S. m. pl. (Histoire ancienne) hommes qui s'avilirent sous les empereurs jusqu'à devenir les accusateurs, ou déclarés, ou secrets, de leurs concitoyens. Les tyrants avertis par leur conscience qu'il ne pouvait y avoir de sûreté pour eux au milieu des peuples qu'ils opprimaient, crurent que le seul moyen qu'ils avaient de connaître les périls dont ils étaient environnés, et de s'en garantir, c'était de s'attacher par l'intérêt et par l'ambition, des âmes viles qui se répandissent dans les familles, en surprissent les secrets, et les leur déférassent ; ce qui fut exécuté. Les délateurs commencèrent par sacrifier leurs ennemis : leur haine satisfaite, ils songèrent à contenter leur avarice ; ils accusèrent les particuliers les plus riches, dont ils partagèrent la dépouille avec l'homme sanguinaire et cruel qui les employait. Ils consultèrent ensuite les frayeurs incertaines et vagues du tyran ; et les têtes malheureuses sur lesquelles ses alarmes s'arrêtèrent un moment, furent des têtes proscrites. Lorsque les délateurs eurent dévasté la capitale, exterminé tout ce qu'il y avait d'honnêtes gens, et satisfait les passions des empereurs et les leurs, ils se vendirent aux passions des autres ; et celui qui était embarrassé de la vie d'un homme, n'avait qu'à acheter le crédit d'un délateur. On leur avait accordé la huitième et même la quatrième partie des biens de l'accusé ; ils en furent appelés quadruplatores. Néron les paya moins, sans-doute pour en gager un plus grand nombre. Antonin le pieux en fit mourir plusieurs ; d'autres furent battus de verges, envoyés en exil, ou mis au rang des esclaves : ceux qui échappèrent à ces châtiments, échappèrent rarement à l'infamie. Les bons princes n'ont point eu de délateurs. Voyez Tacite ; voyez aussi l'article suivant, et CALOMNIE.

DELATEUR, (Jurisprudence) est celui qui dénonce à la justice un crime ou délit, et celui qui en est l'auteur, soit en le nommant, ou le désignant de quelque autre manière, sans se porter partie civile.

La qualité de délateur et celle de dénonciateur sont dans le fond la même chose ; il semble néanmoins que la qualité de délateur s'applique singulièrement aux dénonciations les plus odieuses : en France on ne se sert que du terme de dénonciateur ; mais comme ce qui est réglé dans le droit pour les délateurs a rapport aux dénonciateurs, nous expliquerons ici ce qui se trouve dans les lois contre ces sortes de personnes, tant sous la qualité de délateurs que sous celle de dénonciateurs : au parlement de Provence on les appelle instigateurs.

Les lois romaines disent que les délateurs font la fonction d'accusateurs ; et en effet, ils accusent le coupable ; on distingue néanmoins dans notre usage les délateurs et dénonciateurs d'avec les accusateurs proprement dits.

Le délateur, ou dénonciateur, est celui qui sans être intéressé personnellement à la vengeance du crime ; le dénonce à la justice qui fait seule la poursuite ; au lieu que l'accusateur est celui qui étant intéressé à la vengeance du crime en rend une plainte à la justice, et en poursuit la réparation pour ce qui le concerne comme partie civile.

Il y a toujours eu des délateurs, et leur conduite a été envisagée différemment selon les temps.

Les plus fameux délateurs qui sont connus dans l'histoire, sont ceux qui se rendaient dénonciateurs du crime de lése-majesté ; ils avaient le quart du bien des condamnés.

Cneius Lentulus, homme qualifié, fut accusé par son fils.

Caïus permit aux esclaves d'accuser leurs maîtres.

Claude au contraire défendit d'écouter mêmes les affranchis.

Galba fit punir les délateurs esclaves ou libres.

Ils furent pareillement punis sous l'empereur Macrin : les esclaves qui avaient accusé leurs maîtres étaient mis en croix.

Constantin par deux lois faites en 312 et en 319, défendit absolument d'écouter les délateurs, et ordonna qu'ils seraient punis du dernier supplice.

Les choses furent réglées tout différemment par le code Théodosien ; car outre les dénonciateurs particuliers qui étaient autorisés, il y en avait de publics appelés curiosi et stationarii ; on y voit aussi qu'il y avait des gens qui se dénonçaient eux-mêmes pour avoir la part du dénonciateur.

Suivant les lois du digeste et du code, les délateurs étaient odieux ; et le nom en était honteux tellement que c'était une injure grave d'avoir à tort traité quelqu'un de délateur.

Les esclaves ne pouvaient accuser leurs maîtres, ni les affranchis leurs patrons ; ceux qui contrevenaient à cette loi devaient être punis.

Le patron qui avait accusé son affranchi était exclus de la possession de ses biens.

Cependant les délateurs non-seulement étaient autorisés, mais il y avait plusieurs cas dans lesquels ils n'étaient point réputés infâmes ; c'est ce qu'explique la loi 2 au digeste de jure fisci ; c'étaient ceux qui ne s'étaient point rendus dénonciateurs par aucun espoir de récompense ; ceux qui avaient dénoncé leur ennemi pour en obtenir réparation, ou qui avaient eu pour objet l'intérêt public ; enfin ceux qui avaient été obligés de faire la dénonciation à cause de leur ministère, ou qui l'avaient faite par ordonnance de justice.

L'empereur Adrien avait même décidé que celui qui avait des titres nécessaires à la cause du fisc, et ne les représentait pas, quoiqu'il put le faire, était coupable de soustraction de pièces.

En France les délateurs ou dénonciateurs sont regardés peu favorablement ; ils sont néanmoins autorisés, tant en matière criminelle qu'en matière de police, et de contravention aux édits et déclarations concernant la perception des deniers publics, ou pour les contraventions aux statuts et règlements des Arts et Métiers.

Dans les matières de contraventions, les règlements attribuent au dénonciateur une portion des amendes et confiscations.

Lors de la chambre de justice établie en 1716, les dénonciateurs furent mis sous la protection et sauve-garde du roi par un arrêt du conseil du 20 Octobre de la même année, qui prononçait peine de mort contre ceux qui pourraient les intimider, menacer, sequestrer, séduire, et détourner.

Il y a parmi nous deux sortes de dénonciateurs, les uns volontaires, les autres forcés : les premiers sont ceux qui se portent volontairement à faire une dénonciation, sans y être obligés par état ni par aucune loi, les dénonciateurs forcés sont ceux qui par état sont obligés de dénoncer les délits dont ils ont connaissance ; tels sont les sergens-forestiers, les messiers, et autres préposés semblables, qui prêtent même serment à cet effet. Il y a aussi certains cas où la loi oblige tous ceux qui ont connaissance d'un crime à le dénoncer, comme en fait de crime de lése-majesté humaine : ce qui comprend toutes les conspirations faites contre le roi ou contre l'état. Celui qui aurait connaissance de ces sortes de crimes, et ne les dénoncerait pas, serait punissable aux termes des ordonnances.

Il y a néanmoins certaines personnes qui ne sont pas obligées d'en dénoncer d'autres, comme la femme à l'égard de son mari et vice versâ, le père à l'égard de son fils, et le fils pour son père.

On ne doit recevoir aucune dénonciation de la part des personnes notées d'infamie, c'est-à-dire que le ministère public ne doit point asseoir une procédure sur une telle dénonciation ; il peut seulement la regarder comme un mémoire, et s'informer d'ailleurs des faits qu'elle contient.

L'ordonnance criminelle veut que les procureurs du roi et ceux des seigneurs aient un registre pour recevoir et faire écrire les dénonciations, qui seront circonstanciées et signées par les dénonciateurs ; sinon qu'elles soient écrites en leur présence par le greffier du siège qui en fera réception : il n'est pas permis de faire des dénonciations sous des noms empruntés, comme de Titius et de Moevius ; il faut que le dénonciateur se fasse connaître.

Les dénonciateurs dont la déclaration se trouve mal fondée, doivent être condamnés aux dépens, dommages et intérêts des accusés, et à plus grande peine s'il y échet : s'il parait que la dénonciation ait été faite de mauvaise foi, par vengeance, et à dessein de perdre l'accusé, le dénonciateur doit être puni comme calomniateur.

Celui qui ne serait plus recevable à se porter partie civile, parce qu'il aurait transigé avec l'accusé, peut encore se rendre dénonciateur.

Si le dénonciateur se désiste de sa dénonciation, il peut être poursuivi par l'accusé pour ses dommages et intérêts ; ce qui est conforme à la disposition du sénatusconsulte Turpillien, dont il est parlé au digeste, liv. XLVIII. tit. XVIe et au code, liv. IX. tit. xlv.

Les procureurs généraux, les procureurs du roi, et procureurs fiscaux, sont tenus en fin de cause de nommer leurs dénonciateurs à l'accusé, lorsqu'il est pleinement déchargé de l'accusation, mais non pas s'il est seulement reçu en procès ordinaire, on renvoie à la charge de se représenter toutes fois et quantes.

Si le procureur du roi ou fiscal refusait de nommer son dénonciateur au cas qu'il en ait eu quelqu'un, il serait tenu personnellement des dommages et intérêts et dépens des accusés ; mais le ministère public peut rendre plainte d'office sans dénonciateur.

Quoique le registre du ministère ne fit pas mention de celui qui s'est rendu dénonciateur, l'accusé peut être admis à en faire preuve, tant par titres que par témoins. Voyez au code le tit. de delatoribus, et au digeste, liv. XLIX. tit. xiv. Bouchel, au mot délateur et dénonciateur ; l'ordonnance de 1670, tit. IIIe et Bornier, ibid. Bouvot, quaest. not part. 3. let. D. verbo désister, quaest. 1. Guy Pape, quaest. 169. Imbert, instit. for. liv. III. p. 334. et en son enchiridion au mot accuser ; Papon, liv. XXIV. tit. j. n. 2. Journal des aud. tome I. liv. I. chap. c. Le Prêtre, arrêts célèbres ; Boniface, tom. V. liv. III. tit. ix. ch. IIe Coquille, quaest. XIIe Voyez aussi ACCUSATEUR, ACCUSE, PARTIE CIVILE, PARTIE PUBLIQUE, MINISTERE PUBLIC, PROCUREUR GENERAL, DU ROI, et FISCAL. (A)