, (Géographie moderne) les deux zones tempérées sont entre la torride et les glaciales, c'est-à-dire entre les tropiques et les cercles polaires ; chacune contient 43 degrés de largeur : celle qui est entre le tropique de l'Ecrevisse et le cercle polaire arctique (comme celle où nous habitons) est appelée zone tempérée septentrionale ; et l'autre qui est entre le tropique du Capricorne et le cercle polaire antarctique, se nomme méridionale à l'égard de la nôtre.

Ces deux zones sont dites tempérées à cause de leur situation entre la torride et les glaciales ; leurs extrémités néanmoins participent beaucoup de l'excès du froid et du chaud, en sorte qu'il n'y a que le milieu qui mérite à juste titre le nom de tempéré, les autres parties de cette zone étant ou trop froides ou trop chaudes, à proportion qu'elles sont plus ou moins près des autres zones.

Ceux qui habitent l'une ou l'autre des zones tempérées n'ont jamais le soleil sur la tête, et les jours y sont toujours moindres que de vingt-quatre heures, parce que l'horizon coupe tous les parallèles du soleil, qui par conséquent se lève et se couche chaque jour : l'équinoxe arrive deux fois l'année au temps ordinaire, et le pôle y est toujours plus élevé que de vingt-trois degrés et demi, et moins que de soixante-six degrés et demi, ce qui fait que hors des temps des équinoxes les jours sont inégaux aux nuits.

Il y a plusieurs étoiles (plus ou moins, selon l'obliquitté de la sphere) qui sont hors du cercle polaire, proche du pôle élevé, et qui ne se couchent point ; et d'autres qui sont hors du cercle polaire opposé, et qui ne se lèvent jamais ; les crépuscules y sont plus grands que dans la zone torride, parce que le soleil descendant plus obliquement sur l'horizon n'arrive pas si-tôt à l'almicantarath éloigné de l'horizon de dix-huit degrés, que s'il descendait perpendiculairement : l'inégalité des jours s'augmente d'autant plus que le pôle est élevé sur l'horizon, ce qui fait qu'il y a des nuits qui ne sont qu'un crépuscule en plusieurs années des zones tempérées, comme il arrive à Paris pendant quelques jours de l'été ; savoir environ huit jours devant et après le solstice d'été, parce que le soleil pendant ce temps-là ne descend jamais dix-huit degrés sous l'horizon.

Personne n'ignore que la zone tempérée septentrionale comprend toute l'Europe, l'Asie, (excepté la Chersonese d'or et les îles de la mer indienne), une grande partie de l'Amérique septentrionale, de l'Océan atlantique et de la mer Pacifique.

La zone tempérée méridionale contient peu de pays, encore ne sont-ils pas tous connus : mais il y a beaucoup de mers, une partie de l'Afrique méridionale, du Monomotapa, le cap de Bonne-Espérance, une bonne partie de la terre Magellanique, une portion du Brésil, le Chili, le détroit de Magellan, et une grande partie des mers Atlantique, Indienne et Pacifique.

Quoique l'approche ou l'éloignement du soleil dirigent principalement les saisons des zones tempérées, il y a cependant bien d'autres causes qui y produisent le chaud ou le froid suivant les lieux, comme nous allons le voir.

D'abord les saisons différent dans divers endroits de la zone tempérée, en sorte que sous le même climat il fait plus chaud ou plus froid, plus sec ou plus humide dans un lieu que dans un autre ; cependant les saisons ne diffèrent jamais de l'hiver à l'été, ni de l'été à l'hiver ; les variétés qui se rencontrent dépendent de la nature du sol, haut ou bas, pierreux ou marécageux, proche ou loin de la mer.

La plupart des lieux voisins du tropique sont fort chauds en été ; quelques-uns ont une saison humide, à-peu-près semblable à celle de la zone torride. Ainsi dans la partie du Guzarate qui est au-delà du tropique, il y a les mêmes mois de sécheresse et d'humidité qu'en-dedans du tropique, et l'été se change en un temps pluvieux. Chez nous, nous ne jugeons pas de l'hiver et de l'été par la sécheresse et l'humidité, mais par le chaud et le froid.

Sur les côtes de Perse et au pays d'Ormus, il y a tant de chaleur en été, à cause du voisinage du soleil, que les habitants, hommes et femmes, dorment la nuit dans des citernes pleines d'eau. Il fait aussi très-chaud en Arabie.

Dans presque toute la Barbarie, (c'est ainsi qu'on nomme les pays d'Afrique situés sur la Méditerranée), il commence à régner après le milieu d'Octobre un froid vif et des pluies, suivant le rapport de Léon l'africain ; et aux mois de Décembre et de Janvier, le froid est plus violent (ainsi que par-tout ailleurs sous la zone tempérée), mais ce n'est que le matin ; au mois de Février, la plus grande partie de l'hiver est passée, quoique le temps reste très-inconstant ; au mois de Mars, les vents de nord et d'ouest soufflent fortement, et les arbres sont alors chargés de fleurs ; en Avril, les fruits sont formés, de sorte qu'à la fin de ces mois on a des cerises ; au milieu de Mai, on commence à cueillir des figues sur les arbres ; l'on trouve des raisins mûrs dans quelques endroits à la mi-Juin. La moisson des figues est en état d'être faite en Aout.

Le printemps terrestre commence le 15 Février, et finit le 18 Mai, dans lequel temps il y a toujours un vent frais. S'il ne tombe pas de pluie entre le 25 Avril et le 5 Mai, on estime que c'est un mauvais signe ; on compte que l'été dure jusqu'au 16 Aout. Le temps est alors chaud et serein. On place l'automne entre le 17 Aout et le 16 Novembre, et la chaleur n'est pas si grande dans ces deux mois. Cependant les anciens comptaient le temps le plus chaud entre le 15 Aout et le 15 Septembre, parce que c'était celui où les figues, les coings et tous les autres fruits mûrissaient ; et ils plaçaient leur hiver depuis le 15 Novembre jusqu'au 15 Février, qu'ils s'occupaient à labourer les plaines. Ils étaient persuadés qu'il y avait toujours dans l'année quarante jours de grandes chaleurs qui commençaient le 12 Juin, et autant de jours de froidure, qui commençaient le 12 Décembre. Le 16 de Mars et de Septembre sont les jours de leurs équinoxes, et ceux de leurs solstices arrivent le 16 de Juin et de Décembre.

Sur le mont Atlas, qui est à 30 degrés 20 minutes de latitude-nord, on ne divise l'année qu'en deux parties ; car on a un hiver constant depuis Octobre jusqu'en Avril, et l'été dure depuis Avril jusqu'en Octobre : cependant il n'y a pas un seul jour où le sommet des montagnes ne soit couvert de neige.

Les saisons de l'année passent aussi fort vite en Numidie ; on y recueille le blé en Mai, et les dattes en Octobre ; le froid commence au milieu de Septembre, et dure jusqu'en Janvier. Quand il ne tombe pas de pluie en Octobre, les laboureurs perdent toute espérance de pouvoir semer. Il en est de même quand il ne pleut pas en Avril. Léon l'Africain nous assure, qu'il y a dans le voisinage du tropique du cancer, beaucoup de montagnes chargées de neiges.

La partie septentrionale de la Chine, est à-peu-près à la même latitude que l'Italie, puisqu'elle s'étend depuis le 30e degré jusqu'au 42e degré de latit. cependant le froid qui vient selon les apparences, des montagnes neigeuses de Tartarie, s'y fait sentir si vivement, que les grandes rivières et les lacs se gèlent.

La nouvelle Albion, quoique située à 42 degrés de latitude-nord, et aussi proche de l'équateur que l'Italie, est cependant si froide au mois de Juin, que quand l'amiral Drake y alla, il fut forcé de retourner au sud, parce que les montagnes étaient alors couvertes de neiges.

Prosper Alpin dit dans son livre de la Médecine égyptienne, que le printemps de l'année en Egypte, arrive en Janvier et Février ; que l'été y commence en Avril, et dure en Juin, Juillet et Aout ; que l'automne arrive en Septembre et Octobre ; et l'hiver, en Novembre et Décembre. On coupe le blé en Avril, et on le bat aussi-tôt ; de sorte qu'on ne voit pas un épi dans la campagne au 20 de Mai, ni aucun fruit sur les arbres.

Au détroit de Magellan et dans les pays voisins, qui sont à 52 degrés latitude, l'été est froid ; car les Hollandais trouvèrent dans une baie de ce détroit, un morceau de glace en Janvier, qui devrait être le mois le plus chaud ; et sur les montagnes de la côte, on voit de la neige pendant tout l'été. On remarque en général que dans les pays de la zone tempérée méridionale, le froid est plus grand, les pluies plus fortes, et la chaleur moindre en été que sous la zone tempérée septentrionale. Serait-ce que le soleil resterait plus longtemps dans la partie septentrionale de l'écliptique, et qu'il s'y meut plus lentement que dans la partie méridionale ?

Aux environs de la ville du Pérou, dans la province du Potosi, il fait si froid, que rien ne peut croitre à 4 milles à la ronde. Au royaume du Chili, qui s'étend depuis le 30 jusqu'au 50e degré de latitude-sud, le printemps commence au mois d'Aout, plus tôt qu'il ne devrait, suivant le cours du soleil, et finit au milieu de Novembre. Ensuite vient l'été qui dure jusqu'au milieu de Février ; l'automne succede jusqu'au milieu de Mai. Alors commence l'hiver, qui est humide et fort neigeux sur les montagnes. Le froid est aussi considérable dans les vallées, à cause d'un vent vif et piquant qui l'accompagne.

Au Japon, l'hiver est neigeux, humide, et plus froid que dans d'autres pays qui ont la même latitude, parce que ce royaume est entrecoupé de détroits, et qu'il est entouré de la mer.

Enfin, il n'est point sur la terre de température plus heureuse et plus favorable que celle d'une partie de l'Espagne, de l'Italie, et surtout de la France. C'est ici que les gelées de l'hiver préparent sans horreur leur nitre et leur fécondité. Ici, le printemps varié et fleuri, modere par des pluies douces et fertiles, le feu de la nature agissante. Ici, le soleil éclairant les nuages, produit une chaleur vivifiante, darde ses influences sur l'homme, sur les animaux, sur les végétaux, couvre la terre de fruits, et les amène à leur maturité. Ici, l'automne couronnée d'épis qui s'agitent sur nos champs dorés, met sa faulx dans la main du cultivateur, pour qu'il recueille avec reconnaissance, la moisson abondante des présents de Cerès, de Pomone, et du fils aimable de la crédule Sémélé. Telles sont les saisons de notre zone : mais ma voix trop faible pour chanter leurs délices, veut que j'emprunte de nouveau les peintures brillantes et spirituelles qu'en a fait M. Thompson. Sa muse plait autant qu'elle instruit. Vous jugerez pour la troisième fais, comme elle sait employer dans ses descriptions la variété, l'harmonie, l'image et le sentiment.

Quand le soleil quitte le signe du bélier, et que le brillant taureau le reçoit, l'athmosphère s'étend, et les voiles de l'hiver font place à des nuages légers, épars sur l'horizon. Les vents agréables sortent de leurs retraites, délient la terre, et lui rendent la vie. Diffugère nives.

La neige a disparu ; bien-tôt par la verdure

Les coteaux seront embellis :

La terre ouvre son sein, et change de parure ;

Les fleuves coulent dans leur lit.

Le laboureur plein de joie, se félicite. Il tire de l'étable ses bœufs vigoureux, les mène à leurs travaux, pese sur le soc, brise la glêbe, et dirige le sillon, en rangeant la terre des deux côtés. Plus loin un homme vêtu de blanc, seme libéralement le grain ; la herse armée de pointes, suit et ferme la scène.

Ce que les douces haleines des zéphirs, les rosées fécondes, et les fertiles ondées ont commencé, l'oeil du père de la nature l'acheve ; il darde profondément ses rayons vivifiants, et pénètre jusques dans les retraites obscures de la végétation. Sa chaleur se subdivise dans les germes multipliés, et se métamorphose en mille couleurs variées sur la robe renaissante de la terre. Tu concours surtout à nos plaisirs, tendre verdure, vêtement universel de la nature riante ; tu réunis la lumière et l'ombre ; tu réjouis la vue, et tu la fortifies ; tu plais enfin également sous toutes les nuances.

Sortez du sein des violettes,

Craissez feuillages fortunés ;

Couronnez ces belles retraites,

Ces détours, ces routes secrètes

Aux plus doux accords destinés !

Ma muse par vous attendrie,

D'une charmante rêverie

Subit déjà l'aimable loi ;

Les bois, les vallons, les montagnes,

Toute la scène des campagnes

Prend une âme, et s'orne pour moi.

L'herbe nouvelle produite par l'air tempéré, se propage depuis les prés humides jusques sur la colline. Elle croit, s'épaissit, et rit à l'oeil de toutes parts ; la seve des arbrisseaux pousse les jeunes boutons, et se développe par degré. La parure des forêts se déploie, et déjà l'oeil ne voit plus les oiseaux dont on entend les concerts. La main de la Nature répand à la fois dans les jardins, des couleurs riantes sur les fleurs, et dans l'air, le doux mélange des parfums. Le fruit attendu n'est encore qu'un germe naissant, caché sous des langes de pourpre.

Des objets si charmants, un séjour si tranquille,

La verdure, les fleurs, les oiseaux, les beaux jours ;

Tout invite le sage à chercher un asîle

Contre le tumulte des cours.

Puissai-je dans cette saison, quitter la ville ensevelie dans la fumée et dans le sommeil ! Qu'il me soit permis de venir errer dans les champs, où l'on respire la fraicheur, et où l'on voit tomber les gouttes tremblantes de l'arbuste penché ! Que je promene mes rêveries dans les labyrinthes rustiques, où naissent les herbes odoriférantes, parfums des laitages nouveaux ! que je parcoure les plaines émaillées de mille couleurs tranchantes, et que passant de plaisir en plaisir, je me peigne les trésors de l'automne, à travers les riches voiles qui semblent vouloir borner mes regards !

La fécondité des pluies printanières perce la nue, abreuve les campagnes, et répand une douce humidité dans tout l'athmosphère. La bonté du ciel verse sans mesure l'herbe, les fleurs et les fruits. L'imagination enchantée, voit tous ces biens au moment même où l'oeil de l'expérience ne peut encore que le prévoir. Celle-ci aperçoit à peine la première pointe de l'herbe ; et l'autre admire déjà les fleurs ; dont la verdure doit être embellie.

La terre reçoit la vie végétative ; le soleil change en lames d'or les nuages voisins : la lumière frappe les montagnes rougies : ses rayons se répandent sur les fleuves, éclairent le brouillard jaunissant sur la plaine, et colorent les perles de la rosée. Le paysage brille de fraicheur, de verdure, et de joie ; les bois s'épaississent ; la musique des airs commence, s'accrait, se mêle en concert champêtre au murmure des eaux.

Les troupeaux belent sur les collines ; l'écho leur répond du fond des vallons. Le zéphir souffle ; le bruit de ses ailes réunit toutes les voix de la nature égayée. L'arc-en-ciel au même instant sort des nuages opposés : il développe toutes les couleurs premières, depuis le rouge jusqu'au violet, qui se perd dans le firmament que l'arc céleste embrasse, et dans lequel il semble se confondre. Illustre Newton, ces nuages opposés au soleil, et prêts à se résoudre en eau, forment l'effet de ton prisme, dévoilent à l'oeil instruit l'artifice admirable des couleurs, qu'il n'était réservé qu'à toi de découvrir, sous l'enveloppe de la blancheur qui les dérobe à nos regards !

Enfin l'herbe vivante sort avec profusion, et la terre entière en est veloutée. Le plus habîle botaniste ne saurait en nombrer les espèces, quand attentif à ses recherches, il marche le long du vallon solitaire ; ou quand il perce les forêts, et rejette tristement les mauvaises herbes, sentant qu'elles ne sont telles à ses yeux, que parce que son savoir est borné ; ou lorsqu'il franchit les rochers escarpés, et porte au sommet des montagnes des pas dirigés par le signal des plantes qui semblent appeler son avide curiosité ; car la nature a prodigué par-tout ses faveurs ; elle en a confié les germes sans nombre aux vents favorables, pour les déposer au milieu des éléments qui les doivent nourrir.

Lorsque le soleil dardera ses rayons du haut de son trône du midi, repose-toi à l'abri du lilas sauvage, dont l'odeur est délectable. Là, la primevère penche sa tête baignée de rosée, et la violette se cache parmi les humbles enfants de l'ombre ; si tu l'aimes mieux, couche-toi sous ce frêne, d'où la colombe à l'aîle rapide prend son essor bruyant ; ou bien enfin assis au pied de ce roc sourcilleux, résidence éternelle du faucon, laisse errer tes pensées à travers ces scènes champêtres, que le berger de Mantoue illustra jadis par l'harmonie incomparable de ses chants :

Tu vois sur ces coteaux fertiles

Des troupeaux riches et nombreux ;

Ceux qui les gardent sont heureux,

Et ceux qui les ont sont tranquilles

Puisses-tu, à leur exemple, assoupi par les échos des bois et le murmure des eaux, réunir mille images agréables, émousser dans le calme les traits des passions turbulentes, et ne souffrir dans ton cœur que les tendres émotions, sentiment pur, également ennemi de la léthargie de l'âme, et du trouble de l'esprit.

Toi que j'adore, toi que les grâces ont formée, toi la beauté même, viens avec ces yeux modestes, et ces regards mesurés où se peignent à-la-fais une aimable légèreté, la sagesse, la raison, la vive imagination, et la sensibilité du cœur ; viens, ma Thémire, honorer le printemps qui passe couronné de roses. Permets-moi de cueillir ses fleurs nouvelles, pour orner les tresses de tes cheveux, et parer le sein délicieux qui ajoute encore à leur douceur.

Vais dans ce vallon comme le lit s'abreuve du ruisseau caché, et cherche à percer la touffe du pâturage. Promenons-nous sur ces champs couverts de fèves fleuries, lieux où le zéphir qui parcourt ces vastes campagnes, nous apporte les parfums qu'il y a rassemblés ; parfums mille fois plus salubres et plus flatteurs, que ne furent jamais ceux de l'Arabie. Ne crois pas indigne de tes pas cette prairie riante ; c'est le négligé de la nature que l'art n'a point défiguré. Ici remplissent leur tâche de nombreux essaims d'abeilles, nation laborieuse, qui fend l'air, et s'attache au bouton dont elle suce l'âme éthérée ; souvent elle ose s'écarter sur la bruyere éclatante de pourpre, où croit le thym sauvage, et elle s'y charge du précieux butin.

L'Océan n'est pas loin de ce vallon ; viens, belle Thémire, considérer un moment la merveille de son flux.

Que j'aime alors qu'il se retire

De le poursuivre pas-à-pas ;

Au reflux il a des appas

Que l'on sent, et qu'on ne peut dire.

Ici les cailloux font du bruit ;

Delà le gravier se produit ;

La vague y blanchit, et s'y crève ;

Là son écume à gros bouillons

Y couvre, et découvre la greve,

Baisant nos pieds sur les sablons.

Que j'aime à voir sur ces rivages

L'eau qui s'enfuit et qui revient,

Qui me présente, qui retient,

Et laisse enfin ses coquillages.

Cependant il est temps de nous rendre dans les jardins que le Nostre a formés, jardins admirables par leurs perspectives et leurs allées de boulingrins. Dans les bosquets où règne une douce obscurité, la promenade s'étend en longs détours, et s'ouvrant tout-à-coup, offre aux regards surpris le firmament qui s'abaisse, les rivières qui coulent en serpentant, les étangs émus par les vents légers, des grouppes de forêts, des palais qui fixent l'oeil, des montagnes qui se confondent dans l'air, et la mer que nous venons de quitter.

Le long de ces bordures règne, avec la rosée, le printemps qui développe toutes les grâces. Mille plantes embellissent le parterre, reçoivent et préparent les parfums ; les anémones, les oreilles d'ours enrichies de cette poudre brillante qui orne leurs feuilles de velours, la double renoncule d'un rouge ardent, décorent la scène. Ensuite la nation des tulipes étale ses caprices innocens, qui se perpétuent de race en race, et dont les couleurs variées se mélangent à l'infini, comme font les premiers germes. Tandis qu'elles éblouissent la vue charmée, le fleuriste admire avec un secret orgueil, les miracles de sa main. Toutes les fleurs se succedent depuis le bouton, qui nait avec le printemps, jusqu'à celles qui embaument l'été. Les hyacinthes du blanc le plus pur s'abaissent, et présentent leur calice incarnat. Les jonquilles d'un parfum si puissant ; la narcisse encore penchée sur la fontaine fabuleuse ; les oeillets agréablement tachetés ; la rose de damas qui décore l'arbuste ; tout s'offre à-la-fais aux sens ravis : l'expression ne saurait rendre la variété, l'odeur, les couleurs sur couleurs, le souffle de la nature, ni sa beauté sans bornes.

Dans cette saison où l'amour, cette âme universelle, pénetre, échauffe l'air, et souffle son esprit dans toute la nature, la troupe ailée sent l'aurore des désirs. Le plumage des oiseaux mieux fourni, se peint de plus vives couleurs ; ils recommencent leurs chants longtemps oubliés, et gazouillent d'abord faiblement ; mais bientôt l'action de la vie se communique aux organes intérieurs ; elle gagne, s'étend, et produit un torrent de délices, dont l'expression se déploie en concerts, qui n'ont de bornes que celle d'une joie qui n'en connait point.

La messagère du matin, l'alouette s'élève en chantant à-travers les ombres qui fuyent devant le crépuscule du jour ; elle appelle d'une voix haute les chantres des bois, et les reveille au fond de leur demeure ; toute la troupe gazouillante forme des accords. Philomele les écoute, et leur permet de s'égayer, certaine de rendre les échos de la nuit préférables à ceux du jour.

Je demeure saisi

D'entendre de sa voix l'harmonie et la grâce ;

Vous croiriez sur la foi de ses charmants accords,

Que l'âme de Linus, ou du chantre de Thrace

A passé dans ce petit corps,

Et d'un gosier si doux anime les ressorts.

Les faunes et les nayades,

Pan, et les amadryades,

Au goût délicat et fin,

Au chant qui les captive

Tenant une oreille attentive,

En appréhendent la fin.

Toute cette musique n'est autre chose que la voix de l'Amour ! C'est lui qui enseigne le tendre art de plaire aux oiseaux, et chacun d'eux en courtisant sa maîtresse, verse son âme toute entière. D'abord à une distance respectueuse, ils font la roue dans le circuit de l'air, et tâchent par un million de tours d'attirer l'oeil rusé de leur enchanteresse, volontairement distraite. Si elle semble ne pas désapprouver leurs vœux, leurs couleurs deviennent plus vives. Animés par l'espérance, ils avancent promptement ; ensuite comme frappés d'une atteinte invisible, ils se retirent en désordre ; ils se rapprochent encore, battent de l'aile, et chaque plume frissonne de désir. Les gages de l'hymen sont reçus ; les amants s'envolent où les conduisent les plaisirs, l'instinct et le soin de leur sûreté.

Muse, ne dédaigne pas de pleurer tes frères des bois, surpris par l'homme tyran, et renfermés dans une étroite prison. Ces jolis esclaves, privés de l'étendue de l'air, s'attristent ; leur plumage est terni, leur beauté fanée, leur vivacité perdue. Ce ne sont plus ces notes ravissantes qu'ils gazouillaient sur le hêtre. O vous amis des tendres chants, épargnez ces douces lignées, laissez-les jouir de la liberté, pour peu que l'innocence, que les doux accords, ou que la pitié aient de pouvoir sur vos cœurs.

Gardez-vous surtout d'affliger Philomele, en détruisant ses travaux. Cet Orphée des bocages est trop délicat pour supporter les durs liens de la prison. Quelle douleur pour la tendre mère, quand, revenant le bec chargé, elle trouve ses chers enfants dérobés par un ravisseur impitoyable. Elle jette sur le sable sa provision désormais inutîle ; son aîle languissante et abattue, peut à peine la porter sous l'ombre d'un peuplier voisin. Là, livrée au désespoir, elle gémit et déplore son malheur pendant des nuits entières ; elle s'agite sur la branche solitaire ; sa voix toujours expirante s'épuise en sons lamentables. L'écho soupire à son chant, et répète sa douleur. L'homme seul serait-il insensible ? Ah plutôt qu'il considère que la bonté divine voit d'un oeil également compatissant toutes ses créatures !

Que ne puis-je peindre la multitude des bienfaits qu'elle verse à pleines mains sur notre hémisphère dans cette brillante saison ; mais si l'imagination même ne peut suffire à cette tâche délicieuse, que pourrait faire le langage ? Contentons-nous de dire que dans le printemps la maladie lève sa tête languissante, la vie se renouvelle, la santé rajeunit, et se sent régénéré. Le soleil pour la fortifier, nous échauffe tendrement de ses rayons du midi, et même parait s'y plaire.

Le grand astre dont la lumière

Eclaire la voute des cieux,

Semble pour nous de sa carrière

Suspendre le cours glorieux ;

Fier d'être le flambeau du monde,

Il contemple du haut des airs

L'Olympe, la terre et les mers

Remplis de sa clarté féconde ;

Et jusques au fond des enfers,

Il fait entrer la nuit profonde

Qui lui disputait l'univers.

L'influence de l'année renaissante opère également sur l'un et l'autre sexe. Maintenant une rougeur plus fraiche et plus vive que l'incarnat rehausse l'éclat du teint d'une aimable bergère ; le rouge de ses lèvres devient plus foncé ; une flamme humide éclate dans ses yeux ; son sein animé, s'élève avec des palpitations inégales ; un feu secret se glisse dans ses veines, et son âme entière s'enivre d'amour. Le trait vole, pénétre l'amant, et lui fait chérir le pouvoir extatique qui le domine. Jeunes beautés, gardez alors avec plus de soin que jamais vos cœurs fragiles ! surtout que les serments qui cachent le parjure sous le langage de l'adulation, ne livrent pas vos doux instants à l'homme séducteur dans ces bosquets parfumés de roses, et tapissés de chevrefeuil, au moment dangereux où le crépuscule du soir tire ses rideaux cramoisis !

Vous dont l'heureuse sympathie a formé les tendres nœuds par des liens indissolubles, en confondant dans un même destin vos âmes, vos fortunes et votre être, jouissez à l'ombre des myrthes amoureux dans vos embrassements mutuels, de tout ce que l'imagination la plus vive peut former de bonheur, et de tout ce que le cœur le plus avide peut former de désirs. Puisse un long printemps orner vos têtes de ses guirlandes fleuries, et puisse le déclin de vos jours arriver doux et serein !

Mais l'éclatant été vient dorer nos campagnes, suivi des vents rafraichissants ; les gémeaux cessent d'être embrasés, et le cancer rougit des rayons du soleil. La nuit n'exerce plus qu'un empire court et douteux ; à peine elle avance sur les traces du jour qui s'éloigne, qu'elle prévait l'approche de celui qui Ve lui succéder. Déja parait le matin, père de la rosée. Une lumière faible l'annonce dans l'orient tacheté. Bientôt cette lumière s'étend, brise les ombres, et chasse la nuit, qui fuit d'un poids précipité. La belle aurore offre à la vue de vastes paysages. Le rocher humide, le sommet des montagnes couvert de brouillards, s'enflent à l'oeil, et brillent à l'aube du jour. Les torrents fument, et semblent bleuâtres à-travers le crépuscule. Les bois retentissent de chants réunis. Le berger ouvre sa bergerie, fait sortir par ordre ses nombreux troupeaux, et les mène paitre l'herbe fraiche.

Des nuits l'inégale courière

S'éloigne, et pâlit à nos yeux ;

Chaque astre au bout de sa carrière

Semble se perdre dans les cieux.

Quelle fraicheur ! L'air qu'on respire

Est le souffle délicieux

De la volupté qui soupire

Au sein du plus jeune des dieux.

Déja la colombe amoureuse

Vole du chêne sous l'ormeau ;

L'amour vingt fois la rend heureuse

Sans quitter le même rameau.

Triton sur la mer applanie

Promene sa conque d'azur,

Et la nature rajeunie

Exhale l'ambre le plus pur.

Au bruit des Faunes qui se jouent

Sur le bord tranquille des eaux,

Les chastes Nayades dénouent

Leurs cheveux tressés de roseaux.

Réveille-toi, mortel esclave du luxe, et sors de ton lit de paresse ; viens jouir des heures balsamiques, si propres aux chants sacrés : le sage te montre l'exemple ; il ne perd point dans l'oubli la moitié des moments rapides d'une trop courte vie ! totale extinction de l'âme éclairée ! Il ne reste point dans un état de ténèbres, quand toutes les muses, quand mille et mille douceurs l'attendent à la promenade solitaire du matin d'été.

Déja le puissant roi du jour se montre radieux dans l'orient ; l'azur des cieux enflammé, et les torrents dorés qui éclairent les montagnes, marquent la joie de son approche. L'astre du monde regarde sur toute la nature avec une majesté sans bornes, et verse la lumière sur les rochers, les collines, et les ruisseaux errants, qui étincellent dans le lointain.

Autour de ton char brillant, oeil de la nature, les saisons mènent à leur suite dans une harmonie fixe et changeante, les heures aux doigts de roses, les zéphirs flottants nonchalamment, les pluies favorables, la rosée passagère, et les fiers orages adoucis. Toute cette cour répand successivement tes bienfaits, odeurs, herbes, fleurs, et fruits, jusqu'à ce que tout s'allumant successivement par ton souffle divin, tu décores le jardin de l'univers.

Voici l'instant où le soleil fond dans un air limpide les nuages élevés, et les brouillards du cancer, qui entourent les collines de bandes diversement colorées.

De sa lumière réfléchie

Cet astre vient remplir les airs,

Et par degrés à l'univers

Donner la couleur et la vie.

Bien-tôt totalement dévoilé, il éclaire la nature entière, et la terre parait si vaste, qu'elle semble s'unir à la voute du firmament.

La fraicheur de la rosée tombante se retire à l'ombre, et les roses touffues en cachent les restes dans leur sein. C'est alors que je médite sur un verd gazon, auprès des fontaines de crystal, et des ruisseaux tranquilles. Je vois à mes pieds ces fleurs délicates qui, épanouies ce matin, seront fannées ce soir. Telle une jeune beauté languit et s'efface, quand la fièvre ardente bouillonne dans ses veines. La fleur au contraire qui suit le soleil, se referme quand il se couche, et semble abattue pendant la nuit ; mais si-tôt que l'astre reparait sur l'horizon, elle ouvre son sein amoureux à ses rayons favorables.

Maintenant

Le bruit renait dans les hameaux,

Et l'on entend gémir l'enclume

Sous les coups fréquents des marteaux.

Le règne du travail commence.

Monté sur le trône des airs,

Eclairez leur empire immense,

Soleil, apportez l'abondance,

Et les plaisirs à l'univers.

Les nombreux habitants du village se répandent sur les prés riants ; la jeunesse rustique pleine de santé et de force, est un peu brunie par le travail du midi. Semblables à la rose d'été, les filles demi-nues, et rouges de pudeur, attirent d'avides regards, et toutes leurs grâces allumées paraissent sur leurs joues. L'âge avancé fournit ici sa tâche ; la main même des enfants traine le rateau : surchargés du poids odoriférant, ils tombent, et roulent sur le fardeau bienfaisant : la graine de l'herbe s'éparpille tout-autour. Les faneurs s'avancent dans la prairie, et étendent au soleil la récolte qui exhale une odeur champêtre. Ils retournent l'herbe séchée : la poussière s'envole au long du pré ; la verdure reparait ; la meule s'élève épaisse et bien rangée. De vallon en vallon, les voix réunies par un travail heureux, retentissent de toutes parts ; l'amour et la joie sociable perpétuent gaiement le travail jusqu'au soir prêt à commencer.

Le dieu qui dorait nos campagnes

Va se dérober à nos yeux ;

Il fuit, et son char radieux

Ne dore plus que les montagnes.

Les nymphes sortent des forêts

Le front couronné d'amaranthes ;

Un air plus doux, un vent plus frais

Raniment les roses mourantes ;

Et descendant du haut des monts,

Les bergeres plus vigilantes

Rassemblent leurs brebis bêlantes

Qui s'égaraient dans les vallons.

Je perce en ces moments dans la profonde route des forêts voisines, où les arbres sauvages agitent sur la montagne leurs cimes élevées. A chaque pas grave et lent, l'ombre est plus épaisse ; l'obscurité, le silence, tout devient imposant, auguste, et majestueux ; c'est le palais de la réflexion, le séjour où les anciens poètes sentaient le souffle inspirateur.

Reposons-nous près de cette bordure baignée de la fraicheur de l'air humide. Là, sur un rocher creux et bizarrement taillé, je trouve un siège vaste et commode, doublé de mousse, et les fleurs champêtres ombragent ma tête. Ici le disque baissé du soleil éclaire encore les nuages, ces belles robes du ciel qui roulent sans cesse dans des formes vagues, changeantes, et semblables aux rêves d'une imagination éveillée.

La terre sera bien-tôt couverte de fruits : l'année est dans sa maturité. La fécondité suivie de ses attributs, portera la joie dans toute l'étendue de ce beau climat ; mais les douces heures de la promenade sont arrivées pour celui qui, comme moi, se plait solitairement à chercher les collines. Là, il s'occupe à faire passer dans son âme par un chant pathétique, le calme qui l'environne. Des amis réciproquement unis par les liens d'une douce société, viennent le joindre. Un monde de merveilles étale ses charmes à leurs yeux éclairés, tandis qu'elles échappent à ceux du vulgaire. Leurs esprits sont remplis des riches trésors de la Philosophie, lumière supérieure ! La vertu brule dans leurs cœurs, avec un enthousiasme que les fils de la cupidité ne peuvent concevoir. Invités à sortir pour jouir du déclin du jour, ils dirigent ensemble leurs pas vers les portiques des bois verts, vaste lycée de la nature. Les épanchements du cœur fortifient leur union dans cette douce école, où nul maître orgueilleux ne règne. Maintenant aussi les tendres amants quittent le tumulte du monde, et se retirent dans des retraites sacrées. Ils répandent leurs âmes dans des transports que le dieu d'amour entend, approuve, et confirme.

Enfin :

Le soleil finit sa carrière,

Le temps conduit son char ardent,

Et dans des torrents de lumière,

Le précipite à l'occident :

Sur les nuages qu'il colore

Quelque temps il se reproduit ;

Dans leurs flots azurés qu'il dore,

Il rallume le jour qui fuit.

L'astre de la nature s'abaissant, semble s'élargir par degrés ; les nuages en mouvement entourent son trône avec magnificence, tandis que l'air, la terre, et l'océan sourient. C'est en cet instant, si l'on en croit les chantres fabuleux de la Grèce, que donnant relâche à ses coursiers fatigués, Phoebus cherche les nymphes, et les bosquets d'Amphitrite. Il baigne ses rayons, tantôt à moitié plongé, tantôt montrant un demi-cercle doré ; il donne un dernier regard lumineux, et disparait totalement.

Ainsi passe le jour, parcourant un cercle enchanté, trompeur, vain, et perdu pour jamais, semblable aux visions d'un cerveau imaginaire ; tandis qu'une âme passionnée, perd en désirs les moments, et que l'instant même où elle désire, est anéanti. Fatale vérité, qui ne présente à l'aisif spéculateur qu'une vie inutile, et une vue d'horreur au coupable, qui consume le temps dans des plaisirs honteux ! Fardeau à charge à la terre ; il dissipe bassement avec ses semblables, ce qui aurait pu rendre l'être à une famille languissante, dont la modestie ensevelit le mérite.

Les nuages s'obscurcissent lentement ; la tranquille soirée prend son poste accoutumé au milieu des airs. Des millions d'ombres sont à ses ordres : les unes sont envoyées sur la terre ; d'autres d'une couleur plus foncée, viennent doucement à la suite ; de plus sombres encore succedent en cercle, et se rassemblent tout-autour pour fermer la scène. Un vent frais agite les bois et les ruisseaux ; son souffle vacillant fait ondoyer les champs de blés, pendant que la caille rappelle sa compagne. Le vent rafraichissant augmente sur la plaine, et le serein chargé d'un duvet végétal, se répand agréablement ; le soin universel de la nature ne dédaigne rien. Attentive à nourrir ses plus faibles productions, et à orner l'année qui s'avance, elle envoie de champ en champ, le germe de l'abondance sur l'aîle des zéphirs.

Le berger lestement vétu, revient content à sa cabane, et ramène du parc son tranquille troupeau ; il aime, et soulage la laitière vermeille qui l'accompagne ; ils se prouvent leur amour par des soins et des services réciproques. Ils marchent ensemble sans soucis sur les collines, et dans les vallons solitaires, lieux où sur la fin du jour, des peuples de fées viennent en foule passer la nuit d'été dans des jeux nocturnes, comme les histoires des villages le racontent. Ils évitent seulement la tour déserte, dont les ombres tristes occupent les voutes ; vaine terreur que la nuit inspire à l'imagination frappée ! Dans les chemins tortueux, et sur chaque haie de leur route, le ver-luisant allume sa lampe, et fait étinceler un mouvement brillant à-travers l'obscurité.

La Soirée céde le monde à la Nuit qui s'avance de plus en plus, non dans sa robe d'hiver d'une trame massive, sombre et stygienne, mais négligemment vêtue d'un manteau fin et blanchâtre. Un rayon faible et trompeur, réfléchi de la surface imparfaite des objets, présente à l'oeil borné les images à demi, tandis que les bois agités, les ruisseaux, les rochers, le sommet des montagnes qui ont plus longtemps retenu la lumière expirante, offrent une scène nageante et incertaine.

Les ombres, du haut des montagnes,

Se répandent sur les coteaux ;

On voit fumer dans les campagnes

Les toits rustiques des hameaux.

Sous la cabane solitaire

Des Philémons et des Baucis,

Brule une lampe héréditaire,

Dont la flamme incertaine éclaire

La table où les dieux sont assis.

Rangés sur des tapis de mousse ;

Le vent qui rafraichit le jour,

Remplit d'une lumière douce

Tous les arbustes d'alentour.

Le front tout couronné d'étoiles,

La Nuit s'avance noblement,

Et l'obscurité de ses voiles

Brunit l'azur du firmament.

Les Songes trainent en silence

Son char parsemé de saphirs ;

L'Amour dans les airs se balance

Sur l'aîle humide des zéphirs.

La douce Vénus, brillante au ciel de ses rayons les plus purs, amène en faveur de ce cher fils, les heures mystérieuses, qu'elle consacre à ses plaisirs. Son lever joyeux, du moment où le jour s'efface, jusqu'à l'instant où il renait, annonce le règne de la plus belle lampe de la nuit. Je considère, j'admire sa clarté tremblante ; ces lumières errantes, feux passagers que le vulgaire ignorant regarde comme un mauvais présage, descendent du firmament, ou scintillent horizontalement dans des formes merveilleuses.

Du milieu de ces orbes radieux, qui non-seulement ornent, mais encore animent la voute céleste, parait dans des temps calculés, la comete rapide, qui se précipite vers le soleil ; elle revient de l'immensité des espaces avec un cours accéléré ; tandis qu'elle s'abaisse et ombrage la terre, sa crinière redoutable est lancée dans les cieux, et fait trembler les nations coupables. Mais au-dessus de ces viles superstitions, qui enchainent le berger timide, livré à la crédulité et à l'étonnement aveugle ; vous, sages mortels, dont la philosophie éclaire l'esprit, dites à ce glorieux étranger, salut. Ceux-là éprouvent une joie ravissante, qui jouissant du privilège du savoir, ne voient dans cet objet effrayant que le retour fixe d'un astre qui, comme tous les autres objets les plus familiers, est dans l'ordre d'une providence bienfaisante. Qui sait si sa queue n'apporte pas à l'univers une humidité nécessaire sur les orbes que décrit son cours elliptique ; si ses flammes ne sont pas destinées pour renouveller les feux toujours versés du soleil, pour éclairer les mondes, ou pour nourrir les feux éternels ?

Comètes que l'on craint à l'égal du tonnerre,

Cessez d'épouvanter les peuples de la terre ;

Dans une ellipse immense achevez votre cours,

Remontez, descendez près de l'astre des jours ;

Lancez vos feux, volez, et revenant sans cesse,

Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.

Dès que le signe de la vierge disparait, et que la balance pese les saisons avec égalité, le fier éclat de l'été quitte la voute des cieux, et un bleu plus serein, mêlé d'une lumière dorée, enveloppe le monde heureux.

Le Soleil, dont la violence

Nous a fait languir quelque temps,

Arme de feux moins éclatants

Les rayons que son char nous lance,

Et plus paisible dans son cours,

Laisse la céleste Balance

Arbitre des nuits et des jours.

L'Aurore, désormais stérîle

Pour la divinité des fleurs,

De l'heureux tribut de ses pleurs

Enrichit un dieu plus utîle ;

Et sur tous les coteaux voisins,

On voit briller l'ambre fertîle

Dont elle dore nos raisins.

C'est dans cette saison si belle

Que Bacchus prépare à nos yeux,

De son triomphe glorieux

La pompe la plus solennelle.

Il vient de ses divines mains

Sceller l'alliance éternelle

Qu'il a faite avec les humains.

Autour de son char diaphane,

Les ris voltigeant dans les airs,

Des soins qui troublent l'univers,

Ecartent la foule profane.

Tel sur des bords inhabités,

Il vint de la chaste Ariane,

Calmer les esprits agités.

Les Satyres, tous hors d'haleine,

Conduisant les Nymphes des bois,

Au son du fifre et du haut-bois,

Dansent par troupes dans les plaines ;

Tandis que les Sylvains lassés,

Portent l'immobîle Silène

Sur leurs thyrses entrelacés.

L'astre du jour temperé s'élève maintenant sur notre hémisphère, avec ses plus doux rayons. La moisson étendue et mûre sur la terre, soutient sa tête pesante ; elle est riche, tranquille et haute ; pas un souffle de vent ne roule ses vagues légères sur la plaine ; c'est le calme de l'abondance. Si l'air agité sort de son équilibre, et prépare la marche des vents, alors le manteau blanc du firmament se dechire, les nuages fuyent épars, le soleil tout-à-coup dore les champs éclairés, et par intervalle semble chasser sur la terre des flots d'une ombre noire. La vue s'étend avec joie sur cette mer incertaine ; l'oeil perce aussi-loin qu'il peut atteindre et s'égaie dans un fleuve immense de blé. Puissante industrie, ce sont-là tes bienfaits ! tout est le fruit de ses travaux, tout lui doit son lustre et sa beauté, nous lui devons les délices de la vie.

Aussi-tôt que l'aurore matinale vacille sur le firmament, et que sans être aperçue elle déploie le jour incertain sur les champs féconds, les moissonneurs se rangent en ordre, chacun à côté de celle qu'il aime, pour alléger son travail par d'utiles services ; ils se baissent tous à la fais, et les gerbes grossissent sous leurs mains. Le maître arrive le dernier, plein des espérances flatteuses de la moisson ; témoin de l'abondante récolte, ses regards se portent de toutes parts, son oeil en est rassasié, et son cœur peut à peine contenir sa joie. Les glaneurs se répandent tout-autour ; le rateau succède au rateau, et ramasse les restes épars de ces trésors. O vous, riches laboureurs, évitez un soin trop avare ! laissez tomber de vos mains libérales quelques épis de vos gerbes ; c'est le vol de la charité ! offrez ce tribut de reconnaissance au dieu de la moisson qui verse ses biens sur vos champs, tandis que vos semblables, privés du nécessaire, viennent comme les oiseaux du ciel pour ramasser quelques grains épars, et requiérent humblement leur portion ! Considérez que l'inconstance de la fortune peut forcer vos enfants à demander eux-mêmes quelque jour, ce que vous donnez aujourd'hui si faiblement et avec tant de répugnance !

On voit en effet quelquefois le sud brulant, armé d'un souffle pernicieux, ravager par des grêles la récolte de l'année ; cruel désastre qui détruit en un clin-d'oeil les plus belles espérances ! dans cet événement fatal, le cultivateur désolé gémit sur le malheureux naufrage de tout son bien ; il est accablé de douleur ; les besoins de l'hiver s'offrent en cet affreux moment à sa pensée tremblante ; il prévait, il croit entendre les cris de ses chers enfants affamés. Vous, maîtres, soyez occupés alors de la main rude et laborieuse qui vous a fourni l'aisance et l'élégance dans laquelle vous vivez ; donnez des vêtements à ceux dont le travail vous procura la chaleur, et la parure de vos habits ; veillez aux besoins de cette pauvre table, qui couvrit la vôtre de luxe et de profusion ; soyez compatissants, et gardez-vous surtout d'exiger la moindre chose de ce que les vents orageux et les pluies affreuses ont emporté ; enfin que votre bienfaisance tarisse les larmes, et vous procure mille bénédictions !

Les plaisirs de la chasse, le tonnerre des armes, le bruit des cors, amusements de cette saison, ne sont pas faits pour ma muse paisible, qui craindrait de souiller ses chants innocens par de tels récits ; elle se complait à voir toute la création animale confondue, nombreuse, et tranquille. Quel misérable triomphe que celui qu'on remporte sur un lièvre saisi de frayeur ? quelle rage que celle de faire gémir un cerf dans son angoisse, et de voir de grosses larmes tomber sur ses joues pommelées ? s'il faut de la chasse à la jeunesse guerrière, dont le sang ardent bouillonne avec violence, qu'elle combatte ce lion terrible qui dédaigne de reculer, et qui marche lentement et avec courage, au-devant de la lance qui le menace, et de la troupe effrayée qui se dissipe et s'enfuit ; attaquez ce loup ravisseur qui sort du fond des bois ; détachez sur lui son ennemi plein de vengeance, et que le scélérat périsse ; courez à ce sanglier dont les hurlements horribles et la hure menaçante, présagent le ravage ; que le cœur de ce monstre soit percé d'un dard meurtrier.

Mais si notre sexe martial aime ces fiers divertissements, du moins que cette joie terrible ne trouve jamais d'accès dans le cœur de nos belles ! que l'esprit de la chasse soit loin de ce sexe aimable ; c'est un courage indécent, un savoir peu convenable à la beauté, que de sauter des haies, et de tenir les renes d'un cheval fougueux ; le bonnet, le fouet, l'habit d'homme, tout l'attirail mâle, altèrent les traits délicats des dames, et les rend grossiers aux sens ; leur ornement est de s'attendrir ; la pitié que leur inspire le malheur, la prompte rougeur qui colore leur visage au moindre geste, au moindre mot ; voilà leur lustre et leurs agréments ; leur crainte, leur douceur, et leur complaisance muette, nous engagent même en paraissant reclamer notre protection.

Puissent leurs yeux enchanteurs n'apercevoir d'autres spectacles malheureux que les pleurs des amants ! que leurs membres délicats flottent négligemment dans la simplicité des habits ! qu'instruites dans les doux accords de l'harmonie, leurs lèvres séduisantes captivent nos âmes par des sons ravissants ! que le luth s'attendrisse sous leurs doigts ! que les grâces se développent sous leurs pas, et dans tous leurs mouvements ! qu'elles tracent la danse dans ses contours ! qu'elles sachent former un verd feuillage sur la toîle d'un blanc de neige ; qu'elles guident le pinceau ; que l'art des Amphions n'ait rien d'inconnu pour elles ; ou que leurs belles mains daignant cultiver quelques fleurs, concourent ainsi à multiplier les parfums de l'année !

Que d'autre part, leur heureuse fécondité perpétue les amours et les grâces ; que la société leur doive sa politesse et ses gouts les plus fins ; qu'elles fassent les délices de l'homme économe et paisible ; et que par une prudence soumise, et une habileté modeste, adroite, et sans art, elles excitent à la vertu, raniment le sentiment du bonheur, et adoucissent les travaux de la vie humaine ! telle est la gloire, tel est le pouvoir et l'honneur des belles.

Après avoir quitté les champs de la moisson, parcourons dans un songe agréable le labyrinthe de l'automne ; goutons la fraicheur et les parfums du verger chargé de fruits. Le plus mûr se détache et tombe en abondance, obéissant au souffle du vent et au soleil qui cache sa maturité. Les poires fondantes sont dispersées avec profusion ; la nature féconde qui raffine tout, varie à-l'infini la composition de ses parfums, tous pris dans la matière première mêlangée des feux tempérés du soleil, d'eau, de terre et d'air. Tels sont les trésors odoriférants qui tombent fréquemment dans les nuits fraiches, ces tas de pommes dispersées çà et là, dont la main de l'année forme la pourpre des vergers, et dont les pores renferment un suc spiritueux, frais, délectable, qui aiguise le cidre piquant d'un acide qui flatte et désaltère. Ici la pêche m'offre son duvet ; là je vois le pavis rouge, et la figue succulente cachée sous son ample feuillage.

Plus loin, la vigne protégée par un soleil puissant, s'enfle et brille au jour, s'étend dans le vallon, ou grimpe avec force sur la montagne, et s'abreuve au milieu des rochers de la chaleur accrue par le réflet de tous les aspects. Les branches chargées plient sous le poids. Les grappes pleines, vives et transparentes, paraissent sous leurs feuilles orangées. La rosée vivifiante nourrit et perfectionne le fruit, et le jus exquis qu'il renferme, se prépare par le mélange de tous les rayons. Les jeunes garçons et les filles qui s'aiment innocemment, arrivent pour cueillir les prémices de l'automne : ils courent et annoncent en dansant le commencement de la vendange. Le fermier la reçoit et la foule ; les flots de vin et d'écume coulent en telle abondance, que le marc écrasé en est couvert. Bientôt la liqueur fermente, se raffine par degrés, et remplit de liesse la coupe des peuples voisins. Là se prépare le vin brillant, dont la couleur en le buvant rappelle à notre imagination animée la lèvre que nous croyons pressée. Ici se fait le bourgogne délicieux ou le joyeux champagne, vif comme l'esprit qu'il nous donne.

Les Hyades, Vertumne, et l'humide Orion,

Sur la terre embellie ont versé leurs largesses ;

Et Bacchus échappé des fureurs du lion,

A bien su tenir ses promesses.

Jouissons en repos de ce lieu fortuné,

Le calme et l'innocence y tiennent leur empire ;

Et des soucis affreux le souffle empoisonné

N'y corrompt point l'air qu'on respire.

Pan, Diane, Apollon, les Faunes, les Sylvains,

Peuplent ici nos bois, nos vergers, nos montagnes ;

La ville est le séjour des profanes humains ;

Les dieux habitent les campagnes.

Quand l'année commence à décliner, les vapeurs de la terre se condensent, les exhalaisons s'épaisissent dans l'air, les brouillards paraissent et roulent autour des collines ; le soleil verse faiblement ses rayons ; souvent il éblouit plus qu'il n'éclaire, et présente plusieurs orbes élargis, effroi des nations superstitieuses ! Alors les hirondelles planent dans les airs, et volent en rasant la terre. Elles se rejoignent ensemble pour se transporter dans des climats plus chauds, jusqu'à ce que le printemps les invite à revenir, et nous ramène cette multitude légère sur les ailes de l'amour.

Oiseaux, si tous les ans vous changez de climats

Dès que le vent d'hiver dépouille nos bocages,

Ce n'est pas seulement pour changer de feuillages,

Ni pour éviter nos frimats ;

Mais votre destinée

Ne vous permet d'aimer que la saison des fleurs ;

Et quand elle a passé, vous la cherchez ailleurs,

Afin d'aimer toute l'année.

Il est cependant encore des moments dans le dernier période de l'automne, où la lumière domine et où le calme pur parait sans bornes. Le ruisseau dont les eaux semblent plutôt frissonner que couler, demeure incertain dans son cours, tandis que les nuages chargés de rosée imbibent le soleil, qui darde à-travers leurs voiles, sa lumière adoucie sur le monde paisible. C'est en ce temps que ceux qui sont guidés par la sagesse, savent se dérober à la foule oisive qui habite les villes, et prenant leur essor au dessus des faibles scènes de l'art, viennent fouler aux pieds les basses idées du vice, chercher le calme, antidote des passions turbulentes, et trouver l'heureuse paix dans les promenades rustiques.

O doux amusements, ô charme inconcevable

A ceux que du grand monde éblouit le chaos :

Solitaires vallons, retraite inviolable

De l'innocence et du repos.

Puissé-je, retiré, pensif et rêveur, venir errer souvent dans vos sombres bosquets, où l'on entend le gazouillement de quelques chantres domestiques qui égaient les travaux du bûcheron, tandis que tant d'autres oiseaux dont les chants sans art formaient, il y a peu de temps, des concerts ; maintenant privés de leur âme mélodieuse, se perchent en tremblant sur l'arbre dépouillé. Cette troupe découragée, qui a perdu l'éclat de ses plumes, n'offre plus à l'oreille que des tons discords. Mais que le fusil dirigé par l'oeil inhumain, ne vienne pas détruire la musique de l'année future, et ne fasse pas une proie barbare de ces faibles et innocentes espèces.

L'année déclinante inspire des sentiments pitoyables. La feuille seche et bruyante tombe du bosquet, et réveille souvent comme en sursaut l'homme réfléchissant qui se promene sous les arbres. Tout semble alors nous porter à la mélancolie philosophique. Quel empire son impulsion n'a-t-elle pas sur les âmes sensibles ? Tantôt arrachant des larmes subites, elle se manifeste sur les joues enflammées ; tantôt son influence sacrée embrase l'imagination. Mille et mille idées se succedent, et l'oeil de l'esprit créateur en conçoit d'inaccessibles au vulgaire. Les passions qui correspondent à ces idées aussi variées, aussi sublimes qu'elles, s'élèvent rapidement. On soupire pour le mérite souffrant ; on sent naître en soi le mépris pour l'orgueil tyrannique, le courage pour les grandes entreprises, l'admiration pour la mort du patriote, même dans les siècles les plus reculés. Enfin l'on est ému pour la vertu, pour la réputation, pour les sympathies, et pour toutes les douces émanations de l'âme sociale.

Le soleil occidental ne donne plus que des jours raccourcis ; les soirées humides glissent sur le firmament, et jettent sur la terre les vapeurs condensées. En même-temps la lune perçant à-travers les intervalles des nuages, se montre en son plein dans l'orient cramoisi ; les rochers et les eaux repercutent ses rayons tremblans ; tout l'athmosphère se blanchit par le reflux immense de sa clarté qui vacille autour de la terre. La nuit est déjà plus longue, le matin parait plus tard, et développe les derniers beaux jours de l'automne, brillans d'éclat et de rosée. Toutesfais le soleil en montant dissipe encore les brouillards. La gelée blanche se fond devant ses rayons ; les gouttes de rosée étincellent sur chaque arbre, sur chaque rameau et sur chaque plante.

Pourquoi dérober la ruche pesante, et massacrer dans leur demeure ses habitants ? Pourquoi l'enlever dans l'ombre de la nuit favorable aux crimes, pour la placer sur le soufre, tandis que ce peuple innocent s'occupait de ses soins publics dans ses cellules de cire, et projetait des plans d'économie pour le triste hiver ? Tranquille et content de l'abondance de ses trésors, tout-à-coup la vapeur noire monte de tous côtés, et cette tendre espèce accoutumée à de plus douces odeurs, tombant en monceau par milliers de ses domes mielleux, s'entasse sur la poussière. Race utîle ! était-ce pour cette fin que vous voliez au printemps de fleurs en fleurs ? était-ce pour mériter ce sort barbare que vous braviez les chaleurs de l'été, et que dans cet automne même vous avez erré sans relâche, et sans perdre un seul rayon du soleil ? Homme cruel, maître tyrannique ! combien de temps la nature prosternée gémira-t-elle sous ton sceptre de fer ? Tu pouvais emprunter de ces faibles animaux leur nourriture d'ambroisie ; tu devais par reconnaissance les mettre à-couvert des vents du nord ; et quand la saison devient dure, leur offrir quelque portion de leur bien. Mais je me lasse de parler à un ingrat qui ne rougit point de l'être, et qui le sera jusqu'au tombeau. Encore un coup d'oeil sur la fin de cette saison.

Tous les trésors de la moisson maintenant recueillis, sont en sûreté pour le laboureur ; et l'abondance retirée défie les rigueurs de l'hiver qui s'approche. Cependant les habitants des villages se livrent à la joie sincère et perdent la mémoire de leurs peines. La jeune fille laborieuse, s'abandonnant au sentiment qu'excite la musique champêtre, saute rustiquement, quoiqu'avec grâce, dans la danse animée ; légère et riche en beauté naturelle, c'est la perle du hameau. Accorde-t-elle un coup d'oeil favorable, les jeux en deviennent plus vifs et plus intéressants. La vieillesse même fait des efforts pour briller, et raconte longuement à table les exploits de son jeune âge. Tous enfin se réjouissent et oublient qu'avec le soleil du lendemain, leur travail journalier doit recommencer encore.

Le centaure cede au capricorne le triste empire du firmament, et le fier verseau obscurcit le berceau de l'année. Le soleil penché vers les extrémités de l'univers, répand un faible jour sur le monde ; il darde obliquement ses rayons émoussés dans l'air obscurci.

Déjà le départ des pléyades

A fait retirer les nochers ;

Et déjà les froides hyades

Forcent les frilleuses driades,

De chercher l'abri des rochers.

Le volage amant de Clytie

Ne caresse plus nos climats ;

Et bientôt des monts de Scythie,

Le fougueux amant d'Orythie

Va nous ramener les frimats.

Les nuages sortent épais de l'orient glacé, et les champs prennent leur robe d'hiver. Bergers, il est temps de renfermer vos troupeaux, de les mettre à l'abri du froid, et de leur donner une nourriture abondante. Voici les jours sereins de gelée ; le nitre éthéré vole à-travers le bleu céleste, et ne peut être aperçu ; il chasse les exhalaisons infectes et verse de nouveau dans l'air épuisé les trésors de la vie élémentaire. L'athmosphère s'approche, se multiplie, comprime dans ses froids embrassements nos corps qu'il anime. Il nourrit et avive notre sang, raffine nos esprits, pénètre avec plus de vivacité, et passant par les nerfs qu'il fortifie, arrive jusqu'au cerveau, séjour de l'âme, grande, recueillie, calme, brillante comme le firmament. Toute la nature sent la force renouvellante de l'hiver qui ne parait que ruine à l'oeil vulgaire. Un rouge plus foncé éclate sur les joues. La terre resserrée par la gelée attire en abondance l'âme végétale, et rassemble toute la vigueur pour l'année suivante. Les rivières plus pures et plus claires, présentent dans leur profondeur un miroir transparent au berger, et murmurent plus sourdement à-mesure que la gelée s'établit.

Alors la campagne devient plus déserte et les troupeaux reposent tranquillement enfermés dans leurs chaudes étables. Le bœuf docîle ne se montre que lorsque trainant un chariot du bois qu'un bûcheron a coupé dans la forêt prochaine, il l'amène à l'entrée de la cabane du laboureur. On n'aperçoit plus d'autres oiseaux que la rustique mésange, le mignon roitelet qui sautille çà et là, et le hardi moineau qui vient jusques dans nos granges bequeter les grains échappés au vanneur.

Cependant l'hiver déploie des beautés ravissantes. J'admire les germes du grain qui percent la neige de leurs tendres pointes. Que ce verd naissant se marie bien avec le blanc qui règne à l'entour ! Il est agréable de voir le soleil dorer les collines blanchies par les frimats. Les noires souches des arbres, et leurs branches chauves, forment un contraste majestueux avec le tapis éblouissant qui couvre la plaine. Les sombres buissons d'épines rehaussent la blancheur des champs, par ce brun même qui en coupe l'aspect trop uniforme. Quel éclat jettent les arbres, lorsque la rosée, en forme de perles, est suspendue à leurs faibles rameaux, auxquels s'entrelacent des fils légers qui voltigent au gré du vent.

Dans ces jours froids et sereins, je choisis pour ma retraite près de la ville, un séjour agréable situé sur un coteau fort élevé, couvert d'un côté par des forêts, ouvert de l'autre au magnifique spectacle de la nature, et m'offrant dans l'éloignement, la vue sans bornes des vagues, tantôt agitées, et tantôt tranquilles. C'est dans cet abri solitaire, que lorsque le foyer brillant, et les flambeaux allumés bannissent l'obscurité de mon cabinet, je m'assieds, et me livre fortement à l'étude.

Je converse avec ces morts illustres, ces sages de l'antiquité, révérés comme des dieux, bienfaisants comme eux, héros donnés à l'humanité pour le bonheur des arts, des armes et de la civilisation. Concentré dans ces pensées motrices de l'inspiration, le volume antique me tombe des mains ; méditant profondément, je crois voir passer devant mes yeux étonnés, ces ombres sacrées, objets de ma vénération.

Socrate d'abord, demeuré seul vertueux dans un état corrompu, seul ferme et invincible. Il brava la rage des tyrants, sans craindre pour la vie, ni pour la mort, et ne connaissant d'autres maîtres que les saintes lois d'une raison éclairée, cette voix de Dieu qui retentit intérieurement à la conscience attentive.

Solon, le grand oracle de la morale, qui fonda sa république sur la vaste base de l'équité. Il sçut par des lois douces, reprimer un peuple fougueux, lui conserver son courage, et ce feu vif, par lequel il devint si supérieur dans le champ glorieux des lauriers et des beaux-arts, et de la noble liberté, et qui se rendit enfin l'orgueil de la Grèce et du genre humain.

Lycurgue, cet homme souverainement grand, ce génie sublime, qui plia toutes les passions sous le joug de la discipline la plus étroite, et qui par l'infaillibilité de ses institutions, conduisit Sparte à la plus haute gloire, et rendit son peuple, en quelque sorte, le législateur de la Grèce entière.

Après lui, s'avance ce chef intrépide, qui s'étant dévoué pour la patrie, tomba glorieusement aux Thermopyles, et pratiqua ce que l'autre avait établi.

Aristide lève son front où brille la candeur, cœur vraiment pur, à qui la voix sincère de la liberté, donna le beau nom de juste. Respecté dans sa pauvreté sainte et majestueuse, il soumit au bien de sa patrie jusqu'à sa propre gloire, et accrut la réputation de son rival trop orgueilleux, mais immortalisé par la victoire de Salamine.

J'aperçais Cimon son disciple, couronné d'un rayon plus doux ; son génie s'élevant avec force, repoussa au loin la molle volupté. Au-dehors le fléau de l'orgueil des Perses, au-dedans il était l'ami du mérite et des arts ; modeste et simple au milieu de la pompe de la richesse.

Je vois ensuite paraitre et marcher pensifs les derniers hommes de la Grèce sur son déclin, héros appelés trop tard à la gloire, et venus dans des temps malheureux. Timoléon, l'honneur de Corinthe, homme heureusement né, également doux et ferme, et dont la haute générosité pleure son frère dans le tyran qu'il immole. Les deux Thébains égaux aux meilleurs, dont l'héroïsme combiné, éleva leur pays à la liberté, à l'empire et à la renommée. Le grand Phocion, disciple de Platon, et rival de Démosthène, dans le tombeau duquel l'honneur des Athéniens fut enseveli : sévère comme homme public, inexorable au vice, inébranlable dans la vertu ; mais sous son toit illustre, quoique bas, la paix et la sagesse heureuse adoucissaient son front ; l'amitié ne pouvait être plus flatteuse, ni l'amour plus tendre. Agis, le dernier des fils du vieux Lycurgue, fut la généreuse victime de l'entreprise toujours vaine de sauver un état corrompu ; il vit Sparte même, perdue dans l'avarice servile.

Les deux frères Achéens ferment la scène : Aratus qui ranima quelque temps dans la Grèce la liberté expirante, et l'aimable Philopoemen, le favori, et le dernier espoir de son pays, qui ne pouvant en bannir le luxe et la pompe, sçut le tourner du côté des armes ; berger simple et laborieux à la campagne, et habîle et intrépide au champ de Mars.

Un peuple, roi du monde, race de héros, s'avance. Son front plus sévère n'a d'autre tache (si c'en est une), qu'un amour excessif de la patrie, passion quelquefois trop ardente et trop partiale. Numa, la lumière de Rome, fut son premier et son meilleur fondateur, puisqu'il fut celui des mœurs. Le roi Servius posa la base solide sur laquelle s'éleva la vaste république qui domina l'univers.

Viennent ensuite les grands et vénérables consuls Lucius Junius Brutus, dans qui le père public, du haut de son redoutable tribunal, fit taire le père privé : Camille, que son pays ingrat ne put perdre, et qui ne sçut que venger les injures de sa patrie : Fabricius, qui foule aux pieds l'or séducteur : Cincinnatus redoutable à l'instant où il quittait sa charrue : et toi, Régulus, victime volontaire de Carthage, impétueux à vaincre la nature, tu t'arraches aux larmes de ta famille, pour garder ta foi, et pour obéir à la voix de l'honneur ! Scipion, ce chef également brave et humain, qui parcourt rapidement et sans tache, tous les différents degrés de gloire. Ardent dans la jeunesse, il sçut goûter ensuite les douceurs de la retraite avec les muses, l'amitié et la philosophie : Cicéron, dont la puissante éloquence, arrêta quelque temps le rapide destin de Rome : Caton, semblable aux dieux, et d'une vertu invincible, et toi malheureux Brutus, héros bienfaisant, dont le bras tranquille poussé par la vertu même, plongea l'épée romaine dans le sein de ton ami. Mille autres encore demandent et méritent le tribut de mon admiration. Mais qui peut nombrer les étoiles du ciel, qui peut célébrer leurs influences sur ce bas monde ?

Quel est celui qui s'approche d'un air modeste, doux, et majestueux comme le soleil du printemps ? C'est Phébus lui-même, ou le berger de Mantoue. Le sublime Homère, rapide et audacieux père du chant, parait devant lui. L'un et l'autre ont percé l'espace, sont parvenus d'un plein vol au sommet du temple de la renommée.

Les savantes immortelles

Tous les jours de fleurs nouvelles

Ont soin de parer leur front ;

Et, par leur commun suffrage,

Ce couple unique partage

Le sceptre du double mont.

Là, d'un Dieu fier et barbare,

Orphée adoucit les lois ;

Ici le divin Pindare

Charme l'oreille des rois ;

Dans de douces promenades,

Je vois les folles Ménades,

Rire autour d'Anacréon,

Et les nymphes plus modestes

Gémir des ardeurs funestes

De l'amante de Phaon.

Enfin, toutes les ombres de ceux dont la touche pathétique savait passionner les cœurs ; tous ceux qui entrainaient les grecs au théâtre, pour les frapper des grands traits de la morale, ainsi que tous ceux qui ont mélodieusement réveillé la lyre enchanteresse, s'offrent à moi tour-à-tour.

Société divine, ô vous les prémices d'entre les mortels, ne dédaignez pas m'inspirer dans les jours que je vous consacre ! Faites que mon âme prenne l'essor, et puisse s'élever à des pensées semblables aux vôtres ! Et toi, silence, puissance solitaire, veille à ma porte ; éloigne tout importun qui voudrait me dérober les heures que je destine à cette étude ? N'excepte qu'un petit nombre d'amis choisis, qui daigneront honorer mon humble toit, et y porter un sens pur, un savoir bien digéré, une fidélité extrême, une âme honnête, un esprit sans artifice, et une humeur toujours gaie.

Présent des dieux, doux charme des humains,

O divine amitié, viens pénétrer nos âmes ;

Les cœurs éclairés de tes flammes,

Avec des plaisirs purs, n'ont que des jours sereins !

C'est dans tes nœuds charmants, que tout est jouissance ;

Le temps ajoute encore un lustre à ta beauté ;

L'amour te laisse la constance ;

Et tu serais la volupté

Si l'homme avait son innocence.

Entourés de mortels dignes de toi, je voudrais passer avec eux et les jours sombres de l'hiver, et les jours brillans de l'année.

Nous discuterions ensemble, si les merveilles infinies de la nature furent tirées du cahos, ou si elles furent produites de toute éternité par l'esprit éternel. Nous rechercherions ses ressorts, ses lois, ses progrès et sa fin. Nous étendrions nos vues sur ce bel assemblage ; nos esprits admireraient l'étonnante harmonie qui unit tant de merveilles. Nous considérerions ensuite le monde moral, dont le désordre apparent est l'ordre le plus sublime, préparé et gouverné par la haute sagesse qui dirige tout vers le bien général.

Nous découvririons peut-être en même temps, pourquoi le mérite modeste a vécu dans l'oubli, et est mort négligé ; pourquoi le partage de l'honnête homme dans cette vie fut le fiel et l'amertume ; pourquoi la chaste veuve et les orphelins dignes d'elle, languissent dans l'indigence, tandis que le luxe habite les palais, et occupe ses basses pensées à forger des besoins imaginaires ; pourquoi la vérité, fille du ciel, tombe si souvent flétrie sous le poids des chaînes de la superstition ; pourquoi l'abus des lois, cet ennemi domestique, trouble notre repos, et empoisonne notre bonheur.... ?

D'autres fois la sage muse de l'histoire nous conduirait à-travers les temps les plus reculés, nous ferait voir comment les empires s'accrurent, déclinèrent, tombèrent et furent démembrés. Nous développerions sans doute les principes de la prospérité des nations. Comment les unes doublent leur sol par les miracles de l'agriculture et du commerce, et changent par l'industrie, les influences d'un ciel peu favorable de sa nature, tandis que d'autres languissent dans les climats les plus brillants et les plus heureux. Cette étude enflammerait nos cœurs, et éclairerait nos esprits de ce rayon de la divinité, qui embrase l'âme patriotique des citoyens et des héros.

Mais si une humble et impuissante fortune, nous force à reprimer ces élans d'une âme généreuse ; alors supérieurs à l'ambition même, nous apprendrons les vertus privées, nous parcourons les plaisirs d'une vie douce et champêtre ; nous saurons comment on passe dans les bois et dans les plaines des moments délicieux. Là, guidés par l'espérance dans les sentiers obscurs de l'avenir, nous examinerons avec un oeil attentif les scènes de merveilles, où l'esprit dans une progression infinie, parcourt les états et les mondes. Enfin pour nous délasser de ces pensées profondes, nous nous livrerons dans l'occasion aux saillies de l'imagination enjouée, qui sait peindre avec rapidité, et effleurer agréablement les idées.

Les villes dans cette saison fourmillent de monde. Les assemblées du soir où l'on traite mille sujets divers, retentissent d'un bourdonnement formé du mélange confus de différents propos, dont on ne tire aucun profit. Les enfants de la débauche s'abandonnent au torrent rapide d'une fausse joie qui les conduit à leur destruction. La passion du jeu vient occuper l'âme empoisonnée par l'avarice ; l'honneur, la vertu, la paix, les amis, les familles et les fortunes, sont par-là précipitées dans le gouffre d'une ruine totale.

Les salles des appartements de réception sont illuminées avec art, et c'est-là que le petit maître, insecte hermaphrodite et léger, brille dans sa parure passagère, papillonne, mord en volant, et secoue des ailes poudrées.

Ailleurs, la pathétique Melpomene, un poignard à la main, tient, dans le saisissement une foule de spectateurs de l'un et de l'autre sexe. Tantôt c'est Atrée qui me fait frissonner.

Ce monstre que l'enfer a vomi sur la terre,

N'assouvit la fureur dont son cœur est épris,

Que par la mort du père après celle du fils.

A travers les détours de son âme parjure,

Se peignent des forfaits dont frémit la nature ;

Le barbare triomphe en de funestes lieux,

Dont il vient de chasser, et le jour et les dieux.

D'autrefois c'est le sort d'Iphigénie qui me perce le cœur, et coupe ma respiration par des sanglots.

On saisit à mes yeux cette jeune princesse.

Eh, qui sont les bourreaux ? tous ces chefs de la Grèce,

Ulysse.... Mais Diane a soif de ce beau sang :

Il faut donc la livrer à Calchas qui l'attend.

L'aimable Iphigénie au temple est amenée,

Et d'un voîle aussi-tôt la victime est ornée ;

Tout un grand peuple en pleurs s'empresse pour la voir ;

Son père est auprès d'elle outré de désespoir.

Un prêtre sans frémir, couvre un fer d'une étole ;

A ce spectacle affreux, elle perd la parole,

Se prosterne en tremblant, se soumet à son sort,

Et s'abandonne en proie aux horreurs de la mort.

Helas ! que lui sert-il à cette heure fatale,

D'être le premier fruit de la couche royale ;

On l'enleve, on l'entraîne, on la porte à l'autel,

Où, bien loin d'accomplir un hymen solennel,

Au lieu de cet hymen sous les yeux de son père,

Calchas en l'immolant à Diane en colere,

Dait la rendre propice au départ des vaisseaux ;

Tant la religion peut enfanter de maux !

Il n'est point de pitié, l'oracle seul commande :

La piété sévère exige son offrande ;

Le roi, de son pouvoir, se voit déposséder,

Et voilant son visage, est contraint de céder.

Clitemnestre en fureur, maudit la Grèce entière ;

Elle dit dans l'excès de sa douleur altière :

Quoi, pour noyer les Grecs, et leurs nombreux vaisseaux,

Mer, tu n'ouvriras pas des abîmes nouveaux !

Quoi, lorsque les chassant du port qui les recele,

L'Aulide aura vomi leur flotte criminelle,

Les vents, les mêmes vents si longtemps accusés,

Ne te couvriront point de ses vaisseaux brisés ?

Et toi soleil, et toi, qui dans cette contrée,

Reconnais l'héritier, et le vrai fils d'Atrée,

Toi, qui n'osas du père éclairer le festin,

Recule ; ils t'ont appris ce funeste chemin !

Mais cependant, ô ciel, ô mère infortunée !

De festons odieux ta fille couronnée,

Tend la gorge aux couteaux par un prêtre apprêtés :

Calchas Ve dans son sang.... barbares, arrêtez ;

C'est le pur sang du dieu qui lance le tonnerre ;

J'entends gronder la foudre, et sens trembler la terre....

Enfin, la terreur s'empare de nos cœurs, et l'art fait couler des pleurs honnêtes.

Thalie appuyée contre une colonne, et tenant un masque de la main droite, fait rire le public du tableau de ses propres mœurs. Quelquefois même, l'art dramatique s'éleve, et peint les passions des belles ames. On voit dans Constance et dans Dorval, que la vertu est capable de sacrifier tout à elle-même.

C'en est fait, l'hiver répand sa dernière obscurité, et règne sur l'année soumise ; le monde végétal est enseveli sous la neige. Arrête-toi, mortel livré aux erreurs et aux passions ; contemple ici le tableau de ta vie passagère, ton printemps fleuri, la force ardente de ton été, ton automne, âge voisin du midi, où tout commence à se faner, et l'hiver de ta vieillesse, qui, bientôt fermera la scène. Que deviendront alors ces chimères de grandeur, cet espoir de la faveur, brillante et volage divinité des cours ;

Qui seme au loin l'erreur et les mensonges,

Et d'un coup d'oeil enivre les mortels ;

Son faible trône est sur l'aîle des songes ;

Les vents légers soutiennent ses autels.

que deviendront ces rêves d'une vaine renommée, ces jours d'occupations frivoles, ces nuits passées dans les plaisirs et les festins, ces pensées flottantes entre le bien et le mal ? toutes ces choses vont s'évanouir. Apprents que la vertu survit, et qu'elle seule méritait ton amour ! " Malheur à celui qui ne lui a pas assez sacrifié pour la préférer à tout, ne vivre, ne respirer que pour elle, s'enivrer de sa douce vapeur, et trouver la fin de ses jours dans cette noble ivresse ". C'est ainsi que parle et que pense le philosophe vertueux, le digne et célèbre auteur du Fils naturel ou des Epreuves de la vertu, acte III. scène III. pag. 105. (D.J.)

ZONE, (Conchyliologie) les Conchyliographes nomment zones les bandes, cercles ou fasces que l'on remarque sur la robe d'une coquille ; ces zones ou bandes sont quelquefois de niveau, d'autres fois saillantes, et d'autres fois gravées en creux. (D.J.)

ZONE, (Antiquité romaine) en latin zona, car c'est ainsi qu'on nommait la ceinture des Romains. Comme la chemise ou tunique qu'ils avaient sous la toge était fort ample, ils se servaient d'une zone ou ceinture pour l'arrêter et pour la retenir quand il était nécessaire. Ces ceintures étaient différentes selon le sexe, le temps et les âges ; mais l'on ne pouvait être vêtu décemment sans zone, et c'était une marque de dissolution et de débauche de n'en point avoir, ou de la porter trop lâche ; de-là l'expression latine discinctus, un effeminé, et c'est pour cette raison que Perse dit, non pudet ad morem discincti vivère nattae.

Les hommes affectaient de la porter fort haute, et les dames la plaçaient immédiatement sous le sein, et elle servait à le soutenir, car elles n'usaient point de corps ni de corsets. Cette zone ou ceinture des femmes se nommait castata.

Sur la fin de la république, elles joignirent à cette ceinture un ornement qui y était attaché, et qui marquait la séparation de la gorge ; il était ordinairement enrichi d'or, de perles ou de pierreries, et fait de manière qu'il formait une espèce de petit plastron.

Il y eut un temps chez les Romains, que les hommes attachaient à leur zone une bourse dans laquelle ils mettaient leur argent. Aulugelle, l. XV. c. XIIe rapporte le discours que Cornelius Gracchus fit au peuple Romain, auquel il rendit compte de la conduite qu'il avait tenue dans son gouvernement, et en finissant, il lui dit : " enfin, messieurs, j'emportai de Rome ma bourse pleine d'argent, et je la rapporte vide " : Itaque, Quirites, quùm Romam profectus sum, zonas quas plenas argenti extuli, eas ex provinciâ inanes retuli. A quoi il ajoute ces paroles remarquables, alii vini amphoras quas plenas tulerunt, argento plenas domum reportaverunt. Cette coutume n'a pas été abolie, et subsistera toujours dans les pays où l'argent est plus précieux que la vertu. (D.J.)

ZONE, s. f. (Hydraulique) en fait de fontaines, se dit d'un espace vide d'environ une ligne ou deux de large, percée circulairement sur la platine d'un ajutage à l'épargne. C'est peut-être encore une bande tracée sur la platine d'une gerbe, pour y percer d'espace en espace des fentes ou portions de couronne ou des parallelogrammes d'une ligne ou de deux de large. (K)

ZONE, (Jardinage) se dit d'une ligne épaisse dentelée, placée horizontalement sur l'extrémité des feuilles des arbres.