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Catégorie : Géographie
S. f. , changement, subversion, RR. , sub, et , aor. 2. pass. d', muto, lequel est dérive d', alius.

Les Grammairiens ont admis trois différentes figures fondées également sur l'idée générale de changement, savoir l'énallage, l'hypallage et l'hyperbate : mais il semble qu'ils n'en ont pas déterminé d'une manière assez précise les caractères distinctifs, puisque l'on trouve les mêmes exemples rapportés à chacune de ces trois figures. Virgile a dit (Aeneïd. III. 61.) dare classibus austros, au lieu de dire dare classes austris : M. du Marsais (des tropes, part. II. art. xviij.) rapporte cette expression à l'hypallage ; Minellius et Servius l'avaient fait de même avant lui. Le P. Lamy (Rhét. liv. I. chap. xij.) cite la même phrase comme un exemple de l'énallage ; et d'autres l'ont rapportée à l'hyperbate, Méth. lat. de P. R. traité des figures de constr. ch. VIe de l'hyperbate.

La signification des mots est incontestablement arbitraire dans son origine ; et cela est vrai, surtout des mots techniques, tels que ceux dont il est ici question. Mais rien n'est plus contraire aux progrès des Sciences et des Arts, que l'équivoque et la confusion dans les termes destinés à en perpétuer la tradition, par conséquent rien de plus essentiel que d'en fixer le sens d'une manière précise et immuable.

Or je remarque, en effet, par rapport aux mots, trois espèces générales de changements, que les Grammairiens paraissent avoir envisagés, quand ils ont introduit les trois dénominations dont il s'agit, et qu'ils ont ensuite confondues.

Le premier changement consiste à prendre un mot sous une forme, au lieu de le prendre sous une autre, ce qui est proprement un échange dans les accidents, comme sont les cas, les genres, les temps, les modes, etc. C'est à cette première espèce de changement que M. du Marsais a donné spécialement le nom d'énallage d'après la plus grande partie des Grammairiens. Voyez ENALLAGE. Mais ce terme n'est, selon lui, qu'un nom mystérieux, plus propre à cacher l'ignorance réelle de l'analogie qu'à répandre quelque jour sur les procédés d'aucune langue. J'aurai occasion, dans plusieurs articles de cet Ouvrage, de confirmer cette pensée par de nouvelles observations, et principalement à l'article TEMS.

La seconde espèce de changement qui tombe directement sur les mots, est uniquement relative à l'ordre successif selon lequel ils sont disposés dans l'expression totale d'une pensée. C'est la figure que l'on nomme communément hyperbate. Voyez HYPERBATE.

La troisième sorte de changement, qui doit caractériser l'hypallage, tombe moins sur les mots que sur les idées mêmes qu'ils expriment ; et il consiste à présenter sous un aspect renversé la corrélation des idées partielles qui constituent une même pensée. C'est pour cela que j'ai traduit le nom grec hypallage par le nom français subversion ; outre que la préposition élémentaire se trouve rendue ainsi avec fidélité, il me semble que le mot en est plus propre à désigner que le changement dont il s'agit ne tombe pas sur les mots immédiatement, mais qu'il pénètre jusques sous l'écorce des mots, et jusques aux idées dont ils sont les signes. Je vais justifier cette notion de l'hypallage par les exemples mêmes de M. du Marsais, et je me servirai de ses propres termes : ce que je ferai sans scrupule par-tout où j'aurai à parler des tropes. Je prendrai simplement la précaution d'en avertir par une citation et des guillemets, et d'y insérer entre deux crochets mes propres réflexions.

" Cicéron ; dans l'oraison pour Marcellus, dit à César qu'on n'a jamais Ve dans la ville son épée vide du fourreau, gladium vaginâ vacuum in urbe non vidimus. Il ne s'agit pas du fond de la pensée, qui est de faire entendre que César n'avait exercé aucune cruauté dans la ville de Rome ". [Sous cet aspect, elle est rendue ici par une métonymie de la cause instrumentale pour l'effet, puisque l'épée nue est mise à la place des cruautés dont elle est l'instrument]. " Il s'agit de la combinaison des paroles qui ne paraissent pas liées entr'elles comme elles sont dans le langage ordinaire ; car vacuus se dit plutôt du fourreau que de l'épée.

Ovide commence ses métamorphoses par ces paroles :

In nova fert animus mutatas dicère formas

Corpora.

La construction est, animus fert me dicère formas mutatas in nova corpora ; mon génie me porte à raconter les formes changées en de nouveaux corps : il était plus naturel de dire, à raconter les corps, c'est-à-dire, à parler des corps changés en de nouvelles formes....

Virgile fait dire à Didon, Aen. IV. 385.

Et cum frigida mors animâ seduxerit artus ;

après que la froide mort aura séparé de mon âme les membres de mon corps ; il est plus ordinaire de dire, aura séparé mon âme de mon corps ; le corps demeure, et l'âme le quitte : ainsi Servius et les autres commentateurs trouvent une hypallage dans ces paroles de Virgile.

Le même poète, parlant d'Enée et de la sibylle qui conduisit ce héros dans les enfers, dit, Aeneid. VI. 268.

Ibant obscuri solâ sub nocte per umbram,

pour dire qu'ils marchaient tous seuls dans les ténèbres d'une nuit sombre. Servius et le P. de la Rue disent que c'est ici une hypallage, pour ibant soli sub obscurâ nocte.

Horace a dit, V. od. xiv. 3.

Pocula Lethaeos ut si ducentia somnos

Traxerim,

comme si j'avais bu les eaux qui amènent le sommeil du fleuve Léthé. Il était plus naturel de dire, pocula Lethaea, les eaux du fleuve Léthé.

Virgile a dit qu'Enée ralluma des feux presque éteints, sopitos suscitat ignes (Aen. V. 745.) Il n'y a point là d'hypallage ; car sopitos, selon la construction ordinaire, se rapporte à ignes. Mais quand, pour dire qu'Enée ralluma sur l'autel d'Hercule le feu presque éteint, Virgile s'exprime en ces termes, Aen. VII. 542.

.... Herculeis sopitas ignibus aras

Excitat ;

alors il y a une hypallage ; car, selon la combinaison ordinaire il aurait dit, excita ignes sopitos in aris Herculeis, id est Herculi sacris.

Au livre XII. vers 187, pour dire, si au contraire Mars fait tourner la victoire de notre côté, il s'exprime en ces termes :

Sin nostrum annuerit nobis victoria Martem ;

ce qui est une hypallage, selon Servius : hypallage, pro, sin noster Mars annuerit nobis victoriam, nam Martem victoria comitatur ".

[Cette suite d'exemples, avec les interprétations qui les accompagnent, doit suffisamment établir en quoi consiste l'essence de cette prétendue figure que les Rhéteurs renvaient aux Grammairiens, et que les Grammairiens renvaient aux Rhéteurs. C'est un renversement positif dans la corrélation des idées, ou l'exposition d'un certain ordre d'idées quelquefois opposé diamétralement à celui que l'on veut faire entendre. Eh, qui ne voit que l'hypallage si elle existe, est un véritable vice dans l'élocution plutôt qu'une figure ? Il est assez surprenant que M. du Marsais n'en ait pas porté le même jugement, après avoir posé des principes dont il est la conclusion nécessaire. Ecoutons encore ce grammairien philosophe.]

" Je ne crois pas,... quoi qu'en disent les commentateurs d'Horace, qu'il y ait une hypallage dans ces vers de l'ode XVII. du livre I.

Velox amoenum saepè Lucretilem

Mutat Lycaeo Faunus ;

c'est-à-dire que Faune prend souvent en échange le Lucrétîle pour le Lycée ; il vient souvent habiter le Lucrétîle auprès de la maison de campagne d'Horace, et quitte pour cela le Lycée sa demeure ordinaire. Tel est le sens d'Horace, comme la suite de l'ode le donne nécessairement à entendre. Ce sont les paroles du P. Sanadon, qui trouve dans cette façon de parler (Tom. I. pag. 579.) une vraie hypallage, ou un renversement de construction.

Mais il me parait que c'est juger du latin par le français, que de trouver une hypallage dans ces paroles d'Horace, Lucretilem mutat Lycaeo Faunus. On commence par attacher à mutare la même idée que nous attachons à notre verbe changer, donner ce qu'on a pour ce qu'on n'a pas ; ensuite, sans avoir égard à la phrase latine, on traduit, Faune change le Lucrétîle pour le Lycée ; et comme cette expression signifie en français, que Faune passe du Lucrétîle au Lycée, et non du Lycée au Lucrétile, ce qui est pourtant ce qu'on sait bien qu'Horace a voulu dire ; on est obligé de recourir à l'hypallage pour sauver le contre-sens que le français seul présente. Mais le renversement de construction ne doit jamais renverser le sens, comme je viens de le remarquer ; c'est la phrase même, et non la suite du discours, qui doit faire entendre la pensée, si ce n'est dans toute son étendue, c'est au moins dans ce qu'elle présente d'abord à l'esprit de ceux qui savent la langue.

Jugeons donc du latin par le latin même, et nous ne trouverons ici ni contre-sens, ni hypallage ; nous ne verrons qu'une phrase latine fort ordinaire en prose et en vers.

On dit en latin donare munera alicui, donner des présents à quelqu'un ; et l'on dit aussi donare aliquem munere, gratifier quelqu'un d'un présent : on dit également circumdare urbem maenibus, et circumdare maenia urbi. De même on se sert de mutare, soit pour donner, soit pour prendre une chose au lieu d'une autre.

Muto, disent les Etymologistes, vient de motu, mutare quasi motare. (Mart. Lexic. verb. muto.) L'ancienne manière d'acquerir ce qu'on n'avait pas, se faisait par des échanges ; delà muto signifie également acheter ou vendre, prendre ou donner quelque chose au lieu d'une autre ; emo ou vendo, dit Martinius, et il cite Columelle, qui a dit porcus lacteus aere mutandus est, il faut acheter un cochon de lait.

Ainsi mutat Lucretilem signifie vient prendre, vient posséder, vient habiter le Lucretîle ; il achète, pour ainsi dire, le Lucrétîle pour le Lycée.

M. Dacier, sur ce passage d'Horace, remarque qu'Horace parle souvent de même ; et je sais bien, ajoute-t-il, que quelques historiens l'ont imité.

Lorsqu'Ovide fait dire à Médée qu'elle voudrait avoir acheté Jason pour toutes les richesses de l'univers (Met. l. VII. Ve 39.), il se sert de mutare :

Quemque ego cùm rebus quas totus possidet orbis

Aesonidem mutasse velim :

où vous voyez que, comme Horace, Ovide emploie mutare dans le sens d'acquérir ce qu'on n'a pas, de prendre, d'acheter une chose en donnant une autre. Le père Sanadon remarque (Tom. I. pag. 175.) qu'Horace s'est souvent servi de mutare en ce sens : mutavit lugubre sagum punico (V. od. ix.) pour punicum sagum lugubri : mutet lucana calabris pascuis (V. od. j.) pour calabra pascua lucanis : mutat uvam strigili (II. sat. VIIe 110.) pour strigilim uvâ.

L'usage de mutare aliquid aliquâ re dans le sens de prendre en échange, est trop fréquent pour être autre chose qu'une phrase latine ; comme donare aliquem aliquâre, gratifier quelqu'un de quelque chose, et circumdare maenia urbi, donner des murailles à une ville tout autour, c'est-à-dire, entourer une ville de murailles ".

La règle donnée par M. du Marsais, de juger du latin par le latin même, est très-propre à faire disparaitre bien des hypallages. Celle, par exemple, que Servius a cru voir dans ces vers,

Sin nostrum annuerit nobis victoria Martem ;

n'est rien moins, à mon gré, qu'une hypallage : c'est tout simplement, Sin victoria annuerit nobis Martem esse nostrum, si la victoire nous indique que Mars est à nous, est dans nos intérêts, nous est favorable. Annuere pro affirmare, dit Calepin (verb. annuo) ; et il cite cette phrase de Plaute (Bacchid.), ego autem venturum annuo.

On peut aussi aisément rendre raison de la phrase de Cicéron, Gladium vaginâ vacuum in urbe non vidimus, nous n'avons point Ve dans la ville votre épée dégagée du fourreau. C'est ainsi qu'il faut traduire quantité de passages : vacui curis (Cic.), dégagés de soins ; ab isto periculo vacuus (Id.), dégagé, tiré de ce péril. L'adjectif latin vacuus exprimait une idée très-générale, qui était ensuite déterminée par les différents compléments qu'on y ajoutait, ou par la nature même des objets auxquels on l'appliquait : notre langue a adopté des mots particuliers pour plusieurs de ces idées moins générales ; vacua vagina, fourreau vide ; vacuus gladius, épée nue ; vacuus animus, esprit libre ; etc. C'est que, dans tous ces cas, nous exprimons par le même mot, et l'idée générale de l'adjectif vacuus, et quelque chose de l'idée particulière qui résulte de l'application : et comme cette idée particulière varie à chaque cas, nous avons, pour chaque cas, un mot particulier. Ce serait se tromper que de croire que nous ayons en français le juste équivalent du vacuus latin ; et traduire vacuus par vide en toute occasion, c'est rendre, par une idée particulière, une idée très-générale, et pécher contre la saine logique. Cet adjectif n'est pas le seul mot qui puisse occasionner cette espèce d'erreur : car, comme l'a très-bien remarqué M. d'Alembert, article DICTIONNAIRE, " il ne faut pas s'imaginer que quand on traduit des mots d'une langue dans l'autre, il soit toujours possible, quelque versé qu'on soit dans les deux langues, d'employer des équivalents exacts et rigoureux ; on n'a souvent que des à-peu-près. Plusieurs mots d'une langue n'ont point de correspondants dans une autre ; plusieurs n'en ont qu'en apparence, et diffèrent par des nuances plus ou moins sensibles des équivalents qu'on croit leur donner ".

Il me semble que c'est encore bien gratuitement que les commentateurs de Virgile ont cru voir une hypallage dans ce vers : Et cùm frigida mors animâ seduxerit artus. C'est la partie la moins considérable qui est séparée de la principale, et Didon envisage ici son âme comme la principale, puisqu'elle compte survivre à cette séparation, et qu'elle se promet de poursuivre ensuite Enée en tous lieux ; omnibus umbra locis adero (v. 386.). Elle a donc dû dire lorsque la mort aura séparé mon corps de mon âme c'est-à-dire, lorsque mon âme sera dégagée des liens de mon corps. D'ailleurs la séparation des deux êtres qui étaient unis, est respective ; le premier est séparé du second, et le second du premier ; et l'on peut, sans aucun renversement extraordinaire, les présenter indifféremment sous l'un ou l'autre de ces deux aspects, s'il n'y a, comme ici, un motif de préférence indiqué par la raison, ou suggéré par le goût qui n'est qu'une raison plus fine.

C'est se méprendre pareillement, que de voir une hypallage dans Horace, quand il dit : Pocula lethaeos ut si ducentia somnos arente fauce traxerim : il est aisé de voir que le poète compare l'état actuel où il se trouve, avec celui d'un homme qui a bu une coupe empoisonnée, un breuvage qui cause un sommeil éternel et semblable au sommeil de ceux qui passent le fleuve Lethé. On peut encore expliquer ce passage plus simplement, en prenant le mot lethaeus dans le sens même de son étymologie , oblivio ; de-là la désignation latine du prétendu fleuve d'enfer dont on faisait boire à tous ceux qui mouraient, flumen oblivionis ; et par extension, somnus lethaeus, somnus omnium rerum oblivionem pariens, un sommeil qui cause un oubli général. Au surplus, c'est le sens qui convient le mieux à la pensée d'Horace, puisqu'il prétend s'excuser de n'avoir pas fini certains vers qu'il avait promis à Mécène, par l'oubli universel où le jette son amour pour Phryné.

Ibant obscuri solâ sub nocte per umbram. Ce vers de Virgile est aussi sans hypallage. Ibant obscuri, c'est-à-dire, sans pouvoir être vus, cachés, inconnus : Cicéron a pris dans le même sens à-peu-près le mot obscurus, lorsqu'il a dit (Offic. II.) : Qui magna sibi proponunt, obscuris orti majoribus, des ancêtres inconnus : dans cet autre vers de Virgile (Aen. IX. 244.), Vidimus obscuris primam sub vallibus urbem, le mot obscuris est l'équivalent d'absconditis ou de latentibus, selon la remarque de Nonius Marcellus, (cap. IV. de variâ signif. serm. litt. O) : et nous-mêmes nous disons en français une famille obscure pour inconnue. Solâ sub nocte, pendant la nuit seule, c'est-à-dire, qui semble anéantir tous les objets, et qui porte chacun à se croire seul ; c'est une métonymie de l'effet pour la cause, semblable à celle d'Horace (1. Od. IV. 13.) pallida mors, à celle de Perse (Prol.) pallidam Pyrenen, &c.

Avec de l'attention sur le vrai sens des mots, sur le véritable tour de la construction analytique, et sur l'usage légitime des figures, l'hypallage Ve donc disparaitre des livres des anciens, ou s'y cantonner dans un très-petit nombre de passages, où il sera peut-être difficîle de ne pas l'avouer. Alors même il faut voir s'il n'y a pas un juste fondement d'y soupçonner quelque faute de copiste, et la corriger hardiment plutôt que de laisser subsister une expression totalement contraire aux lois immuables du langage. Mais si enfin l'on est forcé de reconnaître dans quelques phrases l'existence de l'hypallage, il faut la prendre pour ce qu'elle est, et avouer que l'auteur s'est mal expliqué.]

" Les anciens étaient hommes, et par conséquent sujets à des fautes comme nous. Il y a de la petitesse et une sorte de fanatisme à recourir aux figures, pour excuser des expressions qu'ils condamneraient eux-mêmes, et que leurs contemporains ont souvent condamnées. L'hypallage ne [doit] pas prêter son nom aux contre-sens et aux équivoques ; autrement tout serait confondu ; et cette [prétendue] figure deviendrait un azîle pour l'erreur et pour l'obscurité ". (B. E. R. M.)




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