S. m. (Histoire des Turcs) soldat d'infanterie turque, qui forme un corps formidable en lui-même, et surtout à celui qui le paye.

Les gen-y-céris, c'est-à-dire, nouveaux soldats, que nous nommons janissaires, se montrèrent chez les Turcs (quand ils eurent vaincu les Grecs) dans toute leur vigueur, au nombre d'environ 45 mille, conformément à leur établissement, dont nous ignorons l'époque. Quelques historiens prétendent que c'est le sultan Amurath II, fils d'Orcan, qui a donné en 1372, à cette milice déjà instituée, la forme qu'on voit subsister encore.

L'officier qui commande cette milice, s'appelle jen-y-céris aghasi ; nous disons en français l'aga des janissaires ; et c'est un des premiers officiers de l'empire.

Comme on distingue dans les armées de sa hautesse les troupes d'Europe, et les troupes d'Asie, les janissaires se divisent aussi en janissaires de Constantinople, et janissaires de Damas. Leur paye est depuis deux aspres jusqu'à douze ; l'aspre vaut environ six liards de notre monnaie actuelle.

Leur habit est de drap de Salonique, que le grand-seigneur leur fait donner toutes les années, le jour de Ramazan. Sous cet habit ils mettent une surveste de drap bleu ; ils portent d'ordinaire un bonnet de feutre, qu'ils appellent un zarcola, et un long chaperon de même étoffe qui pend sur les épaules.

Leurs armes sont en temps de guerre un sabre, un mousquet, et un fourniment qui leur pend du côté gauche. Quant à leur nourriture, ce sont les soldats du monde qui ont toujours été le mieux alimentés ; chaque oda de janissaires avait jadis, et a encore, un pourvoyeur qui lui fournit du mouton, du ris, du beurre, des légumes, et du pain en abondance.

Mais entrons dans quelques détails, qu'on sera peut-être bien aise de trouverici, et dont nous avons M. de Tournefort pour garant ; les choses à cet égard, n'ont point changé depuis son voyage en Turquie.

Les janissaires vivent honnêtement dans Constantinople ; cependant ils sont bien déchus de cette haute estime où étaient leurs prédécesseurs, qui ont tant contribué à l'établissement de l'empire turc. Quelques précautions qu'aient pris autrefois les empereurs, pour rendre ces troupes incorruptibles ; elles ont dégénéré. Il semble même qu'on soit bien-aise depuis plus d'un siècle, de les voir moins respectées, de crainte qu'elles ne se rendent plus redoutables.

Quoique la plus grande partie de l'infanterie turque s'arroge le nom de janissaires, il est pourtant sur que dans tout ce vaste empire, il n'y en a pas plus de 25 mille qui soient vrais janissaires, ou janissaires de la Porte : autrefois cette milice n'était composée que des enfants de tribut, que l'on instruisait dans le Mahométisme. Présentement cela ne se pratique plus, depuis que les officiers prennent de l'argent des Turcs, pour les recevoir dans ce corps. Il n'était pas permis autrefois aux janissaires de se marier, les Musulmants étant persuadés que les soins du ménage rendent les soldats moins propres à la profession des armes : aujourd'hui se marie qui veut avec le consentement des chefs, qui ne le donnent pourtant pas sans argent ; mais la principale raison qui détourne les janissaires du mariage, c'est qu'il n'y a que les garçons qui parviennent aux charges, dont les plus recherchées sont d'être chefs de leur oda.

Toute cette milice loge dans de grandes casernes, distribuées en plusieurs chambres : chaque chambre a son chef qui y commande. Il reçoit ses ordres des capitaines, au-dessus desquels il y a le lieutenant-général, qui obéit à l'aga seul.

Le bonnet de cérémonie des janissaires est fait comme la manche d'une casaque ; l'un des bouts sert à couvrir leur tête, et l'autre tombe sur leurs épaules ; on attache à ce bonnet sur le front, une espèce de tuyau d'argent doré, long de demi-pié, garni de fausses pierreries. Quand les janissaires marchent à l'armée, le sultan leur fournit des chevaux pour porter leur bagage, et des chameaux pour porter leurs tentes ; savoir un cheval pour 10 soldats, et un chameau pour 20. A l'avénement de chaque sultan sur le trone, on augmente leur paye pendant quelque temps d'un aspre par jour.

Les chambres héritent de la dépouille de ceux qui meurent sans enfants ; et les autres, quoiqu'ils aient des enfants, ne laissent pas de léguer quelque chose à leur chambre. Parmi les janissaires, il n'y a que les solacs et les peyes qui soient de la garde de l'empereur ; les autres ne vont au serrail, que pour accompagner leurs commandants les jours de divan, et pour empêcher les désordres. Ordinairement on les met en sentinelle aux portes et aux carrefours de la ville : tout le monde les craint et les respecte, quoiqu'ils n'aient qu'une canne à la main, car on ne leur donne leurs armes, que lorsqu'ils vont en campagne.

Plusieurs d'entr'eux ne manquent pas d'éducation, étant en partie tirés du corps des amazoglans, parmi lesquels leur impatience, ou quelqu'autre défaut, ne leur a pas permis de rester : ceux qui doivent être reçus, passent en revue devant le commissaire, et chacun tient le bas de la veste de son compagnon. On écrit leurs noms sur le registre du grand-seigneur ; après quoi ils courent tous vers leurs maîtres de chambre, qui pour leur apprendre qu'ils sont sous sa juridiction, leur donne à chacun en passant, un coup de main derrière l'oreille.

On leur fait faire deux serments dans leur enrôlement ; le premier, de servir fidèlement le grand-seigneur ; le second, de suivre la volonté de leurs camarades. En effet, il n'y a point de corps plus uni que celui des janissaires, et cette grande union soutient singulièrement leur autorité ; car quoiqu'ils ne soient que 12 à 13 mille dans Constantinople, ils sont surs que leurs camarades ne manqueront pas d'approuver leur conduite.

De-là vient leur force, qui est telle, que le grand-seigneur n'a rien au monde de plus à craindre que leurs caprices. Celui qui se dit l'invincible sultan, doit trembler au premier signal de la mutinerie d'un misérable janissaire.

Combien de fois n'ont-ils pas fait changer à leur fantaisie la face de l'empire ? les plus fiers empereurs, et les plus habiles ministres, ont souvent éprouvé qu'il était pour eux du dernier danger d'entretenir en temps de paix, une milice si redoutable. Elle déposa Bajazet II. en 1512 ; elle avança la mort d'Amurat III. en 1595 ; elle menaça Mahomet III. de le détrôner. Osman II. qui avait juré leur perte, ayant imprudemment fait éclater son dessein, en fut indignement traité, puisqu'ils le firent marcher à coups de pieds depuis le serrail jusques au château des sept tours, où il fut étranglé l'an 1622. Mustapha que cette insolente milice mit à la place d'Osman, fut détrôné au bout de deux mois, par ceux-là même qui l'avaient élevé au faite des grandeurs. Ils firent aussi mourir le sultan Ibrahim en 1649, après l'avoir trainé ignominieusement aux sept tours ; ils renversèrent du trone son fils Mahomet IV. à cause du malheureux succès du siège de Vienne, lequel pourtant n'échoua que par la faute de Cara-Mustapha, premier vizir. Ils préférèrent à cet habîle sultan son frère Soliman III. prince sans mérite, et le déposèrent à son tour quelque temps après. Enfin, en 1730, non-contens d'avoir obtenu qu'on leur sacrifiât le grand vizir, le rei-Effendi, et le capitan bacha ; ils déposèrent Achmet III. l'enfermèrent dans la prison, d'où ils tirèrent sultan Mahomet, fils de Mustapha II. et le proclamèrent à sa place. Voilà comme les successions à l'empire sont réglées en Turquie. (D.J.)