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Catégorie : Géographie moderne
(Géographie moderne) ville d'Espagne, aujourd'hui capitale de la nouvelle Castille, sur le bord du Tage, qui l'environne des deux côtés, à 16 lieues au midi de Madrid, et à 45 au nord-est de Mérida.

La situation de Tolede sur une montagne assez rude, rend cette ville inégale, de sorte qu'il faut presque toujours monter ou descendre ; les rues sont étroites, mais les places où l'on tient des marchés sont fort étendues. Le château royal, que l'on appelle Alcaçar, d'un mot retenu des Maures, est un beau et vaste bâtiment antique. L'église cathédrale est l'une des plus riches de toute l'Espagne. Le sagrario ou la principale chapelle, est un trésor en ouvrages d'or et d'argent ; la custode ou le tabernacle qui sert à porter le Saint-sacrement à la Fête-Dieu, est si pesant qu'il ne faut pas moins de trente hommes pour le porter.

Si cette église est superbement ornée, elle n'est pas moins bien rentée ; son archevêque est primat du royaume, conseiller d'état, grand chancelier de Castille, et jouissant du privilège de parler le premier après le roi ; il possède dix-sept villes, et son revenu est au-moins d'un million de notre monnaie ; les honneurs qu'il reçoit comme archevêque à son entrée dans Tolede, sont tels qu'on en rendrait à un monarque.

Le clergé de son église jouit d'environ 400000 écus de rente. Le cardinal Ximénès, qui fut archevêque de Tolede au commencement du seizième siècle, a singulièrement contribué à l'ornement de cette église, car on prétend que les dépenses qu'il y fit montaient à cinquante mille ducats ; il employa environ cinquante mille écus à la seule impression des missels et des bréviaires mozarabes. Voyez MOZARABE, office.

On compte dans Tolede dix-sept places publiques, vingt-sept paroisses, trente-huit maisons religieuses, et plusieurs hôpitaux. Il s'y est tenu divers conciles. Son université fondée en 1475, a été fort enrichie par le cardinal Ximénès. La ville est forte d'assiette, et fait un grand commerce de soie et de laine ; mais ce commerce fleurirait bien davantage, pour peu qu'on voulut travailler à rendre le Tage navigable, afin que les bateaux arrivassent au pied de la ville.

L'air y est très-pur, mais ses environs sont secs et stériles. On nous a conservé l'inscription suivante tirée des restes d'un ancien amphithéâtre découvert hors de la ville ; cette inscription faite à l'honneur de l'empereur Philippe porte ces mots : Imp. Caes. M. Julio Philippo Pio. Fel. Aug. Parthico. Pont. Max. Trib. Pott. P. P. Consuli Toletani Devotiss. Numini Majest. Que Ejus D. D.

Long. de Tolede, suivant de la Hire, 12d. 51'. 30''. latit. 39d. 46'. et suivant Street, long. 18d. 16'. 45''. latit. 39d. 54'.

La ville de Tolede a été dans l'ancien temps une colonie des Romains, dans laquelle ils tenaient la caisse du trésor. Jules César en fit sa place d'armes ; Auguste y établit la chambre impériale ; LÉovigilde, roi des Goths, y choisit sa résidence ; Bamba l'agrandit et l'entoura de murailles. Les Maures la prirent l'an 714, lorsqu'ils entrèrent en Espagne, et le roi Alphonse VI. roi de la vieille Castille, la reprit sur eux à l'instigation du Cid, fils de don Diegue, qui s'était tant distingué contre les Musulmants, et qui offrit au roi Alphonse tous les chevaliers de sa bannière pour le succès de l'entreprise.

Le bruit de ce fameux siège, et la réputation du Cid, appelèrent de l'Italie et de la France beaucoup de chevaliers et de princes. Raimond, comte de Toulouse, et deux princes du sang de France de la branche de Bourgogne, vinrent à ce siège. Le roi mahométan, nommé Hiaja, était fils d'un des plus généreux princes dont l'histoire ait conservé le nom. Almamon son père avait donné dans Tolede un asîle à ce même roi Alphonse, que son frère Sanche persécutait alors. Ils avaient vécu longtemps ensemble dans une amitié peu commune, et Almamon loin de le retenir, quand après la mort de Sanche il devint roi, et par conséquent à craindre, lui avait fait part de ses trésors ; on dit même qu'ils s'étaient séparés en pleurant. Plus d'un chevalier mahométan sortit des murs pour reprocher au roi Alphonse son ingratitude envers son bienfaiteur, et il y eut plus d'un combat singulier sous les murs de Tolede.

Le siege dura une année ; enfin Tolede capitula en 1085, mais à condition qu'il traiterait les Musulmants comme il en avait usé avec les Chrétiens, qu'on leur laisserait leur religion et leurs lois, promesse qu'on tint d'abord, et que le temps fit violer. Toute la Castille neuve se rendit ensuite au Cid, qui en prit possession au nom d'Alphonse ; et Madrid, petite place qui devait être un jour la capitale de l'Espagne, fut pour la première fois au pouvoir des Chrétiens.

Plusieurs familles vinrent de France s'établir dans Tolede : on leur donna des privilèges qu'on appelle même encore en Espagne franchises. Le roi Alphonse fit aussi-tôt une assemblée de prélats, laquelle sans le concours du peuple autrefois nécessaire, élut pour évêque de Tolede un prêtre nommé Bernard, à qui le pape Grégoire VII. conféra la primatie d'Espagne à la prière du roi.

La conquête fut presque toute pour l'Eglise ; mais le primat eut l'imprudence d'en abuser, en violant les conditions que le roi avait jurées aux Maures. La plus grande mosquée devait rester aux Mahométans. L'archevêque pendant l'absence du roi en fit une église, et excita contre lui une sédition. Alphonse revint à Tolede, irrité contre l'indiscretion du prélat ; il apaisa le soulevement en rendant la mosquée aux Arabes ; et en menaçant de punir l'archevêque, il engagea les Musulmants à lui demander eux-mêmes la grâce du prélat chrétien, et ils furent contens et soumis. Je dois ce détail à M. de Voltaire.

Alphonse VIII. donna à Tolede, l'an 1135, les armes qu'elle porte encore aujourd'hui ; c'est un empereur assis sur un trône, l'épée à la main droite, et dans la gauche un globe avec la couronne impériale ; on voit bien que ce sont-là des armes espagnoles.

Dans la foule d'écrivains dont Tolede est la patrie, je ne connais guère depuis la renaissance des lettres, que le rabbin Abraham Ben Meir, le jésuite de la Cerda, le Jurisconsulte Covarruvias, et le poète de la Vega, qui méritent d'être nommés dans cet ouvrage.

Le fameux rabbin Abraham Ben Meir, appelé communément Aben-Ezra, naquit à Tolede, selon Bartolocci, et fleurissait dans le douzième siècle ; c'était un homme de génie, et qui pour augmenter ses connaissances, voyagea dans plusieurs pays du monde : il entendait aussi plusieurs langues, et particulièrement l'arabe. Il cultiva la Grammaire, la Philosophie, la Médecine, et la Poésie, mais il se distingua surtout en qualité de commentateur de l'Ecriture. Après avoir Ve l'Angleterre, la France, l'Italie, la Grèce, et diverses autres contrées, il mourut à Rhodes, dans sa soixante et quinzième année, l'an de Jesus-Christ 1165, selon M. Simon, et 1174, selon M. Basnage.

Il a mis au jour un grand nombre de livres, entre lesquels on a raison d'estimer ses Commentaires sur l'Ecriture, qu'il explique d'une manière fort littérale et très-judicieuse ; on peut seulement lui reprocher d'être quelquefois obscur, par un style trop concis : il n'osait entièrement rejeter la cabale, quoiqu'il sut très-bien le peu de fonds de cette méthode, qui ne consiste qu'en des jeux d'esprit sur les lettres de l'alphabet hébreu, sur les nombres, et sur les mots qu'on coupe d'une certaine façon, méthode aussi vaine que ridicule, et qui semble avoir passé de l'école des Platoniciens dans celle des Juifs. Aben-Ezra craignit de montrer tout le mépris qu'il en faisait, de peur de s'attirer la haine de ses contemporains, et celle du peuple qui y était fort attaché ; il se contente de dire simplement, que cette manière d'expliquer l'Ecriture n'était pas sure ; et que s'il fallait avoir égard à la cabale des pères juifs, il n'était pas convenable d'y ajouter de nouvelles explications, ni d'abandonner les saintes Ecritures aux caprices des hommes.

Ce beau génie examine aussi quelques autres manières d'interpreter l'Ecriture. Il y a, dit-il, des auteurs qui s'étendent fort au long sur chaque mot, et qui font une infinité de digressions, employant dans leurs commentaires tout ce qu'ils savent d'arts et de sciences. Il rapporte pour exemple un certain rabbin, Isaac, qui avait composé deux volumes sur le premier chapitre de la Genèse ; il en cite aussi d'autres, qui, à l'occasion d'un seul mot, ont fait des traités entiers de Physique, de Mathématiques, de Cabale, etc. Aben-Ezra déclare que cette méthode n'est que le fruit de la vanité ; qu'il faut s'attacher simplement à l'interprétation des paroles du texte, et que ce qui appartient aux arts et aux sciences, doit être traité dans des livres séparés.

Il rejette également la méthode des interpretes allégoristes, parce qu'il est difficîle qu'en la suivant on ne s'éloigne entièrement du sens littéral : il ne nie point cependant qu'il n'y ait des endroits dans l'Ecriture qui ont un sens plus sublime que le littéral, comme lorsqu'il est parlé de la circoncision du cœur ; mais alors ce sens plus sublime est littéral, et le véritable sens.

Aben-Ezra s'est donc borné en interprétant l'Ecriture à rechercher avec soin la signification propre de chaque mot, et à expliquer les passages en conséquence. Au-lieu de suivre la route ordinaire de ceux qui l'avaient précédé, il étudia le sens grammatical des auteurs sacrés, et il le développa avec tant de pénétration et de jugement, que les Chrétiens même le préférent à la plupart de leurs interpretes.

Au reste, c'est lui qui a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd'hui, que le peuple d'Israèl ne passa point au-travers de la mer Rouge ; mais qu'il y fit un cercle pendant que l'eau était basse, afin d'engager Pharaon à les suivre, et que ce prince fut submergé par le montant.

Cerda (Jean-Louis de la), entra dans la societé des Jésuites en 1574. Il a publié des adversaria sacra, des commentaires sur une partie des livres de Tertullien, et en particulier sur le traité de pallio, du même père de l'Eglise. Enfin, il a écrit trois volumes in-fol. de commentaires sur Virgile, imprimés à Paris en 1624, en 1630, et en 1641. Les ouvrages de ce jésuite n'ont pas fait fortune ; ils sont également longs et ennuyeux, parce qu'il explique les choses les plus claires pour étaler son érudition, et parce que d'ailleurs il s'écarte sans-cesse de son sujet.

Covarruvias (Diego), l'un des plus savants hommes de son siècle, dans le droit civil et canon, naquit en 1512. Il joignit à la science du droit la connaissance des belles-lettres, des langues, et de la théologie. Philippe II. le nomma évêque de Ciudad-Rodrigo, et il assista en cette qualité au concîle de Trente. A son retour il fut fait évêque de Ségovie, en 1564, président du conseil de Castille en 1572, et cinq ans après évêque de Cuença ; mais il mourut à Madrid en 1577, à 66 ans, avant que d'avoir pris possession de ce dernier évêché. Ses ouvrages ont été recueillis en deux volumes in-folio ; on en fait grand cas, et on les réimprime toujours à Lyon et à Genève ; on estime surtout celui qui a pour titre, variarum resolutionum libri tres : Covarruvias est non seulement un jurisconsulte de grand jugement, mais il passe encore pour le plus subtil interprete du droit que l'Espagne ait produit.

Garcias-Lasso de la Vega, un des célèbres poètes espagnols, était de grande naissance, et fut élevé auprès de l'empereur Charles-Quint. Il suivit ce prince en Allemagne, en Afrique, et en Provence : il commandait un bataillon dans cette dernière expédition, où il fut blessé ; on le transporta à Nice, et l'empereur qui le considérait lui fit donner tous les soins possibles ; mais il mourut de ses blessures vingt jours après, en 1536, à la fleur de son âge, à 36 ans.

Ses poésies ont été souvent réimprimées avec des notes de divers auteurs ; il ne faut pas s'en étonner. Garcias est un de ceux à qui la poésie espagnole a le plus d'obligation, non-seulement parce qu'il l'a fait sortir de ses premières bornes, mais encore pour lui avoir procuré diverses beautés empruntées des étrangers : il était le premier des poètes espagnols de son temps, et il réussissait même assez bien en vers latins.

Il employa l'art à cultiver le naturel qu'il avait pour la poésie ; il s'appliqua à la lecture des meilleurs d'entre les poètes latins et Italiens, et il se forma sur leur modèle. Ayant remarqué que Jean Boscan avait réussi à faire passer la mesure et la rime des Italiens dans les vers espagnols, il abandonna cette sorte de poésie qu'on appelle ancienne, et qui est propre à la nation espagnole, pour embrasser la nouvelle, qui est imitée des Italiens : il quitta donc les couplets et les rondelets (coplas y redondillas), qui répondent à nos stances françaises, sans vouloir même retenir les vers de douze syllabes, ou d'onze, quand l'accent est sur la dernière du vers.

Il renonça même aux villanelles, qui répondent à nos ballades, aux romances, aux séguedilles, et aux gloses, pour faire des hendécasyllabes à l'italienne, qui consistent en des octaves, des rimes tierces, des sonnets, des chansons, et des vers libres. Il réussit en toutes ces sortes de rimes nouvelles, mais particulièrement en rimes tierces, qui sont, 1°. des stances de trois vers, dont le premier rime au troisième, le second au premier de la stance suivante, et ainsi jusqu'à la fin, où on ajoute un vers de plus dans la dernière stance, pour servir de dernière rime ; 2°. des stances dont le premier vers est libre, et les deux autres riment ensemble.

Cette nouvelle forme de poésie fut trouvée si bizarre, que quelques-uns tâchèrent de la ruiner, et de rétablir l'ancienne, comme étant propre à l'Espagne : c'est ce qu'entreprit de faire Christophe de Castillejo ; mais ni lui ni les autres ne purent empêcher qu'elle n'eut le dessus, à la gloire de Garcias.

Ses ouvrages sont d'ailleurs animés de feu poétique et de noblesse ; c'est le jugement qu'en portent Mrs de Port-Royal dans leur nouvelle méthode espagnole. Paul Jove prétend même que les odes de Garcias ont la douceur de celles d'Horace.

Sanchez de Las-Brozas, savant grammairien espagnol, a fait des commentaires sur toutes les œuvres de Garcias, et il a eu soin d'y remarquer les endroits imités des anciens, et d'en relever les beautés par des observations assez curieuses.

Il est bon de ne pas confondre le poète de Tolede avec Lopès de Vega, autrement nommé Lopès-Felix-de-Vega-Carpio, autre poète espagnol, chevalier de Malthe, né à Madrid en 1562, et mort en 1635. Il porta les armes avec quelque réputation, et cultiva la poésie avec une fécondité sans exemple, car ses comédies composent vingt-cinq volumes, dont chacun contient douze pièces de théâtre. Quoiqu'elles soient généralement fort médiocres et peu travaillées, on a fait des recueils d'éloges à la gloire de l'auteur, et c'est à sa mémoire qu'un de ses confrères a consacré cette jolie épigramme.

El aplauso en que jamas

Tè podra bastar la fama,

Los mas del mundo te llama,

Y aun te queda a deber mas,

A los siglos que daras

Por duda y desconfianza,

Por castumbre à la alabanza,

A la invidia por officio,

Al dolor por exercizio,

Por termino à la esperanza.

Enfin, il faut encore distinguer notre poète de Tolede d'un autre auteur assez célèbre, qui porte le même nom, Garcias-Lasso-de-la-Vega, né à Cusco dans l'Amérique, et qui a donné en espagnol l'histoire de la Floride, et celle du Pérou et des Incas, qu'on a traduites en français.

Salmeron (Alphonse), jésuite, naquit à Tolede en 1516, et mourut à Naples en 1595, à 69 ans. Il fit connaissance à Paris avec saint Ignace de Loyola, devint son ami, son compagnon, et un des neuf qui se présentèrent avec lui au pape Paul III. en 1540. Il voyagea ensuite en Italie, en Allemagne, en Pologne, dans les Pays-bas, et en Irlande. Il composa des ouvrages d'un mérite assez médiocre ; il prit soin cependant de ne pas établir trop ouvertement la prétention de l'empire du pape sur le temporel des rais, en ne considérant cette puissance du pape que comme indirecte ; mais cette opinion est aussi pernicieuse à l'Eglise et à l'état, aussi capable de remplir la république de séditions et de troubles, que la chimère d'une autorité directe du pontife de Rome, sur l'autorité temporelle et indubitable des rais.

Je ne dois pas oublier, dans l'article de Tolede, une des illustres et des savantes dames du seizième siècle, Sigée (Louise), connue sous le nom d'Alaisia Sigaea. Son père lui apprit la philosophie et les langues. On dit que c'est lui qui introduisit l'amour pour les lettres à la cour de Portugal, où il mena son aimable fille, qu'on mit auprès de l'infante Marie, qui cultivait les sciences dans le célibat. Louise Sigée épousa Alphonse Cueva de Burgos, et mourut en 1560.

On a d'elle un poème latin intitulé Sintra, du nom d'une montagne de l'Estramadoure, au pied de laquelle est un rocher, où on dit qu'on a Ve de temps-en-temps des tritons jouant de leur cornet : on lui attribue encore des épitres et diverses pièces en vers ; mais tout le monde sait que le livre infame, de arcanis amoris et Veneris, qui porte son nom, n'est point de cette dame, et qu'il est d'un moderne, qui a souillé sa plume à écrire les impuretés grossières et honteuses dont ce livre est rempli. (D.J.)




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