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Catégorie : Géographie moderne
(Géographie moderne) ville de France, capitale de la Normandie, sur la rive droite de la Seine, à 20 lieues au sud-ouest d'Amiens, et à 28 au nord-ouest de Paris. Long. suivant Cassini, 18d. 36'. 30''. lat. 49d. 27'. 30''.

Cette ville fut nommée premièrement Rothomagus, et ensuite Rothomum, et par corruption Rodomum. C'était la principale place des peuples Velocasses, desquels elle n'a pas pris le nom, comme plusieurs autres villes ont pris celui de leurs peuples. Quoiqu'on ne puisse nier que cette ville ne soit ancienne ; Jules-César, dans ses commentaires, et les autres écrivains romains n'en ont fait aucune mention avant Ptolémée. Il fallait cependant que cette ville fut considérable, puisque quand on divisa en deux la province lyonnaise, sous Constantin, on donna Rouen pour capitale à la nouvelle province lyonnaise.

On ne doute point que l'ancien nom de Rouen, Rothomagus, ne soit gaulois ; mais son origine est inconnue : les uns la tirent de l'idole Rotho qu'on adorait dans ce lieu, et de magus ou magum, qui en langue celtique signifie ville : d'autres aiment mieux adopter l'étymologie du même mot magus, et des deux premières syllabes de Rotobecum, qui est le nom latin de la petite rivière de Robec qui coule à Rouen.

Cette ville n'a d'autre enceinte qu'une muraille, avec des tours rondes à l'antique, et des bastions irréguliers. Ses rues y sont petites, étroites, et les maisons en général assez vilaines ; mais il y a des fontaines en nombre qui sont d'une grande commodité ; les dehors de la ville sont très-beaux, et les promenades, surtout celles du quai et du cours, sont agréables.

D'ailleurs Rouen est une des plus grandes villes, des plus riches et des plus peuplées du royaume. Elle renferme dans ses murailles plus de soixante mille ames. C'est le siège d'un illustre parlement, d'une chambre des comptes, d'une cour des aides, d'une intendance, d'un présidial, d'une généralité, d'un bailliage, et d'un hôtel de monnaies.

Le parlement de Rouen a été établi en la place de l'échiquier, qui sous les anciens ducs de Normandie, était comme un parlement ambulatoire, tant pour l'administration de la justice, que pour toutes les autres affaires qui regardaient le bien du pays. On l'assemblait tantôt à Rouen, tantôt à Caèn, quelquefois à Falaise, ou en d'autres villes, selon les ordres du prince, sans qu'il y eut aucun lieu fixe. Louis XII. rendit cette cour perpétuelle en 1499, et François I. lui donna le nom de parlement en 1515.

La réinstitution de la chambre des comptes est dû. à Henri III. qui l'unit en 1580 à la cour des aides de Normandie. Elle a toute cette province dans son département. Cette chambre des comptes avait déjà été créée en 1380, mais Henri II. l'avait supprimée en 1553. La cour des aides de Normandie fut établie à Rouen par l'édit de 1483. Celle de Caèn lui fut unie par l'édit de Janvier 1641 ; et la même cour des aides de Rouen fut unie à son tour à la chambre des comptes de la même ville en 1705.

Le bureau des finances de Rouen fut établi au mois de Janvier 1551. Cette généralité comprend quatorze élections ; il y a aussi dans la même ville un siège d'amirauté et un consulat.

Le commerce de Rouen est très-considérable, par le grand nombre de manufactures de draperie, et autres étoffes, de tapisseries, de mercerie, de toiles, de fils, de tanneries, etc. Le commerce est encore facilité par la position de cette ville, où la marée est si haute, que les vaisseaux de 200 tonneaux y peuvent aborder.

Le pont de Rouen est d'une structure singulière, étant de bateaux joints ensemble, pavés par-dessus, se haussant et se baissant avec les flots de la mer. Il est cependant incommode par son grand entretien, et de plus, on est presque tous les ans obligé de le démonter, pour empêcher que les glaces n'en emportent une partie. Ce pont fut construit en l'an 1626. Il a deux cent soixante et dix pas de long, et donne passage dans le fauxbourg de saint Sévère. Le pont de pierre qu'il y avait précédemment à Rouen n'existe plus ; ses arches tombèrent en ruine en 1502, en 1533, et en 1564 ; on pourrait cependant le rebâtir dans les mêmes endroits, en lui donnant moins de hauteur et plus de largeur.

Le 25 de Juin de l'an 1633, Rouen éprouva la fureur d'un ouragan, accompagné de tonnerre, de grêle, et de pluie, qui firent des dégats terribles en divers endroits. La pyramide revêtue de plomb qui était sur la tour de l'église de saint Michel, fut arrachée au-dessus des cloches, et transportée par le vent au milieu de la rue où elle se brisa. Plusieurs tours et clochers furent ébranlés et endommagés par cette horrible tempête, qui ne dura pas un quart d'heure sur la ville, mais qui y causa un dommage qui montait à plus de deux millions. Elle déracina dans la campagne les plus gros arbres, saccagea les grains, les légumes, les herbages, et les fruits.

L'archevêché de Rouen est un des plus beaux, des plus anciens, et des plus riches qui soient en France. Il vaut au-moins soixante et dix mille livres de rente ; son diocèse comprend 1388 paroisses distribuées sous six archidiaconés, vingt-sept doyennés ruraux, et le sous-doyenné de la ville. Nicaise est regardé pour le premier évêque de Rouen. On compte déjà douze archevêques de cette ville qui ont été cardinaux. Il se dit primat de Normandie, quoiqu'il n'ait aucun archevêque pour suffragant ; mais ce titre lui donne la prérogative de dépendre immédiatement du saint siège.

Le chapitre de l'église cathédrale est composé de dix dignités, et de cinquante - un chanoines, en comptant l'archevêque, qui en cette qualité préside et a voix en chapitre, outre que les dignités et canonicats, à l'exception du haut doyenné, sont à sa nomination.

Tous les évêques de la province sont obligés de prêter serment à l'église cathédrale de Rouen ; mais son droit le plus singulier, c'est de pouvoir délivrer un prisonnier le jour de l'Ascension, après que ce prisonnier a levé la fierte, c'est-à-dire la châsse de saint Romain. Voyez FIERTE.

Outre le chapitre de la cathédrale, il y en a encore deux dans la ville, et plusieurs abbayes, dont celle qui porte le nom de saint Ouen, et qui est de bénédictins réformés, jouit aujourd'hui de soixante mille livres de revenus ; on compte dans cette ville trente - cinq paroisses, et cinquante-six couvents : les jésuites y avaient aussi un collège, fondé par le cardinal de Joyeuse.

On a établi depuis peu à Rouen une académie de Belles-Lettres, et c'est avec raison, car je crois qu'après Paris, c'est la ville du royaume qui a produit le plus d'hommes célèbres dans les sciences et les beaux-arts. La liste en est nombreuse, mais je ne me propose que d'indiquer ici les principaux. Je commencerai pour suivre l'ordre alphabétique, par Mrs. Basnage.

Basnage (Jacques), calviniste, se retira en Hollande, lors de l'édit de Nantes, devint pasteur à la Haye, et comme dit M. de Voltaire, était plus propre à être ministre d'état que d'une paraisse. Les ouvrages qu'il a composés lui ont acquis une grande réputation dans toute l'Europe, surtout son histoire des Juifs, celle de l'Eglise depuis Jesus-Christ jusqu'à présent, et celle des Provinces-Unies, parce que ce sont des ouvrages d'une utilité générale.

Son traité de la conscience parut à Amsterdam en 1696, et fait deux volumes in-8 °. L'histoire de l'Eglise vit le jour à Rotterdam 1699, en deux volumes in-folio. Un des morceaux le plus curieux de cet ouvrage, est celui où il prouve qu'on a placé sur les autels un grand nombre de saints qui n'ont jamais existé, et qu'on a multiplié les persécutions pour multiplier le nombre des martyrs.

Son histoire des Juifs a été faite pour servir de supplément à celle de Josephe. La première édition est à Rotterdam 1706, en cinq volumes in-12. Elle a été tellement augmentée depuis, qu'elle contient aujourd'hui quinze volumes in-12. Le père Simon, bon juge en ces matières, convient que c'est un des meilleurs ouvrages de l'auteur. Il y faut joindre ses antiquités judaïques, ou remarques critiques sur la république des Hébreux, Amsterdam 1713, in-8 °. deux volumes. Il refute dans cet ouvrage l'opinion du père Baltus sur les oracles opérés par les démons.

Ses annales des Provinces-Unies forment deux volumes in-fol. le premier parut à la Haye en 1719, et le second en 1726. Le pensionnaire Heinsius trouvait que cet ouvrage, quoique fautif en quelques endroits, était le meilleur qu'on eut publié en ce genre.

M. Basnage avait aussi beaucoup travaillé au thesaurus monumentorum ecclesiasticorum et historicorum de Canisius, grand et bel ouvrage que les Wetsteins ont publié Antverpiae 1725, in-fol. On trouvera dans le dictionnaire de Chaufepié la liste complete des écrits de M. Basnage, avec un abrégé de sa vie. On peut aussi consulter le père Niceron, tom. IV. et tom. X. Il mourut en 1723, dans sa 71e. année.

Basnage de Beauval (Henri), son frère, avocat en Hollande, mais encore plus philosophe, a écrit de la tolérance des religions. Il a aussi donné l'histoire des ouvrages des savants, et le dictionnaire de Furetière augmenté. Il mourut en 1710, à 53 ans.

Un de ses cousins, Basnage de Flottemanville (Samuel), qui avait été ministre à Bayeux, se retira à Zutphen, où il publia en 1706, en trois volumes in-fol. une savante critique des annales de Baronius, sous le titre de annales politico-ecclesiastici. Enfin tous les Basnages qui ont vécu depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'à ce jour, soit en France, soit dans les pays étrangers, se sont illustrés dans les lettres.

Jean du Bosc, seigneur d'Esmendreville, président en la cour des aides de Rouen sa patrie, est auteur de quelques livres savants, entr'autres de celui qui est intitulé, de legitimis nuptiis ; son ouvrage de Numae Pompilii sacris, déplut beaucoup aux catholiques romains. Il avait été employé dans des ambassades importantes, et cependant il fut condamné à perdre la tête par la main du bourreau en 1562, comme un des principaux auteurs de la résistance que Rouen avait faite aux armes du roi, dans la première guerre civîle sous Charles IX. " Digne d'une meilleure destinée, dit le Laboureur, il avait été élevé comme les illustres de son temps, qui aspiraient à la possession des belles sciences, et principalement de la jurisprudence, qu'il alla puiser dans sa source, au voyage qu'il fit exprès en Italie ".

Bochart (Samuel), ministre de l'Evangîle à Caèn, et l'un des plus savants hommes du monde, naquit l'an 1599, d'une famille noble et féconde en personnes de mérite. Il savait le grec, l'hébreu, l'arabe, l'éthiopien, et autres langues orientales. La reine de Suède l'attira en 1652 à Stockholm, où elle lui donna des marques publiques de son estime, tandis qu'il n'éprouva que de la jalousie de M. Bourdelot. Il fit le voyage de Suède avec M. Huet, évêque d'Avranches, qui a donné en vers latins une relation fort gentille de ce voyage. De retour à Caèn, il y reprit ses fonctions de ministre, et mourut subitement en parlant, dans l'académie de cette ville, en 1667, à 78 ans.

Il se fit une grande réputation en 1646, par la publication du Phaleg et du Chanaam, qui sont les titres des deux parties de sa géographie sacrée. Il y traite, 1°. de la dispersion des peuples, causée par la confusion des langues ; 2°. des colonies et de la langue des Phéniciens. Il se proposait de travailler sur les animaux, sur les plantes, et sur les pierres précieuses de la Bible ; mais il n'a pu achever que ce qui regarde les animaux, ouvrage qu'on imprima à Londres en 1663, in-fol. sous le titre d'Hierozoïcon. Les deux ouvrages que nous venons de citer, sont remplis d'une érudition immense, et rendront la mémoire de M. Bochart immortelle dans la littérature.

Brumoy (Pierre) savant jésuite, qui se fit aimer par sa probité et les qualités de son cœur, mourut à Paris en 1742, âgé de 54 ans. Il a fait des poésies, mais son théâtre des Grecs est le meilleur ouvrage qu'on ait en ce genre. Il n'était peut-être pas si mal fondé qu'on le croit, à admirer le mérite et la supériorité du théâtre grec.

Brun Desmarets (Jean-Baptiste de), savant dans les recherches ecclésiastiques, se vit enveloppé dans la disgrace de Mrs. de Port-Royal, et fut mis à la bastille où il resta cinq ans. Il mourut à Orléans en 1731, dans un âge très-avancé. Il a donné, 1°. les breviaires d'Orléans et de Nevers ; 2°. une édition de saint Paulin ; 3°. voyages liturgiques de France, in-8 °. livre rempli de recherches curieuses ; 4°. il avait achevé une édition des œuvres de Lactance, que M. Langlet du Fresnoy a publiée avec des augmentations, en deux volumes in - 4 °.

Bulteau (Louis) fut secrétaire du roi, mais il se démit de cette charge au bout de quatorze ans, et passa le reste de ses jours chez les bénédictins. Il mourut d'apoplexie en 1693, à 68 ans. Il a publié quelques ouvrages anonymes et assez bien écrits. Les principaux sont, 1°. Essai de l'histoire monastique ; 2°. Abrégé de l'histoire de l'ordre de saint Benait, deux volumes in -4°. 3°. Traduction des dialogues de saint Grégoire le grand, avec de savantes notes, &c.

Charleval (Jean-Louis Faucon de Ris, seigneur de) neveu, frère et oncle de Mrs. Faucon de Ris, tous trois premiers présidents du parlement de Normandie, était d'une complexion si faible, qu'on ne croyait pas qu'il dû. vivre longtemps. Il ne mourut pourtant qu'en 1688, dans sa 80e. année ; et malgré la délicatesse de son tempérament, il dut au régime une assez bonne santé. Il était ami de Sarrasin et de Scarron, et l'étude des belles-lettres fit son plaisir ; mais il était peu communicatif. L'agrément de sa conversation le faisait pourtant rechercher de tout le monde, et la plupart des écrivains de son temps, ont loué la justesse de son style et la délicatesse de son goût : il portait quelquefois cette dernière jusqu'au raffinement.

Nous n'avons qu'un petit nombre de ses écrits dispersés en différents recueils. Après sa mort les originaux de ses lettres et de ses poésies tombèrent entre les mains de son neveu, le premier président, qui moins communicatif encore que Charleval lui-même, refusa de les laisser imprimer. Le peu qui nous reste de cet écrivain délicat, le fait juger digne d'occuper une place parmi nos auteurs agréables. La conversation du maréchal d'Hocquin court et du père Canaye, imprimée dans les œuvres de St. Evremont, est de Charleval, jusqu'à la petite dissertation sur le Jansénisme et sur le Molinisme, que St. Evremont y a ajoutée.

Chaisi (Français Timoléon de), l'un des quarante de l'académie Française, naquit en 1644. Il fut envoyé vers le roi de Siam en 1685, avec le chevalier de Chaumont, et fut ordonné prêtre dans les Indes par le vicaire apostolique. Il mourut à Paris en 1724. Il a mis au jour divers ouvrages, dont les principaux sont, 1°. Relation du voyage de Siam ; 2°. plusieurs vies, comme celles de saint Louis, de Philippe de Valais, du roi Jean, de Charles V. de Charles VI. et de madame de Miramion ; 3°. Quatre Dialogues sur l'immortalité de l'âme, qu'il composa avec M. Dangeau ; 4°. une traduction de l'imitation de Jesus-Christ dédiée à madame de Maintenon, avec cette épigraphe, qui ne parut que dans une seule édition ; concupiscet rex decorem tuum ; 5°. des Mémoires de la comtesse des Barres : cette comtesse des Barres était lui-même.

" Il s'habilla, dit M. de Voltaire, et vÊCut en femme plusieurs années ; il acheta sous le nom de la comtesse des Barres, une terre auprès de Tours. Ces mémoires racontent, avec naïveté, comment il eut impunément des maîtresses sous ce déguisement. Pendant qu'il menait cette vie, il écrivait l'histoire eclésiastique, qu'il publia en 11. vol. in-12. Dans ses mémoires sur la cour, on trouve des choses vraies, quelques unes de fausses, et beaucoup de hasardées ; ils sont écrits dans un style trop familier ".

Corneille (Pierre) naquit en 1606, et sera toujours le père du théâtre français, car il faut le juger par ses chef-d'œuvres ; nous aurons occasion de parler de lui au mot TRAGEDIE, et la même occasion s'est déjà présentée sous d'autres articles ; j'ajouterai seulement qu'il exerça dans sa patrie la charge d'avocat général à la table de marbre, sans connaître lui-même les talents extraordinaires qu'il avait pour la poésie dramatique. Une aventure de galanterie lui fit composer sa première pièce intitulée Mélite, qui eut un succès prodigieux. Il mourut doyen de l'académie française en 1684, à 78 ans.

Corneille (Thomas) aurait eu la plus grande réputation dans le théâtre sans ce frère ainé ; mais malgré le peu de cas que M. Despréaux en faisait, il doit tenir un rang considérable parmi nos poètes tragiques ; et peut-être est-il supérieur à tous nos auteurs dramatiques dans la constitution de la fable. Il était de l'académie Française, et de celle des Inscriptions ; mais il mourut pauvre en 1709, à 84 ans. C'était un homme fort laborieux, car outre ses pièces de théâtre, au nombre de trente-quatre, on a de lui, 1°. un Dictionnaire géographique en 3 volumes in-fol. meilleur pour la Normandie que pour le reste ; 2°. un Dictionnaire des arts et des sciences, qui ne mérite plus d'être aujourd'hui consulté ; 3°. la traduction des métamorphoses, et de quelques épitres d'Ovide, heureusement rendues, etc.

Daniel, (Gabriel) célèbre jésuite, qui dans son histoire de France a rectifié les fautes de Mezerai sur la première et la seconde race ; on lui a reproché, dit M. de Voltaire, que sa diction n'est pas toujours assez pure, que son style est trop faible, qu'il n'intéresse pas, qu'il n'est pas peintre, qu'il n'a pas assez fait connaître les usages, les mœurs, les lois ; que son histoire est un long détail d'opérations de guerre, dans lesquelles un historien de son état se trompe presque toujours ; enfin qu'il parle trop peu des grandes qualités d'Henri IV. et trop du P. Cotton.

Cependant, ajoute M. de Voltaire, l'histoire du P. Daniel, avec tous ses défauts, est encore la moins mauvaise qu'on ait, du moins jusqu'au règne de Louis XI. Il dit dans sa préface, que les premiers temps de l'histoire de France sont plus intéressants que ceux de Rome, parce que Clovis et Dagobert avaient plus de territoire que Romulus et Tarquin ; il ignorait, en parlant ainsi, que les faibles commencements de tout ce qui est grand, intéressent toujours les hommes ; on admire la faible origine d'un peuple qui étendit son empire jusqu'à l'Elbe, l'Euphrate, et le Niger. D'ailleurs, rien n'intéresse moins que les commencements de notre histoire, et même depuis le cinquième siècle jusqu'au quinzième, ce n'est qu'un chaos d'aventures barbares, sous des noms barbares.

Outre l'histoire de France du P. Daniel, dont il donna aussi un abrégé en 9 vol. in - 12. il a encore publié, 1°. une Histoire de la milice française, in-4 °. en 2 vol. 2°. Voyage du monde de Descartes, in - 12. c'est une jolie critique du système de ce philosophe ; ce livre a été traduit en Anglais et en Italien. 3°. Plusieurs opuscules qui ont été recueillis en 3 vol. in-4 °. Il mourut en 1728 âgé de 79 ans.

Fontaines (Pierre-Français Guyot des) mourut à Paris en 1745, à 60 ans. Il est connu par ses observations sur les ouvrages nou veaux, journal périodique, dans lequel il n'a déchiré que trop souvent des hommes célèbres, qu'il devait aimer et estimer ; mais il s'est fait honneur par sa traduction des œuvres de Virgile, avec des remarques ; elle a été imprimée à Paris en 1754. en 4. vol. in-12. et c'est la meilleure que nous ayons dans notre langue.

Fontenelle (Bernard Bouvier de) a Ve renaître cent fois le feuillage du printemps, sans avoir éprouvé de passions pendant une si longue vie, et sans infirmités dans sa vieillesse ; il a fini sa carrière en 1757. et il vivait encore quand l'auteur de l'Essai sur l'histoire générale, a fait son éloge, que personne depuis n'a contredit, ni effacé.

On peut, dit-il, regarder M. de Fontenelle comme l'esprit le plus universel que le siècle de Louis XIV ait produit ; il a ressemblé à ces terres heureusement situées, qui portent toutes les espèces de fruits ; il n'avait pas vingt ans lorsqu'il fit une grande partie de la tragédie-opéra de Bellérophon ; et depuis il donna l'opéra de Thétis et Pélée qui eut un grand succès ; il fit beaucoup d'ouvrages légers, dans lesquels on remarquait déjà cette finesse, et cette profondeur qui décele un homme supérieur à ses ouvrages mêmes ; c'est ce qu'il a prouvé dans ses dialogues des morts, et dans sa pluralité des mondes. Il sut faire des Oracles de Van - dale, un livre agréable.

Il se tourna vers la géométrie et vers la physique, avec autant de facilité qu'il avait cultivé les arts d'agrément ; nommé secrétaire perpétuel de l'académie des Sciences, il exerça cet emploi pendant plus de quarante ans avec un applaudissement universel. Son histoire de l'Académie jette très-souvent une clarté lumineuse sur les mémoires les plus obscurs ; il fut le premier qui porta cette élégance dans les sciences ; si quelquefois il y répandit trop d'ornements, c'était de ces moissons abondantes dans lesquelles les fleurs croissent naturellement avec les épis.

Cette histoire de l'académie des Sciences, serait aussi utîle qu'elle est bien faite, s'il avait eu à rendre compte des vérités découvertes ; mais il fallait qu'il expliquât des opinions combattues les unes par les autres, et dont la plupart sont détruites. Les éloges qu'il prononça des académiciens morts, ont le singulier mérite de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur.

S'il a fait imprimer sur la fin de ses jours des comédies peu théâtrales, et une apologie des tourbillons de Descartes, on a pardonné ces comédies en faveur de sa vieillesse, et son Carthésianisme, en faveur des anciennes opinions, qui dans sa jeunesse, avaient été celles de l'Europe.

Enfin, on l'a regardé comme le premier des hommes, dans l'art nouveau de répandre de la lumière et des grâces sur les sciences abstraites ; et il a eu du mérite dans tous les autres genres qu'il a traités. Tant de talents ont été soutenus par la connaissance de l'histoire, et il a été sans contredit, au dessus de tous les savant français qui n'ont pas eu le don de l'invention.

Gendre (Louis le) obtint quelques bénéfices de M. de Harlay, archevêque de Paris, et mourut dans cette ville en 1733 à 78 ans. Il a mis au jour plusieurs ouvrages, entr'autres, 1°. la vie de M. de Harlay son bienfaiteur ; 2°. celle du cardinal d'Ambaise ; 3°. une histoire de France en 3 vol. in-fol. et en 7 vol. in-12. cette histoire n'est pas supérieure à celle de Mezeray et du P. Daniel ; mais on y trouve des particularités curieuses sur les coutumes des Français, en différents temps de la monarchie. Les écoliers de l'université de Paris sont redevables à l'abbé le Gendre de la fondation des prix qui s'y distribuent solennellement depuis 1747.

Noë (Alexandre), dominicain et docteur de sorbonne, mourut à Paris en 1724, âgé de 86 ans ; il a publié divers ouvrages théologiques et polémiques, que peu de gens lisent ; mais on a réimprimé son histoire ecclésiastique, latine, qui avait déplu aux inquisiteurs ; il y a dans cette histoire des dissertations assez estimées.

Lemery (Nicolas) naquit en 1645, et se dévoua tout entier à la chimie, qu'il étudia à Rouen, à Paris, et à Montpellier ; ensuite il en donna des leçons lui-même. Cette science, connue depuis longtemps en Allemagne, était toute nouvelle en France, ou on la regardait comme une espèce de magie : le laboratoire de M. Lemery était une cave, et presque un antre magique, éclairé de la seule lueur des fourneaux ; cette singularité ne lui valut qu'un plus grand nombre d'auditeurs, et les femmes même osèrent être du nombre. Sa réputation augmenta ; les préparations qui sortaient de ses mains eurent un débit prodigieux, et le seul magistère de Bismuth payait toute la dépense de sa maison ; ce magistère n'était pourtant autre chose que ce qu'on appelle du blanc d'Espagne, mais M. Lemery était le seul alors dans Paris, qui possédât ce trésor.

Il fit imprimer en 1675 son cours de chimie, qui se vendit aussi rapidement que si c'eut été un ouvrage de galanterie, ou de satyre ; on le traduisit en latin, en anglais, en espagnol, et le président de la société royale de Séville nommait Lemery, le grand Lemery ; cependant comme le grand Lemery était huguenot, on lui interdit à Paris ses cours de chimie, et la vente de ses préparations. Il se réunit à l'église catholique en 1686, pour éviter de plus grands malheurs.

Il publia en 1697 sa Pharmacopée universelle, et quelque temps après, son traité des drogues simples. On les a réimprimé plusieurs fois ; mais on a donné depuis dans les pays étrangers, de beaucoup meilleurs ouvrages en ce genre.

En 1699, M. Lemery fut nommé de l'académie des Sciences, et en 1707, il donna son traité de l'Antimoine ; il y considère ce minéral par rapport à la médecine, et par rapport à la physique ; mais malheureusement la curiosité physique a beaucoup plus d'étendue que l'usage médicinal.

Après l'impression de ce livre, M. Lemery commença à se ressentir des infirmités de la vieillesse ; enfin il fut frappé d'une attaque sérieuse d'apoplexie qui l'enleva en 1715, à l'âge de 70 ans.

Amand (Marc-Antoine-Gerard, sieur de Saint) poete français, né en 1594, mourut en 1661, âgé de 67 ans. Sa vie n'a presque été qu'une suite continuelle de voyages ; ce qui, si nous en croyons Despréaux, satyr. I. vers 97-108. n'aida guère à sa fortune.

Saint-Amand n'eut du ciel que sa veine en partage :

L'habit qu'il eut sur lui, fut son seul héritage :

Un lit, et deux placets composaient tout son bien ;

Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avait rien.

Mais quoi ! las de trainer une vie importune,

Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

Et tout chargé de vers qu'il devait mettre au jour,

Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour.

Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée ?

Il en revint couvert de honte et de risée ;

Et la fièvre au retour terminant son destin,

Fit par avance en lui, ce qu'aurait fait la faim.

M. l'abbé d'Olivet remarque que cette peinture en beaux vers pourrait bien n'avoir pour fondement que l'imagination de M. Despréaux, qui sans doute a cru qu'en plaçant ici un nom connu, cela rendrait sa narration plus vive et plus gaie. Les poésies de Saint-Amand font foi qu'il n'avait pas attendu si tard ni à mendier les grâces de la cour, ni à mettre au jour les vers qu'il avait faits dans cette vue. Pour ce qui est de sa pauvreté, tout le monde en convient assez ; il faut que sa mauvaise conduite et ses débauches y aient beaucoup contribué, puisqu'il avait assez de ressources pour vivre commodément s'il avait su le faire d'une manière rangée.

Il avait été reçu à l'académie française dès l'origine de cette assemblée, et s'engagea de recueillir les termes grotesques et burlesques pour la partie comique du dictionnaire que l'académie avait entrepris ; cette occupation lui convenait tout à fait, car on voit par ses écrits qu'il était fort versé dans ces sortes de termes.

Ses œuvres ont été imprimées à Paris en trois volumes in-4 °. Le premier en 1627, le second en 1643, et le troisième en 1645. Son ode, intitulée la Solitude, est sa meilleure pièce, au jugement de Despréaux ; mais un défaut qui s'y trouve, c'est qu'au milieu d'agréables et de belles images, l'auteur y vient offrir à la vue, fort mal-à-propos, les objets les plus dégoutants, des crapauds, des limaçons qui bavent, le squelete d'un pendu, et autres choses de cette nature.

Son Moïse sauvé éblouit d'abord quelques personnes ; mais il tomba dans un mépris dont il n'a pu se relever, depuis l'art poétique de Despréaux, qui parlant de cette idille héroïque, chant III. vers 264.

N'imitez pas ce fou, qui décrivant les mers,

Et peignant au milieu de leurs flots entr'ouverts,

L'hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,

Met pour les voir passer les poissons aux fenêtres ;

Peint le petit enfant, qui va, saute, revient,

Et joyeux à sa mère, offre un caillou qu'il tient,

Sur de trop vains objets, c'est arrêter la vue.

Un défaut inexcusable de Saint-Amand, suivant la remarque du même écrivain, c'est qu'au lieu de s'étendre sur les grands objets, qu'un sujet si majestueux lui présentait, il s'est amusé à des circonstances petites et basses, et met en quelque sorte les poissons aux fenêtres par ces deux vers.

Et là près des remparts que l'oeil peut transpercer,

Les poissons ébahis le regardent passer.

Enfin, ce poète n'a montré quelque génie que dans des morceaux de débauche, et de satyres outrées, et quelquefois dans ses bons mots. On lui attribue celui-ci qui est assez plaisant : se trouvant dans une compagnie, où il se rencontra un homme qui avait les cheveux noirs et la barbe blanche ; on demanda la raison de cette différence bizarre ; alors Saint-Amand sans la chercher, se tourna vers cet homme, et lui dit : " Apparemment, Monsieur, que vous avez plus travaillé de la mâchoire que du cerveau. "

Pradon (Nicolas) autre poète français, mort en 1698, a eu son nom extrêmement ridiculisé par les satyres de Despréaux. Il eut grand tort après d'heureux succès, de se prêter à une puissante cabale, et d'oser donner sur le théâtre sa tragédie de Phèdre et d'Hippolite, en concurrence contre celle de Racine. Le beau triompha, et plongea la pièce de Pradon dans un éternel oubli. On alla plus loin ; on fit ainsi l'épitaphe de l'auteur.

Cy git le poète Pradon,

Qui durant quarante ans d'une ardeur sans pareille,

Fit à la barbe d'Apollon

Le même métier que Corneille.

Cependant on a recueilli en un volume ses pièces dramatiques, qui sont Pirame et Thisbé ; Tamerlan ; la Troade ; Phèdre et Hippolite ; Satira et Régulus, qui malgré ses défauts, peut être comptée parmi les bonnes tragédies. Cette pièce que Pradon avait donnée en 1688, était entièrement oubliée, lorsque Baron la remit au théâtre en 1722 avec un succès éclatant.

Au reste, Pradon n'est point auteur de la tragédie du grand Scipion, quoiqu'elle lui soit attribuée dans cette épigramme que feu M. Rousseau fit à l'occasion d'une satyre remplie d'invectives, contre M. Despréaux.

Au nom de Dieu, Pradon, pourquoi ce grand courroux,

Qui contre Despréaux exhale tant d'injures ?

Il m'a berné, me direz - vous ;

Je veux le diffamer chez les races futures.

Hé, croyez-moi, restez en paix.

Envain, tenteriez-vous de ternir sa mémoire ;

Vous n'avancerez rien pour votre propre gloire ;

Et le grand Scipion sera toujours mauvais.

Le grand Scipion est d'un M. de Prade, auteur de deux autres tragédies encore moins connues, qui sont Annibal et Silanus.

Raguenet (Français) embrassa l'état ecclésiastique, et cultiva l'étude des beaux Arts et de l'histoire. Il a publié celle de l'ancien Testament ; 2°. celle d'Olivier Cromwel ; 3°. celle du vicomte de Turenne ; 4°. Le parallèle des François et des Italiens, dans la musique et dans les opéra, parallèle dans lequel il donne la préférence aux Italiens. 5°. Les monuments de Rome ou description des plus beaux ouvrages de Peinture, de Sculpture, et d'Architecture de Rome, avec des observations. Paris 1700 et 1702 in-12 Ce petit ouvrage valut à l'auteur des lettres de citoyen romain ; il est cependant fort au-dessous des descriptions latines en ce genre. On attribue à l'abbé Raguenet, les voyages de Jacques Sadeur, livre très-libre, qui a obligé l'auteur à ne pas l'avouer. Il est mort à Paris vers l'an 1720, j'ignore à quel âge.

Sanadon (Noë-Etienne) jésuite, plein de goût et de connaissances dans les belles-lettres. Il lia à Caèn une étroite amitié avec M. Huet, et devint bibliothécaire du collège des jésuites à Paris, où il mourut en 1733 à cinquante-huit ans. On a de lui, 1°. un excellent traité de la versification latine ; 2°. une traduction française d'Horace, avec des notes d'une érudition choisie ; cette traduction respire l'élégance, et même inspire du dégoût pour celle de M. Dacier, quand on vient à les comparer ensemble.

Tourneux (Nicolas le) mérita par sa vertu l'estime des honnêtes gens, et fut toujours très-attaché à MM. de Port-Royal. L'archevêque de Rouen lui donna le prieuré de Villers-sur-Fere ; il mourut subitement à Paris en 1686, à quarante-sept ans. Il a mis au jour plusieurs ouvrages de piété, entre lesquels on estime particulièrement, l'Année chrétienne, qui est dans les mains de tout le monde, et que l'index de Rome a mis au nombre des livres prohibés.

Aux savants qui viennent d'être nommés, je ne dois pas oublier de joindre une dame illustre par son esprit et ses ouvrages ; mademoiselle Bernard (Catherine) de l'académie des Ricovrati, morte à Paris en 1712 ; elle a donné en prose des brochures sous le nom de nouvelles, que le public a goutées ; mais elle s'est encore distinguée par ses vers, qui lui ont fait remporter en 1691 et 1693, le prix de poésie de l'académie française, et qui lui ont valu une triple couronne dans l'académie des jeux floraux de Toulouse.

Elle composa avec M. de Fontenelle deux tragédies, Brutus et Léodamie, dont à la vérité la dernière n'eut point de succès. Ses pièces fugitives ont été répandues dans différents recueils ; on s'est trompé cependant en donnant sous son nom, la jolie fable allégorique de l'imagination et du bonheur ; cette fable est de M. la Parisière, évêque de Nimes, successeur du célèbre Fléchier.

Mais le père Bouhours a inseré dans son recueil de Vers choisis, le placet au roi, par le quel mademoiselle Bernard prie Louis XIV. de lui faire payer les deux cent écus de pension dont il l'avait gratifiée. Ce placet est conçu en ces termes :

S I R E, deux cent écus sont - ils si nécessaires

Au bonheur de l'état, au bien de vos affaires,

Que sans ma pension vous ne puissiez dompter

Les faibles alliés et du Rhin et du Tage ?

A vos armes, grand Roi, s'ils peuvent résister ;

Si pour vaincre l'effort de leur injuste rage

Il fallait ces deux cent écus,

Je ne les demanderais plus.

Ne pouvant aux combats, pour vous perdre la vie,

Je voudrais me creuser un illustre tombeau ;

Et souffrant une mort d'un genre tout nouveau,

Mourir de faim pour la patrie.

S I R E, sans ce secours tout suivra votre loi,

Et vous pouvez en croire Apollon sur sa foi.

Le sort n'a point pour vous démenti ses oracles

Ah ! puisqu'il vous promet miracles sur miracles,

Faites - moi vivre, et voir tout ce que je prévais.

Enfin, la capitale de Normandie a produit des citoyens qui se sont uniquement dévoués à la recherche de son histoire. Taillepié (Nicolas) en a publié le premier les antiquités en 1588 ; mais en 1738 Farin (Français) prieur du Val, a mis au jour l'histoire complete de cette ville en 2. vol. in -4°. on peut la consulter.

Ainsi, tout nous autorise à chanter la gloire de Rouen, et à nous persuader, que ce ne sera point par cette ville, ni par la province dont elle est la capitale, que la barbarie commencera dans ce royaume. (D.J.)






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