DEPOUILLES, (Antiquité romaine) on nommait ainsi les armes consacrées à Jupiter Férétrien, et remportées par le chef ou tout autre officier de l'armée romaine sur le général ennemi, après l'avoir tué de sa propre main en bataille rangée.

Les armes, les drapeaux, les étendarts, les boucliers remportés sur les ennemis dans les combats étaient de brillantes marques de la victoire. L'on ne se contentait pas de les mettre dans les temples, on les exposait à la vue du public, on les suspendait dans le lieu le plus fréquenté de la maison, et il n'était pas permis de les arracher, même quand on vendait la maison, ni de les suspendre une seconde fais, si elles venaient à tomber.

Il ne faut pas confondre ces sortes de trophées militaires avec les dépouilles d'argenterie, de meubles et d'autres effets du pillage des villes ; ces dernières étaient un gain, un profit, et non pas un honneur. Fabius Maximus fut loué par tous les gens de bien après la prise de Tarente, d'avoir laissé aux Tarentins les tableaux et les statues des dieux ; c'est à ce sujet qu'il dit ce mot qui n'a jamais été oublié : " Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités ". En effet, suivant la réflexion du sage Polybe, les ornements étrangers dont on dépouille les villes, ne font qu'attirer la haine et l'envie sur ceux qui les ont pris, et la compassion pour ceux qui les ont perdus. D'ailleurs c'est nous tromper grossièrement, continue-t-il, que de nous persuader que les dépouilles des villes ruinées et les calamités des autres fassent la gloire et l'ornement de notre pays.

Mais la gloire de tuer dans le combat le chef des ennemis, et de lui enlever ensuite ses propres armes, était regardée comme une action également honorable et utile, parce qu'elle était la plus propre à assurer le succès de la victoire. Aussi lisons-nous dans Homère qu'Enée défendit de toutes ses forces Pandarus attaqué par Diomède, et qu'il aurait lui-même succombé à la fureur de ce redoutable ennemi, si Vénus veillant sans cesse pour le salut de son fils, ne l'eut pris entre ses bras, et ne l'eut couvert d'une partie de sa robe divine.

Festus cite une loi de Numa Pompilius qui distingue trois sortes de dépouilles opimes. Il ordonne que les premières soient consacrées à Jupiter Férétrien, les secondes à Mars, et les troisiemes à Quirinus. Il veut que ceux qui les ont remportées aient le premier 300 as, le second 200, et le troisième 100 ; mais les seules dépouilles qu'on nommait par excellence du nom d'opimes, étaient les premières qui se gagnaient en bataille rangée par le général ou tout soldat romain, qui tuait de sa propre main le général des ennemis.

Le mot opimes signifie richesse, puissance, excellence. Dans Ciceron ager opimus, et dans Virgile arva opima, sont des terres fertiles et d'un grand rapport ; ainsi opima spolia désignaient des dépouilles par excellence. Ecoutons ce qu'en dit Plutarque dans la vie de Marcellus.

" Le sénat, dit-il, lui décerna l'honneur du triomphe après avoir défait les Gaulois, et tué de sa main leur roi Viridomare : son triomphe fut un des plus merveilleux par la magnificence de tout l'appareil ; mais le spectacle le plus agréable et le plus nouveau fut Marcellus lui-même portant à Jupiter l'armure du roi barbare ; car ayant fait tailler le tronc d'un chêne, et l'ayant accommodé en forme de trophée, il le revêtit de ces armes en les arrangeant proprement et avec ordre.

Quand la pompe se fut mise en marche, il monta sur un char à quatre chevaux ; et prenant ce chêne ainsi ajusté, il traversa toute la ville, les épaules chargées de ce trophée, qui avait la figure d'un homme armé, et qui faisait le plus superbe ornement de son triomphe. Toute l'armée le suivait avec des armes magnifiques, en chantant des chansons composées pour cette cérémonie, et des chants de victoire à la louange de Jupiter et de leur général ".

Dès qu'il fut arrivé dans cet ordre au temple de Jupiter Férétrien, il planta ce trophée et le consacra. Voilà le troisième et le dernier capitaine qui ait eu cet honneur chez les Romains. Le premier qui remporta ces sortes de dépouilles opimes fut Romulus après avoir tué Acron, roi des Céninéens, et son triomphe a été l'origine et le modèle de tous les autres triomphes. Le second qui remporta les dépouilles opimes fut Cornélius Cossus, qui défit et tua Tolumnius, roi des Toscans ; et le troisième fut Marcellus, après avoir tué Viridomare, roi des Gaulois.

Le même historien prétend dans la vie de Romulus, qu'il n'y a que les généraux d'armée romaine qui ont tué de leur main le général des ennemis, qui aient eu la permission de consacrer à Jupiter les dépouilles opimes ; mais il se trompe ; ce n'était point une condition nécessaire que celui qui prenait ces dépouilles, et qui tuait de sa main le général ennemi, commandât lui-même en chef ; non-seulement un officier subalterne, mais un simple soldat pouvait gagner les dépouilles opimes, et en faire l'offrande à Jupiter Férétrien. Varron l'assure, la loi de Numa le dit, et finalement ce fait est confirmé par l'exemple de Cornélius Cossus, qui tua Tolumnius, roi des Toscans, et gagna les dépouilles opimes n'étant que tribun des soldats, car le général était Aemilius. C'est à la vérité Tite-Live qui a jeté Plutarque dans l'erreur en nommant Cossus consul d'après une inscription, qui ne signifiait autre chose sinon que Cossus était ensuite parvenu à la dignité du consulat. Tite-Live se conduisit ainsi moins par erreur que par flatterie pour Auguste, dont le but était d'étouffer la tradition immémoriale, que les particuliers pouvaient prétendre au grand honneur du triomphe par les dépouilles opimes. (D.J.)