l', (Géog. mod.) l'Y ou l'Yé, est un golphe du Zuyderzée, qui sépare presque entierement la Hollande méridionale de la septentrionale ; c'étoit autrefois une riviere. Elle en conserve encore le nom, quoique par l'inondation du Zuyderzée, elle soit devenue une espece de bras de mer, sur lequel est située la ville d'Amsterdam, en forme de croissant.

Antonides Van-der-Goès, ainsi nommé du lieu de sa naissance, & l'un des célebres poëtes hollandois du dernier siecle, a immortalisé l'Y, par le poëme qu'il intitula de Y-Stroom, la riviere d'Y ; le plan de ce poëme, au défaut de l'ouvrage même, mérite d'être connu des étrangers.

Il est divisé en quatre livres. Dans le premier, l'auteur décrit ce qu'il y a de plus remarquable sur le bord de l'Y du côté d'Amsterdam ; il ne néglige aucun ornement pour embellir, & pour varier sa matiere. Il y a quelque chose d'heureux dans le tableau qu'il trace d'un quartier d'Amsterdam appellé l'île-neuve. Il compare la rapidité dont les bâtimens de cette île ont été construits, à la maniere dont les murailles de Thèbes s'éleverent d'elles-mêmes, dociles au son de la lyre d'Amphion ; cependant, dit-il, cette île avec ses palais magnifiques qui seront un jour leurs propres sépultures, ne se fera connoître à la postérité la plus reculée, que par la gloire d'avoir été le séjour de l'amiral Ruyter. Il prend de-là occasion de chanter les louanges de ce grand homme de mer ; ensuite il expose aux yeux du lecteur des bâtimens qui couvrent les bords de l'Y ; mais ce n'est pas d'une maniere seche qu'il les peint, tout y brille d'ornemens, & des couleurs les plus vives.

En parlant de la compagnie des Indes occidentales, il rapporte les guerres que cette société a eues avec les Portugais. Il décrit avec étendue le magasin de l'amirauté, & le palais de la compagnie des Indes orientales. Dans la description du premier, il fait une peinture aussi grande que terrible, de tous les instrumens de guerre qu'on y trouve entassés. C'étoit autrefois, dit l'auteur, l'ouvrage des plus grands monarques, d'élever un capitole ; mais ici des marchands osent élever jusqu'au ciel, un bâtiment qui surpasse les palais des rois. La puissance de la compagnie est assez connue, par l'orient soumis à ses loix ; & le château prodigieux qu'elle a fait construire reçoit le jour de plus de trois mille & trois cent fenêtres.

Dans le second livre, le poëte parcourt une carriere très-vaste, & qui renferme en quelque sorte une partie de l'univers. Après avoir fait l'éloge de la navigation, il passe en revûe les flottes nombreuses qui couvrent l'Y, & qui vont prendre dans le monde entier tout ce qui peut servir à la nécessité & à l'orgueil des hommes. A cette occasion, il parle des expéditions hardies de l'amiral Heemskerk, destinées à chercher une route abrégée vers les Indes par la mer Glaciale. Il s'étend sur les malheurs où l'Amérique est tombée par ses propres richesses. Il introduit l'ombre d'Attabalipa, qui, charmée de voir dans les Hollandois les ennemis de ses bourreaux, leur fait l'histoire des cruautés des Espagnols.

L'auteur suit dans sa description la flotte des Indes : sa muse parcourt les différens pays de cette vaste contrée, & décrit avec pompe les différentes richesses dont chacune de ces provinces charge les vaisseaux hollandois. Non contente de donner une idée de l'étendue du négoce de la Hollande dans ces climats, elle dépeint la puissance de ses armes & de ses trophées, & nous trace pour exemple le tableau d'une bataille où ses soldats remporterent une victoire signalée sur les habitans de Macassar. L'auteur retourne ensuite vers l'Y, en décrivant les pays qu'il découvre sur son passage.

Etant de retour, il détaille les principales marchandises que les autres parties de l'univers fournissent à la Hollande, comme une espece de tribut qu'elles payent à l'industrie de ses habitans. En parlant des vins & d'autres objets de luxe qui viennent de France, il déclame avec autant de force que de bon sens contre les vices que ce même pays tâche de communiquer aux Hollandois.

Le livre troisieme est une fiction d'un bout à l'autre : le poëte est entraîné tout-d'un-coup au fond de l'Y : il voit le fleuve avec ses demi-dieux & ses nymphes, allant à une fête qui devoit se donner à la cour de Neptune pour célébrer l'anniversaire du mariage de Thétis & de Pelée. L'auteur ne suit ici ni Ovide, ni les autres mythologistes : il feint que Thétis autrefois mariée au vieux Triton, & lasse de la froideur de cet époux suranné, s'étoit retirée de la cour de Neptune, pour pleurer ses malheurs dans la retraite. Neptune & les autres divinités de la mer touchées de sa douleur, la rappellent, cassent son mariage, & se résolvent à l'unir au courageux Pelée, à qui ils destinent en même tems l'immortalité avec une éternelle jeunesse. Thétis accepte joyeusement ce parti, & Triton plus charmé des plaisirs de la bonne chere que de ceux de l'amour, n'y fait aucune opposition. Le mariage s'acheve, & les dieux des eaux en solemnisent tous les ans la mémoire.

C'est à une de ces fêtes que le fleuve alloit alors avec toute sa cour : le poëte y fut mené aussi par une des divinités aquatiques, qui le cacha dans un endroit du palais de Neptune, où sans être vu il pouvoit tout voir. Les autres fleuves entrent dans la salle du festin, & à mesure qu'ils arrivent, le poëte est instruit de leurs noms, de leur origine & de leur puissance. Les descriptions qu'il en fait sont poëtiques & savantes, c'est l'endroit le plus beau du poëme. Le dieu présomptueux de la Seine, éclate contre l'Y en paroles injurieuses : l'Y lui répond avec autant d'éloquence que de phlegme. Le dieu de la Seine piqué, finit sa déclamation en s'adressant à l'Ebre, & lui reprochant d'être insensible à la fierté d'un sujet rebelle. L'Ebre réplique que la haine qui l'avoit animé autrefois contre l'Y, avoit été purifiée par le feu de la guerre, qu'il l'avoit reconnu pour libre. On voit assez que cette fiction est une allégorie de l'invasion de la France dans les pays-bas espagnols, & de la triple alliance.

Dans le quatrieme livre, l'auteur s'attache à dépeindre l'autre bord de l'Y, qui est embelli par plusieurs villes de la nord-Hollande : elles fourniroient cependant une matiere assez seche, si l'imagination fertile du poëte ne savoit tirer des moindres sujets, des ressources propres à enrichir son ouvrage. En décrivant la ville d'Edam, autrefois nommée Y dam, c'est-à-dire, digue de l'Y, il rappelle l'ancienne fable d'une syrene prise auprès de cette ville par des pêcheurs : il en fait une espece de sibylle, en lui prêtant la prédiction de toutes les catastrophes que les Bataves devoient surmonter avant que de parvenir à cette puissance, dont l'auteur a donné de si grandes idées. Cette prophétie est un abregé de l'histoire de Hollande, & ce n'est pas l'endroit de l'ouvrage sur lequel les fleurs de la poésie sont répandues avec le moins de profusion. La syrene finit par tracer un affreux tableau de ces batailles navales qui se devoient donner un jour sur les côtes de Hollande, entre cette république & l'Angleterre ; enfin, l'ouvrage est terminé par un discours aux magistrats d'Amsterdam, à la sagesse desquels l'auteur rapporte avec raison la richesse de cette puissante ville.

Si ce poëme ne mérite pas le nom d'épique, il ne paroît pourtant point indigne de ce titre par l'heureuse fiction qui y regne, par la noblesse des pensées, par la variété des images, & par la grandeur de l'expression. A l'égard des défauts qu'on y remarque, si l'on réfléchit à la précocité des talens de l'auteur qui n'avoit que vingt-quatre ans quand il le mit au jour, l'on croira sans peine que s'il ne fut pas mort à la fleur de son âge, il auroit conduit son ouvrage plus près de la perfection. Quoi qu'il en soit, il y a peu de poëmes hollandois où l'on trouve plus de beautés que dans celui-ci. (Le chevalier DE JAUCOURT)