, (Géographie moderne) Cette zone est terminée par les deux cercles tropiques, et se trouve entre les deux zones tempérées. L'équateur la divise en deux parties égales, l'une septentrionale, et l'autre méridionale. Elle a 47 degrés de largeur qui valent 1175 lieues, de vingt-cinq au degré. On l'appelle torride, parce qu'étant directement sous le lieu par où le soleil passe en faisant son cours, elle est frappée à plomb de ses rayons, et en souffre une chaleur excessive ; mais le milieu de cette zone est beaucoup plus tempéré que ses extrémités, tant à cause de l'égalité des jours et des nuits, qu'à cause qu'il n'y a pas un aussi long solstice que sous les tropiques.

Les peuples qui demeurent précisément au centre de la zone torride, ont un continuel équinoxe ; les jours, ainsi que les nuits, y sont perpétuellement de douze heures, et les crépuscules y sont très-courts, parce que le soleil descendant perpendiculairement sous l'horizon, arrive bien-tôt au dix-huitième degré, qui est la fin du crépuscule du soir, et le commencement de l'aurore.

On donne à la zone torride, neuf mille lieues de 25 au degré en son circuit sous l'équateur, ce qui est sa plus grande étendue ; et environ huit mille 253 lieues dans ses extrémités sous les tropiques.

On dit que les anciens ne croyaient la zone torride ni habitée, ni habitable, et c'était-là effectivement l'opinion générale. Mais il est à-propos de remarquer, que notre zone torride est presque le double de celle des anciens : la nôtre s'étend d'un tropique à l'autre, la leur n'allait que du douzième degré de latitude septentrionale et un peu plus, au douzième degré de latitude méridionale, et quelque chose audelà. Strabon est formel là-dessus. Il dit qu'à trois mille stades de Méroé, en tirant droit au midi, on parvient aux lieux où personne ne peut habiter à cause de la chaleur ; que ces lieux ont le même parallèle que la région Cinna Momifère ; que c'est-là où l'on doit mettre les bornes de notre terre habitée du côté du midi.

Ajoutons à ces trois mille stades, les cinq mille que Strabon compte de Syéne à Méroé, nous aurons huit mille stades, ou ce qui est la même chose, du tropique du cancer au commencement de la zone torride ; reste donc huit mille huit cent stades de ce dernier point à l'équateur ; or huit mille huit cent stades, sont 12 degrés et un peu plus, suivant le calcul de Strabon, puisqu'il compte seize mille huit cent stades de Syéne, ou du tropique à l'équateur.

Quoique la plupart des anciens ne crussent pas leur zone torride habitable, il s'est trouvé néanmoins quelques-uns de leurs philosophes qui n'ont pas suivi le torrent. Strabon lui-même, qui tenait pour l'opinion commune, dit que Polybe et Eratosthène étaient d'un avis contraire. On ne voit pas en effet, comment avec un peu de philosophie on pouvait croire la terre habitée en-deçà du douzième degré, et inhabitable au-delà. D'ailleurs dans le fait, il parait que Strabon et tous les auteurs qu'il cite, connaissaient des positions au-delà du douzième degré. Si le mont Elephas dont parle ce géographe après Arthémidore, est le mont Frellet d'aujourd'hui, comme il y a bien de l'apparence, si le , est le cap d'Orfai, ou un autre encore plus méridional, suivant Ptolémée, nous voilà assurément au-delà du douzième degré.

L'équateur divise la zone torride en deux parties égales, qu'on peut regarder comme deux zones torrides, l'une au nord, et l'autre au sud de l'équateur.

Sous la zone torride, sont situés une grande partie de l'Afrique, l'Abassie, l'Océan indien, une partie de l'Arabie, Camboye, l'Inde et les îles de la mer des Indes, Java, Ceylan, le Pérou, l'Espagne mexicaine, une grande partie de l'Océan atlantique, l'île de sainte Helene, le Brésil et la nouvelle Guinée.

Le tropique du cancer passe un peu au-delà du mont Atlas, sur la côte orientale d'Afrique, sur les frontières de la Libye et autres lieux dans l'intérieur de l'Afrique, par Syéne en Ethiopie ; il traverse la mer Rouge, au-delà de Sinaï, et la Mecque, les pays Mahométans, et l'Arabie heureuse ; il entre ensuite dans la mer des Indes, touche les bords de la Perse, et traverse Cambaye, l'Inde, Camboye, ou les limites du royaume de Siam, jusqu'à ce qu'il arrive à la mer Pacifique. Après l'avoir traversée, au-dessous de la Chersonese d'Amérique et la Californie, il passe par le royaume de Mexique, par l'océan atlantique, et touche les côtes de l'île de Cuba, et ensuite retourne à la côte occidentale d'Afrique.

Le tropique du capricorne, ne passe que par un petit nombre de pays, il traverse presque par-tout des mers ; il passe d'abord par la partie méridionale, ou la langue d'Afrique, le Monomotapa, Madagascar, dans l'océan Indien, dans la nouvelle Guinée, l'Océan pacifique, le Pérou, le Brésil et l'Océan atlantique.

Ce n'est point le froid qui fait l'hiver sous la zone torride, ce sont les pluies, ou une chaleur moindre que dans l'été ; pareillement, il n'y a dans bien des endroits de la zone torride, que deux saisons par an, savoir l'hiver et l'été. Plusieurs causes contribuent à diversifier les saisons, la chaleur, le froid, les pluies, la fertilité ou la stérilité qui règne dans les différentes régions de la zone torride.

Les pays situés à l'ouest de l'Afrique, depuis le tropique du cancer jusqu'au cap verd, qui est à quatorze degrés de latitude nord, sont tous fertiles en blé, en fruits de plusieurs sortes, en bestiaux, et les habitants y ont des corps robustes. La chaleur n'y est guère au-dessus d'un juste milieu ; les habitants vont aisément nuds, à l'exception des riches qui portent des habits. Les causes de cette fertilité, et de l'air tempéré qui y règne (quoique ce soit la zone torride), sont 1°. plusieurs rivières, dont les principales, le Sénéga et le Gambéa, arrosent le pays, et rafraichissent l'air ; 2°. le voisinage de la mer qui fournit des vapeurs humides et des vents frais.

Dans la partie méridionale d'Afrique, appelée Guinée, qui s'étend à l'est et à l'ouest, et qui est à quatre degrés ou plus de latitude nord, il y fait une chaleur continuelle sans aucune fraicheur. Il y fait dans certain mois une pluie abondante, des tonnerres, des éclairs si fréquents et des tempêtes si terribles, qu'il faut l'avoir Ve pour le concevoir. Les campagnes y restent désertes pendant les mois pluvieux, et le bled n'y croit pas. Mais quand ils sont passés, on creuse le terrain qui est sec, qui a bu toute la pluie, et on y mêle du charbon broyé au lieu de fumier, qu'on y laisse pourrir pendant dix jours ; après cette préparation de la terre, on seme et l'on recueille ensuite la moisson.

Les tempêtes, les éclairs et les pluies semblent provenir de ce que le soleil enlève une grande quantité de vapeurs de la mer et d'exhalaisons sulphureuses de la terre de la Guinée, qui ne sont dissipées par aucun vent constant. Quand ces pluies tombent, l'air est tiede, le soleil est vertical, et la chaleur qui règne, cause une grande difficulté de respirer.

Quoique leurs campagnes soient en friche pendant les mois pluvieux, leurs arbres portent sans cesse du fruit. Le jour y est presque égal à la nuit toute l'année ; le soleil se lève et se couche à six heures ; mais on le voit rarement se lever et se coucher, parce qu'il se lève le plus souvent couvert de nuages, et qu'il se couche, après avoir été enveloppé dans les nues.

Viennent ensuite les pays situés dans la langue de terre d'Afrique, qui s'étend au nord et au sud, comme le Manicongo, Angola, etc. depuis le second degré de latitude nord, jusqu'au tropique du capricorne ; car le royaume de Congo commence au second degré de latitude sud. L'hiver y est à-peu-près comme le printemps en Italie, d'une chaleur tempérée : on n'y change jamais d'habits, et il fait chaud, même sur le sommet des montagnes. L'hiver pluvieux y arrive avec le mois d'Avril et dure jusqu'au milieu de Septembre ; alors l'été commence et dure jusqu'au quinze Mars, et pendant tout cet intervalle, l'air y est toujours serein ; mais en hiver on voit rarement le soleil à cause des nuages ou des pluies. Il n'y pleut pas néanmoins tout le jour, mais seulement deux heures avant midi, et deux heures après.

Dans la province de Loango qui borde la mer, et n'est pas loin de Congo, à quatre degrés de latitude, il y a aussi des mois d'hiver pluvieux, et des mois d'été fort clairs ; mais le singulier, c'est que les pluies arrivent en des mois différents dans ces deux royaumes voisins.

Quand on tourne autour du cap, à la côte orientale de la langue de terre d'Afrique, où sont situés Sophala, Mozambique et Quiloa, jusqu'à l'équateur, l'hiver y dure depuis le premier Septembre jusqu'au premier Février, et l'été règne tout le reste de l'année.

Les autres pays situés depuis cette côte jusqu'à l'embouchure du golfe d'Arabie, et delà, jusqu'au tropique du cancer, nous sont trop inconnus pour dire l'arrangement de leurs saisons. Nous savons seulement, que tout cet espace de terre est stérile, sablonneux, extrêmement chaud, et sans presque aucune rivière qui l'arrose.

Passons de l'Afrique aux pays de l'Asie, qui sont situés sous la zone torride ; nous y trouvons l'Arabie sur la mer Rouge, depuis la Mecque jusqu'à Aden, à douze degrés de latitude-nord. Il y règne de grandes chaleurs en Mars et en Avril ; et encore plus quand le soleil y passe par le zénith, et qu'il en reste voisin en Mai, Juin, Juillet et Aout. La chaleur y est si grande, qu'on est obligé de se faire jeter de l'eau sur le corps pendant le jour, ou de se tenir dans des citernes remplies d'eau. Les marchands s'assemblent la nuit à Aden pour les affaires de leur commerce, et même alors, ils ont encore bien chaud. On peut supposer avec Varenius, que cette extrême chaleur vient de ce qu'il ne sort point de vapeurs aqueuses de la terre, qui est pierreuse et qui manque d'eau. Quant aux vapeurs qui s'élèvent de la mer Rouge, le vent général, quoique faible en cet endroit, les emporte vers l'ouest. Il y a aussi beaucoup de sables qui conservent toute la nuit la chaleur qu'ils ont reçue le jour, et la communiquent à l'air.

A Cambaye, et dans l'Inde qui est sous le tropique du cancer, et sur la côte de Malabar aux Indes orientales, du côté de l'ouest ; la saison humide dure depuis le 10 Juin jusqu'au 10 d'Octobre, plus ou moins longtemps, et plus ou moins constamment.

Sur la côte orientale de l'Inde appelée Coromandel, la chaleur est insupportable depuis le 4 Mai jusqu'au 4 Juin ; le vent souffle du nord, et l'on ne peut pas se tourner de ce côté-là sans sentir un air brulant, tel qu'on en ressent auprès d'une fournaise ardente : car le soleil est alors au nord à midi, et les pierres et le bois sont brulans ; mais l'eau des puits est froide : de sorte que plusieurs personnes sont mortes pour en avoir bu ayant bien chaud.

Dans les pays situés sur la côte de la mer, à l'embouchure du Gange, qui sont opposés aux côtes de Coromandel, et qui sont aussi au nord de la zone torride, comme Siam, Pégu, et la presqu'île de Malaca, les mois pluvieux qui font déborder les rivières, sont Septembre, Octobre et Novembre : mais dans le pays de Malaca, il pleut toute l'année deux ou trois fois par semaine, excepté dans les mois de Janvier, Février et Mars, où la sécheresse est continuelle. Tout cela est contraire au cours du soleil ; il faut donc en rejeter la cause sur les montagnes, les vents réglés ou la mer adjacente. Le débordement des rivières, et les vents réglés y tempèrent la chaleur, et y produisent une récolte abondante de toutes sortes de fruits.

En quittant l'Asie, et traversant la mer Pacifique, nous arrivons à l'Amérique, qui est sous la zone torride, tant au nord qu'au sud. La partie qui est au sud comprend le Pérou et le Brésil, qui quoique fort proches, ont pourtant leurs saisons en différents temps. Le Pérou se divise en pays maritimes, qui sont ceux où sont les montagnes ; et en plaines qui sont au-delà des montagnes. Dans la partie du Pérou voisine de la mer, il n'y tombe point de pluies, mais les nuages se tournent en rosées, qui chaque jour humectent les vallées, et les fertilisent.

Il y a quelques cantons sous la zone torride, où il fait un froid considérable ; car dans la province de Paitoa, au Popayan, et dans la vallée d'Artisina, l'été et l'hiver y sont si froids, que le blé ne peut pas y croitre. Dans les campagnes voisines de Cusco, environ au milieu du chemin de l'équateur au tropique du capricorne, il y règne quelques gelées, et on y trouve quelquefois de la neige.

La partie méridionale d'Amérique, nommée le Brésil, qui s'étend à l'est depuis deux jusqu'à vingtquatre degrés de latitude sud, jouit çà et là d'une température saine. Dans sa partie antérieure il règne un vent frais, qui semble être un vent général, et non pas un vent d'est périodique. Il rafraichit les hommes, et rend supportable la chaleur violente du soleil, qui est précisément au-dessus de leurs têtes. Si la mer flue avec ce vent, il s'élève dès le matin ; mais si la mer s'éloigne de la côte, on ne le sent que plus tard. Il ne se ralentit pas le soir, comme il arrive dans tous les lieux de l'Inde ; mais il se fortifie avec le soleil, qui court avec lui à l'ouest, et continue jusqu'à minuit.

La plupart des campagnes du Brésil sont parsemées de collines, et l'on voit dans l'espace de plusieurs milles des vallées arrosées de petites rivières, qui les rendent fertiles dans le temps de pluies ; mais les montagnes sont desséchées par l'ardeur du soleil, au point que l'herbe et les arbres y meurent.

Si de l'Amérique méridionale nous passons à l'Amérique septentrionale, nous trouverons que dans la grande province de Nicaragua, dont le milieu est à dix degrés de latitude nord, il pleut pendant six mois, depuis le premier de Mai jusqu'au premier Novembre ; et dans les six autres mois, il fait un temps sec la nuit aussi-bien que le jour : ce phénomène ne s'accorde pas au mouvement du soleil ; car en Mai, Juin, etc. le soleil est au zénith ou bien proche ; et alors il devrait y avoir de la chaleur et du temps sec au-lieu de pluies : au-contraire, il est plus éloigné en Novembre et Décembre ; et ce devrait être le temps des pluies.

Enfin de l'examen des diverses saisons qui règnent dans la zone torride, on doit en conclure, 1°. qu'il y a plusieurs endroits où on sent à peine aucun froid dans aucun temps, et où l'hiver ne consiste que dans un temps pluvieux. 2°. Que dans un petit nombre d'autres endroits, le froid est assez sensible. 3°. Qu'il se fait sentir surtout à la fin de la nuit, le soleil étant alors fort enfoncé sous l'horizon. 4°. Que la grande raison qui fait qu'on supporte la chaleur, et qu'on peut habiter ces lieux, est qu'il n'y a point de longs jours, mais que tous sont à-peu-près de même longueur que les nuits ; car s'ils étaient aussi longs que sous la zone tempérée et la zone glaciale, on ne pourrait pas y habiter. 5°. Les vents modèrent aussi beaucoup la chaleur du soleil. 6°. Les différents lieux, quoique près les uns des autres, y ont l'été et l'hiver en différents temps. 7°. Les endroits qui ont la chaleur et la sécheresse contre le cours du soleil, sont situés à l'ouest, et ont une chaîne de montagnes à l'est, excepté le Pérou. 8°. Les saisons en différents lieux ne suivent pas de règle certaine. 9°. La plupart des habitants de la zone torride, comptent deux saisons, suivant le rapport des voyageurs, savoir, la seche et l'humide : cependant on doit en compter quatre, y compris un printemps et un automne ; car comme le printemps chez nous tient un peu de l'été, et l'automne de l'hiver, de même aussi on peut partager les saisons seches et humides sous la zone torride. 10°. Il y a dans certains endroits un automne continuel ; dans d'autres il arrive deux fois l'année ; et dans quelques-uns seulement dans une partie de l'année.

Nous craignons que ce détail, tiré de Varénius, tout nécessaire qu'il est en géographie, ne soit devenu ennuyeux à la plupart des lecteurs ; mais nous allons les dédommager avec usure de notre sécheresse, par le tableau poétique que le célèbre peintre des saisons a fait de ce climat merveilleux et brulant, auprès duquel le firmament que nous voyons est, pour ainsi dire, de glace.

C'est dans la zone torride que le soleil s'élève tout-à-coup perpendiculairement, et chasse du ciel à l'instant le crépuscule, qui ne fait que paraitre. Environné d'une flamme ardente, il étend ses fiers regards sur tout l'air éblouissant. Il monte sur son char enflammé ; mais il fait sortir devant lui des portes du matin, les vents alisés, pour tempérer ses feux, et souffler la fraicheur sur un monde accablé. Scènes vraiment grandes, couronnées d'une beauté redoutable, et d'une richesse barbare, dont le père de la lumière parcourt continuellement le théâtre, et jouit du privilège de doubler les saisons.

Là les montagnes sont enflées de mines, qui s'élèvent sur le faite de l'équateur, d'où plusieurs sources jaillissent, et roulent de l'or. Là sont de vastes forêts qui s'étendant jusqu'à l'horizon, offrent une ombre immense, profonde, et sans bornes. Ici, des arbres inconnus aux chants des anciens poètes, mais nobles fils des fleuves et de la chaleur puissante, percent les nuages, portent dans les cieux leurs têtes hérissées, et voilent le jour même en plein midi. Ailleurs, des fruits sans nombre, nourris au milieu des rochers, renferment sous une rude écorce une pulpe salutaire ; et les habitants tirent de leurs palmiers un vin rafraichissant, préférable à tous les jus frénétiques de Bacchus.

La perspective varie à l'infini, soit par des plaines à perte de vue, soit par des prés qui sont sans bornes. De riches vallées changent leurs robes éclatantes en un brun rougeâtre, et revêtissent encore promptement leur verdure, selon que le soleil brulant, les rosées abondantes, ou les torrents de pluie, prennent le dessus. Le long de ces régions solitaires, loin des faibles imitations de l'art, la majestueuse nature demeure dans une retraite auguste. On n'aperçoit que des troupeaux sauvages, qui ne connaissent ni maître, ni bergerie. Des fleuves prodigieux roulent leurs vagues fertiles. Là, entre les roseaux qu'ils baignent, le crocodîle moitié caché et renfermé dans ses écailles vertes, couvrant le terrain de sa vaste queue, parait comme un cedre tombé. Le flux s'abbaisse, et l'hippopotame revêtu de sa cotte de mailles, élève sa tête ; la flèche lancée sur ses flancs, se brise en éclats inutiles ; il marche sans crainte sur la plaine, ou cherche la colline pour prendre différente nourriture ; les troupeaux en cercle autour de lui oublient leurs pâturages, et regardent avec admiration cet étranger sans malice.

L'énorme élephant repose paisiblement sous les arbres antiques qui jettent leur ombre épaisse sur le fleuve jaunâtre du Niger, ou aux lieux où le Gange roule ses ondes sacrées, ou enfin au centre profond des bois obscurs qui lui forment un vaste et magnifique théâtre. C'est le plus sage des animaux, doué d'une force qui n'est pas destructive, quoique puissante. Il voit les siècles se renouveller et changer la face de la terre, les empires s'élever et tomber ; il regarde avec indifférence ce que la race des hommes projette. Trais fois heureux, s'il peut échapper à leur méchanceté, et préserver ses pas des pieges qu'ils lui tendent, soit par une cruelle cupidité, soit pour flatter la vanité des rais, qui s'enorgueillissent d'être portés sur son dos élevé ; soit enfin pour abuser de sa force, en l'employant, étonné lui-même de nos fureurs, à nous détruire les uns les autres.

Les oiseaux les plus brillans s'assemblent en grand nombre sous l'ombrage le long des fleuves. Ils paraissent de loin comme les fleurs les plus vives. La main de la nature, en se jouant, prit plaisir à orner de tout son luxe ces nations panachées, et leur prodigua ses couleurs les plus gaies. Mais toujours mesurée, elle les humilie dans leur chant. N'envions pas les belles robes que l'orgueilleux royaume de Montézuma leur prête, ni ces légions d'astres volans, dont l'éclat sans bornes réfléchit sur le soleil : nous avons Philomele ; et dans nos bois, pendant le doux silence de la nuit tranquille, ce chantre, simplement habillé, fredonne les plus doux accens.

C'est au milieu du plein midi, que le soleil quelquefois tout-à-coup accablé, se plonge dans l'obscurité la plus épaisse ; l'horreur règne ; un crépuscule terrible mêlé de jour et de nuit qui se combattent, et se succedent, parait sortir de ce grouppe effrayant. Des vapeurs continuelles roulent en foule jusqu'à l'équateur, d'où l'air raréfié leur permet de sortir. Des nuages prodigieux s'entassent, tournent avec impétuosité entrainés par les tourbillons de vents, où sont portés en silence, pesamment chargés des trésors immenses qu'exhale l'Océan. Au milieu de ces hautes mers condensées, autour du sommet des montagnes élevées, théâtre des fiers enfants d'Eole, le tonnerre pose son trône terrible. Les éclairs furieux et redoublés percent et pénètrent de nuage en nuage ; la masse entière cédant ensuite à la rage des élements, se précipite, se dissout, et verse des fleuves et des torrents.

Ce sont des trésors échappés à la recherche des anciens, que les lieux d'où avec une pompe annuelle le puissant roi des fleuves, le Nil enflé, se dérobe des deux sources dans le brulant royaume de Goïam. Il sort comme une fontaine pure, et répand ses ondes, encore faibles, à-travers le lac brillant du beau Dambéa. Là, nourri par les nayades, il passe gaiement sa jeunesse au milieu des îles odoriférantes, qui sont ornées d'une verdure continuelle. Devenu ambitieux, le fleuve courageux brise tout obstacle, et recueille plusieurs rivières ; grossi de tous les trésors du firmament, il tourne et s'avance majestueusement ; tantôt il roule ses eaux au milieu de splendides royaumes ; tantôt il erre sur le sable inhabité, sauvage et solitaire ; enfin content de quitter ce triste désert, il verse son urne le long de la Nubie ; allant avec le bruit d'un tonnerre de rochers en rochers, il inonde et réjouit l'Egypte ensevelie sous ses vagues débordées.

Son frère le Niger, et tous les fleuves dans lesquels les filles d'Afrique lavent leurs pieds de jai, ouvrent leurs urnes. Tous ceux qui depuis l'étendue des montagnes et des bois se répandent dans les Indes abondantes, et tombent sur la côte de Coromandel ou de Malabar, depuis le fleuve oriental de Menam, dont les bords brillent au milieu de la nuit par ces insectes, qui sont autant de lampes, jusqu'aux lieux où l'aurore répand sur les bords des Indes les pluies de roses ; tous enfin dans la saison favorable, versent une moisson sans travail sur la terre.

Ton nouveau monde, illustre Colomb, ne l'abreuve pas moins de ces eaux abondantes et annuelles ; il est aussi rafraichi par l'humidité prodigue de l'année. L'Orénoque, qui a cent embouchures, roule sur ses ailes un déluge d'eaux fangeuses, et contraint les habitants du rivage à chercher leur salut au haut des arbres qui leur fournissent tout-à-la-fais, la nourriture, le vêtement et des armes.

Accru par un million de sources, le puissant Orellana, descend avec impétuosité, se précipitant des Andes rugissantes, immense chaîne de montagnes, qui s'étendent du nord au sud jusqu'au détroit de Magellan. A peine ose-t-on envisager cette masse énorme de torrents qui y prennent leur naissance. Que dire de la rivière de la Plata, auprès de laquelle toutes nos rivières réunies ne sont que des ruisseaux quand elles tombent dans la mer. Avec une force égale, les fleuves que je viens de nommer cherchent fiérement l'abîme, dont le flux vaincu recule du choc, et cede au poids liquide de la moitié du globe, tandis que l'Océan repoussé tremble pour son propre domaine.

Mais à quoi sert-il que des fleuves semblables à des mers traversent des royaumes inconnus, et coulent dans des mondes de solitude, où le soleil sourit envain, où les saisons sont infructueusement abondantes ? Pour qui sont ces déserts fleuris, cette pompe de la création, cette profusion riante de la nature prodigue, ces fruits délicieux qui n'ont pas été plantés et qui sont dispersés par les oiseaux, ou par les vents furieux ? Pour qui les insectes brillans de ces vastes régions filent-ils leurs soies superbes ? Pour qui les prés produisent-ils des robes végétales ? Quel avantage procurent aux habitants les trésors cachés dans les entrailles de la terre, les diamants de Golconde, et les mines du triste Potosi, antique séjour des paisibles enfants du Soleil ? De quelle utilité est-il que les rivières d'Afrique charrient de l'or, que l'ivoire y brille avec abondance ?

La race infortunée qui habite ces climats, ne connait ni les doux arts de la paix, ni rien de ce que les Muses favorables accordent aux humains. Elle ne possède point cette sagesse presque divine d'un esprit calme et cultivé, ni la vérité progressive, ni la force patiente de la pensée, ni la pénétration attentive dont le pouvoir commande en silence au monde, ni la lumière qui mène aux cieux, et gouverne avec égalité et douceur, ni le régime des lois, ni la liberté protectrice, qui seule soutient le nom et la dignité de l'homme.

Le soleil paternel semble même tyranniser ce monde d'esclaves, et d'un rayon oppresseur il flétrit la fleur de la beauté, et lui donne une couleur sombre et des traits grossiers ; ce qui est pis encore, les actions cruelles de ces peuples, leurs jalousies furieuses, leur aveugle rage, et leur vengeance barbare, allument sans cesse leurs esprits ardents. L'amour, les doux regards, la tendresse, les charmes de la vie, les larmes du cœur, l'ineffable délire de la douce humanité n'habitent point dans ce séjour ; toutes ces choses sont des fruits de plus doux climats. Là tout est confondu dans le désir brutal et dans la fureur sauvage des sens ; les animaux mêmes brulent d'un horrible feu.

Le serpent d'un verd effrayant, sortant à midi de son repaire sombre, que l'imagination craint de parcourir, déploie tout son corps dans les orbes immenses ; s'élançant alors de nouveau, il cherche la fontaine rafraichissante auprès de laquelle il quitte ses plis, et tandis qu'il s'élève avec une langue menaçante et des mâchoires mortelles, ce monstre dresse sa crête enflammée. Tous les autres animaux, malgré leur soif, fuient effrayés et tremblans, ou s'arrêtent à quelque distance, n'osant approcher.

Aussi-tôt que le jour pur a fermé son oeil sacré, le tigre s'élance avec fureur, et fixe ses regards sur sa proie ; l'ornement du désert, le vif et brillant léopard, tacheté de différentes couleurs, méprise aussi tous les artifices que l'homme invente pour l'apprivoiser. Tous ces animaux indomptables sortent des bois inhabités de la Mauritanie ou des îles qui s'élèvent au milieu de la sauvage Libye. Ils admirent leur roi hérissé, qui marchant avec des rugissements impérieux, laisse sur le sable la trace de ses pas. Les troupeaux domestiques sont saisis de frayeur à l'approche de ces monstres. Le village éveillé tressaillit, et la mère presse son enfant sur son sein palpitant. Le captif échappé de l'antre du pirate et des fers du fier tyran de Maroc, regrette ses chaînes, pendant que les cris font retentir les déserts depuis le mont Atlas jusqu'au Nil effrayé.

Malheureux celui qui séparé des plaisirs de la société, est laissé seul au milieu de cette région d'horreur et de mort. Tous les jours il s'assied tristement sur la pointe de quelque rocher, et regarde la mer agitée, espérant que de quelque rivage éloigné où la vague forme un tourbillon, il découvrira des vaisseaux qu'il se trace dans les nuages. Le soir il tourne un oeil triste au coucher du soleil, et son cœur mourant sans secours, se plonge dans la tristesse, quand le rugissement accoutumé vient se joindre au sifflement continuel, pendant la nuit, si longue et si terrible.

Souvent les éléments furieux semblent porter dans cette aride zone, le démon de la vengeance. Un vent suffoquant souffle une chaleur insupportable de la fournaise immense du firmament, et de la vaste et brillante étendue du sable brulant. Le voyageur est frappé d'une atteinte mortelle. Le chameau, fils du désert, accoutumé à la soif et à la fatigue, sent son cœur percé et desseché par ce souffle de feu.

Mais c'est principalement sur la mer et sur ses vagues flexibles que l'orage exerce son cruel empire. Dans le redoutable Océan, dont les ondes flottent sous la ligne qui entoure le globe, le typhon tournoie d'un tropique à l'autre, et le terrible ecnéphia règne ; des vents rugissants, des flammes et des flots combattent, se précipitent et se confondent en masse. Tout l'art du navigateur est inutile. Opprimé par le destin rapide, son vaisseau bait la vague, s'enfonce, et se perd dans le sein du sombre abîme. Gama combattit contre une semblable tempête pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, voguant sans cesse autour du cap orageux, conduit par une ambition hardie, et par la soif encore plus hardie de l'or.

Le requin, antropophage, accrait la terreur de cette tempête ; il parait avec ses mâchoires armées d'une triple défense ; attiré par l'odeur des morts et des mourants, il fend les vagues irritées aussi promptement que le vent porte le vaisseau ; il demande sa part de la proie aux associés de ce cruel voyage, qui Ve priver de ses enfants la malheureuse Guinée : le destin orageux obéit, la mort enveloppe les tyrants et les esclaves ; à l'instant leurs membres déchirés lui servent de pâture ; il teint la mer de sang, et se livre à ce repas vengeur.

Le soleil regarde tristement ce monde noyé par les pluies équinoxiales ; il en attire l'odeur infecte, et il nait un million d'animaux destructifs de ces marécages mal-sains où la putréfaction fermente. Dans l'ombre des bois, retraite affreuse, enveloppée de vapeurs et de corruption, et dont la sombre horreur ne fut jamais pénétrée par le plus téméraire voyageur ; la terrible puissance des maladies pestilentielles établit son empire. Des millions de démons hideux l'accompagnent, et flétrissent la nature affoiblie ; fléau terrible, qui souffle sur les projets des hommes, et change en une désolation complete les plus hautes espérances de leur orgueil. Tel fut dans ces derniers temps le désastre qui altéra la nation britannique, prête à réduire Carthagène.

Faut il que je raconte la rigueur de ces climats, où la peste, cette cruelle fille de la déesse Némésis, descend sur les villes infortunées. Cette destructrice du monde, est née des bois empoisonnés de l'éthiopie, des matières impures du grand Caire, et des champs infectés par des armées de sauterelles, entassées et putréfiées. Les animaux échappent à sa terrible rage ; l'homme intempéré, l'homme seul lui sert de proie. Elle attire un nuage de mort sur sa coupable demeure, que des vents tempérés et bienfaisants ont abandonnée : ce nuage est taché par le soleil d'un mélange empoisonné, et cet astre se montre lui-même sous un aspect irrité.

Tout alors n'est que désastre. La sagesse majestueuse détourne son oeil vigilant ; l'épée et la balance tombent des mains de la justice, désormais sans fonctions ; on n'entend plus le bruit du travail ; les rues sont désertes et l'herbe y croit tristement. Les demeures agréables des hommes se changent en des lieux pires que des déserts ; rien ne se montre, hormis peut-être quelque malheureux, qui frappé de frénésie, brise ses liens, et s'échappe de la maison fatale, séjour funeste de l'horreur, et fermée par la crainte barbare : cet infortuné pousse des cris au ciel et l'accuse d'inhumanité. La triste porte qui n'est pas encore infectée craint de tourner sur ses gonds ; elle abhorre la société, les enfants, les amis, les parents ; l'amour lui-même, éteint par le malheur, oublie le tendre lien et les doux engagements du cœur sensible. Mais sa tendresse même est inutîle ; le firmament et l'air qui anime tout, sont semés des traits de la mort ; chacun à son tour frappe, tombe dans des tourments solitaires, sans secours, sans derniers adieux, et sans que personne le pleure. Ainsi le noir désespoir étend son aîle funèbre sur la ville terrassée, tandis que pour achever la scène de désolation, les gardes inéxorables dispersés tout-autour, refusent toute retraite, et donnent une mort plus douce au malheureux qui fuit.

Ce ne sont pas là tous les désastres de l'intempérie des éléments brulans. La fureur d'un ciel d'airain, les champs de fer, la sécheresse, n'offrent pour moisson que la faim et la soif. La montagne en convulsion, pousse des colonnes de flamme, allumées par la triple rage de la torche du midi, qui produit le tremblement de terre. Ce dernier fléau se forme dans le monde souterrain ; il frappe, ébranle, renverse sans effort les villes les plus célèbres, et fait sortir du fond des mers de nouvelles îles couvertes de pierres calcinées, inconnues aux siècles précédents.

Arrêtons, c'est assez, j'ai moi-même besoin de respirer ; outre que d'autres scènes d'horreur et d'épouvante doivent entrer dans le tableau des zones glaciales : lisez-en l'article. (D.J.)