S. f. terme de Géographie. Les grands états sont ordinairement divisés par leurs souverains en différentes sortes de gouvernements politiques, pour les armes, pour la justice, pour les finances, et pour l'assemblage des états ; et on appelle province l'étendue de chacun de ces gouvernements.

L'origine du nom de province vient des Romains, qui donnaient le nom de province aux gouvernements qu'ils établissaient dans les pays conquis par les armes, comme qui dirait pays vaincu ou pays conquis ; et quoique les gouvernements dans lesquels l'on divise présentement les états souverains ne soient pas dans ce cas, on n'a pas laissé de les appeler provinces. Introduct. à la Géograph. par Samson.

PROVINCE, s. f. (Histoire romaine) Par provinces, les Romains entendaient une certaine étendue de pays conquis et tributaire, tels que la Sicile, la Sardaigne, l'île de Corse, l'Afrique, l'île de Crète, la Cyrénaïque, la Numidie, la Mauritanie, les Espagnes, les Gaules, l'Illyrie, la Macédoine, l'Achaïe, l'Asie mineure, la Cilicie, la Syrie, la Bithynie, le Pont, l'île de Cypre, en un mot tous les pays hors de l'Italie conquis par leurs armes. Provincia, dit Festus, propriè dicitur regio quam populus romanus provicit, id est antè vicit. Ces provinces étaient sujettes aux magistrats qu'on y envoyait ; et les peuples n'avaient pas toujours la consolation d'être jugés suivant les formalités usitées entre citoyens.

I. Chaque année des magistrats annuels partaient de Rome pour les gouverner avec un pouvoir absolu, tant pour le civil que pour le criminel : c'étaient des consuls, des proconsuls, des préteurs, des propréteurs ; d'où vient qu'on distingue les provinces consulaires de celles des autres magistrats.

II. Ces provinces se tiraient au sort, ou le sénat nommait celui qui y devait commander. Ces magistrats trainaient à leur suite une troupe de licteurs, de viateurs, d'appariteurs, de questeurs, de lieutenans qui avaient aussi leur cortège, de scribes, et de plusieurs autres petits ministres, que la république ou les alliés leur fournissaient. Ce terrible appareil jetait l'effroi dans le cœur des peuples. Tite-Live rapporte qu'après la défaite de Persée, les dix chefs des villes que Paul Emîle assembla à Amphipolis, furent effrayés de l'appareil de son tribunal, entourés de licteurs, de haches et de faisceaux : insueta omnia auribus oculisque.

III. Ces magistrats pour exercer leur juridiction, se rendaient dans le lieu où se tenaient les états de la province, ou dans celui qui leur paraissait le plus commode ; ils marquaient cette diete par un édit affiché dans toutes les villes : c'est à quoi Virgile fait allusion dans ce vers :

Indicitque forum, et patribus dat jura vocatis.

Cicéron rapporte qu'en arrivant dans la province, il resta trois jours à Laodicée, cinq à Apamée, deux à Symades, cinq à Philomele, dix à Ionium.

Quelquefois ils appelaient les communes dans les villes qu'ils jugeaient être à leur bienséance ; c'est ainsi que Cicéron assembla à Laodicée les communes de Cibaris et d'Apamée, aux ides de Février ; celles de Symades, de Pamphilie et d'Isaurie aux ides de Mars ; et qu'une autre fois il tint les états de toutes les communes de l'Asie dans la même ville, depuis les ides de Février jusqu'aux ides de Mai : mais ordinairement ils se transportaient dans les lieux mêmes d'assemblée, comme fit César dans les Gaules, et plusieurs autres préteurs en d'autres provinces.

IV. L'audience se tenait au milieu de la place, comme à Rome dans le forum ou dans une basilique. On croit que quelques villes d'Italie se nomment Rhege, parce qu'il y avait des basiliques appelées en latin regiae.

V. Ils traitaient les affaires selon les lois publiées par leurs prédécesseurs, ou par celles qu'ils donnaient de l'avis de leurs dix lieutenans, ou par des sénatusconsultes particuliers ; ils étaient seulement astreints à ne rien changer dans l'édit qu'ils avaient formé de l'aveu du sénat, avant que de partir de Rome. Les romains répandus dans les provinces ressortissaient à leur tribunal.

VI. Ils prononçaient par decret, par jugement, et par diplome. 1°. Par decret, quand ils mettaient en liberté, qu'ils émancipaient, qu'ils adjugeaient la possession d'un héritage, qu'ils nommaient des tuteurs, qu'ils vendaient à l'encan, qu'ils interdisaient, et dans d'autres causes. 2°. Par jugement, quand ils nommaient des juges pour examiner une affaire de peu d'importance, c'étaient ordinairement leurs lieutenans qui étaient chargés de cette commission ; ou bien ils choisissaient, du consentement des parties, trois récupérateurs. Il fallait qu'ils fussent pris dans la ville ou dans le forum où l'affaire avait été entamée. Cicéron reproche à Verrès d'avoir nommé des récupérateurs tirés de sa cohorte. Quelquefois ils n'en nommaient qu'un ; et alors ce juge prenait avec lui quelques jurisconsultes habiles pour l'éclairer. 3°. Par diplome ; c'était quand le magistrat notifiait dans les provinces son jugement sur une affaire qu'il avait examinée avec soin dans le secret de son cabinet.

VII. Les peuples avaient cependant la permission de demander un jugement conforme aux formalités et aux coutumes de leurs pays, ou de choisir la juridiction du préteur. Les Grecs surtout, pour qui les Romains avaient une attention particulière, jouissaient de cet heureux privilège. " Souvenez-vous, écrit Pline à un de ses amis, que Trajan envoyait pour gouverneur dans la Grèce, souvenez-vous que c'est à Athènes que vous allez, que c'est à Lacédémone que vous devez commander ; il y aurait de l'inhumanité et de la barbarie à dépouiller ces villes célèbres, qui autrefois ne connaissaient point de maîtres, de l'ombre et du simulacre de leur ancienne liberté. " Quibus reliquam umbram et residuum libertatis nomen eripere durum, ferum, barbarumque est.

Mais ailleurs, ils se conduisaient avec plus de hauteur ; le rhéteur Albutius Silus se voyant repoussé à Milan par les licteurs du proconsul Pison, qui voulaient l'empêcher de défendre un accusé, s'écria que la liberté de l'Italie était perdue.

VIII. Quand une cause leur paraissait embarrassée, ou d'une discussion critique et nuisible à leur réputation, ils la renvoyaient au sénat, ou au tribunal supérieur de la nation, ou à l'aréopage.

IX. Les empereurs apportèrent quelques changements à ces usages. Auguste nomma des propréteurs pour l'Italie, et des préfets pour les provinces. Adrien confia la juridiction de l'Italie à des consulaires, et celle des provinces à ceux qui avaient le titre de spectables ou d'illustres : c'étaient là les juges souverains ; ce qui n'excluait pas les juges ordinaires. Marc Antonin substitua à ces souverains magistrats des jurisconsultes pour le civil seulement, juridicos. Alexandre Sevère nomma des orateurs avec une autorité aussi étendue. (D.J.)