S. m. (Histoire moderne) faction ou parti qui s'est formé en Angleterre, et qui est opposé à celui des Whigs. Voyez FACTION, PARTI, WHIG, etc.

Ces deux fameux partis qui ont divisé si longtemps l'Angleterre, joueront dans l'histoire de ce royaume un rôle qui à plusieurs égards ne sera pas moins intéressant que celui des Guelfes et des Gibellins dans celle d'Italie.

Cette division a été poussée au point que tout homme qui n'incline pas plus d'un côté que de l'autre, est censé un homme sans principes et sans intérêt dans les affaires publiques, et ne saurait passer pour un véritable anglais : c'est pourquoi tout ce que nous avons à dire sur cet article, nous l'empruntons de la bouche des étrangers, que l'on doit supposer plus impartiaux, et en particulier de M. de Cize, officier français qui a été quelque temps au service d'Angleterre, et qui a fait l'histoire des Whigs et des Torys, imprimée à Leipsic en 1717, et de M. Rapin de Thoiras, dont la dissertation sur les Whigs et les Torys, imprimée la même année à la Haye, est assez connue dans le monde.

Pendant la malheureuse guerre qui conduisit le roi Charles I. sur l'échafaud, les partisans de ce roi furent appelés d'abord cavaliers, et ceux du parlement têtes rondes ; ces deux sobriquets furent changés dans la suite en ceux de torys et de whigs ; et ce fut à l'occasion d'une bande de voleurs qui se tenaient dans les montagnes d'Irlande ou dans les îles formées par les vastes marais de ce royaume, et que l'on appelait, comme on les appelle encore, Torys ou Rapparis ; les ennemis du roi accusant ce prince de favoriser la rébellion d'Irlande, qui éclata vers ce temps-là, ils donnèrent à ses partisans le nom de Torys ; et d'un autre côté, les royalistes pour rendre la pareille à leurs ennemis qui s'étaient ligués étroitement avec les Ecossais, donnèrent aux parlementaires le nom de Whigs, qui en Ecosse formait aussi une espèce de bandits, ou plutôt de fanatiques. Voyez WHIG.

Dans ce temps-là le but principal des Cavaliers ou Torys était de soutenir les intérêts du roi, de la couronne et de l'église anglicane : et les Whigs ou têtes rondes s'attachaient principalement à maintenir les droits et les intérêts du peuple et de la cause protestante ; les deux partis ont encore aujourd'hui les mêmes vues, quoiqu'ils ne portent plus les mêmes noms de cavaliers et de têtes rondes.

C'est-là l'opinion la plus commune sur l'origine des Whigs et des Torys ; et cependant il est certain que ces deux sobriquets furent à peine connus avant le milieu du règne de Charles II. M. de Cize dit que ce fut en 1678 que toute la nation se divisa en whigs et torys, à l'occasion de la déposition fameuse de Titus Oates qui accusa les Catholiques d'avoir conspiré contre le roi et contre l'état, et que le nom de whig fut donné à ceux qui croyaient la conspiration réelle, et celui de torys à ceux qui la traitaient de fable et de calomnie.

Notre plan demanderait que nous ne parlassions ici que des Torys ; et que pour ce qui regarde le parti opposé, nous renvoyassions à l'article particulier des Whigs ; mais comme en comparant et confrontant ces deux partis ensemble, on peut mieux caractériser l'un et l'autre que si on les dépeignait séparément, nous aimons mieux prendre le parti de ne point les séparer, et d'insérer dans cet article ce que nous retrancherons dans celui des Whigs.

Les deux factions peuvent être considérées relativement à l'état, ou relativement à la religion ; et les torys politiques se distinguent en torys violents et en torys modérés ; les premiers voudraient que le souverain fût aussi absolu en Angleterre que les autres souverains le sont dans les autres pays, et que sa volonté y fût regardée comme une loi irréfragable. Ce parti qui n'est pas extrêmement nombreux, ne laisse pas d'être formidable, 1°. par rapport à ses chefs qui sont des seigneurs du premier rang, et pour l'ordinaire les ministres et les favoris du roi, 2°. parce que ces chefs étant ainsi dans le ministère, ils engagent les torys ecclésiastiques à maintenir vigoureusement la doctrine de l'obéissance passive, 3°. parce que pour l'ordinaire le roi se persuade qu'il est de son intérêt de s'appuyer de ce parti.

Les torys modérés ne voudraient pas souffrir que le roi perdit aucune de ses prérogatives ; mais d'un autre côté ils ne voudraient pas sacrifier non plus les intérêts du peuple. M. Rapin dit que ce sont-là les vrais anglais qui ont souvent sauvé l'état, et qui le sauveront encore toutes les fois qu'il sera menacé de sa ruine de la part des torys violents ou des whigs républicains.

Les whigs politiques sont aussi ou républicains ou modérés : les premiers, selon le même auteur, sont le reste du parti de ce long parlement qui entreprit de changer la monarchie en république : ceux-ci font une si mince figure dans l'état, qu'ils ne servent qu'à grossir le nombre des autres whigs. Les Torys voudraient persuader que tous les Whigs sont de l'espèce des républicains, comme les Whigs veulent faire accroire que tous les Torys sont de l'espèce des torys violents.

Les whigs politiques modérés pensent à-peu-près comme les torys modérés, et s'efforcent de maintenir le gouvernement sur le pied ancien. Toute la différence qu'il y a entr'eux, c'est que les torys modérés panchent un peu davantage du côté du roi, et les whigs modérés du côté du parlement et du peuple : ces derniers sont dans un mouvement perpétuel pour empêcher que l'on ne donne atteinte aux droits du peuple ; et pour cet effet ils prennent quelquefois des précautions qui donnent atteinte aux prérogatives de la couronne.

Avant de considérer les deux partis relativement à la religion, il faut observer que la réformation, suivant le degré de rigueur ou de modération auquel on l'a poussé, a divisé les Anglais en épiscopaux et en presbytériens ou puritains. Les premiers prétendent que la juridiction épiscopale doit être continuée sur le même pied, et l'église gouvernée de la même manière qu'avant la réformation ; mais les derniers soutiennent que tous les ministres ou prêtres sont égaux en autorité, et que l'église doit être gouvernée par les presbytères ou consistoires composés de prêtres et d'anciens laïques. Voyez PRESBYTERIENS.

Après de longues disputes, les plus modérés de chaque parti relâchèrent un peu de leur première fermeté, et formèrent ainsi deux branches de Whigs et de Torys, modérés relativement à la religion : mais le plus grand nombre continua de s'en tenir à leurs premiers principes avec une opiniâtreté inconcevable, et ceux-ci formèrent deux autres branches d'épiscopaux et de presbytériens rigides qui subsistent jusqu'à ce jour, et que l'on comprend sous le nom général de Whigs et de Torys, parce que les Episcopaux se sont joints aux Torys, et les Presbytériens aux Whigs.

De tout ce qui a été dit ci-dessus, nous pouvons conclure que les noms de Torys et de Whigs sont équivoques, entant qu'ils ont rapport à deux objets différents, et que par conséquent on ne doit jamais les appliquer à l'un ni à l'autre parti, sans exprimer en même temps en quel sens on le fait : car la même personne peut être whig et tory à différents égards ; un presbytérien, par exemple, qui souhaite la ruine de l'église anglicane, est certainement à cet égard du parti des Whigs ; et cependant s'il s'oppose aux entreprises que forment quelques-uns de son parti contre l'autorité royale, on ne saurait nier qu'un tel presbytérien ne soit effectivement à cet égard du parti des Torys.

De même les Episcopaux doivent être regardés comme des Torys par rapport à l'église, et cependant combien y en a-t-il parmi eux qui sont des Whigs véritables par rapport au gouvernement ?

Au reste, il parait que les motifs généraux qui ont fait naître et qui fomentent encore les deux factions, ne sont que des intérêts particuliers et personnels : ces intérêts sont le premier mobîle de leurs actions ; car dès l'origine de ces factions, chacun ne s'est efforcé de remporter l'avantage, qu'autant que cet avantage pouvait leur procurer des places, des honneurs et des avancements, que le parti dominant ne manque jamais de prodiguer à ses membres, à l'exclusion de ceux du parti contraire. A l'égard des caractères que l'on attribue communément aux uns et aux autres, les Torys, dit M. Rapin, paraissent fiers et hautains ; ils traitent les Whigs avec le dernier mépris et même avec dureté, quand ils ont l'avantage sur eux. Ils sont extrêmement vifs et emportés, et ils procedent avec une rapidité qui n'est pas toujours l'effet de l'ardeur et du transport, mais qui se trouve fondée quelquefois sur une bonne politique : ils sont fort sujets à changer de principes, suivant que leur parti triomphe ou succombe.

Si les Presbytériens rigides pouvaient dominer dans le parti des Whigs, ils ne seraient pas moins zélés et ardents que les Torys ; mais nous avons déjà observé qu'ils n'ont pas la direction de leur parti, ce qui donne lieu à conclure que ceux qui sont à la tête des Whigs, ont beaucoup plus de modération que les chefs des Torys : à quoi l'on peut ajouter que les Whigs se conduisent ordinairement selon des principes fixes et invariables, qu'ils tendent à leurs fins par degrés, et qu'il n'y a pas moins de politique dans leur lenteur que dans la vivacité des Torys.

Ainsi, continue l'auteur, on peut dire à l'avantage des Whigs modérés, qu'en général ils soutiennent une bonne cause, savoir la constitution du gouvernement, comme il est établi par les lois. Voyez WHIGS.