ou SARAGOCE, (Géographie moderne) en latin Caesarea Augusta, Caesaraugusta, ou Caesar-Augusta, en espagnol Zaragoça ; ville d'Espagne, capitale du royaume d'Aragon, sur l'Ebre, à sa jonction avec le Gallego et la Guerva. Elle est à 11 lieues communes d'Espagne au nord-est de Calatayud, à 12 de Taraçone, à 16 de Lérida, à 21 au sud-est de Pampelune, à 40 au couchant de Barcelone, à 58 au nord-est de Madrid. Long. 16. 55. latit. 41. 45.

Pline, l. III. c. IIIe dit que son ancien nom était Salduba ; et l'on croit qu'elle a été bâtie par les Phéniciens. Bochart prétend que Salduba vient du phénicien Saltobaal, qui veut dire, Baal est son soutien. Quoiqu'il en sait, elle conserva son nom de Salduba chez les Romains, jusqu'à-ce qu'ayant été repeuplée par une colonie romaine sous Auguste, elle prit le nom de cet empereur ; d'où s'est formé le nom moderne.

On y a trouvé une médaille d'Auguste en bronze, où l'on voyait d'un côté un étendard soutenu d'une pique, qui était le symbole d'une colonie, avec cette légende autour de la tête d'Auguste : Augustus D. F. et sur le revers, Caesar Augusta M. Por. Cn. Fab. II. Vir.

Le P. Hardouin en fournit quelques autres que voici : l'une représente un laboureur qui mène des bœufs attachés à une charrue, symbole d'une colonie. Varron, lib. IV. de lingua latina, dit que l'on commençait ainsi une colonie, en attelant un bœuf avec une vache ; de manière que la vache était du côté de la colonie, et le bœuf du côté de la campagne. La charrue, selon cette disposition, traçait le tour des murailles, et on portait la charrue au lieu où l'on voulait avoir la porte de la ville.

Pline dit, liv. III. c. IIIe que Saragosse était une colonie franche arrosée par l'Ebre, et qu'auparavant il y avait au même lieu un bourg nommé Salduba. Caesar Augusta colonia immunis, amne Ibero affusa, ubi oppidum antea vocabatur Salduba. Il y a dans le trésor de Goltzius, page 238. cette ancienne inscription : Col. Caesarea Aug. Salduba. Une autre médaille représente la tête d'Auguste couronnée de lauriers, avec ces mots : Caesar Augusta. Cn. Dom. Amp. C. Vet. Lang. II. Vir. c'est-à-dire, Cn. Domitio Ampliato. Cajo Veturio Languido, Duumviris. Une autre porte ces mots : L. Cassio, Caïo Valerio Fenestella, Duumviris.

On lit sur une autre médaille C. C. A. Pietatis Augustae. On y voit la tête de la Piété, pour représenter la piété de Julie, fille d'Auguste. Sur le revers est un temple et les noms des duumvirs. Juliano Lupo Pr. C. Caes. C. Pomponio Parr. II. Vir. c'est-à-dire, Juliano Lupo Praefecto Cohortis Caesarianae Cajo Pomponio Parra Duumviris. Sur une autre, on voit entre deux étendards de cohortes et une aigle légionnaire, ces trois lettres C. C. A. qui signifient Colonia Caesar Augusta.

Le plus grand nombre des médailles portent ces trois lettres C. C. A. plusieurs ont Caesar. Augusta, avec un point après le mot Caesar ; quelques-unes Caes. Augusta : dans toutes ces médailles, il faut lire Caesaraea Augusta. Cellarius soupçonne que le mot de Caesar Augusta pourrait bien être venu de ce qu'en lisant le point a été négligé.

Entre les inscriptions de Gruter, p. 324. n. 12. il s'en trouve une qui, si elle était exactement copiée, favorise ceux qui disent Caesaraugusta d'un seul mot ; la voici : Posthumiae Marcellinae ex Caesaraug. Karensi, que M. de Marca explique ainsi : Posthumiae origine Carensi, ex conventu Caesaraugustano. En effet, Pline met le peuple Carenses dans le département de Saragosse.

Saragosse est une des plus belles villes, des plus grandes, des plus riches, et des mieux bâties d'Espagne. Ses rues sont bien pavées, larges et propres. On distingue entre les bâtiments publics, le palais du viceroi, l'hôtel de ville, et l'hôpital général. Le palais de l'inquisition a été converti en citadelle ; mais le tribunal ne subsiste pas moins avec tous ses officiers, résident, fiscal, alguasil major, secrétaires, etc.

On compte à Saragosse dix-sept grandes églises et quatorze monastères. Le chapitre de la cathédrale est composé de quarante-deux chanoines, dont treize ont des dignités. L'évêché qui était établi dès l'an 255, ne connait une suite de ses évêques que depuis 1110. C'est cette même année qu'Alphonse surnommé le batailleur, roi d'Aragon et de Navarre, prit sur les Maures Saragosse, qui devint la capitale de l'Aragon, et qui ne retourna plus au pouvoir des Musulmants. Le pape Jean XXII. étant à Avignon, érigea en 1317 le siège épiscopal de Saragosse en archevêché. La date de la fondation de l'université est de l'an 1574.

Quant au gouvernement de cette ville, soit politique, soit judiciaire, il est bien différent de ce qu'il était autrefois. Elle a un viceroi, un capitaine général du royaume, et une audience royale, qui décident de tout. Il n'y a plus de grand justicia d'Aragon. Il était difficîle de trouver une plus belle disposition que celle des lois de cette ville dans les temps antérieurs. Tout y marquait l'éminence d'une prudence législative ; mais cette belle économie fut entièrement changée en 1707, par l'abolition des privilèges de l'Aragon, que le roi reduisit en province du royaume de Castille, dont on lui donna les lois. La cour des jurés, semblable à celle de la grande Bretagne et encore plus parfaite, a passé à des régidors qui sont à la nomination du roi, et qui ont pour chef un intendant du prince, en qui toute l'autorité réside.

L'air est fort pur et fort sain à Saragosse ; tous les vivres y sont en abondance et à bon marché. On y passe l'Ebre sur deux ponts, dont l'un est de pierre et l'autre de bois. Cette rivière fournit aux habitants de l'eau, des denrées et du commerce ; elle y est belle et navigable : aussi les Carthaginois, les Grecs et les Romains la remontaient jusqu'à Saragosse. Elle coule autour de la ville, de manière qu'elle en baigne le pied des édifices en quelques endroits, et ses bords y sont ornés d'un quai qui sert de promenade aux habitants. Elle n'avait pas autrefois précisément le même lit qu'elle a aujourd'hui : comme elle causait de grands dégâts sur sa route, lorsqu'elle venait à s'enfler, on y a porté remède, en lui ouvrant un cours avec tant de succès, que quelque débordement qui lui survienne, elle s'étend paisiblement sur le rivage qui est de l'autre côté de la ville ; et quoique le courant soit fort, à cause de tous les ruisseaux qu'elle reçoit, elle ne fait aucun ravage dans les vergers et les jardins de son voisinage.

Prudence, en latin Aurelius Prudentius Clements, poète chrétien, naquit en 1348 à Saragosse, selon Alde Manuce, Sixte de Sienne, Possevin et quelques autres. Il fut d'abord avocat, ensuite homme de guerre, et enfin attaché à la cour par un bel emploi. Il n'exerça sa muse sur des matières de religion qu'à l'âge de 57 ans, et ne dissimula point dans ses écrits le libertinage de sa jeunesse. Voici ses propres paroles :

Tùm lasciva protervitas,

Et luxus petulants (heu pudet ac piget !)

Foedavit juvenem nequitiae sordibus, ac luto.

Les poésies de Prudence sont plus remplies de zèle de religion que des ornements de l'art ; le style en est souvent barbare, les fautes de quantité s'y trouvent en grand nombre ; et d'ailleurs l'orthodoxie n'y est pas toujours ménagée. On ne sait de qui il tenait cette anecdote singulière qu'il avance comme un fait certain (vers 125 et 133.) que les damnés ont tous les ans un jour de repos, et que c'est le jour où J. C. sortit de l'enfer. Il semble même qu'il a cru que l'âme de l'homme est corporelle ; du-moins selon M. le Clerc, ces paroles de Prudence, anima rapit aura liquorum, signifient naturellement la mortalité de l'âme ; mais je crois que c'est mettre sur le sentiment ce qui doit être attribué à la versification.

Quoiqu'il en sait, on a plusieurs éditions de ses ouvrages ; celle de Deventer est la première, et celle d'Alde, à Venise en 1502 in-4 °. n'est que la seconde. On estime surtout celle d'Hanaw en 1613, celle d'Amsterdam en 1667, avec les notes de Nicolas Heinsius ; et celle in usum delphini, donnée à Paris par le P. Chamillart, en 1687, in-4 °.

Entre les savants plus modernes nés à Saragosse, je me contenterai de nommer Agostino, Molinos, et Surita.

Agostino (Antonio) a été l'un des plus habiles hommes de son siècle, dans la connaissance du droit civil et canonique, dans la littérature et les antiquités. Il fut auditeur de rote, ensuite évêque de Lérida, enfin archevêque de Tarragone, où il mourut en 1586, à 68 ans. La plupart de ses ouvrages sont très-estimés, surtout ceux de la belle littérature ; comme 1°. celui qui a pour titre, familiae Romanorum triginta ; 2°. de legibus et senatusconsultis Romanorum ; 3°. ses dialogues en espagnol des médailles des Grecs et des Romains ; 4°. ses antiquités d'Espagne, qui ont été traduites en italien et en latin ; 5°. enfin le plus considérable de ses ouvrages est la correction de Gratien, dont M. Baluze a donné une excellente édition, imprimée à Paris en 1672, avec de savantes notes.

Molinos (Michel), né en 1627 à Saragosse, ou dumoins dans le diocèse, est connu de tout le monde par sa doctrine sur la mysticité, qu'il répandit en Italie ; il renferma cette doctrine dans un livre espagnol qu'il intitula la conduite spirituelle, et dans lequel il inséra son oraison de quiétude. Tous ses écrits furent condamnés à être brulés au bout de vingt ans, et l'inquisition mit l'auteur dans une prison perpétuelle, où il mourut en 1696, après 7 ans de captivité, quoiqu'il eut fait abjuration de ses erreurs sur un échaffaud dressé dans l'église des dominicains. Il était alors âgé de soixante ans, et le public ne voyait en lui qu'un honnête prêtre, dont les mœurs étaient irréprochables. Son livre n'avait été publié qu'avec l'approbation des qualificateurs de l'inquisition. Innocent XI. avait fait un cas tout particulier de Molinos ; et ce même pape l'abandonna à la persécution des jésuites, qui intéressèrent Louis XIV. dans cette affaire.

Surita (Jérôme), né à Saragosse en 1502, a mis au jour une histoire curieuse du royaume d'Aragon. Il mourut âgé de 67 ans. " La seule chose dont on puisse blâmer Surita, dit M. de Thou, ou plutôt le seul malheur dont on le doit plaindre, c'est qu'il ait été secrétaire de l'inquisition, et que passant pour un homme docte, plein de douceur et d'humanité, il ait pris un emploi si cruel en lui-même et si permicieux à tous les gens de lettres ; soit qu'il l'ait cru nécessaire pour pourvoir à sa sûreté ; ou par le destin de sa nation, afin de soutenir sa dignité ". (D.J.)