S. m. (Art militaire) On entend par ce terme, dans l'art de la guerre, tout ce qu'on fait pratiquer aux soldats, pour les rendre plus propres au service militaire.

Ainsi l'exercice consiste non-seulement dans le maniement des armes et les évolutions, mais encore dans toutes les autres choses qui peuvent endurcir le soldat, le rendre plus fort et plus en état de supporter les fatigues de la guerre.

Dans l'usage ordinaire, on restreint le terme d'exercice au maniement des armes ; mais chez les Romains, on le prenait dans toute son étendue. Les exercices regardaient les fardeaux, qu'il fallait accoutumer les soldats à porter ; les différents ouvrages qu'ils étaient obligés de faire dans les camps et dans les siéges, et l'usage et le maniement de leurs armes.

Les fardeaux que les soldats romains étaient obligés de porter, étaient fort pesans ; car outre les vivres qu'on leur donnait, suivant Cicéron, pour plus de quinze jours, ils portaient différents ustensiles, comme une scie, une corbeille, une bêche, une hache, une marmite pour faire cuire leurs aliments, trois ou quatre pieux pour former les retranchements du camp, etc. Ils portaient aussi leurs armes qu'ils n'abandonnaient jamais, et dont ils n'étaient pas plus embarrassés que de leurs mains, dit l'auteur que nous venons de citer. Ces différents fardeaux étaient si considérables, que l'historien Josephe dit, dans le second livre de la guerre des Juifs contre les Romains, qu'il y avait peu de différence entre les chevaux chargés et les soldats romains.

Les travaux des sièges étaient fort pénibles, et ils regardaient uniquement les soldats.

" Durant la paix on leur faisait faire des chemins, construire des édifices, et bâtir même des villes entières, si l'on en croit Dion Cassius, qui l'assure de la ville de Lyon. Il en est ainsi de la ville de Doesbourg dans les Pays-Bas, et dans la Grande-Bretagne, de cette muraille dont il y a encore des restes, et d'un grand nombre de chemins magnifiques ". Nieuport, cout. des Rom.

L'exercice des armes se faisait tous les jours, en temps de paix et de guerre, par tous les soldats, excepté les vétérants. On les accoutumait à faire vingt milles de chemin d'un pas ordinaire en cinq heures d'été, et d'un pas plus grand, vingt-quatre milles dans le même temps. On les exerçait aussi à courir, afin que dans l'occasion ils pussent tomber sur l'ennemi avec plus d'impétuosité, aller à la découverte, etc. à sauter, afin de pouvoir franchir les fossés qui pourraient se rencontrer dans les marches et les passages difficiles : on leur apprenait enfin à nager. " On n'a pas toujours des ponts pour passer des rivières : souvent une armée est forcée de les traverser à la nage, soit en poursuivant l'ennemi, soit en se retirant : souvent la fonte des neiges, ou des orages subits, sont enfler les torrents, et faute de savoir nager, on voit multiplier les dangers. Aussi les anciens Romains, formés à la guerre par la guerre même, et par des périls continuels, avaient-ils choisi pour leur champ de Mars un lieu voisin du Tibre : la jeunesse portait dans ce fleuve la sueur et la poussière de ses exercices, et se délassait en nageant de la fatigue de la course ". Vegece, trad. de M. de Sigrais.

Pour apprendre à frapper l'ennemi, on les exerçait à donner plusieurs coups à un pieu. " Chaque soldat plantait son pieu de façon qu'il tint fortement, et qu'il eut six pieds hors de terre : c'est contre cet ennemi qu'il s'exerçait, tantôt lui portant son coup au visage ou à la tête, tantôt l'attaquant par les flancs, et quelquefois se mettant en posture de lui couper les jarrets, avançant, reculant et tâtant le pieu avec toute la vigueur et l'adresse que les combats demandent. Les maîtres d'armes avaient surtout attention que les soldats portassent leurs coups sans se découvrir ". Vegece, même trad. que ci-dessus.

On peut voir dans cet auteur le détail de tous les autres exercices des soldats romains : ils étaient d'un usage général ; les capitaines et les généraux mêmes ne s'en dispensaient pas dans les occasions importantes. Plutarque rapporte, dans la vie de Marius, que ce général désirant d'être nommé pour faire la guerre à Mithridate, " combattant contre la débilité de sa vieillesse, ne faillait point à se trouver tous les jours au champ de Mars, et à s'y exerciter avec les jeunes hommes, montrant son corps encore dispos et leger pour manier toutes sortes d'armes, et piquer chevaux ". Trad. d'Amyot.

Ce même auteur rapporte aussi que Pompée, dans la guerre civîle contre César, exerçait lui-même ses troupes, " et qu'il travaillait autant sa personne, que s'il eut été à la fleur de son âge ; ce qui était de grande efficace pour assurer et encourager les autres de voir le grand Pompée, âgé de cinquante-huit ans, combattre à pied tout armé, puis à cheval dégaigner son épée sans difficulté, pendant que son cheval courait à bride-abattue, et puis la rengaigner tout aussi facilement ; lancer le javelot, non-seulement avec dextérité, de donner à point nommé, mais aussi avec force, de l'envoyer si loin que peu de jeunes gens le pouvaient passer ". Vie de Pompée d'Amyot.

Il est aisé de sentir les avantages qui résultaient de l'usage continuel de ces exercices. Les corps étaient en état de soutenir les fatigues extraordinaires de la guerre, et il arrivait ; comme le dit Josephe, que chez les Romains la guerre était une méditation, et la paix un exercice.

L'auteur de l'histoire de la milice française dit, avec beaucoup de vraisemblance, qu'il y a lieu de conjecturer que dès l'établissement de la monarchie française dans les Gaules il y avait exercice pour les soldats. " Il est certain, dit-il, qu'on faisait des revues dans ce qu'on appelait le champ de Mars, et qui fut depuis appelé le champ de Mai. On y examinait avec soin les armes des soldats ; pour voir si elles étaient en état ; et cette attention marque qu'on ne négligeait pas les autres choses qui pouvaient contribuer aux succès de la guerre.

On commence à voir sous la troisième race, dès le temps de Philippe I. ce que j'ai appelé, dit toujours le P. Daniel, l'exercice général (c'est celui qui consiste à accoutumer les soldats au travail et à la fatigue). Ce fut vers ce temps-là que commencèrent les tournois, où les seigneurs et les gentilshommes s'exerçaient à bien manier un cheval, à se tenir fermes sur leurs étriers, à bien dresser un coup de lance, à se servir du bouclier, à porter et à parer les coup d'épées, à s'accoutumer à supporter le faix du harnais, et aux autres choses utiles et nécessaires pour bien combattre dans les armées : mais pour ce qui est de l'exercice particulier, qui consiste dans les divers mouvements qu'on fait faire aux troupes dans un combat, je n'ai rien trouvé d'écrit sur ce sujet jusqu'au temps de Louis XI. " Histoire de la milice française, tom. I. pag. 376.

" Nous remarquons aujourd'hui, dit l'illustre et profond auteur des considérations sur les causes de la grandeur des Romains, " que nos armées périssent beaucoup par le travail immodéré des soldats ; et cependant c'était par un travail immense que les Romains se conservaient. La raison en est je crois, dit cet auteur, que leurs fatigues étaient continuelles ; au lieu que nos soldats passent sans-cesse d'un travail extrême à une extrême oisiveté, ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr. Nous n'avons plus une juste idée des exercices du corps. Un homme qui s'y applique trop nous parait méprisable, par la raison que la plupart de ces exercices n'ont plus d'autre objet que les agréments ; au lieu que chez les anciens, tous, jusqu'à la danse, faisait partie de l'Art militaire " Considération sur la grandeur des Romains, &c.

L'invention de la poudre à canon a été la cause de la cessation totale, pour ainsi dire, de tous les exercices propres à endurcir le corps et à le fortifier pour supporter les grands travaux. Avant cette époque, la force particulière du corps caractérisait le héros : on ne négligeait rien pour se mettre en état de se servir d'armes fort pesantes. " On voit encore aujourd'hui dans l'abbaye de Roncevaux les massues de Roland et d'Olivier, deux de ces preux si fameux dans nos romanciers du temps de Charlemagne. Cette espèce de massue est un bâton gros comme le bras d'un homme ordinaire ; il est long de deux pieds et demi ; il a un gros anneau à un bout, pour y attacher un chainon ou un cordon fort, afin que cette arme n'échappât pas de la main ; et à l'autre bout du bâton sont trois chainons, auxquels est attaché une boule de fer du poids de huit livres, avec quoi on pouvait certainement assommer un homme armé, quelque bonnes que fussent ses armes, quand le bras qui portait le coup était puissant. Il n'y a point d'hommes de ce temps assez forts pour manier une telle arme : c'est qu'alors on exerçait dès la plus tendre jeunesse les enfants à porter à la main des poids fort pesans ; ce qui leur fortifiait le bras ; et par l'habitude ils y acquéraient une force extraordinaire : ce qu'on ne fait plus depuis plusieurs siècles ". Histoire de la milice franç. par le P. Daniel.

C'est par des exercices de cette espèce qu'ils acquéraient cette force de bras qui produisaient ces coups extraordinaires ; qu'on a beaucoup de peine à croire aujourd'hui. Voyez EPEE.

Les armes que l'usage de la poudre a introduites dans les armées, n'exigeant aucun effort considérable, on s'est insensiblement deshabitué de tous les exercices qui pouvaient augmenter la force du corps, et l'endurcir aux travaux. On ne craint point de dire qu'on porte un peu trop loin aujourd'hui la négligence à cet égard : de-là vient que notre jeune noblesse, quoique pleine de valeur et d'envie de se signaler à la guerre, soutiendrait difficilement une longue suite de travaux rudes et pénibles, le corps n'y étant point assez accoutumé. On sait combien nos cuirasses, si legeres en comparaison de l'armure des anciens gendarmes, paraissent incommodes par leur poids : quels qu'en soient l'utilité et la nécessité, on s'en débarrasserait souvent dans l'action même, si les règlements n'obligeaient point à les porter. Le defaut d'exercices fatigans est la cause de cette espèce de mollesse. " Aussi, dit le P. Daniel, excepté la médiocre fatigue de l'académie où passent les jeunes gens de condition, et qui consiste à s'accoutumer à manier un cheval, à en souffrir les secousses, à faire des armes, et à quelques autres exercices, les soldats, soit cavaliers, soit fantassins, sont pour la plupart des fainéans que l'aversion pour le travail et l'appas de la licence engagent au service, dont plusieurs y périssent, soit par la faiblesse de leur tempérament, soit parce qu'ils sont déjà usés de débauche. Ils ne portent pour la plupart que leurs armes, beaucoup plus legeres que celles des anciens, qui outre les offensives en avaient de défensives, c'est-à-dire des casques, des cuirasses, des boucliers. Dans les campements et dans les sièges où ils n'ont guère que le travail des tranchées, ils demeurent aisifs la plupart du temps. Les plus gros travaux se font par des paysans qu'on fait venir des villages circonvoisins. Je ne parle point ici des officiers dont la plupart se piquent autant de luxe, de délicatesse, de bonne-chère, que de valeur et d'application aux fonctions de leurs charges. Quelle différence tout cela doit-il mettre entre nos troupes et celles des anciens Romains " ! Histoire de la milice franç. tom. II. pag. 601.

L'exercice des troupes de l'Europe aujourd'hui, consiste uniquement dans le maniement des armes et dans les évolutions. Voyez EVOLUTION.

Le maniement des armes, qu'on appelle communément l'exercice, comme nous l'avons déjà dit, a pour objet d'habituer les soldats à se servir avec grâce, promptitude, et accord, des armes propres à l'infanterie, c'est-à-dire du fusil avec la bayonnette au bout, qui est aujourd'hui la seule arme du soldat.

Cet exercice renferme plusieurs choses arbitraires. Ses règles générales, suivant M. Bottée, sont de faire observer au soldat une contenance fière, noble, et aisée. Or comme il est possible que des mouvements qui paraissent aisés et naturels aux uns, ne le soient pas également aux yeux des autres ; que des temps et des positions que les uns jugent nécessaires, les autres les croient inutiles : il arrive de-là que l'exercice n'a point encore eu de règles fixes et invariables parmi nous (a) : règles cependant qui ne seraient pas fort difficiles à trouver, si l'on voulait se renfermer dans le pur nécessaire à cet égard, c'est-à-dire réduire le maniement des armes aux seuls mouvements que le soldat peut exécuter devant l'ennemi, et ne pas s'attacher à faire paraitre une troupe par une cadence et une mesure de mouvements, plus propre, dit M. le maréchal de Puysegur, à donner de l'attention aux spectateurs, qu'à remplir l'objet capital, qui est d'apprendre aux soldats comment ils doivent se servir de leurs armes un jour d'action. Art de la guerre, t. I. pag. 131.

Ce même auteur, après avoir donné un projet d'exercice qui renferme tout ce qu'il y a d'utîle dans le maniement des armes, observe qu'il y a bien d'autres choses dont il faut que les soldats soient instruits ; " que le principal objet du maniement des armes doit être de bien montrer au soldat comment il doit charger promptement son fusil, soit avec la cartouche ou en se servant de son fourniment pour mettre la poudre dans le canon, soit que la bayonnette soit au bout ou non ; comment il doit conduire son feu dans les occasions où il peut se trouver ; de l'accoutumer à ne jamais tirer sans ordre, et sans regarder où il tire, afin de ne pas faire des décharges mal-à-propos, ainsi que cela arrive tous les jours aux troupes qui ne sont pas instruites de cette manière ; de le faire tirer au blanc contre une muraille, afin qu'il voie le progrès qu'il fait... et comme on est obligé de charger le fusil, soit debout, ou un genou en terre, il faut que ces deux manières de le faire entrent dans ce qui regarde le maniement des armes ". Art de la guerre, tom. I. pag. 137. et 138.

Ajoutons à ces différentes observations, qu'il serait peut-être très-utîle de faire connaître au soldat toutes les différentes pièces du fusil, afin qu'il puisse le démonter, le nettoyer, et s'apercevoir plus facilement des réparations dont cette arme peut avoir besoin pour être en état de service.

Il serait encore à-propos d'apprendre aux soldats à bien mettre la pierre au fusil, pour qu'elle frappe à-peu-près vers le milieu de la batterie : car on sait que lorsque les pierres sont trop longues, elles cassent au premier coup, et que quand elles sont trop courtes, elles ne font point de feu.

Plusieurs militaires très-intelligens prétendent aussi qu'il faudrait accoutumer les soldats à ne pas s'effrayer des chevaux qui s'avanceraient sur eux avec impétuosité. L'expérience fait voir qu'un homme résolu, suffit seul pour détourner un cheval, emporté ou échappé, de son chemin : c'est pourquoi des soldats bien exercés à voir cette manœuvre, seraient plus disposés à faire ferme contre une troupe de cavalerie qui voudrait les mettre en désordre.

C'est le sentiment particulier de M. le marquis de Santa-Crux. Cet illustre et savant officier général dit sur ce sujet, " que les officiers d'infanterie doivent, en présence de leurs soldats, faire monter sur un cheval fort et robuste, tel homme qu'on voudra choisir, qui viendra fondre ensuite sur un fantassin, qui l'attendra de pied ferme, seulement un bâton à la main ; et ils verront qu'en ne faisant que voltiger le bâton aux yeux du cheval, ou en le touchant à la tête, ce cheval fera un écart sans vouloir avancer, à moins qu'il ne soit dressé à ce manège. De-là les officiers, continue M. le marquis de Santa-Crux, prendront occasion de représenter

(a) Ceci était écrit avant l'ordonnance du 6 Mai 1755, qui décide définitivement tout ce qui a rapport à l'exercice de l'infanterie.

aux soldats, que si un cheval s'effarouche d'un homme qui tient ferme, n'ayant qu'un bâton à la main, à plus forte raison ils trouveront que les efforts de la cavalerie sont inutiles contre des bataillons serrés, dont les bayonnettes, les balles et l'éclat des armes, la fumée et le bruit de la poudre sont plus capables d'épouvanter les chevaux ". Reflex. milit. tome. III. pag. 85.

A l'exercice concernant le maniement des armes, on a ajouté l'exercice du feu, comme le nomme l'instruction du 14 Mai 1754 : exercice très-essentiel, qui consiste à accoutumer les troupes à tirer ensemble, ou séparément, par section, pelotons, etc. suivant qu'on le juge à-propos. Voyez FEU.

Le fond et la forme de notre exercice ordinaire est fort ancien. Il parait être imité de celui des Grecs, rapporté par Elien dans son traité de Tactique. Le P. Daniel croit que nous l'avons rétabli et perfectionné sur le modèle des Hollandais et cela sur ce que M. de Montgomeri de Corboson, qui vivait sous Charles IX. et Henri III. parlant dans son traité de la milice française, de l'exercice particulier des soldats décrit par Elien, le compare avec celui qui se faisait alors en Hollande sous le comte Maurice, et non point avec celui qui se faisait en France.

On trouve dans le livre intitulé le Maréchal de bataille, par Lostelneau, imprimé en 1647, l'exercice et les évolutions en usage dans les troupes du temps de Louis XIII.

Louis XIV. donna un règlement sur ce sujet en 1703. Comme les troupes avaient encore alors des mousquets et des piques, on fut obligé de le réformer peu de temps après, à cause de la suppression de ces deux armes, ce qui arriva vers l'année 1704. Ce règlement accommodé à l'usage des troupes armées de fusils, qu'on trouve dans le code militaire de M. Briquet et dans beaucoup d'autres livres, a été assez constamment et uniformément observé par toute l'infanterie, jusqu'à l'ordonnance du 7 Mai 1750, qui a introduit beaucoup de changements dans l'ancien exercice. Voyez cette ordonnance, l'instruction concernant son exécution donnée en 1753 ; celle du 14 Mai 1754, qui rassemble tout ce qui avait été précédemment ordonné sur cette matière ; et l'ordonnance du 6 Mai 1755. Voyez aussi, page 131 de l'art de la guerre par M. le maréchal de Puysegur, tom. I. à quoi l'on peut réduire le maniement des armes, pour ne rien faire d'inutile.

Les majors des places doivent, suivant les règlements militaires, faire faire l'exercice général aux troupes de la garnison une fois le mois ; et les majors des régiments d'infanterie, deux fois la semaine aux soldats des compagnies qui ne sont pas de garde. Ordonn. de Louis XIV. du 12 Oct. 1661.

A cet exercice, nécessaire pour apprendre aux soldats le maniement des armes dont ils se servent, M. le Marquis de Santa-Crux voudrait qu'on ajoutât les exercices généraux qui peuvent les rendre plus propres aux différents travaux qu'ils ont à faire dans les armées. " Il faut, dit cet auteur, accoutumer les soldats à remuer la terre, à faire les fascines et à les poser ; à planter des piquets, à savoir se servir de gabions pour se retrancher en formant le fossé, le parapet, et la banquette dans l'endroit que les ingénieurs auront tracé, ou le parapet et la banquette seulement, prenant la terre en-dedans de la même manière que cela se pratique dans les tranchées pour les attaques des places ; car lorsqu'il est besoin de faire de semblables travaux, surtout à la vue de l'ennemi, les troupes qui ne s'y sont pas exercées se trouvent embarrassées et les font imparfaitement ou trop lentement. Reflexions milit. tom. I. p. 393. de la trad. de M. de Vergy.

Ce même auteur veut aussi qu'on accoutume les soldats à conserver dans les marches, le pain qu'on leur distribue pour un certain temps, parce qu'on voit dans divers corps un si grand désordre à ce sujet, " que dès le premier jour les soldats vendent leur pain ou le jettent pour n'avoir pas la peine de le porter ; et après ils sont obligés de voler pour vivre, ou ils sont bien malades faute de nourriture, ou la faim les fait déserter ". Même vol. que ci-devant, p. 398.

Cet auteur veut encore qu'on instruise les fantassins à monter en croupe de la cavalerie, parce que cela est souvent nécessaire pour les passages des rivières, les marches précipitées, etc. Il observe aussi " que les anciens apprenaient aux soldats à manier les armes des deux mains, et qu'il ne serait pas inutîle que le soldat sut tirer de la main gauche, dans les défenses des murailles et des retranchements qui ont un angle fort obtus vers la droite, ou lorsqu'étant à cheval il est nécessaire de tirer vers le côté droit : qu'il y aurait également de l'avantage à exercer les cavaliers à se servir de la main gauche pour le sabre, surtout lorsque dans les escarmouches l'ennemi lui gagne ce côté-là, parce qu'alors ils ne peuvent pas se servir du sabre avec la main droite, à moins qu'il ne soit si long, qu'il puisse blesser de la pointe.

Les germains, du temps qu'ils n'étaient pas moins guerriers qu'ils le sont aujourd'hui, dit toujours M. de Santa-Crux, accoutumaient leurs troupes à souffrir la faim, la soif, la chaleur, et le froid. Platon ajoute à ce conseil celui de les accoutumer à la dureté du lit ; à l'égard de ce dernier, les entrepreneurs ont grand soin qu'il soit observé : quant aux autres, quoique les accidents de la guerre y exposent assez de temps en temps, il est certain que si dans une longue paix on n'est pas exposé nécessairement à essuyer quelque fatigue, il faudrait s'accoutumer à celle que le métier force souvent d'endurer, etc. "

Quant à la cavalerie, M. de Santa-Crux veut que les cavaliers exercent leurs chevaux à franchir des fossés, à grimper sur des montagnes, et à galoper dans les bois, afin que ces différents obstacles ne les arrêtent point dans l'occasion ; que les chevaux soient habitués à tourner promptement de l'une et de l'autre main ; qu'on les empêche de ruer, de peur qu'ils ne mettent les escadrons en désordre ; qu'on évite avec soin qu'ils ne prennent le mords aux dents, et qu'ils ne jettent les cavaliers par terre ou qu'ils ne les emportent malgré eux au milieu des ennemis. A ces avis généraux, tirés de Xénophon dans son traité du général de la Cavalerie, M. de Santa-Crux ajoute qu'il faut accoutumer les chevaux à ne pas s'épouvanter de la fumée, du bruit de la poudre, de celui des tambours et des trompettes dont on se sert dans les armées : il propose aussi de mettre aux chevaux des brides qui les obligent à tenir la tête un peu élevée, afin que les cavaliers soient plus couverts ; d'avoir des étriers un peu courts, parce qu'en s'appuyant dessus on a plus de force, et qu'on peut allonger plus facilement le corps et le bras pour frapper, etc. Voyez le xxviij. et le xxjx. chapitres des réflex. milit. de M. de Santa-Crux, tom. I.

Les exercices de la cavalerie dont on vient de parler, sont des exercices généraux qui peuvent lui être très-utiles ; mais à l'égard de celui qui concerne le maniement des armes, soit à pied soit à cheval, qu'on appelle ordinairement l'exercice de la cavalerie, nous renvoyons à l'ordonnance du 22 Juin 1755. Nous observerons seulement ici sur ce sujet, qu'un point très-essentiel dans cet exercice, c'est de bien accoutumer la cavalerie à marcher ensemble, de manière que les différents rangs de l'escadron se meuvent comme s'ils formaient un corps solide, sans déranger leur ordre dans aucun cas. Cette méthode, dit la Nouè dans ses disc. milit. " donne un grand fondement à la victoire. " C'est par-là que du temps de cet auteur, la cavalerie allemande avait la réputation d'être la meilleure de l'Europe. Les rangs de cette cavalerie ne paraissaient pas seulement serrés en marchant et en combattant, " ains collés les uns avec les autres, ce qui procede, dit ce savant officier, d'une ordinaire accoutumance qu'ils ont de se tenir toujours en corps, ayant appris, tant par connaissance naturelle que par épreuve, que le fort emporte toujours le faible. Et ce qui rend bon témoignage, ajoute-t-il, qu'ils ne faillent guère en ceci, est que quand ils sont rompus, ils se retirent et fuyent sans se séparer, étant tous joints ensemble ". Discours milit. du seigneur de la Nouè, pag. 310.

Terminons cet article par quelques réflexions de M. le chevalier de Folard, sur l'exercice des troupes pendant la paix.

" Dans la paix, la paresse, la négligence, et le relâchement des lois militaires, sont d'une très-grande conséquence pour un état ; car la guerre survenant, on en reconnait aussi-tôt le mal, et ce mal est sans remède. Ce ne sont plus les mêmes soldats ni les mêmes officiers. Les peines et les travaux leur deviennent insupportables ; ils ne voient rien qui ne leur paraisse nouveau, et ne connaissent rien des pratiques des camps et des armées. Si la paix n'a pas été assez longue pour faire oublier aux vieux soldats qu'ils vivaient autrefois selon les lois d'une discipline réglée et exacte, on peut leur en rappeler la pratique par des moyens doux et faciles ; mais si la paix a parcouru un espace de plusieurs années, ces vieux soldats, qui sont l'âme et l'esprit des corps où ils ont vieilli, seront morts ou renvoyés comme inutiles, obligés de mendier leur pain, à moins qu'ils n'entrent aux invalides : mais cette ressource ne se trouve pas dans tous les royaumes, et en France même elle n'est pas trop certaine : souvent une infirmité feinte, aidée de la faveur, y usurpe une place qui n'a été destinée qu'aux infirmités réelles : les autres, qui ne sont venus que vers la fin d'une guerre, auront oublié dans la paix, ce qu'ils auront acquis d'expérience dans les exercices militaires, et entreront en campagne très-corrompus et très-ignorants. Les vieux officiers seront retirés ou placés ; s'il en reste quelques-uns dans les corps, ils passeront (si la corruption ne les a pas gagnés) pour des radoteurs et des censeurs incommodes parmi cette foule de jeunes débauchés et de fainéans sans application et sans expérience. Ceux qui aimeront leur métier sans l'avoir pratiqué, pour être venus après la guerre, seront en si petit nombre, qu'ils se verront sans pouvoir, sans autorité, inconnus à la cour ; et ce sera une espèce de prodige s'ils peuvent échapper aux railleries et à l'envie des autres, dont la conduite est différente de la leur. Je ne donne pas ceci, dit M. de Folard, comme une chose qui peut arriver, mais comme un fait d'expérience journalière.... Mais faut-il beaucoup de temps pour corrompre la discipline militaire et les mœurs des soldats et des officiers ? Bien des gens, sans aucune expérience du métier, se l'imaginent : ils se trompent ; un quartier d'hiver suffit.... Les délices de Capoue sont célèbres dans l'histoire : ce ne fut pourtant qu'une affaire de cinq mois d'hiver ; et ces cinq mois firent plus de tort aux Carthaginois, que la bataille de Cannes n'en avait fait aux Romains ".

Pour éviter ces inconvéniens, M. de Folard propose " de former plusieurs camps en été, où les officiers généraux exerceraient eux-mêmes leurs troupes dans les grandes manœuvres de la guerre, c'est-à-dire dans la Tactique, que les soldats non plus que les officiers, ne peuvent apprendre que par l'exercice. On formerait par cette méthode des soldats expérimentés, d'excellents officiers, et des généraux capables de commander les armées ". Comment. sur Polybe, vol. II. p. 286. et suiv. C'est ce qu'on observe en France depuis quelques années, et dans quelques autres états de l'Europe. Moyen excellent pour entretenir les troupes dans l'habitude des travaux militaires, et pour faire acquérir aux officiers supérieurs l'usage du service et du commandement. (Q)

A ces réflexions générales de M. le Blond sur les exercices, M. d'Authville a cru pouvoir ajouter les observations particulières qui suivent.

Pour concevoir tout ce qu'on doit enseigner et apprendre aux exercices, on doit se représenter les troupes suivant leurs différentes espèces et dans tous les différents cas où elles peuvent se trouver : on réunit ces cas sous quatre points de vue.

1°. Lorsqu'elles sont sous les armes pour s'instruire de ce qu'elles doivent faire dans toutes les circonstances de la guerre.

2°. Lorsque pour les endurcir et les fortifier, on les fait ou travailler ou marcher.

3°. Lorsque loin de l'ennemi elles sont sous les armes, soit en marche, soit pour passer des revues, soit pour faire des exercices de parade, pour rendre des honneurs, faire des réjouissances, ou assister à des exécutions.

4°. Lorsqu'en présence de l'ennemi, elles attendent l'occasion de le combattre avec avantage, le cherchent, l'attaquent, le poursuivent, ou font retraite.

Pour parvenir à rendre le soldat capable de remplir tous ces objets, les exercices doivent être très-fréquents ; c'est le plus sur moyen d'établir et maintenir dans les armées une bonne discipline.

Il faut s'appliquer à entretenir les anciens soldats dans l'usage de tout ce qu'ils ont appris et de tout ce qu'ils ont fait pendant la guerre, et les instruire sur les nouvelles découvertes faites au profit des armes, qui sont ordinairement le fruit et la suite des progrès faits à la guerre ; on doit avec encore plus de soin former les nouveaux soldats, et les exercer plus souvent dans tout ce que les uns et les autres sont obligés de savoir.

Les exercices se renferment en cinq parties principales :

1°. Maniement des armes propres à chaque espèce de troupes, on y doit comprendre l'art de monter à cheval. Voyez MANIEMENT DES ARMES, et tout ce qui a rapport à l'ÉQUITATION.

2°. La marche, mouvement par lequel une troupe, soit à pied soit à cheval, se porte avec ordre en-avant ou de tout autre côté. Voyez MOUVEMENT.

3°. Les évolutions : on entend par-là tous les changements de figure qu'on fait subir à une troupe. Voyez EVOLUTION.

4°. Le travail, qui consiste dans la construction des retranchements, forts, ou d'autres ouvrages faits pour l'attaque et défense des places et des camps, et dans le transport des choses qui y sont nécessaires.

5°. La connaissance des signaux, tels que les divers sons de la trompette, des tambours, etc. Voyez SIGNAUX.

L'ordonnance du 6 Mai, quant aux exercices de l'infanterie, et celle du 22 Juin 1755, en ce qui concerne la cavalerie, sont si étendues qu'il serait impossible de les rapporter ici. Avant que de fixer ce qui doit être exécuté dans les exercices, le ministère de la guerre a cru qu'il devait consulter chaque corps de troupes en particulier ; pour cet effet il a été adressé à tous les régiments de cavalerie et d'infanterie depuis la paix, et successivement d'année en année, des instructions sur lesquelles les épreuves ont été faites des meilleurs moyens d'exercer les troupes, suivant que la dernière guerre en avait fait sentir la nécessité, et suivant le génie de la nation : sur ces instructions les commandants des corps, après avoir pris l'avis des officiers, ont fait leurs observations, qui ont été examinées par le ministre de la guerre dans des assemblées d'officiers généraux ; et sur le compte qu'il en a rendu au Roi, il a plu à Sa Majesté rendre les ordonnances dont on vient de parler.

Ces ordonnances contiennent les titres suivants :

Si nous surpassons les anciens en adresse, en agilité, il faut convenir qu'ils nous étaient bien supérieurs en force, puisqu'ils s'appliquaient sans-cesse à la Gymnastique, et à fortifier leurs soldats.

On trouve ci-dessus, en abrégé, les différents exercices des Romains : pour ce qui est des Grecs, dont la Tactique d'Elien renferme tous les exercices, un officier fort savant nous en promet une traduction dans peu de temps avec des notes ; elle sera précédée d'un discours sur la milice des Grecs en général.

S'il est d'une indispensable nécessité que toutes les troupes en général soient constamment exercées aux différentes manœuvres de la guerre, on peut assurer que cette loi oblige plus essentiellement la cavalerie que l'infanterie : non-seulement le cavalier doit savoir tout ce qu'on fait pratiquer au simple fantassin ; destiné à un genre de combat différent, il faut encore qu'il s'y forme avec la plus grande attention, et qu'il y forme en même temps son cheval : il faut qu'il apprenne à manier ce cheval et à le conduire avec intelligence ; qu'il l'accoutume à l'obéissance et à la docilité ; qu'il le dresse à un grand nombre de mouvements particuliers ; que par des soins vigilans, il entretienne et augmente la force et la vigueur naturelle de cet animal, sa souplesse et sa legereté, et qu'il le rende capable de partager tous les sentiments dont il est lui-même tour-à-tour animé, soit à l'aspect de l'ennemi, soit au commencement du combat, soit dans la poursuite : il n'est rien de plus dangereux pour un cavalier, que de monter un cheval mal dressé : la perte de sa vie et de son honneur le punit très-souvent de sa négligence à cet égard.

La Grèce divisée en autant de républiques qu'elle contenait de villes un peu considérables, offrait autour de leur enceinte, le spectacle singulier et frappant d'une multitude d'habitants incessamment occupés à la lutte, au saut, au pugilat, à la course, au jeu du disque : ces exercices particuliers servaient de préparation à un exercice général de toute la nation, qui se renouvellait tous les quatre ans en Elide (proche de la ville de Pise, autrement dite Olympie), et formait la brillante solennité des jeux olympiques. Si l'on réflechit sur le caractère des personnages illustres, à qui l'on attribue le rétablissement de ces jeux, on verra qu'ils étaient purement politiques, et qu'ils avaient moins pour objet ou la religion ou l'amour des fêtes, que d'inspirer aux Grecs une utîle activité, qui les tint toujours préparés à la guerre.

Les exercices dans lesquels il fallait exceller, pour entrer dans la carrière olympique, entretenaient le corps agile, souple, leger, et procuraient aux Grecs une vigueur et une adresse qui les rendait supérieurs à leurs ennemis.

C'est dans la même vue et pour les mêmes raisons, que furent institués les jeux pythiques. Les amphictions, les députés des principales villes de la Grèce y présidaient, et reglaient tout ce qui pouvait contribuer à la sûreté et à la pompe de la fête.

Quant aux Romains, moins éloignés de nos temps, l'on sait que chacune de leurs immenses conquêtes a été le fruit de leurs exercices, et de l'attention qu'ils apportaient à former des soldats.

On accoutumait les soldats romains, comme on l'a dit plus haut à faire vingt milles de chemin d'un pas ordinaire en cinq heures d'été, et d'un pas plus grand, vingt-quatre milles dans le même temps : ces pas comparés à ceux que prescrit la nouvelle ordonnance, leur sont égaux, suivant l'exacte supputation des heures, des milles, et des pieds. Voyez PAS.

L'hiver comme l'été, les cavaliers romains étaient régulièrement exercés tous les jours ; et lorsque la rigueur de la saison empêchait qu'on ne put le faire à l'air, ils avaient des endroits couverts, destinés à cet usage. On les dressait à sauter sur des chevaux de bois, tantôt à droite, tantôt à gauche ; premièrement sans armes, ensuite tout armés, et la lance ou l'épée à la main : après que les cavaliers s'étaient ainsi exercés seul à seul, ils montaient à cheval, et on les menait à la promenade. Là on leur faisait exécuter tous les mouvements qui servent à attaquer et à poursuivre en ordre : si on leur montrait à plier, c'était pour leur apprendre à se reformer promptement, et à retourner à la charge avec la plus grande impétuosité. On les accoutumait à monter et à descendre rapidement par les lieux les plus roides et les plus escarpés, afin qu'ils ne pussent jamais se trouver arrêtés par aucune difficulté du terrain.

Enfin les exercices des Romains (au rapport de Josephe, liv. III. ch. vj.) ne différaient en rien des véritables combats : ils pouvaient, ajoute-t-il, se nommer batailles non sanglantes, et leurs batailles des exercices sanglans.

L'histoire nous fait voir une des principales causes des succès d'Annibal, dans le relâchement où les Romains étaient tombés après la première guerre punique.

Vingt ans de négligence ou d'interruption dans leurs exercices ordinaires, les avaient tellement énervés et rendus si peu propres aux manœuvres de la guerre, qu'ils ne purent tenir contre les Carthaginois, et qu'ils furent défaits autant de fois qu'ils osèrent paraitre devant eux en bataille rangée : ce ne fut que par l'usage des armes qu'ils sortirent peu-à-peu de l'état de faiblesse et d'abattement où les avait réduits le mauvais emploi qu'ils avaient fait du repos de la paix : de sages généraux firent revivre dans les légions l'esprit romain, en y rétablissant l'ancienne discipline et l'habitude des exercices : alors leur courage se ranima ; et l'expérience leur ayant donné de nouvelles forces, d'abord ils arrêtèrent les progrès rapides de l'ennemi, ensuite ils balancèrent ses succès, enfin ils en devinrent les vainqueurs. Scipion fut un de ceux qui contribua davantage à un si prompt changement : il ne croyait pas qu'il y eut de meilleur moyen pour assurer la victoire à ses troupes, que de les exercer sans relâche. C'est dans cette occupation qu'on le voit goûter les premiers fruits de la prise de Carthagène ; moins glorieux d'une si brillante conquête, qu'ardent à se préparer de nouveaux triomphes, tout le temps qu'il campa sous les murs de cette place, fut employé aux différents exercices militaires. Le premier jour, toutes les légions armées faisaient en courant un espace de quatre milles ; le second, les soldats au-devant de leurs tentes s'occupaient à nettoyer et à polir leurs armes ; le troisième, ils se combattaient les uns les autres avec des espèces de fleurets ; le quatrième était donné au repos des troupes, après quoi les exercices recommençaient dans le même ordre qu'auparavant.

Un historien éclairé nous a conservé le détail des mouvements que Scipion faisait faire à sa cavalerie : il accoutumait chaque cavalier séparément à tourner sur sa droite et sur sa gauche ; à faire des demi-tours à droite et à gauche ; il instruisait ensuite les escadrons entiers à exécuter de tous côtés, et avec précision, les simples, doubles et triples conversions ; à se rompre promptement, soit par les ailes, soit par le centre, et à se reformer avec la même legereté : il leur apprenait surtout à marcher à l'ennemi avec le plus grand ordre, et à en revenir de même. Quelque vivacité qu'il exigeât dans les diverses manœuvres des escadrons, il voulait que les cavaliers gardassent toujours leurs rangs, et que les intervalles fussent exactement observés : il pensait, dit Polybe, qu'il n'y a rien de plus dangereux pour la cavalerie, que de combattre quand elle a perdu ses rangs.

Si les Grecs et les Romains ont surpassé tous les anciens peuples par leur constante application au métier de la guerre, on peut dire avec autant de vérité, que depuis treize cent ans, les François l'emportent par le même endroit sur le reste de l'Europe ; mais comme ils n'ont acquis cette supériorité qu'à la faveur de fréquents exercices, ils doivent pour se la conserver, persister dans la pratique d'un moyen qui peut, lui seul, maintenir leur réputation sur des fondements inébranlables : les joutes et les tournois, genre de spectacle dans lequel la nation française s'est distinguée avec tant d'éclat, entretenaient parmi cette noblesse qui a toujours été la force et l'appui de l'état, l'adresse, la vigueur et l'intelligence nécessaires dans la guerre. L'ordonnance de ces fêtes célèbres avait quelque ressemblance avec les jeux olympiques des Grecs ; mais l'on peut assurer que l'établissement de nos camps d'exercice, remplacera les anciens spectacles de nos pères, mais avec d'autant plus d'utilité pour l'état.

Une raison bien puissante, si l'on veut y faire attention, pour prouver la nécessité des exercices, est que tous les désordres qui arrivent dans les troupes, et les malheurs qu'éprouvent souvent les armées, viennent ordinairement de l'inaction du soldat : l'histoire est remplie d'exemples de cette vérité.

Les soldats d'Annibal, on ne saurait trop le redire, accoutumés à endurer la faim, la soif, le froid, le chaud, et les plus rudes fatigues de la guerre, ne se furent pas plutôt plongés dans les délices de la Campanie, qu'on vit la paresse, la crainte, la faiblesse et la lâcheté, prendre la place du courage, de l'ardeur, de l'intrépidité, qui peu de temps avant avaient porté la terreur jusqu'aux portes de Rome. Un seul hiver passé dans l'inaction et dans la débauche, en fit des hommes nouveaux, et couta plus à Annibal que le passage des Alpes et tous les combats qu'il avait donnés jusqu'alors.

Les exercices des Français, qui après les Grecs et les Romains, ont été sans contredit les plus grands guerriers, sont fort anciens ; si l'on en juge par les avantages qu'ils remportèrent sur les Romains mêmes, et par les armes anciennes qui se trouvent dans tous les magasins d'artillerie, et dont il n'aurait pas été possible de se servir sans une habitude continuelle.

L'histoire de la première et de la seconde race de nos rois ne nous apprend rien de particulier au sujet de leurs exercices. On ne peut que former des conjectures sur ce que nous offre actuellement le bon ordre qu'on remarque dans les armées de Clovis, de Pepin, et de Charlemagne. La description des armes dont parlent Procope et Grégoire de Tours, ne nous laisse pas douter que les premiers François ne dû.sent être bien exercés, pour se servir de l'épée, de la halebarde, de la massue, de la fronde, du maillet, et de la hache.

Ces armes, pour s'en servir avec avantage, exigeaient des exercices, comme on vient de le dire : mais lorsque, depuis l'invention de la poudre on y substitua des armes à feu, il fallut changer ces exercices et les rendre encore plus fréquents, pour éviter de funestes accidents et pour s'en servir avec adresse. Addition de M. D'AUTHVILLE.

EXERCICE DE LA MANOEUVRE, (Marine) c'est la démonstration et le mouvement de tout ce qu'il faut faire pour appareiller un vaisseau, mettre en panne, virer, arriver, mouiller, etc. (Z)

EXERCICE, (Médecine, Hygiène) Ce mot, dans le sens dont il s'agit, est employé pour exprimer l'action par laquelle les animaux mettent leur corps en mouvement, ou quelqu'une de ses parties, d'une manière continuée pendant un temps considérable, pour le plaisir ou pour le bien de la santé.

Cette action s'opère par le jeu de muscles, qui sont les seuls organes par le moyen desquels les animaux ont la faculté de se transporter d'un lieu dans un autre, de mouvoir leurs membres conformément à tous leurs besoins. Voyez MUSCLE.

On restreint cependant la signification d'exercice en général, à exprimer l'action du corps à laquelle on se livre volontairement et sans une nécessité absolue, pour la distinguer du travail, qui est le plus souvent une action du corps à laquelle on se porte avec peine, qui nuit à la santé et qui accélere le cours de la vie, par l'excès qui en est souvent inséparable.

L'expérience fit connaître à ceux qui firent les premiers quelqu'attention à ce qui peut être utîle ou nuisible à la santé, que l'exercice du mouvement musculaire est absolument nécessaire pour la conserver aux hommes et aux animaux qui sont susceptibles de cette action. En conséquence de cette observation la sage antiquité, pour exciter les jeunes gens à exercer leur corps, à le fortifier et à le disposer à soutenir les fatigues de l'agriculture et de la guerre, jugea nécessaire de proposer des prix pour ceux qui se distingueraient dans les jeux établis à cet effet. C'est dans la même vue que Cyrus, parmi les soins qu'il prenait pour l'éducation des Perses, leur avait fait une loi de ne pas manger avant d'avoir exercé leur corps par quelque genre de travail.

L'utilité de l'exercice étant ainsi reconnue, détermina bientôt les plus anciens médecins à rechercher les moyens de la pratiquer, les plus convenables et les plus avantageux à l'économie animale. D'après des observations, multipliées à ce sujet, ils parvinrent à donner des règles, des préceptes sur les différentes manières de s'exercer ; de contribuer par ce moyen à conserver sa santé et à se rendre robuste : ils en firent un art qu'ils appelèrent gymnastique medicinale, qui fit partie de celui qui a pour objet d'entretenir l'économie animale dans son état naturel, c'est-à-dire de l'hygiène, parce qu'ils rangèrent le mouvement du corps parmi les choses les plus nécessaires à la vie, dont le bon ou le mauvais usage contribue le plus à la conserver saine, ou à en altérer l'intégrité. Il fut mis au nombre de ce qu'on appelle dans les écoles les six choses non-naturelles. Voyez HYGIENE et GYMNASTIQUE.

Le moyen le plus efficace pour favoriser les excrétions, c'est sans-doute le mouvement du corps opéré par l'exercice ou le travail, parce qu'il ne peut pas avoir lieu sans accélérer le cours des humeurs, sans augmenter les causes de leur fluidité et de la chaleur naturelle : d'où doit s'ensuivre une élaboration, une coction plus parfaite, qui disposent chaque humeur particulière à se séparer du sang, à se distribuer et à couler avec plus de facilité dans ses propres conduits ; en sorte que les humeurs excrémentitielles étant portées dans leurs couloirs, et ensuite jetées hors de ces conduits ou du corps même, en quantité proportionnée au mouvement qui en a facilité la sécrétion (surtout celle de la transpiration insensible, par le moyen de laquelle la masse des humeurs se purifie et se décharge des ruines de tous les recréments, de la sérosité surabondante, dégénérée, lixivielle, plus que par toute autre excrétion), l'excrétion en général se fait avec d'autant plus de règle, qu'elle a été davantage préparée par le mouvement du corps, entant qu'il a empêché ou corrigé l'épaississement vicieux que les humeurs animales, pour la plupart, et le sang surtout, sont disposés naturellement à contracter, dès qu'elles sont moins agitées que la vie saine ne le requiert ; entant qu'il a déterminé tous les fluides artériels à couler plus librement du centre à la circonférence (ce qui rend aussi leur retour plus facile), d'où doit résulter un plus grand abord de la sérosité excrémentitielle vers toute l'habitude du corps où elle doit être évacuée.

Ainsi l'exercice et le travail procurent la dissipation de ce qui, au grand détriment de l'économie animale, resterait dans le corps par le défaut de mouvement.

L'exercice contribue pareillement à favoriser l'ouvrage de la nutrition. L'observation journalière prouve que la langueur dans le mouvement circulaire, empêche que l'application du suc nourricier des parties élémentaires ne se fasse comme il faut pour la réparation des fibres simples, qui ont perdu plus qu'elles ne peuvent recouvrer. C'est ce dont on peut se convaincre, si l'on considère ce qui arrive à l'égard de deux jeunes gens nés de mêmes parents, avec la même constitution apparente, qui embrassent deux genres de vie absolument opposés ; dont l'un s'adonne à des occupations de cabinet, à l'étude, à la méditation, mène une vie absolument sédentaire, tandis que l'autre prend un parti entièrement opposé, se livre à tous les exercices du corps, à la chasse, aux travaux militaires. Quelle différence n'observe-t-on pas entre ces deux frères ? celui-ci est extrêmement robuste, résiste aux injures de l'air, supporte impunément la faim, la soif, les fatigues les plus fortes, sans que sa santé en souffre aucune altération ; il est fort comme un Hercule : le premier au contraire est d'un tempérament très-foible, d'une santé toujours chancelante, qui succombe aux moindres peines de corps ou d'esprit ; il devient malade à tous les changements de saison, de la température de l'air même : c'est un homme aussi délicat qu'une jeune fille valétudinaire. Cette différence dépend absolument de l'habitude contractée pour le mouvement dans l'un, et pour le repos dans l'autre.

Cependant l'exercice et le travail produisent de très-mauvais effets dans l'économie animale, lorsqu'ils sont pratiqués avec excès ; ils ne peuvent pas augmenter le mouvement circulaire du sang, sans augmenter le frottement des fluides contre les solides, et de ceux-ci entr'eux. Ces effets, dès qu'ils sont produits avec trop d'activité ou d'une manière trop durable, disposent toutes les humeurs à l'alkalescence, à la pourriture. Lorsque quelqu'un a fait une course violente, et assez longue pour le fatiguer beaucoup, sa transpiration, sa sueur, sont d'une odeur fétide ; l'urine qu'il rend ensuite est extrêmement rouge, puante, âcre, brulante, par conséquent semblable à celle que l'on rend dans les maladies les plus aiguës. Le repos du corps et de l'esprit, et le sommeil, étaient les remèdes que conseillaient dans ce cas les anciens médecins, dit le commentateur des aphorismes de Boerhaave.

L'exercice continu, sans être même excessif, contribue beaucoup à hâter la vieillesse, en produisant trop promptement l'oblitération des vaisseaux nourriciers, en faisant perdre leur fluidité aux humeurs plastiques qu'ils contiennent, en desséchant les fibres musculaires, en ossifiant les tuniques des gros vaisseaux : tous ces effets sont aisés à concevoir.

Ainsi les mouvements du corps trop continués pouvant nuire aussi considérablement à l'économie animale saine, il est aisé de conclure qu'ils doivent produire le même effet, même sans être excessifs, dans le cas où il y a trop d'agitation dans le corps par cause de maladie.

L'exercice ne doit donc pas être employé comme remède dans les maladies qui sont aiguës de leur nature, ou dans celles qui deviennent telles : tant qu'elles subsistent dans cet état, où il y a toujours trop de mouvement absolu ou respectif aux forces des malades, il ne faut pas ajouter à ce qui est un excès.

Mais lorsque l'agitation causée par la maladie, cesse, que la convalescence s'établit ; et même dans les fièvres lentes, hectiques, qui ne dépendent souvent que de legers engorgements habituels dans les extrémités artérielles, qui forment de petites obstructions dans les viscères du bas-ventre, des tubercules peu considérables dans les poumons ; l'exercice est très-utîle dans ces différents cas, pourvu que l'on en choisisse le genre convenable à la situation du malade ; qu'il soit réglé à proportion des forces, et varié suivant les besoins. Voyez dans les œuvres de Sydenham, les grands éloges qu'il donne, d'après une longue expérience dans la pratique, à l'exercice employé pour la curation de la plupart des maladies chroniques, et particulièrement à l'équittation. Voyez aussi EQUITATION.

Les moyens d'exercer le corps de différentes manières, se réduisent à-peu-près aux suivants ; mais en les désignant il convient d'en distinguer les différents genres : les uns sont actifs, d'autres sont purement passifs, et d'autres mixtes. Dans les premiers le mouvement est entièrement produit par les personnes qui s'exercent : dans les seconds le mouvement est entièrement procuré par des causes qui agissent sur les personnes à exercer. Dans les derniers, ces personnes opèrent différents mouvements de leur corps, et en reçoivent en même temps des corps sur lesquels ils sont portés.

Parmi les exercices du premier genre, il y en a qui sont propres à exercer toutes les parties du corps, comme les jeux de paume, du volant, du billard, de la boule, du palet ; la chasse, l'action de faire des armes, de sauter par amusement. Dans tous ces exercices on met en mouvement tous les membres ; on marche, on agit des bras ; on plie, on tourne le tronc, la tête en différents sens ; on parle avec plus ou moins de véhémence ; on crie quelquefois, etc. Il y en a qui ne mettent en action que quelques parties du corps seulement, comme la promenade, l'action de voyager à pied, de courir, qui exercent principalement les extrémités inférieures ; l'action de ramer, de jouer du violon, d'autres instruments à corde, qui mettent en action les muscles des extrémités supérieures ; les différents exercices de la voix et de la respiration, qui renferment l'action de parler beaucoup, de déclamer, de chanter, de jouer des différents instruments à vent, produisent le jeu des poumons ; ainsi des autres moyens d'exercice, que l'on peut rapporter à ces différentes espèces.

Le second genre de moyens propres à procurer du mouvement au corps, qui doivent être sans action de la part de ceux qui sont exercés, renferme l'agitation opérée par le branle d'un berceau, par la gestation ; par les différentes voitures, comme celles d'eau, les litières, les différents coches ou carosses, etc.

Le dernier genre d'exercice, qui participe aux deux précédents, regarde celui que l'on fait étant assis, sans autre appui, sur une corde suspendue et agitée, ce qui constitue la branloire ; et le jeu qu'on appelle l'escarpolette : l'équittation avec différents degrés de mouvement, tel que le pas du cheval, le trot, le galop, et autres sortes de moyens qui peuvent avoir du rapport à ceux-là, dans lesquels on est en action de différentes parties du corps pour se tenir ferme, pour se garantir des chutes, pour exciter à marcher, pour arrêter, pour refréner l'animal sur lequel on est monté ; ainsi on donne lieu en même temps au mouvement des muscles, et on est exposé aux ébranlements, aux secousses dans les entrailles surtout ; aux agitations plus ou moins fortes de la machine, ou de l'animal sur lequel on est porté ; d'où résulte véritablement un double effet, dont l'un est réellement actif, et l'autre passif.

Le premier genre d'exercice ne peut convenir qu'aux personnes en santé, qui sont robustes ; ou à ceux qui ayant été malades, infirmes, se sont accoutumés par degrés aux exercices violents.

Le second genre doit être employé par les personnes faibles, qui ne peuvent soutenir que des mouvements modérés et sans faire dépense de forces, dont au contraire ils n'ont pas de reste. L'utilité de ce genre d'exercice se fait sentir particulièrement à l'égard des enfants qui, pendant le temps de la plus grande faiblesse de l'âge, ne peuvent se passer d'être presque continuellement agités, secoués ; et qui, lorsqu'on les prive du mouvement pendant un trop long temps, témoignent par leurs cris le besoin qu'ils en ont ; cris qu'ils cessent en s'endormant, dès qu'on leur procure suffisamment les avantages attachés aux différents exercices qui leur conviennent, tels que ceux de l'agitation accompagnée de douces secousses, et du branle dans le berceau, par l'effet duquel le corps de l'enfant qui y est contenu, étant porté contre ses parois alternativement d'un côté à l'autre, en éprouve des compressions répétées sur sa surface, qui tiennent lieu du mouvement des muscles. Ceux qui ont été affoiblis par de longues maladies, sont pour ainsi dire redevenus enfants : ils doivent presqu'être traités de même qu'eux pour les aliments et l'exercice, c'est-à-dire que ceux-là doivent être de très-facîle digestion, et celui-ci de nature à n'exiger aucune dépense de forces de la part des personnes qui en éprouvent l'effet.

Le dernier genre peut convenir aux personnes languissantes, qui, sans avoir beaucoup de forces, peuvent cependant mettre un peu d'action dans l'exercice et l'augmenter par degrés, à proportion qu'elles reprennent de la vigueur ; qui ont besoin d'être exposées à l'air renouvellé et d'éprouver des secousses modérées, pour mettre plus en jeu le système des solides et la masse des humeurs ; ce qui doit être continué jusqu'à ce qu'on puisse soutenir de plus grands efforts, et passer aux exercices dans lesquels on produit soi-même tout le mouvement qu'ils exigent.

On doit observer en général, dans tous les cas où l'on se propose de faire de l'exercice pour le bien de la santé, de choisir, autant qu'il est possible, le moyen qui plait davantage, qui recrée l'esprit en même temps qu'il met le corps en action ; parce que, comme dit Platon, la liaison qui est entre l'âme et le corps, ne permet pas que le corps puisse être exercé sans l'esprit, et l'esprit sans le corps. Pour que les mouvements de celui-ci s'opèrent librement, il faut que l'âme, libre de tout autre soin plus important, de toute contention étrangère à l'occupation présente, distribue aux organes la quantité nécessaire de fluide nerveux : il faut par conséquent que l'esprit soit affecté agréablement par l'exercice, pour qu'il se prête à l'action qui l'opere, et réciproquement le corps doit être bien disposé, pour fournir au cerveau le moyen qui produit la tension des fibres de cet organe, au degré convenable pour que l'âme agisse librement sur elles, et en reçoive de même les impressions qu'elles lui transmettent.

Il reste encore à faire observer deux choses nécessaires pour que l'exercice en général soit utîle et avantageux à l'économie animale ; savoir, qu'il faut régler le temps auquel il convient de s'exercer, et la durée de l'exercice.

L'expérience a prouvé que l'exercice convient mieux avant de manger, et surtout avant le diner. On peut aisément se rendre raison de cet effet, par tout ce qui a été dit des avantages que produisent les mouvements du corps. Pour qu'ils puissent dissiper le superflu de ce que la nourriture a ajouté à la masse des humeurs, il faut que la digestion soit faite dans les premières et dans les secondes voies, et que ce superflu soit disposé à être évacué ; c'est pourquoi l'exercice ne peut convenir que longtemps après avoir mangé ; c'est pourquoi il convient mieux avant le diner qu'avant le souper : ainsi l'exercice, en rendant alors plus libre le cours des humeurs, les rend aussi plus disposées aux secrétions, prépare les différents dissolvants qui servent à la dissolution des aliments, et met le corps dans la disposition la plus convenable à recevoir de nouveau la matière de sa nourriture. C'est sur ce fondement que Galien conseille un repos entier à ceux dont la digestion et la coction se font lentement et imparfaitement, jusqu'à ce qu'elles soient achevées ; sans-doute parce que l'exercice pendant la digestion précipite la distribution des humeurs, avant que chacune d'elles soit élaborée dans la masse, et ait acquis les qualités qu'elle doit avoir pour la fonction à laquelle elle est destinée : d'où s'ensuivent des acidités, des engorgements, des obstructions. Un leger exercice après le repas, peut cependant être utîle à ceux dont les humeurs sont si épaisses, circulent avec tant de lenteur, qu'elles ont continuellement besoin d'être excitées dans leur cours, dans le cas dont il s'agit surtout, pour que les sucs digestifs soient séparés et fournis en suffisante quantité : les digestions fougueuses veulent absolument le repos.

Pour ce qui est de la mesure qu'il convient d'observer à l'égard de la durée de l'exercice, on peut se conformer à ce que prescrit Galien sur cela, lib. II. de sanitate tuendâ, cap. ult. Il conseille de continuer l'exercice, 1° jusqu'à ce qu'on commence à se sentir un peu gonflé ; 2° jusqu'à ce que la couleur de la surface du corps paraisse s'animer un peu plus que dans le repos ; 3° jusqu'à ce qu'on se sente une légère lassitude ; 4° enfin jusqu'à ce qu'il survienne une petite sueur, ou au moins qu'il s'exhale une vapeur chaude de l'habitude du corps : lequel de ces effets qui survienne, il faut, selon cet auteur, discontinuer l'exercice ; il ne pourrait pas durer plus longtemps sans devenir excessif, et par conséquent nuisible.

Cela est fondé en raison, parce que le premier et le second de ces signes annoncent que le cours des humeurs est rendu suffisamment libre du centre du corps à sa circonférence et dans tous les vaisseaux de la peau, et que la transpiration est disposée à s'y faire convenablement. Le troisième prouve que l'on a fait une dépense suffisante de forces ; et le quatrième, que le superflu des humeurs se dissipe, et qu'ainsi l'objet de l'exercice à cet égard est rempli.

On ne peut pas finir de traiter ce qui regarde l'exercice, sans dire un mot sur les lieux où il convient de le faire préférablement, lorsqu'on a le choix. Celse conseille fort que la promenade se fasse en plein air, à découvert, et au soleil plutôt qu'à l'ombre, si on n'est pas sujet à en prendre mal à la tête, attendu que les rayons solaires contribuent à déboucher les pores, à faciliter l'insensible perspiration ; mais si on ne peut pas s'exposer sans danger au soleil, on doit se mettre à couvert par le moyen des arbres ou des murailles, plutôt que sous un tait, pour que l'on soit toujours dans un lieu où l'air puisse être aisément renouvellé, et les mauvaises exhalaisons emportées, etc.

Il resterait en core bien des choses à détailler sur le sujet qui fait la matière de cet article ; mais les bornes de l'ouvrage auquel il est destiné, ne permettent pas de lui donner plus d'étendue. On le termine donc en indiquant les ouvrages qui peuvent fournir plus d'instruction sur tout ce qui a rapport à ce vaste sujet ; ainsi voyez Galien, qui en traite fort au long dans ses écrits ; Celse, dans le premier livre de ses œuvres ; Lommius, qui a fait le commentaire de ce livre ; Cheyne, dans son ouvrage de sanitate infirmorum tuendâ ; Hoffman en plusieurs endroits de ses œuvres, et particulièrement dans sa dissertation sur les sept lois médicinales, qu'il propose comme règles absolument nécessaires à observer pour conserver la santé. Voyez aussi le commentaire des aphorismes de Boerhaave, par l'illustre Wanswieten, passim. Tous les institutionnistes, tels que Sennert, Rivière, etc. peuvent être utilement consultés sur le même sujet, dans la partie de l'Hygiène où il en est traité. (d)

EXERCICES, (Manège) s'applique particulièrement ou principalement aux choses que la noblesse apprend dans les académies.

Ce mot comprend par conséquent l'exercice du cheval, la danse, l'action de tirer des armes et de voltiger, tous les exercices militaires, les connaissances nécessaires pour tracer et pour construire des fortifications, le dessein et généralement tout ce que l'on enseigne et tout ce que l'on devrait enseigner dans ces écoles.

On dit : ce gentilhomme a fait tous ses exercices avec beaucoup d'applaudissement.

On ne voit aucune époque certaine. d'où l'on puisse partir pour fixer avec quelque précision le temps de l'établissement de ces colléges militaires qui sont sous la protection du roi, et sous les ordres de M. le grand écuyer, de qui tous les chefs d'Académie tiennent leurs brevets.

Ce qu'il y a de plus constant et de plus avéré est l'ignorance dans laquelle nous avons ignominieusement langui pendant les siècles qui ont précédé les règnes de Henri III. et de Henri IV. Jusque-là notre nation ne peut se flatter d'avoir produit un seul homme de cheval et un seul maître. Cette partie essentielle de l'éducation de la noblesse n'était, à notre honte, confiée qu'à des étrangers qui accouraient en foule pour nous communiquer de très-foibles lumières sur un art que nous n'avions point encore envisagé comme un art, et que François I. le père et le restaurateur des Sciences et des Lettres avait laissé dans le néant, d'où il s'était efforcé de tirer tous les autres. D'une autre part ceux des gentilshommes auxquels un certain degré d'opulence permettait de recourir aux véritables sources, s'acheminaient à grands frais vers l'Italie, et y portaient assez inutilement des sommes considérables, soit qu'ils bornassent leurs travaux et leur application à de legeres notions qu'ils croyaient leur être personnellement et indispensablement nécessaires, soit qu'ils ne fussent pas exempts de cet amour propre et de cette présomption si commune de nos jours, qui ferment tous les chemins qui conduisent au savoir ; nul d'entr'eux ne revenait en état d'éclairer la patrie. Elle serait plongée dans les mêmes ténèbres, et nous aurions peut-être encore besoin des secours de nos voisins, si une noble émulation n'eut inspiré les S. Antoine, les la Broue, et les Pluvinel. Ces hommes célèbres, dont le souvenir doit nous être cher, après avoir tout sacrifié pour s'instruire sous le fameux Jean-Baptiste Pignatelli, aux talents duquel l'école de Naples dut la supériorité qu'elle eut constamment sur l'académie de Rome, nous firent enfin part des richesses qu'ils avaient acquises, et par eux la France fut peuplée d'écuyers Français, qui l'emportèrent bien-tôt sur les Italiens mêmes.

L'état ne se ressentit pas néanmoins des avantages réels qui auraient dû suivre et accompagner ces succès. On en peut juger par le projet qui termine les instructions que donne Pluvinel à Louis XIII. dans un ouvrage que René de Menou de Charnisay, écuyer du roi, et gouverneur du duc de Mayenne, crut devoir publier après sa mort. Pluvinel y dévoîle avec une fermeté digne de lui, les raisons qui s'opposent invinciblement à la splendeur des académies et à l'avancement des élèves ; et l'on peut dire que ses expressions caractérisent d'une manière non équivoque cette sincérité philosophique, également ennemie de l'artifice et de l'adulation, qui lui mérita l'honneur d'être le sous-gouverneur, l'écuyer, le chambellan ordinaire, et un des favoris de son roi ; sincérité qui déplairait et révolterait moins, si la gloire d'aimer la vérité ne cédait pas dans presque tous les hommes à la satisfaction de ne la jamais entendre.

Ceux qui sont à la tête de ces établissements n'ont, selon lui, d'autre but que leur profit particulier. Il est conséquemment impossible qu'ils allient exactement leurs devoirs avec de semblables motifs. La crainte d'être obligés de soutenir leurs équipages sans secours, et au dépens de leurs propres biens, les engage à tolérer les vices des gentilshommes pour les retenir dans leurs écoles, et pour y en attirer d'autres. Il s'agirait donc à la vue des dépenses immenses auxquelles les chefs d'académie sont assujettis, de les désintéresser à cet égard, en leur fournissant des fonds qui leur procureraient et les moyens d'y subvenir, et la facilité de recevoir et d'agréer de pauvres gentilshommes que des pensions trop fortes en éloignent. Pluvinel propose ensuite la fondation d'une académie dans quatre des principales villes du royaume, c'est-à-dire à Paris, à Lyon, à Tours, et à Bordeaux. Il détaille les parties que l'on doit y professer ; il indique en quelque façon les règlements qui doivent y être observés soit pour les heures, soit pour le genre des exercices. Il s'étend sur les devoirs des maîtres et sur les excellents effets que produirait infailliblement une entreprise qu'il avait suggerée à Henri IV. et dont ce grand monarque était prêt à ordonner l'exécution, lorsqu'une main meurtrière nous le ravit. Enfin toutes les sommes qu'il demande au roi se réduisent à celle de 30000 liv. par année, prélevée sur les pensions qu'il fait à la noblesse, ou affectée sur les bénéfices ; et si les gentilshommes, continue-t-il, élevés dans ces écoles venaient à transgresser les ordonnances, leurs biens seraient confisqués au profit de ces colléges d'armes, afin que peu-à-peu leurs revenus augmentant, la noblesse qui gémit dans la pauvreté, y fût gratuitement nourrie et enseignée.

On ne peut qu'applaudir à des vues aussi sages ; elles auraient été sans-doute remplies, si la mort eut permis à Pluvinel de jouir plus longtemps de la confiance de son prince. Il y a lieu de croire encore que les reproches qu'il fait aux écuyers de son temps sont légitimes. L'intérêt et le devoir se concilient rarement, et il n'est qu'un fond inépuisable d'amour pour la patrie qui puisse porter à se consacrer de sens froid à un état dans lequel on est nécessairement contraint d'immoler l'un à l'autre. Tel fut le sort de Salomon de la Broue. Cette illustre et malheureuse victime de l'honneur et du zèle se trouva sans ressource, sans appui, n'ayant aucune retraite, et ne possédant, pour me servir de ses propres termes, qu'un mauvais caveçon usé prêt à mettre au croc. Accablé de vieillesse, d'infirmités et de misere, il eut néanmoins le courage de mettre au jour un ouvrage utîle et précieux. Les grands hommes ont seuls le droit de se vanger ainsi ; mais les témoignages qu'ils laissent à la postérité de leurs travaux et de leurs mérites, sont en même temps des monuments honteux de l'ingratitude et des injustices qu'ils éprouvent.

Quelque considérable que put être alors la somme de 30000 liv. par année, somme qui proportionnément au temps où nous vivons, formerait aujourd'hui, eu égard à une semblable fondation, un objet très-modique, je ne doute point que la noblesse gratifiée par le prince, et les bénéficiers, n'eussent supporté avec une sorte d'empressement cette imposition et cette charge. Premièrement elle était répartie sur un trop grand nombre de personnes, pour que chacune d'elles en particulier put en être blessée, et souffrir de cette diminution : en second lieu les gentilshommes auraient incontestablement saisi cette circonstance, pour prouver par leur soumission et par leur zèle à contribuer à l'éducation de leurs pareils, combien ils étaient dignes de la faveur du souverain et des récompenses dont ils jouissaient. Enfin les bénéficiers eux-mêmes poussés par cet esprit de religion qui doit tous les animer, n'auraient peut-être recherché que les voies de concourir avec efficacité à élever un édifice dont le vice devait être banni, et dans lequel la vertu devait être cultivée, inspirée et chérie.

Rien n'est plus énergique que le discours que Lucien met dans la bouche de Solon ; ce Syrien qui nous a laissé des traits marqués d'une philosophie épurée, pour rappeler l'idée de l'ancienne vertu des Athéniens, fait parler ainsi le législateur dans un de ses dialogues. " Nous croyons qu'une ville ne consiste pas dans l'enclos de ses murailles, mais dans le corps de ses habitants ; c'est pourquoi nous avons plus de soin de leur éducation que des bâtiments et des fortifications. En leur apprenant à se gouverner dans la paix et dans la guerre, nous les rendons invincibles et la cité imprenable. Après que les enfants sont sortis de dessous l'aîle de leurs mères, et dès qu'ils commencent à avoir le corps propre au travail et l'esprit capable de raison et de discipline, nous les prenons sous notre conduite, et nous exerçons l'un et l'autre. Nous croyons que la nature ne nous a pas fait tels que nous devons être, et que nous avons besoin d'instruction et d'exercice pour corriger nos défauts, et pour accroitre nos avantages. Semblables à ces jeunes plantes que le jardinier soutient avec des bâtons, et couvre contre les injures de l'air jusqu'à ce qu'elles soient assez fortes pour supporter le chaud et le froid, et résister aux vents et aux orages. Alors on les taille, on les redresse, on coupe les branches superflues pour leur faire porter plus de fruit, on ôte les bâtons et les couvertures pour les endurcir et pour les fortifier ".

Avec de tels principes, et une attention aussi scrupuleuse à former et à instruire la jeunesse, il n'est pas étonnant que les Grecs aient été par les lais, par les sciences, et par les armes, un des plus fameux peuples de l'antiquité. Les Romains les imitèrent en ce point. Dès l'âge de dix-sept ans ils exerçaient leurs enfants à la guerre ; et pendant tout le temps qu'ils étaient adonnés aux exercices militaires, ils étaient nourris aux dépens de la république ou de l'état. Ils s'appliquaient de plus à en régler le cœur, à en éclairer l'esprit ; c'est ainsi qu'ils devinrent dans la suite les maîtres du monde, et qu'ils étendirent par leurs mœurs autant que par leurs victoires, un empire dont la grandeur fut la récompense de leur sagesse.

Je ne sai si l'examen de la plupart des jeunes gens qui sortent de nos académies ne nous rappellerait pas l'exemple que nous propose Xenophon dans un enfant qui croyait avoir tout appris, et posséder toutes les parties de la science de la guerre, tandis qu'il n'avait puisé dans l'école que la plus légère teinture de la Tactique, et qu'il n'en avait remporté qu'une estime outrée de lui-même accompagnée d'une parfaite ignorance. Je ne rechercherai point si l'on peut et si l'on doit comparer les progrès qu'ils y ont faits avec ceux de leurs premières années (voyez les mots COLLEGE et ETUDE) ; et si ces mêmes progrès se bornent pour les uns et pour les autres à imiter leurs maîtres dans leurs vêtements et dans leurs manières, à être très-mal placés à cheval par la raison qu'ils y sont à leur aise, à tenir leurs coudes en l'air, à agir sans-cesse des bras, sans penser aux saccades que produisent des mouvements ainsi desordonnés, et sous le prétexte d'éviter un air affecté, à se vanter par-tout de fautes et d'exploits qu'ils n'ont jamais faits, à louer leur adresse sur les sauteurs qu'ils n'ont pas même montés, à parler de la force de leurs jarrêts, à méconnaître jusqu'aux premiers principes qui indiquent le plat de la gourmette, à retenir des mots impropres qu'ils regardent comme des mots reçus, comme celui de dégeler des chevaux, que quelques-uns par une élégante métaphore substituent au mot dénouer ; à faire usage enfin de quelques termes généraux qu'ils appliquent toujours mal, et sur le souvenir desquels ils se fondent pour persuader, ainsi que l'enfant dont parle Xenophon, qu'ils ont acquis par la profondeur de leur savoir l'autorité de juger du mérite des maîtres, et de couronner les uns aux dépens des autres ; tous ces détails nous entraîneraient trop loin, et m'écarteraient infailliblement de mon but. Les plus grands législateurs ont envisagé comme un point important du gouvernement, l'éducation de la jeunesse ; ce seul point m'arrête et m'occupe. Voué par goût à son instruction, et non par nécessité, je crois pouvoir espérer que toutes les idées que me suggéreront le bien et l'avantage public, ne seront point suspectes : un objet aussi intéressant doit mettre en effet la franchise à l'abri des reproches de l'indiscrétion dont elle est souvent accompagnée : et pour me prémunir d'ailleurs contre les efforts d'une basse jalousie dont on n'est que trop souvent contraint de repousser vivement les traits, je proteste d'avance contre toute imputation absurde, et contre toute maligne application.

Tout vrai citoyen est en droit d'attendre des soins généreux de sa patrie ; mais les jeunes gens, et surtout la noblesse, demandent une attention spéciale. " La fougue des passions naissantes, dit Socrate, donne à cet âge tendre les secousses les plus violentes : il est nécessaire d'adoucir l'âpreté de leur éducation par une certaine mesure de plaisir ; et il n'est que les exercices où se trouve cet heureux mélange de travail et d'agrément, dont la pratique constante puisse leur agréer et leur plaire ". Ces exercices sont purement du ressort des académies. Or dès que dans ces écoles nous sommes certains par ce mélange heureux, de pouvoir parer au dégoût qu'inspirerait naturellement une carrière toujours hérissée d'épines, au milieu desquelles on n'apercevrait pas la moindre fleur, il ne nous reste qu'à chercher les moyens d'y mettre un ordre, et de donner à ces établissements une forme qui en assure à jamais l'utilité.

Académie. Architecture. Je ne prétends point que nous devrions nécessairement imiter dans la construction de nos académies la splendeur de ces lieux, autrefois appelés gymnases, ou les magnifiques éphébées que l'on remarquait au milieu des portiques des thermes, et qui étaient destinés aux différents exercices, qui faisaient parmi les anciens l'occupation et l'amusement de la jeunesse. Si les maisons qui en tiennent lieu parmi nous, étaient des édifices stables et perpétuellement consacrés à ce seul objet, sans-doute qu'elles annonceraient au-dehors et à l'intérieur la grandeur du souverain dont le nom en décore l'entrée. Quand on considère cependant l'immensité dont devraient être ces colléges militaires, eu égard au terrain que demandent des manèges couverts et découverts (voyez MANEGE), des écuries pour les chevaux sains et pour les chevaux malades (voyez ECURIE), des fenils et des greniers pour les approvisionnements de toute espèce, des cours différentes pour y construire des forges (voyez FORGES), des travails (voyez TRAVAIL), et pour y déposer les fumiers ; des appartements pour les écuyers, pour les officiers et pour les domestiques de l'hôtel, pour les cuisines, les offices et les salles à manger, des salles d'exercices, des chapelles, des logements multipliés et appropriés aux divers âges des pensionnaires, à leur état, à leur faculté, à leur suite plus ou moins nombreuse, etc. on est étonné que l'on ait imaginé pouvoir rassembler et réunir toutes ces vues dans des lieux souvent si resserrés, qu'à peine certains particuliers pourraient-ils y établir et y fixer leur domicile. Il serait par conséquent à souhaiter que les villes, qui ont l'avantage de renfermer dans leur sein de semblables écoles, fussent tenues de construire et d'entretenir des bâtiments convenables, et toujours affectés à ces colléges ; non-seulement les élèves y seraient plus décemment, mais l'état en général se ressentirait des sommes qu'une foule d'étrangers, également attirés par l'attention avec laquelle ces sortes d'établissements seraient alors soutenus et envisagés, et par la réputation de ceux qui en seraient les chefs, répandraient dans le royaume ; et chacune de ces villes en particulier serait par leur abord et par l'affluence des académistes nationaux, amplement dédommagée des dépenses dans lesquelles elles auraient été primordialement engagées. Je conviens que ces premiers frais seraient au-dessus des forces des villes de la plupart des provinces ; mais de pareils projets ne peuvent avoir leur exécution que dans de grandes villes, soit parce qu'il est plus facîle d'y fixer d'excellents maîtres en tout genre, soit parce qu'elles trouvent plus aisément en elles-mêmes, et dans leur propre opulence, les ressources nécessaires. Le vaste édifice élevé depuis peu par la ville de Strasbourg, et le plan de celui dont la ville d'Angers se propose de jeter incessamment les fondements, nous en offrent une preuve. D'ailleurs si telle était leur impuissance que cette loi leur fût réellement à charge, et qu'elles en souffrissent véritablement, on pourrait exiger une sorte de contribution des villes et des provinces que leur proximité mettrait en quelque façon dans le district de ces académies ; car dès que ces mêmes provinces profiteraient de ces écoles, il est juste qu'elles y concourent proportionnément à leurs facultés.

Chefs d'académie. L'opinion de ceux qui limitent les devoirs des chefs d'académie dans l'enceinte étroite de leur manège, serait-elle un préjugé dont ils ne pourraient revenir ? Pluvinel et la Broue ne pensaient pas ainsi ; ils étendaient ces devoirs à tout, et se recriaient avec raison l'un et l'autre sur la difficulté de rencontrer des hommes d'un mérite assez éminent pour les remplir.

Exercices du corps. Ne fournir à de jeunes gens dans le manège que des instructions qui n'ont pour tout fondement qu'une aveugle routine, et ne les faire agir que conséquemment à ce que nous pratiquons nous-mêmes simplement par habitude, c'est leur proposer notre ignorance pour modèle, c'est leur faire envisager l'art par des difficultés qu'il leur sera impossible de surmonter, et que des maîtres qui enseignent ainsi, n'ont jamais eux-mêmes vaincues. L'exécution est d'une nécessité indispensable, j'en conviens ; nos écoles doivent être pourvues de chevaux de toute espèce, susceptibles de tous les mouvements possibles, dressés à toutes sortes d'airs ; il est de plus important que nous leur suggérions plus ou moins de finesse, que nous les approprions à la force et à l'avancement de nos élèves, que nous les divisions en différentes classes, pour ainsi dire, afin de faire insensiblement parcourir à nos disciples cette sorte d'échelle, s'il m'est permis d'user de cette expression, qui marque les différentes gradations des lumières et des connaissances : or croira-t-on que toutes ces attentions puissent avoir lieu par le secours de la pratique seule, et imaginera-t-on sérieusement qu'il soit permis de former une liaison, un enchainement utîle de principes, dès qu'on n'en est pas éclairé soi-même ? Que résulterait-il d'une école dont le chef ne rapporterait d'autre titre de son savoir, qu'une expérience toujours stérile, dès qu'elle est informe, ou dont tout le mérite consisterait dans le frivole avantage, ou plutôt dans la honte réelle d'avoir inutilement vieilli ; d'un côté ce même maître deviendrait avec raison le juste objet du mépris des personnes instruites ? et de l'autre les académistes doués de la faculté de se mouvoir, et non de réfléchir et d'observer, seraient à-peu-près à cet égard semblables à ces machines et à ces automates qui n'agissent que sans choix et par ressort. Saint Evremont dit, que les docteurs de morale s'en tiennent ordinairement à la théorie, et descendent rarement à la pratique. Ne pourrait-on pas appliquer le sens contraire de cette vérité à la plupart des écuyers ? Il est cependant certain que sans la théorie, sans des préceptes dont le cheval atteste sur le champ, dès qu'ils sont mis en usage, la certitude et l'évidence par son obéissance et par sa soumission ; il est absolument impossible de montrer, d'applanir, et d'abréger les routes de la science, d'assurer les pas des élèves, et de créer des sujets. Des leçons particulières sur les principes de l'art, données chaque jour de travail, à une heure fixe, aux commençans, par les maîtres chargés de les initier, aux disciples plus avancés, par le chef même de l'école, seraient donc essentielles et faciliteraient l'intelligence des maximes, qu'on ne peut entièrement développer dans le cours de l'exercice. Mais bien loin de satisfaire la curiosité des académistes, on blâme communément, dans la plus grande partie d'entr'eux, le désir louable de s'instruire ; quels que soient les vains dehors dont on se pare, on a toujours un sentiment intime et secret de son insuffisance : on redoute donc les épreuves, on élude jusqu'aux moindres questions ; parce qu'elles sont la pierre de touche de la capacité, et qu'elles ne peuvent que provoquer la chute du masque dont on se couvre.

Les courses de tête et de bague sont sans-doute utiles. Ces sortes de jeux militaires, qui de tous ceux que l'on pratiquait autrefois sont les seuls en usage parmi nous, donnent à de jeunes gens de l'adresse, de la vigueur, et excitent en eux une noble émulation : on ne devrait néanmoins les y exercer que lorsqu'ils se sont fortifiés dans l'école, et non avant de les avoir parfaitement confirmés dans les leçons du galop et du partir ; il semble même qu'il serait plus avantageux de leur présenter alors, dans des évolutions de cavalerie, dans les différentes dispositions dont un escadron est susceptible, dans des conversions, dans des marches, des contre-marches, dans des doublements de rangs ou de file, enfin dans le maniement des armes à cheval, une image non moins agréable et plus instructive des vraies manœuvres de la guerre. Les effets qui suivraient cette nouvelle attention, prévaudraient inévitablement sur ceux qui résultent des courses dont il s'agit, et de ces jours d'enrubannements, voués d'autant plus inutilement à la satisfaction des spectateurs, que les ornements dont on décore les chevaux, ainsi que la parure des cavaliers, ne sont très-souvent dans le tableau galant que l'on s'empresse d'offrir, que des ombres défavorables qui mettent dans un plus grand jour les défauts des uns et des autres.

Les évolutions militaires à pied, la danse, les exercices sur le cheval de bois, et l'escrime, sont encore des occupations indispensables ; mais les succès en tout genre dépendent également des élèves et des maîtres. Il importerait donc que des écuyers eussent les yeux sans-cesse fixés sur les travaux des premiers. Quant aux maîtres, c'est aux chefs des académies à en faire le choix ; et ce choix ne pourra être juste, qu'autant qu'il leur appartiendra d'en décider non conséquemment au titre dont ils sont revêtus, mais conséquemment aux connaissances étendues qu'ils doivent avoir.

Je ne peux me dispenser de m'élever ici contre la tyrannie du préjugé et de l'éducation. J'ignore en effet par quel aveuglement on contraint tous les hommes à renoncer, dès leurs premières années, à une ambi-dextérité qui leur est naturelle, et à laisser languir leur main gauche dans une sorte d'inaction. Il n'est pas douteux que toutes les parties doubles sont en même proportion dans les corps régulièrement organisés ; leur décomposition ne nous y laisse apercevoir aucune cause d'inégalité, et nous voyons que celles dont nous faisons un usage pareillement constant, ne diffèrent entr'elles ni par l'agilité, ni par la force : ce n'est donc qu'à l'oisiveté presque continuelle de la main gauche, que nous devons attribuer son inaptitude ; elle n'a d'autre source dans les hommes qui se servent communément de la main droite, que l'affluence toujours moins considérable des esprits dans une partie qui agit moins fréquemment que l'autre ; et si elle nous frappe d'une manière sensible dans ceux mêmes que nous désignons par le terme de gauchers, il est certain que nous ne pouvons en accuser que nos propres yeux, habitués à ne considérer principalement que des mouvements opérés par la droite. Ces réflexions devraient nous fortifier contre une opinion et contre une coutume commune à toutes les nations, mais peut-être aussi ridicule que celle qui tendrait à la recherche ou à l'emploi des moyens de priver les enfants de la faculté d'entendre des deux oreilles ensemble. Quelques peuples, à la vérité plus sensés et convaincus de l'utilité dont deux mains doivent être à l'homme, s'en sont affranchis pendant un temps. Platon, de leg. liv. VII. en se recriant sur l'idée singulière des mères et des nourrices, attentives à gêner les mouvements des mains des enfants, tandis qu'elles sont indifférentes à l'égard de ceux de leurs jambes, recommandait à tous les princes l'observation d'une loi formelle, qui astraignait tous les Scythes à tirer de l'arc également des deux mains. Nous voyons encore qu'un certain nombre de soldats de la tribu de Benjamin, qui dans une occasion importante en fournit sept cent à ses alliés, étaient dressés à combattre de l'une et de l'autre. Mais le préjugé l'a emporté ; et il a tellement prévalu, qu'Henri IV. lui-même congédia cinq de ses gendarmes, sans égard à leur bravoure, et par la seule considération de l'abandon dans lequel ils laissaient leur main droite, et de la préférence qu'ils donnaient à leur main gauche. Il serait temps sans-doute que la raison triomphât de l'usage, et que la nature rentrât dans tous ses droits ; on en retirerait de véritables avantages : d'ailleurs, dans une foule de circonstances, des enfants doués d'une adresse égale, et ambi-dextres à tous les exercices, ne se verraient pas, après la perte de leur bras droit, dans la triste impuissance, ou dans une étonnante difficulté, de satisfaire leurs besoins au moyen d'une main qui leur reste, mais qui par une suite d'une éducation mal-entendue n'est plus, pour ainsi dire, en eux qu'un membre inutîle et superflu.

Les soins qu'exigent les uns et les autres de ces objets seraient néanmoins insuffisans. Ce n'est pas un corps, ce n'est pas une âme que l'on dresse, dit Montagne, c'est un homme, il n'en faut pas faire à deux. Il s'agirait d'éclairer en même temps l'esprit, et de former le cœur des jeunes gens.

Exercice de l'esprit. L'étude de la Géométrie élémentaire est la seule à laquelle nos académistes sont astraints, rarement outre-passent-ils les définitions des trois dimensions, considérées ensemble ou séparément ; et le nombre de ceux qui seraient en état de démontrer comment d'un point donné hors d'une ligne donnée, on tire une perpendiculaire sur cette ligne, est très-petit. Quant à l'architecture militaire, quelques plans fort irrégulièrement tracés, non sur le terrain, mais sur le papier, d'après ceux qui leur sont fournis par les maîtres, et dont les lavis n'annoncent d'aucune manière les progrès qu'ils ont faits dans le dessein, sont les uniques opérations auxquelles tout leur savoir se réduit.

Des leçons importantes, si on les avait forcés d'y apporter l'application nécessaire, et s'ils en eussent exactement suivi le fil, ne peuvent donc que leur être nuisibles, en ce qu'elles ne servent qu'à seconder en eux l'importune démangeaison que presque tous les hommes ont de discourir sur ce qu'ils ignorent, et sur des points dont ils n'entreprendraient assurément pas de parler, s'ils ne les avaient jamais effleurés.

Rien n'est aussi plus singulier que l'oubli dans lequel on laisse la science du cheval ; l'élève le mieux instruit sait à peine, au sortir de nos écoles, en nommer et en indiquer les différentes parties. D'où peut naître le mépris que quelques écuyers ou, pour parler plus vrai, que presque tous les écuyers en général témoignent hautement pour des travaux qu'ils abandonnent aux maréchaux, et par le secours desquels ils développeraient néanmoins la conformation extérieure et intérieure de l'animal, les maladies auxquelles il est en proie, leurs causes, leurs symptômes et les remèdes qui peuvent en opérer la guérison ? Il me semble que renoncer à ces connaissances, c'est vouloir s'avilir non-seulement en s'assujettissant dans des circonstances critiques au caprice et à l'ignorance d'un ouvrier, qu'ils devraient conduire et non consulter, mais en se bornant à la portion la moins utîle de leur profession ; portion qui en serait encore envisagée comme la moins noble, si les hommes mesuraient la noblesse par l'utilité. Il en est de même des lumières qui concernent les embouchures et la construction des harnais, des selles, etc. Ils s'en rapportent aux selliers et à l'éperonnier, et ne se réservent, en un mot, que l'honneur d'entreprendre d'inviter un animal, dont le mécanisme et les ressorts leur sont connus, à des mouvements justes quelquefois par le hasard, mais le plus souvent forcés et contraires à sa nature. Il suit de ce dedain marqué pour les recherches les plus essentielles, que ces mêmes maîtres dès qu'ils ne sont pas éclairés sur ce que peut l'animal et sur ce qu'il ne peut, ne sauraient en asservir constamment l'action aux nombres, aux temps et aux mesures dont elle est susceptible : ainsi la partie du manège qu'ils ont embrassée par préférence, est absolument imparfaite entre leurs mains. Voyez MANEGE. On doit en second lieu, après l'éducation qu'ils ont reçue, présumer que les moyens d'acquérir leur seraient plus faciles qu'à des ouvriers dont on n'a mu que le bras, et dont l'esprit est en quelque façon condamné à demeurer toujours brut et aisif. Or tant que leur vanité se croira intéressée à morceller et à démembrer l'art qu'ils professent, pour ne s'attacher encore que faiblement à ce qui dans ce même art les satisfait et les amuse ; il est certain qu'il ne parviendra jamais dans aucune de ses branches au degré d'accroissement, et au période lumineux où il serait également possible et avantageux de le porter. Que toutes les parties en soient en effet exactement cultivées, chacune d'elles sera moins éloignée de la perfection, et elles recevront les unes des autres un nouveau jour et de nouveaux appuis : alors nous vanterons plutôt notre raison éclairée par des principes surs, que cette vaine habitude, qui n'a de l'expérience que le nom, et qui comme une espèce de manteau très à la mode, est communément le vêtement de l'amour-propre et l'enveloppe de l'ignorance : alors nous plierons beaucoup plus aisément et avec plus de succès l'animal à toutes nos volontés, parce que nous saurons ne le travailler que conformément aux lois de sa propre structure : outre le savant usage que nous en ferons, nous n'aurons pas à nous reprocher notre impuissance en ce qui regarde sa conservation, et en ce qui concerne la multiplication de l'espèce. Nous formerons des sujets utiles à l'état, utiles à eux-mêmes, capables de rendre les services les plus essentiels dans l'administration des haras, et de préserver le royaume de ces pertes fréquentes qui le plongent dans un épuisement total, et auxquelles il sera sans-cesse exposé, jusqu'à ce qu'on remédie à l'impéritie des maréchaux, mal véritablement plus funeste et plus redoutable par sa constance et par ses effets, que les épidémies les plus cruelles.

L'éducation des académies peche encore par notre peu d'attention à tourner l'esprit des jeunes gens, sur les objets qui doivent principalement occuper le reste de leur vie. On ne leur donne pas la moindre idée des devoirs qu'ils contracteront. Ils entrent dans des régiments, sans savoir qu'il est un code et des éléments de l'Art militaire. Ils n'ont aucun maître qui leur explique, et qui puisse leur faire extraire avec fruit les bons ouvrages relatifs au métier auquel on les destine, tels que les principes de la guerre du maréchal de Puysegur, les commentaires sur Polybe du chevalier Folard, les mémoires de Feuquières, etc. en sorte qu'ils ne cheminent dans leur corps, que parce que l'ancienneté, et non le mérite, y règle les rangs, et qu'ils n'y vivent que dans cette dépendance aveugle faite pour le soldat, mais non pour des gentilshommes dont l'obéissance sage et raisonnée est dans la suite un titre de plus pour commander dignement.

La réalité des ressources qu'ils trouvent dans les langues étrangères, surtout dans celles des pays qui sont le théâtre ordinaire de nos guerres, nous impose l'obligation d'attacher à nos écoles des professeurs en ce genre. Nous devrions y joindre des maîtres versés dans la connaissance des intérêts des diverses nations. Tels de nos élèves apportent en naissant un esprit de souplesse et d'intrigue, fait pour démêler et pour mouvoir les différents ressorts des gouvernements ; la moindre culture les eut rendus propres à de grandes choses, aux négociations les plus épineuses et qui demandent le plus d'adresse ; mais ce même génie, qui d'un oeil actif et perçant eut pénétré le fond des affaires les plus délicates, et en eut découvert en un moment toutes les faces et toutes les suites, se perd et s'égare dès qu'il est négligé, et ne nous montre dans ces hommes, dont les talents restent enfouis, que des politiques obscurs, dignes à peine d'occuper une place dans ces cercles, ou par une sorte de délire une foule de sujets aisifs apprécient, règlent, et prédisent ce qui se passe dans l'intérieur du cabinet des souverains.

L'étude de l'Histoire seconderait nos vues à cet égard, d'autant plus que les gentilhommes confiés à nos soins sont dans un âge où, non-seulement il leur convient de l'apprendre, mais où il leur appartient d'en juger. Il en est de cette science comme de toutes les autres, elles ne sont profitables qu'autant qu'elles nous deviennent propres. Non vitae pourraient dire les enfants dans les colléges, sed scolae discimus (Sen. ep. 106. in fine) : ne nous occupons donc point à surcharger vainement leur mémoire ; ce que l'on dépose uniquement entre les mains de cette gardienne infidèle n'est d'aucune valeur, parce que savoir par cœur n'est pas savoir ; ce qu'on sait véritablement, on en dispose, et d'ailleurs la date de la ruine de Carthage doit moins attacher un jeune homme que les mœurs d'Annibal et de Scipion. Observons encore que le jugement humain est éclairé par la fréquentation du monde ; or de jeunes gens trouvent dans ces archives, où les actions des hommes sont consacrées, un monde qui n'est plus, mais qui semble exister et revivre encore pour eux ? elles ne nous offrent selon un des plus beaux génies de notre siècle, " qu'une vaste scène de faiblesses, de fautes, de crimes, d'infortunes, parmi lesquelles on voit quelques vertus et quelques succès, comme on voit des vallées fertiles dans une longue chaîne de rochers et de précipices ". Le théâtre sur lequel nous jouons nous-mêmes un rôle plus ou moins brillant, ne présente que ce spectacle à qui sait l'envisager ; mais l'histoire, en nous rappelant à des jours que la nuit des temps nous aurait infailliblement dérobés, multiplie les exemples et nous fait participer à des faits et à des révolutions dont la vie la plus longue ne nous aurait jamais rendus les témoins : par elle nos connaissances et nos affections s'étendent encore, nos vues bien loin d'être bornées et concentrées sur les objets qui frappent nos yeux, embrassent tout l'univers ; et ce livre énorme qui constate la variation perpétuelle et surprenante de tant d'humeurs, de sectes, d'opinions, de lois et de coutumes, ne peut enfin que nous apprendre à juger sainement des nôtres.

La religion et la probité s'étaient mutuellement et ne se séparent point : que l'on inspire à la jeunesse des sentiments d'honneur, elle ne s'écartera point des principes, qui, dès sa plus tendre enfance, doivent avoir été imprimés dans son cœur. Mais on doit substituer à des pratiques ridicules, à des démonstrations superstitieuses, à des déchirements de vêtements, à des actes de manie et de désespoir, à toutes les inépties, en un mot, dans lesquelles consistent toutes les instructions que la plupart des jeunes gens reçoivent dans certains colléges, et qui les mènent plutôt à l'idiotisme ou au mépris de la religion qu'au ciel, des leçons sur des vérités importantes qu'on leur a laissé ignorer ; ils y puiseront la vraie science des mœurs, et la connaissance de cette vertu aimable et non farouche, qui ne se permet que ce qu'elle peut se permettre, et qui sait jouir et posséder.

Quand aux maîtres de Musique et d'Instruments, le délassement ainsi que le désir et le besoin de plaire les ont rendus nécessaires. On ne réussit dans le commerce du monde, que sous la condition d'être utile, ou sous la condition d'y mettre de l'agrément ; celle-ci suppose encore une politesse simple, douce, et aisée, sans laquelle les talents n'ont aucun prix, et que des enfants n'acquerront qu'en renonçant à tous les plis de la première éducation, et en apprenant ce qu'ils n'ont jamais appris, c'est-à-dire à penser, à parler et à se taire.

Tel est en général le but que l'on devrait se proposer dans toutes les académies. Je conviens qu'élevées sur un semblable plan, il serait assez difficîle qu'elles fussent nombreuses ; mais six écoles de cette espèce seraient d'un secours réel à l'état, ne s'entre-détruiraient point les unes et les autres, et se soutiendraient d'elles-mêmes sans des faveurs telles que celles que demandait Pluvinel, surtout si les agréments des emplois militaires dépendaient du séjour et des progrès que des élèves y auraient faits.

Je dois au surplus déclarer ici, que je n'ai prétendu blâmer que les abus et non les personnes. Je sai que les intérêts, ou plutôt la vanité des hommes, se trouvent étroitement liés avec ceux de l'erreur ; mais la vraie philosophie ne respecte que la vérité, et n'en médite que le triomphe. D'ailleurs je me suis cru d'autant plus autorisé à en prendre ici la défense, que les écoles que je propose répondraient pleinement aux vues supérieures d'un ministre, qui, par l'établissement de l'école militaire, nous a prouvé que les grands hommes d'état s'annoncent toujours par des monuments utiles et durables. (e)