(Géographie) Islandia, grande île de l'océan septentrional, située entre la Norvège et le Groenland, au nord de l'Ecosse, et appartenante au roi de Danemarck. La plupart des auteurs qui ont parlé de l'Islande, nous en ont donné des notions très-peu exactes : suivant la dernière carte qui a été levée de cette île par les ordres du roi de Danemarck, sa partie méridionale commence au 63 degré 15 minutes de latitude, et sa partie la plus septentrionale Ve jusqu'au 67 degré 12 minutes. Quant à sa longitude, elle est de 25 degrés à l'ouest du méridien de Lunden en Scanie ; par conséquent elle est plus orientale de quatre degrés, que toutes les cartes ne l'avaient placée jusqu'ici.

L'Islande est, à l'exception de la Grande-Bretagne, la plus grande des îles de l'Europe. Suivant M. Horrebow, sa longueur est de 120 mille danois ; quant à sa largeur elle varie, étant dans quelques endroits de 40, dans d'autres de 50 à 60 milles.

Les habitants de l'Islande professent la religion luthérienne, comme les autres sujets du roi de Danemarck ; on compte deux évêchés dans cette île ; l'un est à Holum, et l'autre à Skalholt. Il n'y a proprement point de villes en Islande ; on donne ce nom aux endroits où l'on se rassemble pour le commerce : ce sont des villages sur le bord de la mer, composés de 40 ou 50 maisons. Bessested est le lieu où résident les officiers que la cour de Danemarck envoye pour le gouvernement de l'ile, et pour la perception de ses revenus ; le pays est partagé en différents districts que l'on appelle Syssel. Les habitations des Islandais sont éparses et séparées les unes des autres ; le commerce consiste en poissons secs, en viandes salées, en suif, en laine, en beurre, en peaux de brebis et de renards de differentes couleurs, en plumes, en aigledon, etc. C'est une compagnie privilégiée qui porte en Islande les marchandises dont on peut y avoir besoin.

L'Islande est remplie de montagnes fort élevées, qu'on nomme Joeklar ou Joekul en langage du pays. Voyez l'article GLACIER. Elles sont perpétuellement couvertes de neiges, et leurs sommets sont glacés ; c'est ce qui, joint au froid rigoureux qu'on y sent, a fait donner à cette île le nom qu'elle porte, qui signifie pays de glace. Quelques-unes de ces montagnes sont des volcans, et jettent des flammes en de certains temps ; le mont Hecla est surtout fameux par ses éruptions. Voyez HECLA. (Géographie) L'Islande porte par-tout des marques indubitables des ravages que les éruptions des volcans y ont causés, par les laves, les pierres-ponces, les cendres et le soufre que l'on y rencontre à chaque pas. Les tremblements de terre y sont très-fréquents, et tout semble annoncer que ce pays a souffert de terribles révolutions.

Un seigneur Norwégien nommé Ingolfe, s'étant mis à la tête de plusieurs de ses compatriotes, mécontens comme lui de la tyrannie de Harald roi de Norwège, passa en l'an 874 dans l'île d'Islande, et s'y établit avec sa colonie composée de fugitifs. Leur exemple fut bien-tôt suivi par un grand nombre d'autres Norwégiens, et depuis ce temps les Islandais ont conservé une histoire très-complete de leur ile. Nous voyons que ces fugitifs y établirent une république qui se soutint vigoureusement contre les efforts de Harald et de ses successeurs ; elle ne fut soumise au royaume de Norwège, que quatre cent ans après, avec lequel l'Islande fut enfin réunie à la couronne de Danemarck.

On a toujours cru que l'Islande était l'ultima Thule des Romains ; mais un grand nombre de circonstances semblent prouver que jamais les anciens n'ont poussé leur navigation si loin dans le Nord.

L'Islande n'a reçu que fort tard la lumière de l'Evangîle ; Jonas fixe cette époque à l'an 1000. de l'ére chrétienne. Cette île a produit plusieurs auteurs célèbres, dont les écrits ont jeté un très-grand jour sur l'histoire des peuples du Nord, et sur la religion des anciens Celtes qui habitaient la Scandinavie. De ce nombre sont Saemund Sigfusson, qui naquit en 1057 ; Arc Frode, Snorro Sturleson, qui naquit en 1179, et qui après avoir rempli deux fois la dignité de juge suprême d'Islande, fut assassiné par une faction en 1241. C'est à lui qu'on est redevable de l'Edda, ou de la mythologie islandaise, dont nous allons parler. Parmi les historiens on compte aussi Jonas Arngrim, Torfaeus, etc. La description qui nous a été donnée de l'Islande par M. Anderson, est très-peu fidèle, elle n'a été faite, de l'aveu de l'auteur même, que sur les relations de personnes qui ne connaissaient ce pays que très-imparfaitement ; la description la plus moderne et la plus exacte, est celle qui a été publiée à Copenhague en 1752, par M. Horrebow islandais de nation, et témoin oculaire de tout ce qu'il rapporte. (-)

De l'Edda, ou de la Mythologie des Islandais. L'Edda, est un livre qui renferme la Théologie, la Théogonie, et la Cosmologie des anciens Celtes Scandinaves, c'est-à-dire des peuples qui habitaient la Norvège, la Suède, le Danemarck, etc. Le mot d'Edda, signifie en langue gothique ayeule ; on l'appelle Edda des Islandais, parce que ce sont des auteurs islandais qui nous ont conservé ce morceau curieux de la Mythologie commune à toutes les nations septentrionales de l'Europe. Dès l'antiquité la plus reculée, les Celtes ont connu la Poésie ; leurs poètes, qui s'appelaient Scaldes, faisaient des hymnes pour célébrer les dieux et les héros ; ces hymnes s'apprenaient par cœur ; c'était-là la seule manière de transmettre à leur postérité les exploits de leurs ayeux et les dogmes de leur religion ; il n'était point permis de les écrire ; ce ne fut qu'après que l'Islande eut embrassé le Christianisme, qu'un auteur islandais, nommé Saemund Sigfusson, écrivit l'Edda, pour conserver parmi ses compatriotes l'intelligence d'un grand nombre de poésies qui avaient été faites d'après une religion qu'ils venaient d'abandonner, mais dont les hymnes étaient encore dans la bouche de tout le monde. Il parait que ce recueil de Saemund s'est perdu ; il ne nous en reste que trois morceaux qui sont parvenus jusqu'à nous. 120 ans après Saemund, un savant islandais, nommé Snorro Sturleson, d'une des familles les plus illustres de son pays, dont il remplit deux fois la première magistrature, donna une nouvelle Edda, moins étendue que la première ; dans laquelle il ne fit qu'extraire ce qu'il y avait de plus important dans la Mythologie ancienne ; il en forma un système abrégé, où l'on put trouver toutes les fables propres à expliquer les expressions figurées, rapportées dans les poésies de son pays. Il donna à son ouvrage la forme d'un dialogue ou entretien d'un roi de Suède à la cour des dieux. Les principaux dogmes de la Théologie des Celtes, y sont exposés, non d'après leurs philosophes, mais d'après leurs scaldes ou poètes ; ce livre fait connaître les dieux que tout le Nord a adorés avant le Christianisme.

M. J. P. Resenius publia en 1665 à Copenhague, le texte de l'Edda en ancien islandais ; il y joignit une traduction latine et une autre traduction danoise. Enfin, M. Mallet, professeur des Belles-Lettres françaises à Copenhague, a publié en 1756, une traduction française de l'Edda des Islandais ; c'est un des monuments les plus curieux de l'antiquité ; il est dépouillé d'inutilités, et rédigé par un homme judicieux, savant, et philosophe ; l'Edda est à la suite de son introduction à l'histoire de Danemarck. Nous allons tirer de cet ouvrage intéressant les principaux points de la Mythologie des anciens Scandinaves.

Ils admettaient un dieu nommé Alfader ou Odin, qui vit toujours, qui gouverne tout son royaume, et les grandes choses comme les petites ; il a créé le ciel et la terre ; il a fait les hommes, et leur a donné une âme qui doit vivre et qui ne se perdra jamais, même après que le corps se sera réduit en poussière et en cendres. Tous les hommes justes doivent habiter avec ce dieu, d'abord dans un séjour appelé valhalla, et ensuite dans un lieu nommé gimle ou vingolf, palais d'amitié ; mais les méchants iront vers nela, la mort ; et de-là à niflheim, l'enfer, en-bas dans le neuvième monde ; et ensuite après la destruction de l'univers dans un séjour appelé nastrand. Ce dieu avant que de former le ciel et la terre vivait avec les géants ; un poème ancien des peuples du Nord, appelé voluspa, dit de lui " au commencement du temps, lorsqu'il n'y avait rien, ni rivage, ni mer, ni fondement au-dessous, on ne voyait point de terre en-bas, ni de ciel en haut ; un vaste abyme était tout ; on ne voyait de verdure nulle part ". Dieu créa niflheim, ou le séjour des scélérats, avant que de créer la terre. Au milieu de ce séjour funeste est une fontaine qui se nomme Huergelmar, d'où découlent les fleuves appelés l'angoisse, l'ennemi de la joie, le séjour de la mort, la perdition, le gouffre, la tempête, le tourbillon, le rugissement, le hurlement, le vaste et le bruyant, qui coule près des grilles du séjour de la mort, qui s'appelait Hela. Cette Hela avait le gouvernement de neuf mondes, pour qu'elle y distribue des logements à ceux qui lui sont envoyés, c'est-à-dire à tous ceux qui meurent de maladie ou de vieillesse ; elle possède dans l'enfer de vastes appartements, défendus par des grilles ; sa salle est la douleur ; sa table est la famine ; son couteau la faim ; son valet le retard ; sa servante la lenteur ; sa porte le précipice ; son vestibule la langueur ; son lit la maigreur et la maladie ; sa tente la malédiction : la moitié de son corps est bleue, l'autre moitié est revêtue de la peau et de la couleur humaine ; elle a un regard effrayant : mais avant toutes choses existait un lieu nommé muspelheim ; c'est un monde lumineux, ardent, inhabitable aux étrangers, situé à l'extrémité de la terre ; Surtur le noir y tient son empire ; dans ses mains brille une épée flamboyante ; il viendra à la fin du monde ; il vaincra tous les dieux, et livrera l'univers en proie aux flammes.

Ces morceaux tirés de l'Edda, font connaître quelle était l'imagination de ces anciens Celtes, et leurs idées sur la formation du monde et sur sa destruction, qui devait entraîner les dieux et les hommes. On voit aussi que leurs dogmes tendaient à exciter le courage, puisqu'ils assignaient des places aux enfers pour ceux qui mouraient de vieillesse et de maladie ; quant à ceux qui périssaient dans les combats, ils allaient au sortir de ce monde dans un séjour nommé valhalla, ou le palais d'Odin, où ils passaient leur temps en festins et en batailles. Voyez ODIN, et voyez VALHALLA.

Suivant cette mythologie, il y avait trois grands dieux ; Odin, qui s'appelait le père des dieux et des hommes, et de toutes les choses produites par sa vertu ; Frigga, la terre, était sa fille et sa femme, et il a eu d'elle le dieu Thor ; c'étaient-là les trois grandes divinités des peuples du Nord. Ils reconnaissaient outre cela plusieurs autres dieux subalternes ; Balder était le second fils d'Odin ; on croit que c'est Belenus ou le Soleil. Niord était le Neptune des Scandinaves ; il eut un fils et une fille nommés Frey et Freya ; le premier était le dieu qui présidait aux saisons ; Freya était la déesse de l'Amour ou la Vénus des Celtes. Tyr, était le dieu de la guerre, très-révéré par des peuples chez qui la valeur était la plus haute des vertus. Heimdall était un dieu puissant ; on l'appelait le gardien des dieux ; il défendait le pont de Bifrost, c'est-à-dire, l'arc-en-ciel, pour empêcher les géants d'y passer pour aller attaquer les dieux dans le ciel. Le dieu Haeder était aveugle, mais extrêmement fort ; Vidar était un dieu puissant ; Vali ou Vîle était fils d'Odin et de Rinda ; Uller était le gendre de Thor ; Forsete était fils de Balder ; c'était le dieu de la réconciliation, et il assoupissait toutes les querelles.

Quelques-uns mettent Loke au rang des dieux ; mais il était fils d'un géant, et l'Edda l'appelle le calomniateur des dieux, l'artisan des tromperies, et l'opprobre des dieux et des hommes ; il parait que les Scandinaves voulaient designer sous ce nom le diable ou le mauvais principe.

Les déesses dont il est fait mention dans l'Edda, sont Frigga, femme d'Odin, c'est la terre ; Saga Eira, déesse de la Médecine ; Gésione, déesse de la Chasteté ; Fylla, compagne et confidente de Frigga ; Freya, la déesse de l'Amour, à qui on donnait aussi le nom de Vanadis, déesse de l'Espérance ; Siona, la déesse qui enflamme les amants les uns pour les autres ; Lovna réconcilie les amants brouillés ; Vara préside aux serments et aux promesses des amants ; Vora déesse de la Prudence ; Synia est la gardienne de la porte du palais des dieux ; Lyna, délivre des dangers ; Snotra est la déesse de la Science ; Gna est la ménagère de Frigga ; Sol et Bil, étaient encore des déesses. Il y avait outre cela les déesses nommées Valkyries : elles choisissaient ceux qui devaient avoir la gloire d'être tués dans les combats ; enfin, Jord et Rinda, sont aussi mises au rang des déesses. Outre ces déesses, chaque homme a une divinité qui détermine la durée et les événements de sa vie. Les trois principales sont Urd, le passé ; Werandi, le présent ; et Sculde, l'avenir.

Tous ces dieux et ces déesses passaient leur temps dans le séjour céleste à boire de l'hydromel, et à voir les combats des héros admis avec eux dans le Valhalla ; souvent ils allaient eux-mêmes chercher des aventures, dont quelquefois ils se tiraient très-mal ; ils combattaient des géants, des génies, des magiciens, et d'autres êtres imaginaires, dont cette mythologie est remplie.

L'Edda parle ensuite d'un temps appelé ragnarokur, ou le crépuscule des dieux : ce temps est annoncé par un froid rigoureux et par trois hivers affreux ; le monde entier sera en guerre et en discorde ; les frères s'égorgeront les uns les autres, le fils s'armera contre son père, et les malheurs se succéderont jusqu'à la chute du monde. Un loup monstrueux nommé Fenris, dévorera le soleil ; un autre monstre emportera la lune ; les étoiles disparaitront ; la terre et les montagnes seront violemment ébranlées ; les géants et les monstres déclarent la guerre aux dieux réunis ; et Odin lui-même finit par être dévoré. Alors le monde sera embrasé, et fera place à un séjour heureux appelé Gimle, le ciel, où il y aura un palais d'or pur : c'est-là que seront ceux d'entre les dieux qui auront survécu à la ruine du monde, et qu'habiteront les hommes bons et justes : pour les mécans, ils iront dans le Nastrande, bâtiment vaste, construit de cadavres de serpens, où coule un fleuve empoisonné, sur lequel flotteront les parjures et les meurtriers. D'où l'on voit que ces peuples distinguaient deux cieux, le Valhalla et le Gimle ; et deux enfers, Niflheim et Nastrande.

Les idées de ces peuples sur la formation de la terre et la création de l'homme, n'étaient pas moins singulières que le reste de leur doctrine. Voici comme en parlent leurs poètes : " dans l'aurore des siècles, il n'y avait ni mer, ni rivage, ni zéphirs rafraichissants ; tout n'était qu'un vaste abîme sans herbes et sans semences. Le soleil n'avait point de palais ; les étoiles ne connaissaient point leurs demeures ; la lune ignorait son pouvoir ; alors il y avait un monde lumineux et enflammé du côté du midi ; de ce monde des torrents de feux étincelans s'écoulaient sans-cesse dans l'abîme qui était au septentrion, en s'éloignant de leur source, ces torrents se congelaient dans l'abîme, et le remplissaient de scories et de glaces. Ainsi l'abîme se combla ; mais il y restait au-dedans un air léger et immobile, et des vapeurs glacées s'en exhalaient ; alors un souffle de chaleur étant venu du midi, fondit ces vapeurs, et en forma des gouttes vivantes, d'où naquit le géant Ymer ". De la sueur de ce géant il naquit un mâle et une femelle, d'où sortit une race de géants mécans, ainsi que leur auteur Ymer. Il naquit aussi une autre race meilleure qui s'allia avec celle d'Ymer : cette race s'appela la famille de Bor, du nom du premier de cette famille, qui fut père d'Odin. Les descendants de Bor tuèrent le géant Ymer, et exterminèrent toute sa race, à l'exception d'un de ses fils et de sa famille, qui échappa à leur vengeance ; les enfants de Bor formèrent un nouveau monde du corps du géant Ymer ; son sang forma la mer et les fleuves ; sa chair fit la terre ; ses os firent les montagnes ; ses dents firent les rochers ; ils firent de son crâne la voute du ciel ; elle était soutenue par quatre nains nommés Sud, Nord, Est, et Ouest, ils y placèrent des flambeaux pour éclairer cette voute ; ils firent la terre ronde, et la ceignirent de l'Océan, sur les rivages duquel ils placèrent des géans. Les fils de Bor se promenant un jour sur les bords de la mer, trouvèrent deux morceaux de bois flottants, dont ils formèrent l'homme et la femme ; l'ainé des fils de Bor leur donna l'âme et la vie, le second, le mouvement et la science, le troisième, la parole, l'ouie, la vue, la beauté, et des vêtements. Cet homme fut nommé Askus, et sa femme Embla, tous les hommes qui habitent la terre en sont descendus.

La seconde partie de l'Edda, ou de la Mythologie islandaise, est remplie d'aventures merveilleuses, et de combats des dieux avec les géans. Ces détails sont suivis d'une espèce de dictionnaire poétique, dans lequel les noms des dieux sont mis avec toutes les épithetes qu'on leur donnait ; Snorro Sturleson l'avait compilé pour l'usage des Islandais, qui se destinaient à la profession de scaldes ou de poètes.

A l'égard des morceaux contenus dans l'Edda de Saemund Sigfusson, qui sont parvenus jusqu'à nous ; la première de ces pièces est un poème appelé voluspa, c'est-à-dire l'oracle de Vola ; c'est un poème de quelques centaines de vers qui contient le système de Mythologie qu'on a Ve dans l'Edda des Islandais. Cet ouvrage est rempli de désordre et d'enthousiasme ; on y décrit les ouvrages des dieux, leurs fonctions, leurs exploits, le dépérissement de l'univers, son embrasement total, et son renouvellement, l'état heureux des bons, et les supplices des mécans.

Le second morceau est nommé havamal, ou discours sublime ; c'est la morale d'Odin qui l'avait, dit-on, apportée de la Scythie sa patrie, lorsqu'il vint faire la conquête des pays du Nord ; on croit que sa religion était celle des Scythes, et que sa philosophie était la même que celle de Zamolxis, de Dicenaeus, et d'Anacharsis. Nous allons en rapporter les maximes les plus remarquables.

" L'hôte qui vient chez vous a-t-il les genoux froids, donnez-lui du feu : celui qui a parcouru les montagnes a besoin de nourriture et de vêtements bien séchés.

Heureux celui qui s'attire la louange et la bienveillance des hommes ; car tout ce qui dépend de la volonté des autres, est hasardeux et incertain.

Il n'y a point d'ami plus sur en voyage qu'une grande prudence ; il n'y a point de provision plus agréable. Dans un lieu inconnu, la prudence vaut mieux que les trésors ; c'est elle qui nourrit le pauvre.

Il n'y a rien de plus inutîle aux fils du siècle, que de trop boire de bière ; plus un homme bait, plus il perd de raison. L'oiseau de l'oubli chante devant ceux qui s'enyvrent, et dérobe leur âme.

L'homme dépourvu de sens, croit qu'il vivra toujours s'il évite la guerre ; mais si les lances l'épargnent, la vieillesse ne lui fera point de quartier.

L'homme gourmand mange sa propre mort ; et l'avidité de l'insensé est la risée du sage.

Aimez vos amis, et ceux de vos amis ; mais ne favorisez pas l'ennemi de vos amis.

Quand j'étais jeune, j'étais seul dans le monde ; il me semblait que j'étais devenu riche quand j'avais trouvé un compagnon ; un homme fait plaisir à un autre homme.

Qu'un homme soit sage moderément, et qu'il n'ait pas plus de prudence qu'il ne faut ; qu'il ne cherche point à savoir sa destinée, s'il veut dormir tranquille.

Levez-vous matin si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi : le loup qui est couché ne gagne point de proie, ni l'homme qui dort de victoires.

On m'invite à des festins lorsque je n'ai besoin que d'un déjeuner ; mon fidèle ami est celui qui me donne un pain quand il n'en a que deux.

Il vaut mieux vivre bien, que longtemps ; quand un homme allume son feu, la mort est chez lui avant qu'il soit éteint.

Il vaut mieux avoir un fils tard que jamais : rarement voit-on des pierres sépulcrales élevées sur les tombeaux des morts par d'autres mains que celles de leurs fils.

Les richesses passent comme un clin d'oeil ; ce sont les plus inconstantes des amies. Les troupeaux périssent, les parents meurent ; les amis ne sont point immortels, vous mourrez vous-même : Je connais une seule chose qui ne meurt point, c'est le jugement qu'on porte des morts.

Louez la beauté du jour, quand il est fini ; une femme, quand vous l'aurez connue ; une épée, quand vous l'aurez essayée ; une fille, quand elle sera mariée ; la glace, quand vous l'aurez traversée ; la bière, quand vous l'aurez bue.

Ne vous fiez pas aux paroles d'une fille, ni à celles que dit une femme ; car leurs cœurs ont été faits tels que la roue qui tourne ; la légèreté a été mise dans leurs cœurs. Ne vous fiez ni à la glace d'un jour, ni à un serpent endormi, ni aux caresses de celles que vous devez épouser, ni à une épée rompue, ni au fils d'un homme puissant, ni à un champ nouvellement semé.

La paix entre des femmes malignes est comme de vouloir faire marcher sur la glace un cheval qui ne serait pas ferré, ou comme de se servir d'un cheval de deux ans, ou comme d'être dans une tempête avec un vaisseau sans gouvernail.

Il n'y a point de maladie plus cruelle, que de n'être pas content de son sort.

Ne découvrez jamais vos chagrins au méchant, car vous n'en recevrez aucun soulagement.

Si vous avez un ami, visitez-le souvent ; le chemin se remplit d'herbes, et les arbres le couvrent bien-tôt, si l'on n'y passe sans-cesse.

Ne rompez jamais le premier avec votre ami ; la douleur ronge le cœur de celui qui n'a que lui-même à consulter.

Il n'y a point d'homme vertueux qui n'ait quelque vice, ni de méchant quelque vertu.

Ne vous moquez point du vieillard, ni de votre ayeul décrépit, il sort souvent des rides de la peau des paroles pleines de sens.

Le feu chasse les maladies ; le chêne la strangurie ; la paille détruit les enchantements ; les runes détruisent les imprécations ; la terre absorbe les inondations ; la mort éteint les haines ".

Telles étaient les maximes de la théologie et de la morale de ces peuples du Nord. On voit que l'une et l'autre était adaptée au génie d'un peuple belliqueux, dont la guerre faisait les délices : il n'est donc pas surprenant qu'une nation nourrie dans ces principes, se soit rendue redoutable à toute la terre, et ait fait trembler les Romains mêmes, ces vainqueurs et ces tyrants du reste de l'univers. La crainte de l'opprobre dans ce monde, et des supplices réservés dans l'autre à ceux qui périssaient d'une mort naturelle : la vue de la gloire et du bonheur destinés à ceux qui mouraient dans les combats, devaient nécessairement exciter chez les Scandinaves, un courage à qui rien ne pouvait résister. Un roi de Danemarck établit à Jomsbourg une république propre à former des soldats ; il y était défendu de prononcer le nom de la peur, même dans les plus grands dangers. Ce législateur réussit en effet à détruire dans les soldats le sentiment de la crainte. En effet, les Jomsbourgeois ayant fait une irruption en Norvège, furent vaincus, malgré leur opiniâtreté : leurs chefs ayant été faits prisonniers furent condamnés à la mort. Cette nouvelle loin de les alarmer, fut pour eux un sujet de joie ; et personne ne donna le moindre signe d'effroi. L'un deux dit à celui qui allait le tuer, de le frapper au visage : je me tiendrai immobile, et tu observeras si je donne quelque signe de frayeur. Un roi des Goths mourut en chantant une hymne sur le champ de bataille, et s'écria à la fin d'une strophe, les heures de ma vie se sont envolées, je mourrai en riant. Un auteur de ce pays, parlant d'un combat singulier, dit que l'un des combattants tomba, rit, et mourut. Le roi Regner Lodbrog, prêt à mourir de ses blessures s'écrie, nous nous sommes détruits à coups d'épées ; mais je suis plein de joie en pensant que le festin se prépare dans le palais d'ODIN. Nous boirons de la bière dans les crânes de nos ennemis : un homme brave ne redoute point la mort ; je ne prononcerai point des paroles d'effroi en entrant dans la salle d'ODIN. Enfin, l'histoire de ces peuples est remplie de traits qui prouvent le mépris de la vie et une joie sincère aux approches de la mort ; au contraire ils se lamentaient dans les maladies, par la crainte d'une fin honteuse et misérable ; et souvent les malades se faisaient porter dans la mêlée pour y mourir d'une façon plus glorieuse, et les armes à la main.

Il n'est point surprenant que la religion d'une nation si intrépide fût barbare et sanguinaire. L'histoire nous apprend que les peuples du Danemarck s'assemblaient tous les neuf ans au mois de Janvier en Sélande dans un endroit appelé Lethra : là ils immolaient aux dieux 99 hommes, et autant de chevaux, de chiens, et de coqs. Les prêtres de ces dieux inhumains, issus d'une famille qu'on appelait la race de Bor, étaient chargés d'immoler les victimes. Dans un temps de calamité les Suédais sacrifièrent un de leurs rais, comme le plus haut prix dont ils pussent racheter la faveur du ciel.

Ces peuples avaient leurs oracles, leurs devins, et leurs magiciens, qu'ils consultaient dans de certaines occasions. Odin était regardé comme le père de la Magie et l'inventeur des caractères runiques. Voyez RUNIQUES.

Chez un peuple si intrépide le gouvernement absolu était ignoré, l'on y était fortement attaché à la liberté qui a toujours été le partage des pays du Nord, tandis que l'asservissement a été celui des peuples énervés du Midi. Les nations du Nord avaient des lois dont plusieurs sont parvenues jusqu'à nous ; elles étaient très-sévères contre ceux qui fuyaient dans les combats ; ils étaient déclarés infâmes, exclus de la société, et même étouffés dans un bourbier.

Leurs idées de la justice étaient conformes aux maximes que l'on a vues, et ils croyaient que les dieux se rangent du côté des plus forts. Une de leurs lois portait, on décidera par le fer les démêlés, car il est plus beau de se servir de son bras que d'invectives dans les différends. Fondés sur cette maxime, ils se battaient dans toutes les occasions où nous plaidons actuellement : il parait que c'est de ces peuples qu'est venu l'usage du combat judiciaire. C'était aussi d'après ces principes, qu'ils allaient faire des incursions et des pirateries chez tous leurs voisins : à la faveur de ces irruptions ils ont conquis plusieurs royaumes, et pillé un grand nombre de provinces. La piraterie était une ressource nécessaire à des hommes qui avaient un profond mépris pour les Arts et pour l'Agriculture.

Les peuples du Nord, malgré leur ardeur guerrière et la rigueur de leur climat, n'étaient point insensibles à l'amour ; ils avaient une très-grande vénération pour les femmes ; ils ne se mariaient que tard, parce qu'ils ne voulaient épouser leurs maîtresses qu'après les avoir méritées. Une beauté norwégienne refusa de partager le lit d'un monarque, avant qu'il eut terminé une expédition périlleuse qu'il avait commencée.

Le roi Regner Lodbrog essuya de semblables refus d'une simple bergère à qui il avait présenté ses vœux et sa couronne. Aslanga, c'était le nom de la bergère, ne se rendit à ses désirs, qu'après qu'il fut revenu victorieux de son entreprise. Les femmes de ces guerriers méritaient bien d'être acquises à un très-haut prix ; elles excitaient les hommes aux grandes choses, et elles étaient renommées par leur chasteté et leur fidélité. Suivant Tacite, chez elles on ne riait point des vices, et l'on ne se justifiait point de ses intrigues amoureuses, sous prétexte de la mode. Voyez l'Introduction à l'histoire de Danemarck, par M. Mallet. (-)