérieur de tous : ce sont les deux doigts qui doivent descendre. Faut-il en faire descendre trois, comme dans la cadence rompue ? conservez le fondamental sur sa touche, et faites descendre les trois autres.

La suite de toutes ces différentes successions bien étudiée, vous montre le jeu des doigts dans toutes les phrases possibles ; et comme c'est des cadences parfaites que se tire la succession la plus commune de toutes les phrases harmoniques, c'est aussi à celle-là qu'il faut s'exercer davantage ; on y trouvera toujours deux doigts marchant et s'y arrêtant alternativement ; si les deux doigts d'en-haut descendent sur un accord où les deux inférieurs restent en place, dans l'accord suivant les deux supérieurs restent et les deux inférieurs descendent à leur tour ; ou bien ce sont les deux doigts extrêmes qui font le même jeu avec les deux doigts moyens.

On peut trouver encore une succession d'harmonie ascendante, mais beaucoup moins commune que celles dont je viens de parler, moins prolongée, et dont les accords se remplissent rarement de tous leurs sons. Toutefais la marche des doigts aurait encore ici ses règles ; et en supposant un entrelacement de cadences irrégulières, on y trouverait toujours, ou les quatre doigts par tierce, ou deux doigts joints : dans le premier cas, ce serait aux deux inférieurs à monter, et ensuite les deux supérieurs alternativement ; dans le second, le supérieur des deux doigts joints doit monter conjointement avec celui qui est au-dessus de lui, et s'il n'y en a point, avec le plus bas de tous, etc.

On n'imagine pas jusqu'à quel point l'étude du doigter prise de cette manière, peut faciliter la pratique de l'accompagnement. Après un peu d'exercice, les doigts prennent insensiblement l'habitude de marcher tous seuls : ils préviennent l'esprit, et accompagnent machinalement avec une facilité qui a de quoi étonner. Mais il faut convenir que cette méthode n'est pas sans inconvénient ; car sans parler des octaves et des quintes de suite qu'on y rencontre à tout moment, il résulte de tout ce remplissage une harmonie brute et dure, dont l'oreille est étrangement choquée, surtout dans les accords par supposition.

Les maîtres enseignent d'autres manières de doigter, fondées sur les mêmes principes, sujettes, il est vrai, à plus d'exceptions, mais par lesquelles, retranchant des sons, on gêne moins la main par trop d'extension, l'on évite les octaves et les quintes de suite, et l'on rend une harmonie, sinon aussi bruyante, du moins plus pure et plus agréable. (S)