le, (Géographie) grand pays de la partie la plus orientale de l'Asie. C'est un composé de quantité d'iles, dont les trois principales sont celles de Niphon, de Saikokf, et de Sikokf ; ces trois îles sont entourées d'un nombre prodigieux d'autres îles ; les unes petites, pleines de rochers stériles, les autres grandes, riches et fertiles. Toutes ces îles et terres qui forment le Japon, ont été divisées l'an 590 de J. C. en sept principales contrées, qui sont partagées en quarante-huit provinces, et subdivisées en plusieurs moindres districts.

Le revenu de toutes les îles et provinces, qui appartiennent à l'empire du Japon, monte tous les ans à 3228 mants, et 6200 kokfs de riz ; car au Japon, tous les revenus sont reduits à ces deux mesures en riz ; un mants contient dix mille kokfs ; et un kokf trois mille balles ou sacs de riz.

Le temps est fort inconstant dans cette vaste contrée ; l'hiver est sujet à des froids rudes, et l'été à des chaleurs excessives. Il pleut beaucoup pendant le cours de l'année, et surtout dans les mois de Juin et de Juillet, mais sans cette régularité qu'on remarque dans les pays plus chauds des Indes orientales. Le tonnerre et les éclairs sont très-fréquents. La mer qui environne le Japon, est fort orageuse, et d'une navigation périlleuse, par le grand nombre de rochers, de bas fonds et d'écueils, qu'il y a au-dessus et au-dessous de l'eau.

Le terroir est en général montagneux, pierreux, et stérîle ; mais l'industrie et les travaux infatigables des habitants, qui d'ailleurs vivent avec une extrême frugalité, l'ont rendu fertile, et propre à se passer des pays voisins. Toute la nation se nourrit de riz, de légumes et de fruits, sobriété qui semble en elle une vertu plutôt qu'une superstition. L'eau douce ne manque pas, car il y a un grand nombre de lacs, de rivières, et de fontaines froides, chaudes et minérales ; les tremblements de terre n'y sont pas rares, et détruisent quelquefois des villes entières par leurs violentes et longues secousses.

La plus grande richesse du Japon consiste en toutes sortes de minéraux et de métaux, particulièrement en or, en argent, et en cuivre admirable. Il y a quantité de soufrières, entr'autres une île entière qui n'est que soufre. La province de Bungo produit de l'étain si fin et si blanc, qu'il vaut presque l'argent. On trouve ailleurs le fer en abondance ; d'autres provinces fournissent des pierres précieuses, jaspes, agathes, cornalines, des perles dans les huitres, et dans plusieurs autres coquillages de mer. L'ambre gris se recueille sur les côtes, et chacun peut l'y ramasser. Les coquillages de la mer, dont les habitants ne font aucun cas, ne cedent point en beauté à ceux d'Amboine et des îles Moluques. Le Japon possède aussi des drogues estimées, qui servent à la Teinture et à la Médecine. On n'y a point encore découvert l'antimoine, et le sel ammoniac ; le vif-argent et le borax y sont portés par les Chinois.

L'empire du Japon est situé entre le 31 et le 42d de latitude septentrionale. Les Jesuites, dans une carte corrigée sur leurs observations astronomiques, le placent entre le 157 et le 175d 30' de longitude. Il s'étend au nord-est, et à l'est-nord-est ; sa largeur est très-irrégulière, et étroite en comparaison de sa longueur, qui prise en droite ligne, et sans y comprendre toutes les côtes, a au moins 200 milles d'Allemagne. Il est comme le royaume de la Grande-Bretagne, haché et coupé, mais dans un plus haut degré, par des caps, des bras de mer, des anses et des baies. Il se trouve un bras de mer entre les côtes les plus septentrionales du Japon, et un continent voisin ; c'est un fait confirmé par les découvertes récentes des Russes ; Jedo est aujourd'hui la capitale de cet empire ; c'était autrefois Meaco, Voyez JEDO et MEACO.

Si le Japon exerce la curiosité des Géographes, il est encore plus digne des regards d'un philosophe. Nous fixerons ici les yeux du lecteur, sur le tableau intéressant qu'en a fait l'historien philosophe de nos jours. Il nous peint avec fidélité ce peuple étonnant, le seul de l'Asie qui n'a jamais été vaincu, qui parait invincible ; qui n'est point, comme tant d'autres, un mélange de différentes nations, mais qui semble aborigène ; et au cas qu'il descende d'anciens Tartares, 1200 ans avant J. C. suivant l'opinion du P. Couplet, toujours est-il sur qu'il ne tient rien des peuples voisins. Il a quelque chose de l'Angleterre, par la fierté insulaire qui leur est commune, et par le suicide qu'on croit si fréquent dans ces deux extrémités de notre hémisphère ; mais son gouvernement ne ressemble point à l'heureux gouvernement de la Grande-Bretagne ; il ne tient pas de celui des Germains, son système n'a pas été trouvé dans leurs bois.

Nous aurions dû connaître ce pays dès le XIIIe siècle, par le recit du célèbre Marco Paolo. Cet illustre vénitien avait voyagé par terre à la Chine ; et ayant servi longtemps sous un des fils de Gengis-Kan, il eut les premières notions de ces iles, que nous nommons Japon, et qu'il appelle Zipangri ; mais ses contemporains qui admettaient les fables les plus grossières, ne crurent point les vérités que Marc Paul annonçait : son manuscrit resta longtemps ignoré. Il tomba enfin entre les mains de Christophe Colomb, et ne servit pas peu à le confirmer dans son espérance, de trouver un monde nouveau, qui pouvait rejoindre l'orient et l'occident. Colomb ne se trompa que dans l'opinion, que le Japon touchait à l'hémisphère qu'il découvrit ; il en était si convaincu, qu'étant abordé à Hispaniola, il se crut dans le Zipangri de Marco Paolo.

Cependant, pendant qu'il ajoutait un nouveau monde à la monarchie d'éspagne, les Portugais de leur côté s'agrandissaient avec le même bonheur dans les Indes orientales. La découverte du Japon leur est dû., et ce fut l'effet d'un naufrage. En 1542, lorsque Martin Alphonse de Souza était viceroi des Indes orientales, trois portugais, Antoine de Mota, François Zeimoto, et Antoine Peixota, dont les noms méritaient de passer à la postérité, furent jetés par une tempête sur les côtes du Japon ; ils étaient à bord d'une jonque chargée de cuir, qui allait de Siam à la Chine : voilà l'origine de la première connaissance qui se répandit du Japon en Europe.

Le gouvernement du Japon a été pendant deux mille quatre cent ans assez semblable à celui du calife des Musulmants, et de Rome moderne. Les chefs de la religion ont été, chez les Japonais, les chefs de l'empire plus longtemps qu'en aucune autre nation du monde. La succession de leurs pontifes rais, et de leurs pontifes reines (car dans ce pays-là les femmes ne sont point exclues du trône pontifical) remonte 660 ans avant notre ere vulgaire.

Mais les princes séculiers s'étant rendus insensiblement indépendants et souverains dans les provinces, dont l'empereur ecclésiastique leur avait donné l'administration, la fortune disposa de tout l'empire en faveur d'un homme courageux, et d'une habileté consommée, qui d'une condition basse et servile, devint un des plus puissants monarques de l'univers ; on l'appela Taïco.

Il ne détruisit, en montant sur le trône, ni le nom, ni la race des pontifes, dont il envahit le pouvoir, mais depuis lors l'empereur ecclésiastique, nommé Dairi ou Dairo, ne fut plus qu'une idole révérée, avec l'apanage imposant d'une cour magnifique ; voyez DAIRO. Ce que les Turcs ont fait à Bagdad, ce que les Allemands ont voulu faire à Rome, Taïco l'a fait au Japon, et ses successeurs l'ont confirmé.

Ce fut sur la fin du XVe siècle, vers l'an 1583 de J. C. qu'arriva cette révolution. Taïco instruit de l'état de l'empire, et des vues ambitieuses des princes et des grands, qui avaient si longtemps pris les armes les uns contre les autres, trouva le secret de les abaisser et de les dompter. Ils sont aujourd'hui tellement dans la dépendance du Kubo, c'est-à-dire, de l'empereur séculier, qu'il peut les disgracier, les exiler, les dépouiller de leurs possessions, et les faire mourir quand il lui plait, sans en rendre compte à personne. Il ne leur est pas permis de demeurer plus de six mois dans leurs biens héréditaires ; il faut qu'ils passent les autres six mois dans la capitale, où l'on garde leurs femmes et leurs enfants pour gage de leur fidélité. Les plus grandes terres de la couronne sont gouvernées par des lieutenans, et par des receveurs ; tous les revenus de ces terres doivent être portés dans les coffres de l'empire ; il semble que quelques ministres qu'on a eus en Europe aient été instruits par le grand Taïco.

Ce prince, pour mettre ensuite son autorité à couvert de la fureur du peuple, qui sortait des guerres civiles, fit un nouveau corps de lais, si rigoureuses, qu'elles ne semblent pas être écrites, comme celles de Dracon, avec de l'encre, mais avec du sang. Elles ne parlent que de peines corporelles, ou de mort, sans espoir de pardon, ni de surséances pour toutes les contraventions faites aux ordonnances de l'empereur. Il est vrai, dit M. de Montesquieu, que le caractère étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, et qui brave tous les périls et tous les malheurs, semble à la première vue, absoudre ce législateur de l'atrocité de ses lois ; mais des gens, qui naturellement méprisent la mort, et qui s'ouvrent le ventre par la moindre fantaisie, sont-ils corrigés ou arrêtés par la vue des supplices, et ne peuvent-ils pas s'y familiariser ?

En même temps que l'empereur dont je parle tâchait, par des lois atroces, de pourvoir à la tranquillité de l'état, il ne changea rien aux diverses religions établies de temps immémorial, dans le pays, et laissa à tous ses sujets la liberté de penser comme ils voudraient sur cette matière.

Entre ces religions, celle qui est la plus étendue au Japon, admet des récompenses et des peines après la vie, et même celle de Sinto qui a tant de sectateurs, reconnait des lieux de délices pour les gens de bien, quoiqu'elle n'admette point de lieu de tourments pour les méchants ; mais ces deux sectes s'accordent dans la morale. Leur principaux commandements qu'ils appellent divins, sont les nôtres ; le mensonge, l'incontinence, le larcin, le meurtre, sont défendus ; c'est la loi naturelle réduite en préceptes positifs. Ils y ajoutent le précepte de la tempérance, qui défend jusqu'aux liqueurs fortes, de quelque nature qu'elles soient, et ils étendent la défense du meurtre jusqu'aux animaux ; Siaka qui leur donna cette loi, vivait environ mille ans avant notre ere vulgaire. Ils ne diffèrent donc de nous en morale, que dans le précepte d'épargner les bêtes, et cette différence n'est pas à leur honte. Il est vrai qu'ils ont beaucoup de fables dans leur religion, en quoi ils ressemblent à tous les peuples, et à nous en particulier, qui n'avons connu que des fables grossières avant le Christianisme.

La nature humaine a établi d'autres ressemblances entre ces peuples et nous. Ils ont la superstition des sortileges que nous avons eu si longtemps. On retrouve chez eux les pélerinages, les épreuves de feu, qui faisaient autrefois une partie de notre jurisprudence ; enfin ils placent leurs grands hommes dans le ciel, comme les Grecs et les Romains. Leur pontife (s'il est permis de parler ainsi) a seul, comme celui de Rome moderne, le droit de faire des apothéoses, et de consacrer des temples aux hommes qu'il en juge dignes. Ils ont aussi depuis très-longtemps des religieux, des hermites, des instituts même, qui ne sont pas fort éloignés de nos ordres guerriers ; car il y avait une ancienne société de solitaires, qui faisaient vœu de combattre pour la religion.

Le Japon était également partagé entre plusieurs sectes sous un pontife roi, comme il l'est sous un empereur séculier ; mais toutes les sectes se réunissaient dans les mêmes points de morale. Ceux qui croyaient la métempsycose et ceux qui n'y croyaient pas, s'abstenaient et s'abstiennent encore aujourd'hui de manger la chair des animaux qui rendent service à l'homme ; tous s'accordent à les laisser vivre, et à regarder leur meurtre comme une action d'ingratitude et de cruauté. La loi de Moyse tue et mange, n'est pas dans leurs principes, et vraisemblablement le Christianisme adopta ceux de ce peuple, quand il s'établit au Japon.

La doctrine de Confucius a fait beaucoup de progrès dans cet empire ; comme elle se réduit toute à la simple morale, elle a charmé tous les esprits de ceux qui ne sont pas attachés aux bonzes, et c'est toujours la saine partie de la na tion. On croit que le progrès de cette philosophie, n'a pas peu contribué à ruiner la puissance du Dairi : l'empereur qui régnait en 1700, n'avait pas d'autre religion.

Il semble qu'on abuse plus au Japon qu'à la Chine de cette doctrine de Confucius. Les philosophes japonais regardent l'homicide de soi-même, comme une action vertueuse, quand elle ne blesse pas la société ; le naturel fier et violent de ces insulaires met souvent cette théorie en pratique, et rend l'homicide beaucoup plus commun encore au Japon, qu'il ne l'est en Angleterre.

La liberté de conscience ayant toujours été accordée dans cet empire, ainsi que dans presque tout le reste de l'Orient, plusieurs religions étrangères s'étaient paisiblement introduites au Japon. Dieu permettait ainsi que la voie fut ouverte à l'évangîle dans ces vastes contrées ; personne n'ignore qu'il fit des progrès prodigieux sur la fin du seizième siècle, dans la moitié de cet empire. La célèbre ambassade de trois princes chrétiens Japonais au pape Grégoire XIII, est, ce me semble, l'hommage le plus flatteur que le saint-siege ait jamais reçu. Tout ce grand pays, où il faut aujourd'hui abjurer l'évangile, et dont aucun sujet ne peut sortir, a été sur le point d'être un royaume chrétien, et peut-être un royaume portugais. Nos prêtres y étaient honorés plus que parmi nous ; à présent leur tête y est à prix, et ce prix même y est fort considérable : il est d'environ douze mille livres.

L'indiscrétion d'un prêtre portugais, qui refusa de céder le pas à un des officiers de l'empereur, fut la première cause de cette révolution. La seconde, fut l'obstination de quelques jésuites, qui soutinrent trop leurs droits, en ne voulant pas rendre une maison qu'un seigneur japonais leur avait donnée, et que le fils de ce seigneur leur redemandait. La troisième, fut la crainte d'être subjugués par les chrétiens. Les bonzes appréhendèrent d'être dépouillés de leurs anciennes possessions, et l'empereur enfin craignit pour l'état. Les Espagnols s'étaient rendus maîtres des Philippines voisines du Japon ; on savait ce qu'ils avaient fait en Amérique, il n'est pas étonnant que les Japonais fussent alarmés.

L'empereur séculier du Japon proscrivit donc la religion chrétienne en 1586 ; l'exercice en fut défendu à ses sujets sous peine de mort ; mais comme on permettait toujours le commerce aux Portugais et aux Espagnols, leurs missionnaires faisaient dans le peuple autant de prosélytes, qu'on en condamnait au supplice. Le monarque défendit à tous les habitants d'introduire aucun prêtre chrétien dans le pays ; malgré cette défense, le gouverneur des îles Philippines fit passer des Cordeliers en ambassade à l'empereur du Japon. Ces ambassadeurs commencèrent par bâtir une chapelle publique dans la ville capitale ; ils furent chassés, et la persécution redoubla. Il y eut longtemps des alternatives de cruautés et d'indulgences. Enfin arriva la fameuse rébellion des chrétiens, qui se retirèrent en force et en armes en 1637, dans une ville de l'empire ; alors ils furent poursuivis, attaqués, et massacrés au nombre de trente-sept mille l'année suivante 1638, sous le règne de l'impératrice Mikaddo. Ce massacre affreux étouffa la révolte, et abolit entièrement au Japon la religion chrétienne, qui avait commencé de s'y introduire dès l'an 1549.

Si les Portugais et les Espagnols s'étaient contentés de la tolérance dont ils jouissaient, ils auraient été aussi paisibles dans cet empire, que les douze sectes établies à Méaco, et qui composaient ensemble dans cette seule ville, au-delà de quatre cent mille ames.

Jamais commerce ne fut plus avantageux aux Portugais que celui du Japon. Il parait assez, par les soins qu'ont les Hollandais de se le conserver, à l'exclusion des autres peuples, que ce commerce produisait, surtout dans les commencements, des profits immenses. Les Portugais y achetaient le meilleur thé de l'Asie, les plus belles porcelaines, ces bois peints, laqués, vernissés, comme paravents, tables, coffres, boètes, cabarets, et autres semblables, dont notre luxe s'appauvrit tous les jours ; de l'ambre gris, du cuivre d'une espèce supérieure au nôtre ; enfin l'argent et l'or, objet principal de toutes les entreprises de négoce.

Le Japon, aussi peuplé que la Chine à proportion, et non moins industrieux, tandis que la nation y est plus fière et plus brave, possède presque tout ce que nous avons, et presque tout ce qui nous manque. Les peuples de l'Orient étaient autrefois bien supérieurs à nos peuples occidentaux, dans tous les arts de l'esprit et de la main. Mais que nous avons regagné le temps perdu, ajoute M. de Voltaire ! les pays où le Bramante et Michel Ange ont bâti Saint Pierre de Rome, où Raphaël a peint, où Newton a calculé l'infini, où Leibnitz partagea cette gloire, où Huygens appliqua la cycloïde aux pendules à secondes, où Jean de Bruges trouva la peinture à l'huile, où Cinna et Athalie ont été écrits ; ces pays, dis-je, sont devenus les premiers pays de la terre. Les peuples orientaux ne sont à présent dans les beaux arts, que des barbares, ou des enfants, malgré leur antiquité, et tout ce que la nature a fait pour eux. (D.J.)