(Géographie moderne) ville de France en Champagne, dont elle est capitale, sur la Seine, à 26 lieues au midi de Rheims, et à 35 au sud-est de Paris.

Troie. a quatorze paroisses, deux abbayes d'hommes et une de filles, un séminaire gouverné par les prêtres de la mission, et dont le revenu est de quarante-cinq mille livres. Il y a dans cette ville élection, maréchaussée et siege présidial. Il y a aussi une commanderie de Malthe, dont le revenu est de douze mille livres ; enfin on y voit plusieurs couvens de religieux et de religieuses. Son commerce a été autrefois très-florissant. Il consiste aujourd'hui en toiles, en blanchissage de cire, en chandelle et en vin. Les statuts des communautés de cette ville doivent être rectifiés à plusieurs égards, surtout en fait de maitrise et de règlements impossibles dans l'exécution.

Troie. manque de bonne eau à boire, et aurait besoin de fontaines publiques tirées de sources d'eaux vives. Son terroir produit des grains, des vins et des fruits en abondance.

Son premier évêque, S. Amatre, vivait l'an 340. L'évêché est composé de 372 paroisses et de 98 annexes, divisées en huit doyennés sous cinq archidiacres. Cet évêché vaut vingt à vingt-quatre mille livres de rente. Long. suivant Cassini, 21. 31'. 30''. latit. 48. 15 '.

Troie. a pris son nom des peuples Celtes, Tricasses ou Trecasses, que César n'a point connus, mais qu'Auguste a dû établir en corps de peuple ou de cité, puisqu'il est le fondateur de leur ville principale, qu'il appela Augustobona ou Augustomana, nom qui a été en usage jusqu'au cinquième siècle. Pline fait mention des Tricanes parmi les Celtes, sans nommer leur ville Augustobona ; mais Ptolémée la nomme. Ensuite le nom du peuple a prévalu, et Tricasses a été corrompu en Trecae, en sorte que les écrivains qui sont venus depuis Grégoire de Tours appellent toujours Troie., Trecae.

Après la chute de l'empire romain, cette ville passa au pouvoir des Francs ; et après la division de la France en Austrasie et Neustrie, Troie. fut de la Neustrie, en sorte que les rois de la Neustrie en ont toujours eu la propriété ou la souveraineté. Lorsqu'on institua une quatrième lyonnaise sur le déclin de l'empire romain, la ville de Troie. fut mise sous cette province, voilà pourquoi les évêques de Troie. ont toujours jusqu'à présent reconnu celui de Sens pour leur métropolitain.

Jarchi ou Jarhi (Salomon), autrement nommé Isaacites, rabbin célèbre du XIIe siècle, était de Troie., selon R. Ghédalia et la plupart des autres chronologistes juifs. Il commença à voyager à l'âge de trente ans. Il vit l'Italie, ensuite la Grèce, Jérusalem et toute la Palestine ; puis il alla en Egypte, et s'aboucha avec le rabbin Maimonides. Il passa en Perse, en Tartarie, en Moscovie, en d'autres pays septentrionaux, et enfin en Allemagne, d'où il revint dans sa patrie, ayant employé six années à ce grand voyage. Il se maria, et eut trois filles, qui épousèrent de savants rabbins.

Les commentaires de Jarchi sur l'Ecriture sont fort estimés des juifs, et quelques-uns ont été traduits en latin par des chrétiens. Genebrard a publié à Paris en 1563 la version du commentaire sur Joèl, et en 1570 celle du commentaire sur le cantique des cantiques. Arnaud de Pontac est l'auteur de la traduction latine des commentaires de Jarchi sur Abdias, sur Jonas et sur Sophonie, qui ont été imprimés à Paris l'an 1566, in -4°. Henri d'Aquin publia dans la même ville en 1522 le commentaire de Jarchi sur Esther, avec des notes. On a inséré finalement tous les commentaires de ce rabbin sur l'Ecriture dans les bibles de Venise et de Bâle. Enfin on a imprimé, avec le corps du thalmud, ses glosses sur ce grand livre. On met sa mort l'an 1173. Il est bon de remarquer que le rabbin Jarchi, Jarhi, Isaaki, Isaacites et Rasci sont le seul et même homme.

Parlons à présent de quelques-uns de nos savants chrétiens nés à Troie..

Caussin (Nicolas), jésuite et confesseur de Louis XIII. s'est fait de la réputation par un ouvrage qu'il intitula, la cour sainte, imprimé en 1625, in -8°. ensuite en 1664 en deux volumes in -4°. enfin en 1680 en deux volumes in-fol. On a traduit cet ouvrage en latin, en italien, en espagnol, en portugais, en allemand et en anglais. Le P. Caussin favorisa la liaison du roi pour mademoiselle de la Fayette, liaison qui pouvait servir à faire rappeler la reine-mère, et disgracier le cardinal de Richelieu ; mais le ministre l'emporta sur la maîtresse et sur le confesseur. Mademoiselle de la Fayette fut obligée de se retirer dans un couvent, et bientôt après en 1637 le P. Caussin fut arrêté, privé de son emploi, et relégué en basse Bretagne. Il ne revint à Paris qu'après la mort de son éminence, et mourut dans la maison-professe en 1651, âgé de 71 ans.

Cointe (Charles le), prêtre de l'oratoire, naquit en 1611, et mourut en 1681, à 70 ans, après avoir publié en latin les annales ecclésiastiques de France, en huit volumes in-fol. imprimés au Louvre par ordre du roi. Ces annales commencent à l'an 235, et finissent à l'an 835. Elles contiennent les decrets des conciles de France, avec des explications, le catalogue des évêques et leurs vies, les fondateurs, les privilèges des monastères, les vies des saints, les questions de doctrine et de discipline. C'est un ouvrage d'un prodigieux travail, d'une recherche singulière, mais dénué de tout ornement, et qui ne se fait point lire avec plaisir. Le premier volume parut en 1666, et M. Colbert protégea l'auteur tant qu'il vécut.

Henrion (Nicolas,) né en 1663, mort en 1720, s'attacha à l'étude des médailles, et à la connaissance des langues orientales. Il fut agrégé en 1701 à l'académie des Inscriptions ; cependant il n'y a rien sous son nom dans les mémoires de cette académie, et fort peu de choses dans son histoire.

Noble (Eustache le) naquit en 1643, et fit quantité de petits ouvrages en prose et en vers, qui eurent un grand cours. Il devint procureur général au parlement de Metz, où sa mauvaise conduite lui ayant attiré des affaires fâcheuses, il fut détenu plusieurs années en prison, et perdit sa charge. Il mourut à Paris en 1711, à 68 ans, si pauvre, que la charité de la paraisse de S. Severin fut obligée de le faire enterrer. Brunet, libraire, a recueilli ses œuvres, et les a imprimées en vingt volumes in -12. c'est un mélange d'écrits sacrés et profanes, d'historiettes et de pièces graves, de fables, de contes, et de traductions en vers des pseaumes, de satyres de Perse, de comédies, et d'épitres morales.

Passerat (Jean), né en 1534, se rendit très-habîle dans les Belles-Lettres, et joignit une rare politesse à beaucoup d'érudition. Il succéda à Pierre Ramus dans la chaire d'éloquence, et mourut en 1602, à 68 ans. On a de lui des commentaires sur Catulle, Tibulle et Properce, un livre de cognatione litterarum, des notes sur Pétrone, et des poésies latines, dont les vers marquent beaucoup de pureté de style.

On ne fait pas le même cas de ceux de l'abbé Boutard, compatriote de Passerat, né un siècle après, et mort à Paris en 1729, âgé de 75 ans. Cet abbé ayant composé en vers latins l'éloge de M. Bossuet, ce prélat lui conseilla d'en composer une autre à la gloire de Louis XIV. et se chargea de le présenter lui-même. Le roi récompensa l'auteur par une pension de mille livres, et M. Bossuet lui procura des bénéfices qui le mirent fort à son aise. L'abbé Boutard se trouvant riche, s'imagina avoir des talents extraordinaires pour la poésie. Il ornait de ses vers tous les monuments érigés en l'honneur de sa majesté, et se croyait obligé par état de ne laisser passer aucun événement remarquable du règne de ce prince, sans le célébrer ; cependant le public méprisa le poète, sa versification commune, ses expressions impropres, et ses pensées obscures.

Mais MM. Pithou frères ont fait un honneur immortel à la ville de Troie. leur patrie. Pithou (Pierre), célèbre jurisconsulte et l'un des plus savants hommes du XVIe siècle, naquit en 1539, et mourut à Nogent-sur-Seine en 1596, à 57 ans.

Personne, dit M. de Thou, n'a jamais mieux su ses affaires domestiques, qu'il savait l'histoire de France et des étrangers. La mort de cet homme incomparable, ajoute-t-il, avec lequel je partageais mes soins, et à qui je communiquais mes études, mes desseins, et les affaires d'état, me fut si sensible, que je cessai entièrement l'histoire que j'avais commencée ; et j'eusse tout à fait abandonné cet ouvrage, si je n'avais pas cru devoir cette marque de respect à sa mémoire, que d'achever ce que j'avais entrepris par ses conseils.

Dans le grand nombre d'ouvrages qu'il a composé ou qui sont sortis de sa bibliothèque, on estime singulièrement son traité des libertés de l'Eglise gallicane, qui sert de fondement à tout ce que les autres en ont écrit depuis. La première édition de cet ouvrage conçu en 83 articles, parut à Paris en 1594, avec privilège. Les maximes qui y sont détachées et suivies par articles, ont en quelque sorte force de lois, quoiqu'elles n'en aient pas l'authenticité. Le roi en a reconnu l'importance par son édit de 1719, où l'article 50. est rapporté. Les expéditionnaires en cour de Rome citent les articles de nos libertés dans leurs certificats. Comme M. Pithou avait lu les anciens écrivains grecs et latins, et qu'il les avait conférés avec les vieux exemplaires, il en a mis plusieurs au jour, et y a joint ses savantes notes. On lui doit encore des éditions de plusieurs monuments sacrés et profanes, des miscellanea ecclesiastica, quantité de collections historiques, le canon des écritures de Nicéphore, des fragments de S. Hilaire, les coutumes du bailliage de Troie., avec des annotations, etc.

Pithou (Français), avocat au parlement de Paris, frère du précédent, fut comme lui, un homme d'une vertu rare, d'une modestie exemplaire, extrêmement habîle dans les Belles-Lettres, dans le Droit, et pour couper court, l'un des plus savants hommes de son temps. Il ne voulut jamais que l'on mit son nom à aucun de ses ouvrages. Ce fut lui qui découvrit le manuscrit des fables de Phèdre, et il le publia conjointement avec son frère pour la première fais. Ces deux illustres savants, les Varrons de la France, travaillèrent toujours ensemble. François Pithou donna tous ses soins à restituer et à éclaircir le corps du droit canonique, ouvrage qui parut en 1687, et c'est la meilleure édition. Le Pithaeana est aussi de lui. Il est encore l'auteur de la comparaison des lois romaines avec celles de Moïse, et de l'édition de la loi salique, avec des notes. Il fut du nombre des commissaires qui reglèrent les limites entre la France et les Pays-Bas. Il était né en 1544, et mourut en 1621, âgé de 77 ans. Le lecteur peut voir le catalogue des ouvrages de MM. Pithou, à la tête de leurs œuvres imprimées en 1715 en latin.

Leur famille originaire de Vire en basse Normandie remontait jusqu'à un Guillaume Pithou, qui est nommé entre ceux qui se croisèrent pour la Terre-sainte en 1190 ; mais indépendamment de la noblesse le nom de cette famille fleurira dans la littérature, tant que les lettres subsisteront dans le monde. On peut dire de chacun des deux frères que j'ai nommés, un seul d'eux contenait plusieurs savants, et ce qui est plus estimable que le savoir, chacun portait également un attachement religieux à l'amour de la vérité. Pierre Pithou a eu plus d'historiens que n'en ont eu la plupart des souverains. On en compte jusqu'à sept qui se sont fait un honneur de célébrer sa gloire, en écrivant sa vie ; mais M. Boivin le cadet a remporté le prix dans cette carrière. (D.J.)

TROYES, blanc de, blanc d'Orléans, blanc d'Espagne, etc. on appelle ainsi une préparation de craie que l'on divise en molécules fort fines, qu'on met en différentes formes de pains, et qu'on emploie dans les arts : nous croyons devoir entrer dans quelques détails instructifs sur la nature, la préparation, et les usages du blanc, et surtout de celui qui se fait à Troie., et de celui qu'on prépare à Levereau, village à neuf lieues d'Orléans, que nous comparerons ensemble.

La matière du blanc de Troie. se trouve en grande abondance dans un village nommé Villeloup, distant de Troie. d'environ 4 lieues du côté de l'ouest ; le sol dans les environs est une terre très-maigre et peu profonde, qui peut à-peine porter du seigle. Sous cette couche légère règne un gros massif de craie plein de fentes et de gerçures si fréquentes qu'on n'en peut tirer aucune pierre qui ait de la consistance et de la solidité, mais cette craie qui n'est point propre à bâtir devient une matière infiniment précieuse par l'emploi que l'on en fait à Troie. pour la fabrique du blanc.

Les habitants de Villeloup commencent par tirer cette matière en petits moèllons, et après l'avoir laissé essuyer à l'air, ils la battent avec des maillets armés de clous, et la réduisent en une poudre grossière qu'ils passent au crible ; le blanc brute est ensuite voituré à Troie., où les ouvriers qui l'achetent exigent, comme une condition très-essentielle, qu'il leur soit livré parfaitement sec, et dégagé de toute cette humidité dont il peut être imprégné dans la carrière. Il parait que dans cet état requis de parfaite siccité, la matière brute a plus de facilité à se laisser pénétrer plus intimement de l'eau dont on l'arrose, qu'elle se divise en molécules plus fines par l'action d'un fluide qu'elle bait avec plus d'avidité, et qu'en conséquence elle se réduit plus facilement en bouillie.

Les ouvriers emploient pour détremper leur craie l'eau blanche qui a déjà servi, et qu'on a tiré des opérations précédentes. Après qu'on a réduit la craie en bouillie, ce qui n'est pas long, Ve l'extrême facilité avec laquelle la craie seche s'imbibe d'eau, on passe au moulin la bouillie après l'avoir longtemps brassée. Cette nouvelle manipulation a pour but de suppléer à ce que l'eau n'a pu faire par rapport à la division de la craie, de la réduire en une pâte composée de molécules très-fines, et capables de former des couches plus uniformes et plus brillantes lorsqu'on l'étend sur des surfaces unies, en un mot, de favoriser tous les effets du blanc.

Le moulin qui sert à cet usage est assez semblable à celui avec lequel on broye la moutarde, et on le fait jouer de la même manière ; il est composé de deux meules de seize à dix-sept pouces de diamètre, qui sont des fragments des vieilles meules de moulins à blé. La meule supérieure qui a environ deux pouces et demi d'épaisseur, a au centre une ouverture d'un demi-pouce de diamètre, à laquelle est adaptée une écuelle percée, où l'ouvrier jette de temps-en-temps sa bouillie de craie ; la matière descend peu-à-peu entre les meules, et s'écoule après la trituration en formant un filet continu par une ouverture latérale pratiquée dans la cage qui renferme le tout. Plus la matière est fondue et réduite et les meules serrées, plus le blanc qui passe est affiné. Les différents degrés d'attention que les ouvriers apportent à toutes ces préparations décident de la finesse du blanc ; un ouvrier peut en faire passer au moulin jusqu'à six cent livres par jour, mais il en fait passer un tiers moins de celui qui a acquis la dernière perfection.

Les peintres de bâtiments ou autres ouvriers qui veulent ménager la dépense du blanc de céruse, et qui n'ont pas besoin de préparations à l'huile, demandent quelquefois du blanc de la plus grande finesse, afin d'avoir moins de peine à le broyer sur le marbre, et qu'il fasse un meilleur effet. Lorsqu'il sera employé dans ces cas, l'ouvrier prévenu pour répondre aux intentions du peintre, ou plutôt du barbouilleur, est obligé de passer trois fois la matière du blanc par le moulin.

On verse dans des tonneaux la bouillie de craie qui a éprouvé la trituration du moulin, et on la laisse reposer pendant sept ou huit jours ; la matière craïeuse se précipite insensiblement au fond du tonneau, et l'eau qui s'en désaisit surnage, de sorte qu'on peut l'épuiser à mesure avec une écuelle ; c'est cette eau que l'on emploie à détremper la matière brute comme nous l'avons observé plus haut.

La sédiment craïeux qui se dépose au fond des tonneaux ne parvient pas de lui-même à un état de consistance assez considérable pour qu'on puisse le manier aisément et le réduire en pain, quand même on voudrait former la craie en cet état dans des moules, les pains qui en résulteraient seraient exposés à se gercer en séchant ; la consistance de la craie est alors telle à-peu-près que celle de la chaux lorsqu'elle est universellement fondue. Pour parvenir donc à donner à la craie le degré de consistance et de desséchement convenable, l'ouvrier étend sa matière, qui est fort molasse, sur des treillis qu'il place au-dessus d'un lit de blanc brut. C'est ici le point le plus délicat de sa manipulation et d'un procédé qui suppose une sagacité bien digne de l'attention des Physiciens et des Philosophes, pour le dire en passant, c'est cette physique usuelle qui mérite le plus notre étude, surtout lorsqu'elle présente le résultat des essais journaliers et traditionels appliqués aux arts ; je dis donc que la poussière de la craie brute qui est fort seche attire puissamment et bait l'humidité surabondante du sédiment craïeux, en sorte que celui-ci parvient en vingtquatre heures à une consistance de pâte très-maniable. L'ouvrier n'a besoin pendant tout ce temps que de remuer une fois seulement sa matière, afin que toutes ses parties soient exposées également à l'action de la terre absorbante, et que la pâte s'affine également dans toute sa masse. Je ferai remarquer ici une vérité assez importante, prouvée par tous ces essais multipliés, qui est que l'air agit moins efficacement et moins promptement que la matière brute et seche pour dégager l'eau de la craie imbibée.

Enfin l'ouvrier forme avec les mains seules des pains de sa pâte de craie, dont la figure est celle d'un parallèlepipede émoussé par les côtés ou arêtes, les plus gros n'excédent pas trois livres ; pour le débit en détail on en fait des pains arrondis en forme de mamelle.

Il ne reste plus maintenant qu'à exposer la manière dont on fait sécher les pains nouvellement formés, et il y a encore une petite manipulation fort fine et fort physique. Comme les pains ont six faces, il n'y en a que cinq qui puissent être exposées à l'air, le pain étant posé sur la sixième ; si celle-ci ne séchait pas dans la même progression que les autres, peut-être y aurait-il à craindre des gerçures, ou au-moins on serait dans la nécessité de retourner souvent les pains. Mais par une suite de procédés et de réflexions l'ouvrier a senti qu'il éviterait tous ces inconvénients et ces embarras en posant ces pains nouvellement formés sur des moèllons secs de la craie de Villeloup de trois ou quatre pouces d'épaisseur. Le moèllon séche l'humidité et en enlève autant que l'air, ils en prennent une si grande quantité qu'il leur faut un beau jour d'été pour se sécher et être en état de recevoir de nouveaux pains. C'est dans l'endroit le plus élevé des maisons et le plus exposé à l'action de l'air, que les vinaigriers (car ce sont eux qui à Troie. sont attachés à cette besogne) préparent le blanc, et qu'ils conservent la vieille eau blanchie qui doit détremper le blanc brut ; ils ne travaillent à cette fabrique que depuis le mois d'Avril jusqu'à la fin du mois d'Octobre ; la moindre gelée dérangerait tout le travail, et dissoudrait même les pains nouvellement formés.

Les pains une fois séchés sont extrêmement fragiles ; les molécules qui les forment n'ayant point naturellement de viscosités qui puissent les lier entre elles, et les ouvriers ne faisant entrer aucune espèce de colle dans leur préparation, il est nécessaire que les parties craïeuses soient unies seulement par une juste position qui est l'ouvrage de l'eau, cette non-viscosité parait même un point important par rapport à la bonté du blanc. De toutes les différentes carrières de craie qui se trouvent aux environs de Troie., et qui fournissent des matériaux propres pour les édifices, il n'y a que celle de Villeloup dont la craie ait été jusqu'à présent accueillie par les ouvriers, comme ayant toutes les qualités requises pour se prêter à toutes leurs opérations. Quelques - uns ayant voulu épargner les frais de voiture, avaient tenté de préparer la craie tirée des carrières plus voisines de Troie. ; mais ils ont trouvé plus de difficulté à la façonner que la matière de Villeloup, et moins de blancheur dans les pains qui en provenaient. Quelques cantons de Villeloup fournissent même de la craie dans laquelle les ouvriers rencontrent des marques de viscosité sensibles, qui l'empêche de passer facilement au moulin, et qui en général la rend peu susceptible de se prêter à toutes leurs manipulations.

Il parait donc que toutes les qualités requises par nos ouvriers pour la matière du blanc sont ; 1°. qu'elle soit très-blanche ; 2°. qu'elle soit tendre et friable ; 3°. qu'elle ne soit point visqueuse ; 4°. qu'elle soit exempte de toute terre ou pierre étrangère, tels que les petits graviers ou molécules ferrugineuses ; les ouvriers prétendent qu'il ne faudrait qu'un grain de gravier gros comme une tête d'épingle pour arrêter l'ouvrage du moulin et les obliger à le démonter ; la craie de Villeloup réunit toutes ces qualités ; elle donne le plus beau blanc, elle est sans aucun mélange, et se prête à tous les procédés essentiels dont nous venons de donner les détails.

Ces considérations nous conduisent naturellement à faire mention du blanc qui se façonne au Cavereau, village à 9 lieues au-dessous d'Orléans, sur la Loire, et dont M. Salerne, médecin à Orléans, et correspondant de l'académie des Sciences parle, dans un discours inséré, tom. II. p. 5. des mémoires présentés à cette académie ; il nous apprend que cette craie du Cavereau est grasse et liée, propre à se détacher en masse comme la marne, et que les habitants de Cavereau la mêlent par petits tas, qu'ils pétrissent à pieds nuds en ôtant toutes les petites pierres et en y jetant de l'eau à différentes reprises. Après cette première préparation ils en forment des rouleaux gros comme le bras, puis ils les coupent au couteau par morceaux de la longueur d'environ quatre à cinq pouces, pour les mouler carrément et uniment en les tapant sur une petite planche. Tel est, ajoute-t-il, le blanc d'Espagne qu'ils nomment grand blanc ou blanc carré, à la différence d'une autre sorte qu'ils appellent petit blanc ou blanc rond ; le dernier est effectivement arrondi en forme de mamelle, il est plus fin et plus parfait que le précédent, parce qu'étant façonné à la main, il contient moins de gravier ou de pierrettes. Ce travail dure jusqu'a la vendange, ou jusqu'au commencement des froids et des mauvais temps, alors ils le cessent, parce qu'il faut un beau soleil pour sécher le blanc.

Après ces détails de la préparation du blanc au Cavereau, on peut se convaincre aisément que les différences sont à l'avantage du blanc façonné à Troie. ; il parait d'abord que la viscosité est très-marquée dans la craie de Cavereau, ainsi que le gravier et autres pierres dures, et grumeaux terreux, ochreux, etc. J'ai Ve moi-même dans ce village la matière du blanc, c'est une marne blanche, douce au toucher, qui bait l'eau avec avidité, et se résout en pâte qui se pêtrit aisément ; je l'ai trouvé mêlée pour-lors de petits débris de cos et de silex qui coupent quelquefois les doigts des ouvriers qui la pétrissent ; cette propriété qu'elle a de se pêtrir et de se réduire en une pâte molle qui s'allonge sous les pieds, semble indiquer une qualité argilleuse qui lie les parties, et permet de sécher les pains au soleil sans qu'ils se gercent ; en un mot elle a tous les caractères de la marne, les pains d'ailleurs se séchent très-aisément, parce que la marne quitte l'eau plus facilement que la craie ; en conséquence de ces imperfections dans la matière première, les manipulations ne s'y exécutent pas avec les attentions scrupuleuses dont on use à Troie. ; on voit bien que le mélange des petites pierres ne permettrait pas de faire usage du moulin ; les différentes qualités du blanc d'Orléans dépendent, à ce qu'il parait, du plus ou moins de gravier qui s'y trouve mêlé ; aulieu qu'à Troie. tout est égal, à la trituration près ; enfin les ouvriers de Troie. évitent le soleil, et y suppléent par un procédé très-ingénieux, qui n'est peut-être pas nécessaire au Cavereau, Ve la viscosité de la craie, car l'action du soleil qui séche les pains du Cavereau, ferait gercer ceux de Troie..

Je soupçonne que le nommé Vignereux, qui le premier a façonné le blanc au Cavereau, et qui y a laissé beaucoup de ses descendants, comme le rapporte M. Salerne, est un homme sorti de Troie., car il y a encore dans un fauxbourg de Troie. une famille de ce nom ; cet homme aura reconnu une certaine analogie entre la matière marneuse du Cavereau et le blanc de Troie., mais ou il n'était pas instruit du procédé des artisans de Troie., ou plutôt il aura trouvé une matière peu susceptible de leurs préparations par les raisons que nous avons détaillées.

Instruit de tous ces faits, j'ai été curieux de comparer ensemble les effets du blanc de Troie. avec ceux du blanc d'Orléans, et d'après la plus légère inspection et les usages les plus communs, il n'y a pas lieu d'hésiter à donner la préférence à celui de Troie., les couches du blanc de Troie. sont plus uniformes, plus brillantes, plus blanches, parce que les molécules en sont plus fines et sans aucun mélange de grumeaux pierreux, tels qu'on les découvre aisément à l'oeil dans les pains d'Orléans ; enfin si l'on emploie le blanc de Troie. comme terre absorbante, il y a tout lieu de croire que la matière n'ayant aucune viscosité, et étant d'ailleurs réduite en molécules plus fines que celles du blanc d'Orléans, doit avoir des effets beaucoup plus complets et beaucoup plus prompts, car les terres absorbantes agissent en proportion de la division de leurs parties ; d'ailleurs les petites pierres et silex du blanc d'Orléans peuvent déchirer les étoffes et les parties ochreuses, les tacher, lorsqu'on emploie le blanc pour les dégraisser.

Depuis quelque temps on débite à Paris des pains de blanc encore plus grossier que celui d'Orléans, sous le nom abusif de blanc d'Espagne ; la matière de ce blanc se tire proche de Marly et au-dessous de Meudon, on la détrempe dans des tonneaux, on la brasse, et l'on tire l'eau chargée des molécules craïeuses qu'on laisse reposer ensuite, et on forme les pains du sédiment qu'on fait sécher comme ceux du Cavereau, la craie parait fort grasse au toucher, mêlée de matière ochreuse.

L'usage du blanc est assez connu, on en blanchit les appartements ; il sert, comme nous l'avons dit, de terre absorbante pour dégraisser les serges, les draps, les couvertures, au-lieu de les blanchir au soufre ; on en met aussi une première couche avec de la colle sur les moulures qu'on se propose de dorer ; il sert aussi de base pour étendre certaine préparation terreuse colorée.

La matière brute voiturée à Troie. vaut 4 à 5 sols le boisseau du pays ; les ouvriers prétendent qu'il en faut trois boisseaux pour un cent pesant, mais on en peut douter, si l'on considère que le boisseau de Troie. contient 20 pintes du pays, qui correspondent à 24 pintes de Paris ; et comme on mesure comble la matière brute du blanc, il est à présumer que le boisseau contient alors 26 pintes de Paris ; il ne parait pas vraisemblable qu'ils emploient 78 pintes de blanc pour un cent pesant ; quoi qu'il en sait, le blanc d'une médiocre qualité se vend actuellement 25 à 30 sols le cent ; et le plus parfait quelquefois jusqu'à 40 et 45 sols le cent pesant pris en gros. Cette marchandise est plus chère en temps de paix. Le blanc brut augmente aussi de prix à proportion. Les vinaigriers de Troie. en font des envois dans tout le royaume, et même en Allemagne. Voyez Mémoires de l'académie des Sciences, année 1754, et les Ephémérides troyennes, année 1759. Article de M. DESMARAIS.