S. f. (Histoire ancienne et moderne) c'est l'art de monter à cheval.

De l'ancienneté de l'équittation, et de l'usage des chevaux dans les armées. L'art de monter à cheval semble être aussi ancien que le monde. L'Auteur de la Nature, en donnant au cheval les qualités que nous lui connaissons, avait trop sensiblement marqué sa destination, pour qu'elle put être longtemps ignorée. L'homme ayant su, par un jugement sur et prompt, discerner dans la multitude infinie d'êtres différents qui l'environnaient, ceux qui étaient particulièrement destinés à son usage, en aurait-il négligé un si capable de lui rendre les services les plus utiles ? La même lumière qui dirigeait son choix lorsqu'il soumettait à son domaine la brebis, la chèvre, le taureau, l'éclaira sans doute sur les avantages qu'il devait retirer du cheval, soit pour passer rapidement d'un lieu dans un autre, soit pour le transport des fardeaux, soit pour la facilité du commerce.

Il y a beaucoup d'apparence que le cheval ne servit d'abord qu'à soulager son maître dans le cours de ses occupations paisibles. Ce serait trop présumer que de croire qu'il fut employé dans les premières guerres que les hommes se firent entr'eux : au commencement, ceux-ci n'agirent point par principes ; ils n'eurent pour guide qu'un emportement aveugle, et ne connurent d'autres armes que les dents, les ongles, les mains, les pierres, les bâtons (a). L'airain et le fer servirent ensuite leur fureur ; mais la découverte de ces métaux ayant facilité le triomphe de l'injustice et de la violence, les hommes, qui formaient alors des sociétés naissantes, apprirent, par une funeste expérience, qu'inutilement ils compteraient sur la paix et sur le repos, tant qu'ils ne seraient point en état de repousser la force par la force : il fallut donc réduire en art un métier destructeur, et inventer des moyens pour le pratiquer avec plus d'avantage.

On peut compter parmi ces moyens, celui de combattre à cheval ; aussi l'histoire nous atteste-t-elle que l'homme ne tarda point à le découvrir et à le mettre en pratique : l'antiquité la plus reculée en offre des témoignages certains.

Les inclinations guerrières de cet animal, sa vigueur, sa docilité, son attachement, n'échappèrent point aux yeux de l'homme, et lui méritèrent l'honneur de devenir le compagnon de ses dangers et de sa gloire.

Le cheval parait né pour la guerre ; si l'on pouvait en douter, cette belle description qu'on voit dans le livre de Job (ch. xxxjv. Ve 19.) suffirait pour le prouver : c'est Dieu qui parle, et qui interroge le saint patriarche.

" Est-ce de vous, lui demande-t-il, que le cheval tient son courage et son intrépidité ? vous doit-il son fier hennissement, et ce souffle ardent qui sort de ses narines, et qui inspire la terreur ? Il frappe du pied la terre, et la réduit en poudre ; il s'élance avec audace, et se précipite au-travers des hommes armés : inaccessible à la crainte, le tranchant des épées, le sifflement des flèches, le brillant éclat des lames et des dards, rien ne l'étonne, rien ne l'arrête. Son ardeur s'allume aux premiers sons de la trompette ; il frémit, il écume, il ne peut demeurer en place : d'impatience il mange la terre. Entend-il sonner la charge ? il dit, allons : il reconnait l'approche du combat, il distingue la voix des chefs qui encouragent leurs soldats : les cris confus des armées prêtes à combattre,

(a) Arma antiqua manus, ungues, dentesque fuerunt, Et lapides, et item sylvarum fragmina rami, &c.

Lucretius, de rerum naturâ, lib. V.

excitent en lui une sensation qui l'anime et qui l'intéresse ".

Equus paratur in diem belli, a dit le plus sage des rais. Prov. ch. xxj.

L'unanimité de sentiment qui règne à cet égard chez tous les peuples, est une preuve qu'elle a son fondement dans la Nature. Les principaux traits de la description précédente se retrouvent dans l'élégante peinture que Virgile a tracée du même animal :

Continuo pecoris generosi pullus in arvis

Altius ingreditur, et mollia crura reponit ;

Primus et ire viam, et fluvios tentare minaces

Audet, et ignoto sese committère ponti,

Nec vanos horret strepitus....

....

.. Tum si qua sonum procul arma dedêre,

Stare loco nescit, micat auribus, et tremit artus,

Collectumque prements volvit sub naribus ignem.

Virg. Georg. lib. III. vers. 75.

Homère (Il. l. XIII.) le plus célèbre de tous les poètes, et le chantre des héros, dit que les chevaux sont une partie essentielle des armées, et qu'ils contribuent extrêmement à la victoire. Tous les auteurs anciens ou modernes qui ont traité de la guerre, ont pensé de même ; et la vérité de ce jugement est pleinement justifiée par la pratique de toutes les nations. Le cheval anime en quelque sorte l'homme au moment du combat ; ses mouvements, ses agitations calment cette palpitation naturelle dont les plus braves guerriers ont de la peine à se défendre au premier appareil d'une bataille.

A la noble ardeur qui domine dans ce superbe animal, à son extrême docilité pour la main qui le guide, ajoutons pour dernier trait qu'il est le plus fidèle et le plus reconnaissant de tous les animaux, et nous aurons rassemblé les puissants motifs qui ont dû engager l'homme à s'en servir pour la guerre.

Fidelissimum inter omnia animalia, homini est canis atque equus, dit Pline, (l. VIII. c. xl.) Amissos lugent dominos, ajoute-t-il plus bas (ibid. c. xlij.), lacrymasque interdum desiderio fundunt. Homère (Iliade, liv. XVII.) fait pleurer la mort de Patrocle par les chevaux d'Achille. Virgile donne le même sentiment au cheval de Pallas fils d'Evandre :

.... Positis insignibus Aethon

It lacrymants, guttisque humectat grandibus ora.

Aeneïd. l. XI. Ve 89.

L'histoire (b) n'a pas dédaigné de nous apprendre que des chevaux ont défendu ou vengé leurs maîtres à coups de pieds et de dents, et qu'ils leur ont quelquefois sauvé la vie.

Dans la bataille d'Alexandre contre Porus (Aul. Gell. noctium Attic. l. V. c. IIe et Q. Curt. l. VIII.) Bucéphale couvert de blessures et perdant tout son sang, ramassa néanmoins le reste de ses forces pour tirer au plus vite son maître de la mêlée, où il courait le plus grand danger : dès qu'il fut arrivé hors de la portée des traits, il tomba, et mourut un instant après ; paraissant satisfait, ajoute l'historien, de n'avoir plus à craindre pour Alexandre.

Silius Italicus (l. X.) et Juste Lipse (in epistol. ad Belgas.) nous ont conservé un exemple remarquable de l'attachement extraordinaire dont les chevaux sont capables.

A la bataille de Cannes un chevalier romain nommé Claelius, qui avait été percé de plusieurs coups, fut laissé parmi les morts sur le champ de bataille. Annibal s'y étant transporté le lendemain, Claelius, à qui il restait encore un souffle de vie prêt à s'éteindre, voulut, au bruit qu'il entendit, faire un effort pour lever la tête, et parler ; mais il expira aussitôt, en poussant un profond gémissement. A ce cri, son cheval qui avait été pris le jour d'auparavant, et que montait un Numide de la suite d'Annibal, reconnaissant la voix de son maître, dresse les oreilles, hennit de toutes ses forces, jette par terre le Numide, s'élance à-travers les mourants et les morts, arrive auprès de Claelius : voyant qu'il ne se remuait point, plein d'inquiétude et de tristesse, il se courbe comme à l'ordinaire sur les genoux, et semble l'inviter à monter. Cet excès d'affection et de fidélité fut admiré d'Annibal, et ce grand homme ne put s'empêcher d'être attendri à la vue d'un spectacle si touchant.

Il n'est donc pas étonnant que par un juste retour (s'il est permis de s'exprimer ainsi) d'illustres guerriers, tels qu'un Alexandre et un César, aient eu pour leurs chevaux un attachement singulier. Le premier bâtit une ville en l'honneur de Bucéphale : l'autre dédia l'image du sien à Vénus. On sait combien la pie de Turenne était aimée du soldat français, parce qu'elle était chère à ce héros (c)

Le peu de lumières que nous avons sur ce qui s'est passé dans les temps voisins du déluge, ne nous permet pas de fixer avec précision celui où l'on commença d'employer les chevaux à la guerre. L'Ecriture (Gen. ch. xjv.) ne dit pas qu'il y eut de la cavalerie dans la bataille des quatre rois contre cinq, ni dans la victoire qu'Abraham bientôt après remporta sur les premiers, qui emmenaient prisonnier Loth son neveu. Mais quoique nous ignorions, faute de détails suffisans, l'usage que les patriarches ont pu faire du cheval, il serait absurde d'en conclure qu'ils eurent l'imbécillité, suivant l'expression de S. Jérôme (Comment. du chap. xxxvj. d'Isaïe), de ne s'en pas servir.

Origène cependant l'a voulu croire. On ne voit nulle part, dit-il, (Homélie xviij.) que les enfants d'Israèl se soient servis de chevaux dans les armées. Mais comment a-t-il pu savoir qu'ils n'en avaient point ? il faut, pour le prouver, une évidence bien réelle et des faits constants. La loi du Deutéronome (ch. XVIIe Ve 16.) dont s'appuie S. Jérôme, non multiplicabit sibi equos, n'exclut pas les chevaux des armées des Juifs ; elle ne regarde que le roi, sibi, encore (d) ne lui en défend-elle que le grand nombre, non multiplicabit. C'était une sage prévoyance de la part de Moyse, ou parce que le peuple de Dieu devait habiter un pays coupé, sec, aride, peu propre à nourrir beaucoup de chevaux ; ou bien, selon que l'a remarqué M. Fleury, pour lui ôter le désir et le moyen de retourner en Egypte. C'est apparemment par la même raison qu'il fut ordonné à Josué (II. 6.) de faire couper les jarrets aux chevaux des Chananéens ; ce qu'il exécuta après la défaite de Jabin roi d'Azor (vers l'an du monde 2559, avant J. C. 1445). David (II. Reg. VIIIe 4.) en fit autant à ceux qu'il prit sur Adaveser ; il n'en réserva que cent.

Quoi qu'il en soit du sentiment d'Origène, la défense portée au dix-septième chapitre du Deutéronome, le vingtième chapitre du même livre (e), et le quinzième de l'Exode (equum et ascensorem dejecit

(b) Occiso Schytharum Regulo ex provocatione dimicante, hostem (cum victor ad spoliandum venisset) ab equo ejus ictibus morsuque confectum esse.... Ibidem Phylarchus refert Centaretum è Galatis in praelio, occiso Antiocho, potito equo ejus, conscendisse ovantem ; at illum indignatione accensum, demptis fraenis ne regi posset, praecipitem in abrupta isse exanimatumque unâ. Lib. VIII. c. xlij. de Pline.

(c) Chez les Scythes, Achéas leur roi pansait lui-même son cheval, persuadé que c'était-là le moyen de se l'attacher davantage, et d'en retirer plus de service : il parut étonné, lorsqu'il sut par les ambassadeurs de Philippe que ce prince n'en usait pas ainsi. Vie de Philippe de Macédoine, liv. XIII. par M. Olivier.

(d) Salomon avait mille quatre cent chariots et douze mille cavaliers. III. des Rais, ch. Xe vers. 26. II. Paralip. c. IVe Ve 24.

(e) Si vous allez au combat contre vos ennemis, et qu'ils aient un plus grand nombre de chevaux et de chariots, et plus de troupes que vous, ne les craignez pas, etc. . 1.

in mare), sont autant de preuves certaines que du temps de Moyse l'art de l'équittation et l'usage de la cavalerie dans les armées n'étaient pas regardés comme une nouveauté.

Le premier endroit où ce législateur en ait parlé avec une sorte de détail, est au quatorzième chapitre de l'Exode, où il décrit le passage de la mer rouge par les Israèlites (ans du monde 2513, avant J. C. 1491, selon M. Bossuet). Pharaon qui les poursuivait, fut englouti par les eaux avec ses chariots de guerre, ses cavaliers, et toutes les troupes qu'il avait pu rassembler. Son armée, suivant Josephe, était composée de 200 mille hommes de pied, 50 mille cavaliers, et 600 chars (f)

Si les livres du Pentateuque n'offrent point de preuve plus ancienne de l'usage de la cavalerie dans les armées, c'est que conformément au plan que Moyse s'était tracé, il n'a pas dû nous instruire des guerres que les Egyptiens avaient eues contre leurs voisins avant la délivrance des Juifs, et qu'il s'est borné seulement à raconter les faits essentiellement liés avec l'histoire du peuple de Dieu.

Mais outre qu'il serait absurde de prétendre établir en Egypte l'époque de l'équittation par une cavalerie si nombreuse qu'elle égale ce que les plus grandes puissances de l'Europe peuvent en entretenir aujourd'hui, on doit encore observer que les chevaux ont toujours fait une des principales richesses des Egyptiens (g). D'ailleurs le livre de Job (h), probablement écrit avant ceux de Moyse, parle de l'équittation et de chevaux employés à la guerre, comme de choses généralement connues.

L'histoire profane est sur ce point entièrement conforme à l'Ecriture-sainte. Les premiers faits qu'elle allegue, et qui ont rapport à l'équittation, supposent tous à cet art une antiquité beaucoup plus grande : disons mieux, on ne découvre en nul endroit les premières traces de son origine.

On voyait, selon Diodore de Sicile, liv. I. gravée sur de la pierre dans le tombeau d'Osimandué, l'histoire de la guerre que ce roi d'Egypte avait fait aux peuples révoltés de la Bactriane : il avait mené contre eux, disait-on, quatre cent mille hommes d'infanterie, et vingt mille chevaux (i). Entre cet Osimandué et Sésostris, qui vivait longtemps avant la guerre de Troie, et avant l'expédition des Argonautes, Diodore compte vingt-cinq générations : voilà donc la cavalerie admise dans les armées, bien peu de siècles après le déluge.

Sésostris, le plus grand et le plus puissant des rois d'Egypte, avant formé le dessein de conquérir toute la terre, assembla, dit le même historien (Diodore de Sicile, l. I.), une armée proportionnée à la grandeur de l'entreprise qu'il méditait : elle était composée de six cent mille hommes depié, vingt-quatre mille chevaux, et vingt-sept mille chariots de guerre. Avec ce nombre prodigieux de troupes de terre, et une flotte de quatre cent navires, ce prince soumit les Ethiopiens, se rendit maître de toutes les provinces maritimes, et de toutes les îles de la mer-rouge, pénétra dans les Indes, où il porta ses armes plus loin que ne fit depuis Alexandre : revenant sur ses pas, il conquit la Scythie, subjugua tout le reste de l'Asie et la plupart des Cyclades, passa en Europe et après avoir parcouru la Thrace, où son armée manqua de périr, il retourna au-bout de neuf ans dans ses états, avec une réputation supérieure à celle des rois ses prédécesseurs.

Ce prince avait fait dresser dans les lieux qu'il avait soumis, des colonnes avec l'inscription suivante en caractères égyptiens (k) Sésostris, roi des rais, a conquis cette province par ses armes. Quelques-unes de ces colonnes s'étaient conservées jusqu'au temps d'Hérodote, et cet historien (l. II.) ajoute qu'il y avait encore alors sur les frontières de l'Ionie deux statues en pierre de Sésostris, l'une sur le chemin d'Ephese à Phocée, l'autre sur celui de Sardis à Smirne. Un rouleau portant une inscription, j'ai conquis cette terre avec mes épaules, peu différente de celle qu'on vient de lire, traversait la poitrine de ces statues.

Ninus roi des Assyriens fit une première entreprise contre la Bactriane, qui ne lui réussit pas. Il résolut quelques années après d'en tenter un seconde ; mais connaissant le nombre et le courage des habitants de ce pays, que la nature avait d'ailleurs rendu inaccessible en plusieurs endroits, il tâcha de s'en assurer le succès en mettant sur pied une armée à laquelle rien ne put résister : elle montait, poursuit Diodore, selon le dénombrement qu'en a fait Ctésias dans son histoire, à dix-sept cent mille hommes d'infanterie, deux cent dix mille de cavalerie, et près de dix mille sit cent chariots armés de faulx.

Le règne de Ninus, en suivant la supputation d'Hérodote, que l'on croit la plus exacte, et qui rapproche beaucoup de nous la fondation du premier empire des Assyriens, doit se rencontrer avec le gouvernement de la prophétesse Débora, 514 ans avant Rome, 1267 ans avant Jesus-Christ, c'est-à-dire qu'il est antérieur à la ruine de Troie, au moins de 80 (l) ans. L'on conviendra aisément qu'une si grande quantité de cavalerie en suppose l'usage établi chez les Assyriens plusieurs siècles auparavant.

Tout ce qui nous reste dans les auteurs sur l'histoire des différents peuples d'Asie, démontre l'ancienneté de l'équittation : elle était (dit Hérodote, l. IV.) connue chez les Scolothes, nation Scythe, qui comptaient mille ans depuis leur premier roi, jusqu'au temps où Darius porta la guerre contre eux.

Par un usage aussi ancien que leur monarchie, le roi se rendait tous les ans dans le lieu où l'on conservait une charrue, un joug, une hache et un vase, le tout d'or massif, et que l'on disait être tombés du ciel ; et il se faisait en cet endroit de grands sacrifices. Le Scythe à qui pour ce jour la garde du trésor était confiée, ne voyait jamais, disait-on, la fin de l'année : en récompense on assurait à sa famille autant de terre qu'il en pouvait parcourir dans un jour, monté sur un cheval.

Que ce fait soit véritable ou non, il est certain que les Scythes en général, eux qui sous des noms différents occupaient en Asie et en Europe une étendue immense de pays, qui firent plusieurs irruptions

(f) L'Exode dit de même, six cent chars. Le nombre de l'infanterie et de la cavalerie n'y est point spécifié.

(g) Il y a apparence que du temps du patriarche Joseph, les rois d'Egypte avaient des gardes à cheval, et que ce sont eux qui courent après Benjamin, et qui l'arrêtent. Histoire des Juifs par Josephe, lib. I.

(h) On peut en conclure que les chars sont postérieurs à la simple cavalerie : Job ne parle que de celle ci, c. xxxjv. Ve 18. 19. et suiv. Au vers. 18. il est dit que l'autruche se moque du cheval et de celui qui le monte : les versets suivants contiennent la belle description du cheval qu'on a vue ci-devant.

(i) Le sentiment de Marsham et de Newton qui a suivi le premier est insoutenable, suivant M. Freret même. Ces deux Anglais font Sésostris postérieur à la guerre de Troie ; mais il est évident, par tous les anciens, que ce roi d'Egypte a vécu longtemps avant le siege de Troie et l'expédition des Argonautes. Mém. de litt. de l'acad. des Inscript. to. VII. p. 145. De cette expédition à la guerre de Troie, il y a au moins soixante-dix ans d'intervalle. En supposant Sésostris antérieur aux Argonautes du même nombre d'années ; et en comptant trois générations par siécle, il n'y aurait qu'un petit nombre de siécles d'intervalle entre le déluge et Osimandué.

(k) In cippis illis pudendum viri, apud gentes quidem strenuas et pugnaces, apud ignaves autem et timidas, feminae, expressit : ex praecipuo hominis membro, animarum in singulis affectionem, posteris evidentissimam fore ratus. Diod. lib. I. apud Rhodanum.

(l) M. Bossuet, qui suit cette chronologie, place le siège de Troie l'an 1184, avant J. C.

dants l'Asie-mineure, et qui dominèrent pendant 28 ans sur toute cette seconde partie du monde, ont nourri de tout temps une prodigieuse quantité de chevaux, et qu'ils faisaient du lait de leurs juments leur boisson ordinaire. Il serait donc ridicule de penser qu'ils eussent ignoré l'art de monter à cheval (m). Cela ne souffre aucune difficulté, quand on lit ce qu'Hérodote raconte des Amazones, femmes guerrières qui descendaient des anciens Scythes.

Les Grecs (Hérodote, ibid.) les ayant vaincues en bataille rangée sur les bords de Thermodon, firent plusieurs prisonnières, qu'ils mirent sur trois vaisseaux, et reprirent le chemin de leur patrie.

Quand on fut en plaine mer, nos héroïnes saisissant un moment favorable, se jetèrent sur les hommes, les desarmèrent, et leur coupèrent la tête. Comme elles ignoraient l'art de la navigation, elles furent obligées de s'abandonner à la merci des vents et des vagues, qui les portèrent enfin sur un rivage des Palus Méotides, où étant descendues à terre, elles montèrent sur les premiers chevaux qu'elles purent trouver, et coururent ainsi tout le pays.

Ce fait s'accorde parfaitement avec ce que l'abréviateur de Trogue Pompée (Justin, l. II.) rapporte de l'éducation des Amazones : " elles ne passaient pas, dit-il, leur temps dans l'oisiveté ou à filer ; elles s'exerçaient continuellement au métier des armes, à monter à cheval, et à chasser ". Strabon, l. II. d'après Métrodore etc. dit encore que les plus robustes des Amazones allaient à la chasse, et faisaient la guerre montées sur des chevaux. Le temps de leur célébrité est antérieur à la guerre de Troie : une partie de l'Asie et de l'Europe sentit le poids de leurs armes ; elles bâtirent dans l'Asie mineure plusieurs villes (Justin, l. II.), entr'autres Ephèse, où il y a apparence qu'elles instituèrent le culte de Diane.

Thésée était avec Hercule, lorsque ce héros à la tête des Grecs remporta sur elles la victoire du Thermodon. Résolues de tirer une vengeance éclatante de cet affront, elles se fortifièrent de l'alliance de Sigillus, roi des Scythes, qui envoya à leur secours une nombreuse cavalerie commandée par son fils. Marchant tout de suite contre les Athéniens, qui obéissaient à Thésée, elles leur livrèrent bataille jusque dans les murs d'Athènes, avec plus de courage que de prudence. Un différend survenu entr'elles et les Scythes empêcha ceux-ci de combattre : aussi furent-elles vaincues ; et cette cavalerie ne servit qu'à favoriser leur retraite et leur retour.

Les annales des autres peuples, soit d'Europe, soit d'Afrique, concourent également à prouver l'ancienneté de l'équittation ; on la voit établie chez les Macédoniens, avant que les Héraclides eussent conquis la Macédoine (Hérodote, l. VIII.). Les Gaulois, les Germains, les peuples d'Italie faisaient usage des chars ou de la cavalerie dans leurs premières guerres qui nous sont connues. (Diodore de Sicile, liv. V.) Les Ibériens ont de tout temps élevé d'excellents chevaux, de même que les Arabes, les Maures, et tous les peuples du Nord de l'Afrique.

Les traits historiques que nous venons de rapporter nous montrent évidemment, chez les Assyriens et les Egyptiens, les chevaux employés de toute antiquité dans les armées, à porter des hommes et à trainer des chars. Les Egyptiens ont inondé l'Asie de leurs troupes, pénétré dans l'Europe, et fondé plusieurs colonies dans la Grèce : les Amazones et les Scythes, chez qui l'art de l'équittation était en usage de temps immémorial, avaient parcouru de même une partie de l'Europe et de l'Asie, surtout de l'Asie-mineure, et s'étaient fait voir dans la Grèce. De ces événements, tous antérieurs à la guerre de Troie, on pourrait conclure, sans chercher de nouvelles preuves, que dans le temps de cette expédition l'art de monter à cheval n'était ignoré ni des Grecs ni des Troie.s.

II. L 'équittation connue chez les Grecs avant la guerre de Troie. Cette proposition, que nous croyons vraie dans toute son étendue, a trouvé néanmoins deux contradicteurs célébres, madame Dacier et M. Freret : fondés sur le prétendu silence d'Homère, et sur ce qu'il ne fait jamais combattre ses héros à cheval, mais montés sur des chars, ils ont prétendu que l'époque de l'équittation dans la Grèce et dans l'Asie-mineure, était postérieure à la guerre de Troie, et que les Grecs, de même que les Troie.s, ne savaient en ce temps-là faire usage des chevaux que lorsqu'ils étaient attelés à des chars.

Il semble qu'une opinion si singulière doive tomber d'elle-même, quand on observe que les Grecs existaient longtemps avant le passage de la mer Rouge, puisque Argos était alors à son sixième roi (n), et que plus de quatre cent ans avant ce passage, l'égyptien Ourane avait franchi le Bosphore pour donner des lois à ces Grecs, qui n'étaient encore que des sauvages, vivants comme les bêtes des herbes qu'ils broutaient. D'ailleurs plusieurs villes de la Grèce n'étaient que des colonies des Egyptiens ou des Phéniciens. L'Egyptien Cecrops (environ 1556 ans avant J. C.) qui vivait dans le siècle de Moyse, avait fondé les douze bourgs d'où se forma depuis la ville d'Athènes : presque tout ce qui concernait la religion, les lais, les mœurs, avait été porté d'Egypte dans la Grèce. Sur quel fondement croira-t-on que les Egyptiens qui humanisèrent et policèrent les Grecs, leur eussent laissé ignorer l'art de l'équittation, qu'ils possédaient si bien eux-mêmes, et qu'ils n'eussent voulu seulement que leur apprendre à conduire des chars ? Comment ces Grecs, témoins des exploits de Sésostris, et qui avaient combattu contre les Amazones, ne virent-ils que des chars dans des armées où il y avait indubitablement de la cavalerie ?

Malgré la solidité de ces réflexions, il s'en est peu fallu que le sentiment de M. Freret et de madame Dacier, soutenu par un profond savoir, n'ait prévalu sur les plus grandes autorités : mais la déférence que l'on accorde à l'opinion de certains personnages, quand elle n'a point la vérité pour base, cede tôt ou tard à l'évidence.

M. l'abbé Sallier (histoire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, tom. VII. p. 37.) est celui qui a coupé court au progrès de l'erreur : il a démontré sensiblement que l'art de monter à cheval était connu des Grecs longtemps avant la guerre de Troie ; mais il ne résout pas entièrement la question : il finit ainsi son mémoire.

" Le seul point sur lequel on ne trouve pas de témoignages dans Homère, se réduit donc à dire que les Grecs dans leurs combats, devant Troie, n'avaient point de soldats servants et combattants à cheval ".

On Ve donc s'attacher à prouver, par l'examen des raisons mêmes qu'a eu M. Freret de croire le contraire, que l'équittation était connue des Grecs et des Troie.s avant le siège de Troie, et que ces peuples avaient dans leurs armées de la cavalerie

(m) Il y avait au nord-est des Palus Méotides, des Scythes nommés Iyrces, qui ne vivaient que du produit de leur chasse, et voici comment ils la pratiquaient. Cachés parmi les arbres qui étaient là en grand nombre, et ayant près d'eux un chien et un petit cheval couché sur le ventre, ils tiraient sur la bête à son passage, et montaient tout de suite à cheval pour courir à sa poursuite avec leur chien. Hérodote, liv. IV.

(n) Ce royaume d'Argos avait été fondé par l'égyptien Danaus, vers l'an 1476, avant J. C.

distinguée des chars : nous conjecturons que ces chars ne servaient que pour les principaux chefs, lorsqu'ils marchaient à la tête des escadrons.

Madame Dacier, qui pensait sur la question présente de même que l'illustre académicien, " ne comprend pas, dit-elle (préf. de la traduct. de l'Iliade, édit. 1741. p. 60.) comment les Grecs, qui étaient si sages, se sont servis si longtemps de chars au lieu de cavalerie, et comment ils n'ont pas Ve les inconvénients qui en naissaient ". Sans examiner la difficulté bien plus grande de conduire un char que de manier un cheval, ni le terrain considérable que ces chars devaient occuper, elle se contente d'observer, ajoute-t-elle, " que quoiqu'il y eut sur chaque char deux hommes des plus distingués et des plus propres pour le combat, il n'y en avait pourtant qu'un qui combattit, l'autre n'étant occupé qu'à conduire les chevaux : de deux hommes en voilà donc un en pure perte. Mais il y avait des chars à trois et à quatre chevaux pour le service d'un seul homme : autre perte digne de considération ". Madame Dacier conclut, malgré ces observations, qu'il fallait bien que l'art de monter à cheval ne fût point connu des Grecs dans le temps de la guerre de Troie.

Quelle erreur de sa part ! Pour supposer dans ce peuple une si grande ignorance, il faut ou qu'elle n'ait pas toujours bien entendu le texte de son auteur ; ou qu'elle n'ait pas assez réfléchi sur les expressions d'Homère. On doit convenir cependant qu'elle était si peu sure de son opinion, qu'elle a dit ailleurs (Remarques sur le X. liv. de l'Iliade) : " Dans les troupes il n'y avait que des chars ; les cavaliers n'étaient en usage que dans les jeux et dans les tournois ". Mais qu'étaient ces jeux et ces tournois, que des exercices et des préparations pour la guerre ? Et pourrait-on penser que les Grecs s'y fussent distingués dans l'art de monter des chevaux, sans profiter d'un si grand avantage dans les combats ?

M. Freret moins indéterminé (mém. de Litt. de l'Acad. des inscript. tom. VII. p. 286.) ne se dément pas dans son opinion. " On est surpris, dit-il, en examinant les ouvrages des anciens écrivains, surtout ceux d'Homère, de n'y trouver aucun exemple de l'équittation, et d'être obligé de conclure que l'on a longtemps ignoré dans la Grèce l'art de monter à cheval, et de tirer de cet animal les services que nous en tirons aujourd'hui, soit pour le voyage, soit pour la guerre ".

Telle est la proposition qui fait le sujet de sa dissertation : elle est remplie de recherches curieuses et savantes, mais qui, toutes prises dans leur véritable sens, peuvent servir à prouver le contraire de ce qu'il avance.

Après avoir établi pour principe qu'Homère ne parle en aucun endroit de ses poèmes, de cavaliers, ni de cavalerie, il prétend que ce poète, quoiqu'il écrivit dans un temps où l'équittation était connue, s'est néanmoins abstenu d'en parler, pour ne pas choquer ses lecteurs par un anachronisme contre le costume, qui eut été remarqué de tout le monde. Cet argument négatif est la base de tous ses raisonnements ; et M. Freret n'oublie rien pour lui donner d'ailleurs une force qu'il ne saurait avoir de sa nature.

Pour cet effet, 1°. il examine et combat tous les témoignages des écrivains postérieurs à Homère que l'on peut lui opposer : 2°. il discute dans quel temps ont été élevés les plus anciens monuments de la Grèce, sur lesquels on voyait représentés des cavaliers ou des hommes à cheval, pour montrer qu'ils sont tous postérieurs à l'établissement de la course des chevaux dans les jeux olympiques : 3°. il cherche à prouver que la fable des Centaures n'avait dans son origine aucun rapport à l'équittation : 4°. il termine ses recherches par quelques conjectures sur le temps où il croit que l'art de monter à cheval a commencé d'être connu des Grecs.

Examen du texte d'Homère. Puisque Homère est regardé, pour ainsi dire, comme le juge de la question, voyons d'abord si son silence est réel, et si nous ne pouvons pas trouver dans ses ouvrages des témoignages positifs en faveur de l'équittation.

Dans le dénombrement (Iliad. l. II.) des Grecs qui suivirent Agamemnon au siège de Troie, il est dit de Ménesthée, le chef des Athéniens, " qu'il n'avait pas son égal dans l'art de mettre en bataille toute sorte de troupes, soit de cavalerie, soit d'infanterie ". Sur quoi il est bon d'observer que les Athéniens habitaient un pays coupé, montueux, très-difficile, et dans lequel l'usage des chars était bien peu pratiquable.

On trouve parmi les troupes troyennes les belliqueux escadrons des Ciconiens ; et l'on voit dans l'odyssée (livre IX. pag. 262. édit. 1741.) que ces Ciconiens savaient très-bien combattre à cheval, et qu'ils se défendaient aussi à pied, quand il le fallait. Quoi de plus clair que l'opposition de combattre à pied et de combattre à cheval ? Ils étaient en plus grand nombre ; voilà donc beaucoup de gens de cheval. Madame Dacier le dit de même dans sa traduction : elle pensait donc autrement quand elle composa la préface de sa traduction de l'Iliade.

Quand Nestor conseille (Iliad. l. VII.) aux Grecs de retrancher leur camp : " nous ferons, leur dit-il, un fossé large et profond, que les hommes et les chevaux ne puissent franchir ". Que peut-on entendre par ces mots, si ce n'est des chevaux de cavaliers ? Les Grecs avaient-ils naturellement à craindre que des chars attelés de deux, trois ou quatre chevaux franchissent des fossés ?

Ulysse et Diomède (Iliad. l. X.) s'étant chargés d'aller reconnaître pendant la nuit la position et les desseins des Troie.s, rencontrèrent Dolon, que les Troie.s envoyaient au camp des Grecs dans le même dessein, et ils apprirent de lui que Rhésus, arrivé nouvellement à la tête des Thraces, campait dans un quartier séparé du reste de l'armée. Sur cet avis les deux héros coupent la tête de Dolon, pressent leur marche, et arrivent dans le camp des Thraces, qu'ils trouvèrent tous endormis, chacun d'eux ayant auprès de soi ses armes à terre et ses chevaux. Ils étaient couchés sur trois lignes ; au milieu dormait Rhésus leur chef, dont les chevaux étaient aussi tout-près de lui, attachés à son char.

Diomède se jette aussi-tôt sur les Thraces, en égorge plusieurs, et le roi lui-même : après quoi, pendant qu'Ulysse Ve détacher les chevaux de Rhésus, il essaye d'en enlever le char ; mais Minerve lui ordonne d'abandonner cette entreprise. Il obéit, rejoint Ulysse, et montant ainsi que lui sur l'un des chevaux de Rhésus, ils sortent du camp et volent vers leurs vaisseaux, poussant les chevaux, qu'ils fouettent avec un arc. Arrivés dans l'endroit où ils avaient laissé le corps de Dolon, Diomède saute légèrement à terre, prend les armes de l'espion troyen, remonte promptement à cheval, et Ulysse et lui continuent de pousser à toute bride ces fougueux coursiers, qui secondent merveilleusement leur impatience. Nestor entend le bruit, et dit : il me semble qu'un bruit sourd, comme d'une marche de chevaux, d frappé mes oreilles.

Tout lecteur non prévenu verra sans doute dans cette épisode une preuve de la connaissance que les Grecs, ainsi que les Thraces, avaient de l'équittation. Les cavaliers thraces, couchés sur trois rangs, ont leurs chevaux et leurs armes auprès d'eux : mais les chevaux de Rhésus sont attachés à son char, sur lequel étaient ses armes : et c'est-là le seul char qu'on aperçoive dans cette troupe. D'où l'on doit conclure que les chefs des escadrons étaient seuls sur des chars.

Quelle est l'occupation d'Ulysse, pendant que Diomède égorge les principaux d'entre les Thraces ? C'est d'en retirer les corps de côté, afin que le passage ne fût point embarrassé. Il l'eut été bien davantage par des chars : cependant Homère n'en dit rien.

Pense-t-on d'ailleurs qu'il eut été possible à ces princes Grecs, de monter, et à poil, des coursiers fougueux, de les galoper à toute bride, de descendre et de remonter légèrement sur eux, si les hommes et les chevaux n'avaient pas été de longue main accoutumés à cet exercice ? Trouverions-nous aujourd'hui des cavaliers plus lestes et plus adroits ? C'est aussi sur cela que madame Dacier se fonde, pour croire qu'il y avait des gens de cheval dans les tournois, pour se servir de sa même expression.

Le bruit sourd qu'entend Nestor, n'est point un bruit qu'il entende pour la première fois ; il distingue fort bien qu'il est causé par une marche de chevaux, et n'ignorait pas que le bruit des chars était différent.

Qu'oppose M. Freret à un récit qui parle d'une manière si positive en faveur de l'équittation ? " Le défaut de vraisemblance, dit-il, de plusieurs circonstances de cet épisode, est sauvé dans le système d'Homère, par la présence et par la protection de Minerve, qui accompagne ces deux héros, et qui se rend visible, non-seulement pour soutenir leur courage, mais encore pour les mettre en état d'exécuter des choses qui, sans son secours, leur auraient été impossibles " : ainsi, selon lui, le parti que prennent Ulysse et Diomède, de monter sur les chevaux de Rhésus, pour les emmener au camp des Grecs, leur est inspiré par Minerve : cette déesse les accompagne dans leur retour, et ne les abandonne que lorsqu'ils y sont arrivés ; et comme c'est-là, ajoute-t-il, le seul exemple de l'équittation qui se trouve dans les poèmes d'Homère, on n'est point en droit d'en conclure qu'il la regardât comme un usage déjà établi au temps de la guerre de Troie.

Il est vrai qu'Homère " regarde quelquefois les hommes comme des instruments dont les dieux se servent pour exécuter les decrets des destinées " ; mais l'on doit convenir aussi que ce poète, pour ne point trop s'éloigner du vraisemblable, ne les fait jamais intervenir, et prêter aux hommes l'appui de leur ministère, que dans les actions qui paraissent au-dessus des forces de l'humanité.

Le désir de se procurer d'excellents chevaux et des armes couvertes d'or, fut ce qui tenta Diomède et Ulysse, et leur inspira le dessein d'entrer dans le camp des Thraces, et de pénétrer jusqu'à la tente de Rhésus. Deux hommes, pour réussir dans une entreprise semblable, ont certainement besoin de l'assistance des dieux ; Ulysse implore donc celle de Pallas, et la supplie de diriger elle-même leurs pas jusqu'à l'endroit où étaient les chevaux, le char, et les armes de Rhésus.

La protection de la déesse se fait bien-tôt sentir : les héros grecs arrivent dans le camp des Thraces : un silence profond y règne ; point de gardes sur les avenues ; tous les cavaliers étendus par terre près de leurs chevaux, sont ensevelis dans le sommeil ; le même calme et la même sécurité sont autour de la tente du chef. Alors Ulysse ne pouvant plus méconnaître l'effet de sa prière, et enhardi par le succès, propose à son compagnon de tuer les principaux Thraces, tandis, qu'il ira détacher les chevaux de Rhésus : voilà une conjoncture où le secours de la déesse devient encore très-nécessaire ; aussi Homère dit qu'elle donna à Diomède un accroissement de force et de courage : douze Thraces périssent de sa main avec leur roi. Les chevaux détachés par Ulysse, Diomède peu content de ces avantages, veut encore enlever le char de Rhésus ; mais la déesse, justement étonnée de cette imprudence, se rend visible à lui, et le presse de retourner au plutôt, de crainte que quelque dieu ne reveille enfin les Troie.s. Diomède reconnaissant la voix de Pallas, monte aussi-tôt à cheval, et part suivi d'Ulysse. Jusque-là Homère a marqué exactement toutes les circonstances de l'entreprise dans lesquelles la déesse prêta son secours aux héros Grecs : il consiste à les conduire surement à-travers le camp, à favoriser le massacre des Thraces et l'enlevement des chevaux, à les obliger de partir, lorsque l'appas d'avoir des armes d'or les retient mal-à-propos, mais nullement à les placer sur les chevaux ; et une fois sortis du camp, elle les quitte, quoi qu'en ait dit M. Freret ; car dans Homère, elle n'accompagne pas leur retour comme cet académicien l'avance gratuitement. S'il était vrai cependant, qu'ils eussent eu besoin d'elle la première fois pour monter à cheval, son secours n'eut pas été moins nécessaire à Diomède, quand il fut obligé de sauter à terre pour prendre les armes de Dolon, et de remonter tout de suite ; et Homère n'aurait pas manqué de le faire remarquer, car il ne devait pas ignorer qu'on ne devient pas si vite bon cavalier.

Disons donc que c'est uniquement parce qu'il était très-ordinaire dans les temps héroïques de monter à cheval, qu'Homère ne fait point intervenir le ministère de Pallas dans une action si commune.

Le XV. livre de l'Iliade nous offre un exemple de l'équittation, dans lequel cet art est porté à un degré de perfection bien supérieur à ce que nous oserions exiger aujourd'hui de nos plus habiles écuyers. Le poète qui veut dépeindre la force et l'agilité d'Ajax qui passant rapidement d'un vaisseau à l'autre, les défend tous à la fais, fait la comparaison suivante.

" Tel qu'un écuyer habile, accoutumé à manier plusieurs chevaux à la fais, en a choisi quatre des plus vigoureux et des plus vites, et en présence de tout un peuple qui le regarde avec admiration, les pousse à toute bride, par un chemin public, jusqu'à une grande ville où l'on a limité sa course : en fendant les airs, il passe légèrement de l'un à l'autre, et vole avec eux. Tel Ajax, etc. ".

(o) M. Freret veut qu'Homère, pour orner sa narration, et la rendre plus claire, ait expliqué en cet endroit des choses anciennes par des images familières à son siècle : tel est, ajoute-t-il, le but de ses comparaisons, et en particulier de celle-ci : " tout ce qu'on en peut conclure, c'est que l'art de l'équittation était commun de son temps dans l'Ionie. Des scholiastes d'Homère lui font un crime d'avoir emprunté des comparaisons de l'équittation ; ils les ont regardé comme un anachronisme, tant ils étaient persuadés que cet art était encore nouveau dans la Grèce du temps d'Homère ". Mais ils ont cru, sans examen, et sans avoir éclairci la question. Puisque dans toute l'économie de ses poèmes, Homère est si exact, si sévère observateur des usages et des temps, qu'il parait toujours transporté dans celui où vivaient ses héros, et qu'on ne

(o) Au V. liv. de l'Odyssée, Ve 366. un coup de vent ayant brisé l'esquif qui restait à Ulysse après la tempête qu'il essuya en sortant de l'île de Calypso, il en saisit une planche sur laquelle il sauta, et s'y posa comme un homme se met sur un cheval de selle. M. Freret ferait sans doute à cette comparaison la même réponse qu'à la précédente, quoique avec aussi peu de fondement.

peut, selon les mêmes scholiastes, lui reprocher aucun autre anachronisme : par quelle raison croira-t-on qu'il se soit permis celui-ci ? Dira-t-on qu'il n'avait pas assez de ressource dans son génie pour varier et ranimer ses peintures ? De plus, Homère n'a vécu que trois cent ans (p) après la guerre de Troie : un si court intervalle est-il suffisant pour y placer à la fois la naissance et les progrès de l'équittation, et pour la porter à un degré de perfection duquel nous sommes encore fort éloignés ? Cette réflexion tire du système de M. Freret une nouvelle force, en ce qu'il ne place dans l'Ionie la connaissance de l'art de monter à cheval, que 150 ans après la guerre de Troie.

Homère a suivi constamment les anciennes traditions de la Grèce ; il dépeint toujours ses héros, tels qu'on croyait qu'ils avaient été. Leurs caractères, leurs passions, leurs jeux, tout est conforme au souvenir qu'on en conservait encore de son temps. C'est ainsi qu'il fait dire à Hélene, " je ne vois (Iliad. liv. III.) pas mes deux frères ", Castor si célèbre dans les combats à cheval, , et Pollux si renommé dans les exercices du ceste. Ce passage ne fait aucune impression sur M. Freret. Le nom de dompteur de chevaux, , de conducteur, de cavalier, ou encore celui de , conscensores equorum, dont se sert, en parlant de ces mêmes Tyndarides, l'auteur des hymnes attribuées à Homère ; tous ces noms sont donnés quelquefois à des Grecs ou à des Troie.s montés sur des chars, donc ils ne signifient jamais autre chose dans le langage de ce temps là. Ce raisonnement est-il bien juste ? il le serait davantage, si l'on convenait que ces mots ont quelquefois eu l'une ou l'autre signification : mais en ce cas, M. Freret ne pourrait nier que le titre de conducteur, de cavalier, , que Nestor (Iliad. XI. Ve 745.) donne au chef des Eléens, ne veuille dire ce qu'il dit effectivement. Parce que ce chef combattait sur un char, cela n'empêche pas qu'il n'ait commandé des gens de cheval. On peut dire la même chose d'Achille et de Patrocle, qu'Homère (Iliad. 16.) nomme des cavaliers, .

Plusieurs autres passages de l'Iliade, semblent désigner des gens de cheval ; mais ils n'ont sans doute paru dignes d'aucune considération à M. Freret, ou bien il a craint qu'ils ne fussent autant de preuves contre son sentiment (Iliad. liv. XVIII.) On voyait sur le bouclier d'Achille, une ville investie par les armées de deux peuples différents : l'un voulait détruire les assiégés par le fer et par le feu ; l'autre était résolu de les recevoir à composition. Pendant qu'ils disputaient entr'eux, ceux de la ville étant sortis avec beaucoup de secret, se mettent en embuscade, et fondent tout-à-coup sur les troupeaux des assiégeants : aussi-tôt l'alarme se répand dans les deux armées ; tous prennent à la hâte leurs armes et leurs chevaux, arma et equos propère arripiunt, et l'on marche à l'ennemi. La célérité d'un tel mouvement convient mieux à de la cavalerie qu'à des chars : n'eut-elle pas été bien ralentie par le temps qu'il aurait fallu pour préparer ces chars, et les tirer hors des deux camps ?

Il est dit dans le combat particulier de Ménelas contre Paris (Iliad. liv. III.), que les troupes s'assirent toutes par terre, chacun ayant près de soi ses armes et ses chevaux. Dait-on entendre par ce dernier mot des chevaux attelés à des chars ? Celui qui les conduisait et celui qui combattait dessus, étaient l'un et l'autre d'un rang distingué, et n'étaient pas gens à s'asseoir par terre, confondus avec les moindres soldats : d'ailleurs ils eussent été mieux assis dans leurs chars ; c'était, pendant ce combat, la situation la plus avantageuse, pour mieux remarquer ce qui s'y passait. Les gens de cheval, au contraire, en descendent fort souvent pour se délasser, eux et leurs chevaux.

Dans le combat d'Ajax contre Hector (Iliad. liv. VII.), on trouve encore une preuve de l'équittation. Le héros troyen dit à son adversaire : je sais manier la lance ; et soit à pied, soit à cheval, je sais pousser mon ennemi.

Ne semble-t-il pas dans plusieurs combats généraux, que l'on voie manœuvrer de véritables troupes de cavalerie ?

" Chacun se prépare au combat (Iliad. liv. II. ou bien XI.), et ordonne à son écuyer de tenir son char tout prêt, et de le ranger sur le bord du fossé : toute l'armée sort des retranchements en bon ordre : l'infanterie se met en bataille aux premiers rangs ; et elle est soutenue par la cavalerie qui déploie ses ailes derrière les bataillons.... Les Troie.s de leur côté étendent leurs bataillons et leurs escadrons sur la colline ".

Ici le mot chacun ne doit s'appliquer qu'aux chefs : pour peu qu'on lise Homère avec attention, on verra qu'il n'y avait jamais que les principaux capitaines qui fussent dans des chars. Le nombre de ces chars ne devait pas être bien considérable, puisqu'ils peuvent être rangés sur le bord du fossé. Quant à l'infanterie et la cavalerie, la disposition en est simple, et ne pourrait pas être autrement rendue aujourd'hui, qu'il n'y a plus de chars dans les armées.

Si les Troie.s n'eussent eu que des escadrons de chars, ce n'est pas sur une colline qu'ils les eussent placés ; et l'on doit entendre par escadrons, ce que les Grecs ont toujours entendu, et ce que nous comprenons sous cette dénomination.

La description du combat ne prouve pas moins, que l'ordre de bataille, qu'il y avait et des chars et des cavaliers. " Hippolochus se jette à bas de son char, et Agamemnon, du tranchant de son épée, lui abat la tête, qui Ve roulant au milieu de son escadron ". On lit dans le même endroit, que l'écuyer d'Agastrophus tenait son char à la queue de son escadron.

Nestor renverse un troyen de son char, et sautant légèrement dessus, il enfonce ses escadrons (liv. XI.). Ne peut-on pas induire de-là, avec raison, que les chefs étaient sur des chars à la tête de leurs escadrons ? Cela n'est-il pas plus vraisemblable que des escadrons de chars ?

" L'infanterie enfonce les bataillons troyens, et la cavalerie presse si vivement les escadrons qui lui sont opposés, qu'elle les renverse : les deux armées sont ensevelies dans des tourbillons de poussière, qui s'élève de dessous les pieds de tant de milliers d'hommes et de chevaux ".

M. Freret, lui-même, aurait-il mieux décrit une bataille, s'il eut voulu faire entendre qu'il y avait de la cavalerie distinguée des chars, ou des chars à la tête des escadrons de gens de cheval ?

Il est dit, dans une autre bataille, que " Nestor plaçait à la tête ses escadrons, avec leurs chars et leurs chevaux.... derrière eux, il rangeait sa nombreuse infanterie pour les soutenir. Les ordres qu'il donnait à sa cavalerie, étaient de retenir leurs chevaux, et de marcher en bon ordre, sans mêler ni confondre leurs rangs (Iliad. liv. IV.).

Si Homère n'eut voulu parler que de chars, aurait-il ajouté au mot escadron, avec leurs chars et leurs chevaux ?

Que peut-on entendre par mêler et confondre des rangs ? Pouvait-il y avoir plusieurs rangs de chars ? A quoi eut été bon un second rang ? le premier victorieux, le second ne pouvait rien de plus ; le premier

(p) Selon les marbres d'Arondel, le P. Pétau place Homère deux cent ans après la guerre de Troie.

rang vaincu, le second l'était conséquemment, et sans ressource ; car comment faire faire à des chars mis en rang, des demi-tours à droite pour la retraite ?

Il parait suffisamment prouvé par les remarques que nous venons de faire sur quelques endroits du texte d'Homère, que l'art de monter les chevaux a été connu dans la Grèce avant le siège de Troie, et qu'il y avait même dans les armées des Grecs et des Troie.s, des troupes de cavalerie, proprement dite. Si ce poète n'a point décrit particulièrement de combats de cavalerie, on ne voit pas non plus qu'il soit entré dans un plus grand détail, par rapport aux combats d'infanterie. Son véritable objet, en décrivant des batailles, était de chanter les exploits des héros et des plus illustres guerriers des deux partis : ces héros combattaient presque tous sur des chars, et l'on oserait presque assurer qu'il n'appartenait qu'à eux d'y combattre. Leur valeur et leur fermeté y paraissaient avec d'autant plus d'éclat, que leur attention n'étaient point divisée par le soin de conduire les chevaux. Voilà pourquoi les descriptions des combats de chars sont si fréquentes, si longues, si détaillées. C'était par ces combats que les grandes affaires s'entamaient, parce que les chefs, montés sur des chars, marchaient toujours à la tête des troupes : Homère n'en omet aucune circonstance, et pese sur tous les détails, parce qu'il a su déjà nous intéresser vivement au sort des guerriers qu'il fait combattre. Son grand objet se trouvant rempli par-là, dès que les troupes se mêlent, et que l'affaire devient générale, il passe rapidement sur le reste du combat ; et pour ne point fatiguer le lecteur, il se hâte de lui en apprendre l'issue, sans descendre à cet égard dans aucune particularité. Tel est la méthode d'Homère, quand il décrit des combats ou des batailles.

Témoignages des écrivains postérieurs à Homère. M. Freret qui s'était fait un principe constant de soutenir que les Grecs et les Troie.s au temps de la guerre de Troie ne connaissaient que l'usage des chars, et qu'on ne pouvait prouver par les poèmes d'Homère que l'art de monter à cheval leur fût connu, récuse conséquemment à son système, les témoignages de tous les écrivains postérieurs à ce poète, et particulièrement tous ceux que les auteurs latins fournissent contre son opinion.

" Virgile, dit-il, et les poètes latins, ont été moins scrupuleux qu'Homère, et ils n'ont pas fait difficulté de donner de la cavalerie aux Grecs et aux Troie.s ; mais ces poètes postérieurs d'onze ou douze siècles aux temps héroïques, écrivaient dans un siècle où les mœurs des premiers temps n'étaient plus connues que des savants.... leur exemple, ajoute-t-il, ne peut avoir aucune autorité lorsqu'ils s'écartent de la conduite d'Homère ".

Si le témoignage de Virgile, postérieur d'onze ou douze siècles à la ruine de Troie, ne peut avoir aucune force : pourquoi M. Freret veut-il que le sien postérieur de trois mille ans, soit préféré ? pourquoi admet-il plutôt celui de Pollux auteur grec, plus moderne que Virgile d'environ deux cent ans ? Quant à ce qu'il dit que les mœurs des premiers temps n'étaient connues que des savants, ce reproche ne convient point à Virgile : au titre si justement acquis de prince des Poètes, il joignait celui de savant et d'excellent homme de lettres.

De plus, son Enéide qu'il fut douze ans à composer, est entièrement faite à l'imitation d'Homère. Virgile ayant pris ce grand poète pour modèle, et pour sujet de son poème, des événements célébres qui touchaient, pour ainsi dire, à ceux qui sont chantés dans l'Iliade, croira-t-on qu'il ait confondu les usages et les temps, et méprisé le suffrage des savants au point de faire combattre ses héros à cheval, s'il n'avait pas regardé comme un fait constant que l'équittation était en usage de leur temps ?

Tout ce qu'on peut présumer, c'est que Virgile s'est abstenu de parler de chars aussi fréquemment qu'Homère, pour rendre ses narrations plus intéressantes, et parce que les Romains n'en faisaient point usage dans leurs armées. Enfin les faits cités par les auteurs doivent passer pour incontestables, quand ils sont appuyés sur une tradition ancienne, publique, et constante : tel était l'usage établi depuis un temps immémorial chez les Romains, de nommer les exercices à cheval de leur jeunesse, les jeux troyens.

Trojaque nunc pueri trojanum dicitur agmen. (En. l. V. Ve 602.) Virgile n'invente rien en cet endroit, il se conforme à l'histoire de son pays, qui rapportait apparemment l'origine des courses de chevaux dans le cirque, au dessein d'imiter de semblables jeux militaires pratiqués autrefois par les Troie.s, et dont le souvenir s'était conservé dans les anciennes annales du latium. Enée faisait exercer ses enfants à monter à cheval : Frenatis lucent in equis. (Id. Ve 557.)

C'est en suivant les plus anciennes traditions grecques, que Virgile (Georg. l. III. Ve 115.) attribue aux Lapithes de Pélétronium l'invention de l'art de monter à cheval. Il nous apprend dans le même endroit (Ib. Ve 113.) l'origine des chars qui furent inventés par Ericthonius, quatrième roi d'Athènes (q) depuis Cécrops ; et ce qui suppose nécessairement que l'équittation était connue en Grèce avant Ericthonius, c'est que la tradition véritable ou fabuleuse de ces temps là, rapporte que ce fut pour cacher la difformité de ses jambes qui étaient tortues, que ce prince inventa les chars.

Hygin qui, de même que Virgile, vivait sous le règne d'Auguste, a fait de Bellérophon un cavalier (Fable 273.), et dit que ce prince remporta le prix de la course à cheval aux jeux funèbres de Pelias, célébrés après le retour des Argonautes ; mais parce qu'on ignore dans quel poète ancien Hygin a puisé ce fait, M. Freret le traite impitoyablement de commentateur sans gout, sans critique, indigne qu'on lui ajoute foi. Il en dit autant de Pline (l. VII. c. lvj.), qui en faisant l'énumération de ceux auxquels les Grecs attribuaient l'invention de quelque art ou de quelque coutume, ose d'après les Grecs, regarder Bellérophon comme l'inventeur de l'équittation, et ajouter que les centaures de Thessalie combattirent les premiers à cheval.

Pour réfuter ce qu'Hygin dit de Bellérophon, M. Freret prétend premièrement que, selon Pausanias (lib. VI.), l'opinion commune était que Glaucus père de Bellérophon, avait dans les jeux funèbres de Pelops, disputé le prix à la course des chars : secondement, que ces mêmes jeux étaient représentés sur un très-ancien coffre, dédié par les Cypselides de Corinthe, et conservé à Olympie au temps de Pausanias (l. V.), et qu'on ne voyait dans la représentation de ces jeux ni Bellérophon, ni de course à cheval. On peut facilement juger de la solidité de cette réfutation.

Le témoignage de Pausanias favorisant ici l'opinion de M. Freret, il s'en rapporte aveuglément à lui : mais il doit reconnaître de même la vérité d'un autre passage de cet auteur, capable de renverser son système.

Pausanias (l. V.) assure que Casius arcadien, et père d'Atalante, remporta le prix de la course à cheval, aux jeux funèbres de Pelops à Olympie (r). Ce

(q) Il vivait environ 1489 ans avant J. C. Il succéda à Amphiction, et institua les jeux panathénaïques en l'honneur de Minerve.

(r) Ces jeux, dit M. Freret, sont postérieurs de quelques années à ceux de Pélias, et c'est ce que l'on nomme l'olympiade d'Hercule, qui combattit à ces jeux, et qui en regla la forme soixante ans avant la guerre de Troie.

fait qui donnerait aux courses à cheval presque la même ancienneté que celle qu'on trouve dans Hygin, M. Freret soutient qu'il n'est fondé que sur une tradition peu ancienne : Pindare, dit-il, n'en a pas fait usage lorsqu'il a célébré des victoires remportées dans les courses de chevaux. " Dans ces occasions, ajoute-t-il, l'histoire ancienne ne lui fournissant aucun exemple de ces courses, il a recours aux aventures des héros qui se sont distingués dans les courses de chars (s) ". Mais qui ne voit que le poète a voulu varier ses descriptions, en faisant de ces deux sortes de courses un objet de comparaison, capable de jeter plus de feu, plus de brillant, plus d'énergie dans ses odes ?

Si ces courses à cheval, dit M. Freret, avaient été en usage dès le temps de l'olympiade d'Hercule, pourquoi n'en trouve-t-on aucun exemple jusqu'à la trente-troisième olympiade de Coroebus, célébrée l'an 648 (t) avant J. C. 700 ans après les jeux funèbres de Pelops, et 240 ans après le renouvellement des jeux olympiques par Iphitus ? Ce raisonnement ne prouve rien du tout : car on pourrait avec autant de raison dire à M. Freret : vous assurez qu'au temps d'Homère l'art de l'équittation était porté à un tel degré de perfection, qu'un seul écuyer conduisait à toute bride quatre chevaux à la fais, s'élançant avec adresse de l'un à l'autre pendant la rapidité de leurs courses ; et moi je dis que si cela était vrai, on n'aurait pas attendu près de trois cent ans depuis Homère, pour mettre les courses de chevaux au nombre des spectacles publics.

Il y a quelque apparence que la nouveauté des courses de chars fut la cause qu'on abandonna les autres pendant longtemps, et qu'on n'y revint qu'après plusieurs siècles : il fallait en effet bien plus d'art et de dextérité pour conduire dans la carrière un char attelé de plusieurs chevaux, que pour manier un seul cheval. Qu'on en juge par le discours de Nestor à Antiloque son fils. (Iliad. l. XXIII.)

La fable et Homère après elle, ont parlé du cheval d'Adraste : ce poète le nomme le divin Arion ; il avait eu pour maître Hercule ; ce fut étant monté sur Arion (Paus. II. vol. p. 181.) que ce héros gagna des batailles, et qu'il évita la mort. Après avoir pris Augias roi d'Elis, et après la guerre de Thebes antérieure à celle de Troie, il donna ce cheval à Adraste. Comme on voit dans presque tous les auteurs qui en ont parlé, ce rapide coursier toujours seul, on en a conclu avec assez de vraisemblance, que c'était un cheval de monture : mais M. Freret lui trouve un second qu'on nommait Cayros. Voilà un fait. Antimaque (u) l'assure ; il faut l'en croire : mais il doit aussi servir d'autorité à ceux qui ne pensent pas comme M. Freret. Or Antimaque dit positivement qu'Adraste fuit en deuil monté sur son Arion. On a donc eu raison de regarder Arion comme un cheval accoutumé à être monté, sans nier toutefois qu'il n'ait pu être quelquefois employé à conduire un char. Antimaque ajoute qu'Adraste fut le troisième qui eut l'honneur de dompter Arion : c'est qu'il avait appartenu d'abord à Onéus, qui le donna à Hercule. Tout cela ne prouve-t-il pas en faveur de l'équittation de temps antérieurs à la guerre de Troie ?

Monuments anciens. M. Freret suit la même marche dans l'examen des monuments anciens. Ceux où il n'a point Ve de chevaux de monture, méritent seuls quelque croyance, ils sont autant de preuves positives : les autres sont ou factices, ou modernes, on ne doit point y ajouter foi.

(Pausan. l. V.) Le coffre des Cypsélides dont il a déjà été parlé, est, selon cet académicien, un monument du huitième siècle avant J. C. On y voyait représentés les événements les plus célèbres de l'histoire des temps héroïques, la célébration des jeux funèbres de Pelias, plusieurs expéditions militaires, des combats, et même en un endroit deux armées en présence : dans toutes ces occasions, les principaux héros étaient montés sur des chars à deux ou à quatre chevaux, mais on n'y voyait point de cavaliers ; doit-on conclure qu'il n'y en avait point, de ce que Pausanias n'en parle pas ? mais son silence ne prouve rien ici : au contraire, l'expression qu'il emploie donnerait lieu de croire qu'il y en avait. En décrivant deux armées représentées sur ce coffre, il dit que l'on y voyait des cavaliers montés sur des chars (Paus. l. V.) Ce n'est point-là affirmer qu'il n'y en avait point de montés sur des chevaux, car il ne dit pas qu'ils fussent tous sur des chars : d'ailleurs les chefs, dans les temps héroïques, combattant pour l'ordinaire sur des chars, il se pourrait fort bien que le sculpteur, qui ne s'attachait qu'à faire connaître ces chefs et par leur portrait et par leur nom, n'ait représenté qu'eux, pour ne pas jeter trop de confusion dans ses bas-reliefs en y ajoutant un grand nombre de figures d'hommes à cheval. Cette raison est d'autant plus plausible, que dans le temps où ce coffre a été fait il y avait, de l'aveu de M. Freret, au moins 250 ans que l'équittation était connue des Grecs.

Sur le massif qui soutenait la statue d'Apollon dans le temple d'Arayclé, Castor et Pollux étaient représentés à cheval (Paus. l. III.), de même que leurs fils Anaxias et Mnasinous. Pausanias rapporte encore qu'on voyait à Argos (lib. II.) dans le temple des Dioscures, les statues de Castor et Pollux, celles de Phoebe et Ilaïra leurs femmes, et celles de leurs fils Anaxias et Mnasinous, et que ces statues étaient d'ébene, à l'exception de quelques parties des chevaux. Il y avait à Olympie (Pausan. l. V.) un grouppe de deux figures représentant le combat d'Hercule contre une amazone à cheval ; les mêmes Castor et Pollux étaient représentés à Athènes debout, et leurs fils à cheval. (Paus. l. II.)

M. Freret qui rapporte tous ces monuments, et quelques autres d'après Pausanias, étale une érudition immense pour montrer que les plus anciens sont postérieurs à l'établissement de la course des chevaux aux jeux olympiques. Quand on en conviendrait avec lui, on n'en serait pas moins autorisé à croire que la plupart de ces monuments n'ont été faits que pour en remplacer d'autres que la longueur du temps ou les fureurs de la guerre avaient détruits ; et que les sculpteurs se sont exactement conformés à la manière distinctive dont les héros avaient été représentés dans les anciens monuments, de même qu'à ce que la tradition en rapportait. La pratique constante de toutes les nations et de tous les temps, donne à cette conjecture beaucoup de vraisemblance.

(s) M. Freret cite en preuve la première olympionique de Pindare, où, à propos de la victoire remportée par Hiéron à la course des chevaux, ce poète rapporte l'histoire de Pélops, vainqueur à la course des chars. Mais du temps l'Hiéron, à celui où l'on introduisit aux jeux olympiques les courses des chevaux, il y a cent soixante ans d'intervalle : les exemples anciens ne pouvaient donc pas manquer à Pindare, s'il avait eu dessein d'en rapporter.

(t) Ce calcul de M. Freret n'est ni le plus exact, ni le plus suivi. Les plus savants chronologistes rapportent l'olympiade de Coroebus à l'an 776 avant J. C. l'époque de la fondation de Rome, liée avec cette olympiade, semble donner à ce dernier sentiment toute la force d'une démonstration. Il suit de-là que les courses de chevaux furent admises au nombre des spectacles des jeux olympiques cent vingt-huit ans plutôt que M. Freret ne l'a cru.

(u) Auteur d'un poème de la Thébaïde ; il vivait du temps de Socrate. Quintilien dit qu'on lui donnait le second rang après Homère ; Adrien le mettait au-dessus d'Homère même.

Quoique tous les monuments de la Grèce se soient accordés à représenter les Tyndarides (x) à cheval ; quoiqu'un fait remarquable, arrivé pendant la troisième guerre de Messene (y), prouve manifestement l'accord de la tradition avec les Sculpteurs ; quoique cette tradition ait pénétré jusqu'en Italie, et quoi qu'Homère lui-même en ait dit, M. Freret ne peut se résoudre à croire que Castor et Pollux aient jamais su monter à cheval : il veut absolument que ces deux héros et même Bellérophon, ne fussent que d'habiles pilotes, et leurs chevaux, comme celui qui accompagnait les statues de Neptune, un emblème de la navigation.

M. Freret revient au récit de Pausanias sur l'Arcadien Iassius, vainqueur dans une course de chevaux, et cela à l'occasion d'un monument qui autorisait cette tradition : c'était (Paus. liv. VIII.) une statue posée sur l'une des deux colonnes qu'on voyait dans la place publique de Tégée, vis-à-vis le temple de Vénus. Les paroles (z) du texte de Pausanias l'ont fait regarder comme une statue équestre ; mais le savant académicien veut qu'elles signifient seulement que cette statue a un cheval auprès d'elle, et tient de la main droite une branche de palmier : d'où il conclut qu'elle ne prouve point en faveur de l'équittation, et qu'on l'érigea en l'honneur de Iassius, parce qu'il avait peut-être trouvé le secret d'élever des chevaux en Arcadie, pays froid, montagneux, où les races des chevaux transportés par mer des côtes d'Afrique, avaient peine à subsister. Quand une telle supposition aurait lieu, pourrait-on s'imaginer que ce Iassius qui aurait tiré des chevaux d'Afrique où l'équittation était connue de tout temps, eut ignoré lui-même l'art de les monter, et ne s'en fût servi qu'à trainer des chars ?

Fable des centaures. La fable des centaures que les Poètes et les Mythologistes ont tous représentés comme des monstres à quatre pieds, moitié hommes, moitié chevaux, avait toujours été alléguée en preuve de l'ancienneté de l'équittation. Toutes les manières dont on raconte leur origine, malgré la variété des circonstances, concouraient néanmoins à ce but. " Selon quelques-uns (Diod. liv. IV.), Ixion ayant embrassé une nuée qui avait la ressemblance de Junon, engendra les centaures qui étaient de nature humaine : mais ceux-ci s'étant mêlés avec des cavales, ils engendrèrent les hippocentaures, monstres qui tenaient en même temps de la nature de l'homme et de celle du cheval. D'autres ont dit qu'on donna aux centaures le nom d'hippocentaures, parce qu'ils ont été les premiers qui aient su monter à cheval ; et que c'est de-là que provient l'erreur de ceux qui ont cru qu'ils étaient moitié hommes, moitié chevaux ".

Il est dit (Diodore, ib.) dans le récit du combat qu'Hercule soutint contre eux, que la mère des dieux les avait doués de la force et de la vitesse des chevaux, aussi bien que de l'esprit et de l'expérience des hommes. Ce centaure Nessus, qui moyennant un certain salaire transportait d'un côté à l'autre du fleuve Evénus ceux qui voulaient le traverser, et qui rendit le même service à Déjanire, n'était vraisemblablement qu'un homme à cheval ; on ne saurait le prendre pour un batelier, qu'en lui supposant un esquif extrêmement petit, puisqu'il n'aurait pu y faire passer qu'une seule personne avec lui (a).

Presque tous les monuments anciens ont dépeint les centaures avec un corps humain, porté sur quatre pieds de cheval. Pausanias (l. V.) assure cependant que le centaure Chiron était représenté sur le coffre des Cypsélides, comme un homme porté sur deux pieds humains, et aux reins duquel on aurait attaché la croupe, les flancs, et les jambes de derrière d'un cheval. M. Freret, que cette représentation met à l'aise, ne manque pas de l'adopter aussitôt comme la seule véritable ; et il en conclut qu'elle désigne moins un homme qui montait des chevaux, qu'un homme qui en élevait. Croyant par cette réponse avoir pleinement satisfait à la question, il se jette dans un long détail astronomique, pour trouver entre la figure que forment dans le ciel les étoiles de la constellation du centaure, et la figure du centaure Chiron que l'on voyait sur le coffre des Cypsélides, une ressemblance parfaite ; et il finit cet article en disant que les différentes représentations des centaures n'avaient aucun rapport à l'équittation.

Une semblable assertion ne peut rien prouver contre l'ancienneté de l'art de monter à cheval, qu'autant qu'on s'est fait un principe de n'en pas admettre l'existence avant un certain temps. M. Freret, à qui la faiblesse de son raisonnement ne pouvait être inconnue, a cru lui donner plus de force en jetant des nuages sur l'ancienneté de la fiction des centaures ; il a donc prétendu qu'elle était postérieure à Hésiode et à Homère, et qu'on n'en découvrait aucune trace dans ces poètes.

Mais il n'y aura plus rien qu'on ne puisse nier ou rendre problématique, quand on détournera de leur véritable sens, les expressions les plus claires d'un auteur. Homère (Iliad. l. I. et II.) appelle les centaures des monstres couverts de poil, ; cette expression qui parait d'une manière si précise se rapporter à l'idée que l'on se formait du temps de ce poète, sur la foi de la tradition, de ces êtres phantastiques, M. Freret veut qu'elle désigne seulement la grossiereté et la férocité de ces montagnards.

Enfin quoique ces peuples demeurassent dans la Thessalie, province qui a fourni la première et la meilleure cavalerie de la Grèce, plutôt que de trouver dans ce qu'on a dit d'eux le moindre rapport avec l'équittation ou avec l'art de conduire des chars, M. Freret aimerait mieux croire qu'ils ne surent jamais faire aucun usage des chevaux, pas même pour les atteler à des chars ; il se fonde sur ce que dans l'Iliade les meilleurs chevaux de l'armée des Grecs étaient ceux d'Achille et d'Eumelus fils d'Admete, qui regnaient sur le canton de la Thessalie le plus éloigné de la demeure des centaures. Un pareil raisonnement n'a pas besoin d'être réfuté.

Conjectures de M. Freret. Le quatrième et dernier article de la savante dissertation de M. Freret, contient ses conjectures sur l'époque de l'équittation dans l'Asie mineure et dans la Grèce : elles se réduisent à établir que l'art de monter à cheval n'a été connu dans l'Asie mineure que par le moyen des différentes incursions que les Trérons et les Cimmeriens y firent, et dont les plus anciennes étaient postérieures

(x) Les Romains représentaient les Tyndarides à cheval. Denys d'Halicarnasse, liv. VI. dit que le jour de la bataille du lac Rhégille, l'an de Rome 258 et 494 avant J. C. on avait Ve deux jeunes hommes à cheval d'une taille plus qu'humaine qui chargèrent à la tête des Romains la cavalerie latine, et la mirent en déroute. Le même jour ils furent vus à Rome dans la place publique, annoncèrent la nouvelle de la victoire, et disparurent aussi-tôt.

(y) Pendant que les Lacédémoniens célébraient la fête des dioscures, deux jeunes messéniens revêtus de casaques de pourpre, la tête couverte de toques semblables à celles que l'on donnait à ces dieux, et montés sur les plus beaux chevaux qu'ils purent trouver ; se rendirent au lieu où les Lacédémoniens étaient assemblés pour le sacrifice. On les prit d'abord pour les dieux mêmes dont on célébrait la fête, et l'on se prosterna devant eux : mais les deux messéniens profitant de l'erreur, se jetèrent au milieu des Lacédémoniens, et en blessèrent plusieurs à coups de lances. Cette action fut regardée comme un véritable sacrilege, parce que les messéniens adoraient aussi les dioscures. Pausanias, liv. IV.

(z) .

(a) Déjanire était avec Hercule et Hyllus son fils.

de 150 ans à la guerre de Troie, et de quelques années seulement, suivant Strabon, à l'arrivée des colonies éoliennes et ïoniennes dans ce pays. Quant à la Grèce européenne, il ne veut pas que l'équittation y ait précédé de beaucoup la première guerre de Messene, parce que Pausanias dit que les peuples du Péloponnèse étaient alors peu habiles dans l'art de monter à cheval. M. Freret pense encore que la Macédoine est le pays de la Grèce où l'usage de la cavalerie a commencé ; qu'il a passé de-là dans la Thessalie, d'où il s'est répandu dans le reste de la Grèce méridionale.

Ainsi l'on voit premièrement que M. Freret ne s'attache ni à déduire ni à discuter les faits constants que nous avons cités de Sésostris, des Scolothes ou Scythes, et des Amazones. Il est vrai qu'il nie que ces femmes guerrières aient jamais combattu à cheval, parce qu'Homère ne le dit pas ; car le silence d'Homère est par-tout une démonstration évidente pour lui, quoiqu'il ne veuille pas s'en rapporter aux expressions positives de ce poète : mais cette assertion gratuite et combattue par le témoignage unanime des historiens, ne saurait détruire les probabilités que l'on tire en faveur de l'ancienneté de l'équittation chez les Grecs, des conquêtes des Scythes et des Egyptiens, et des colonies que ceux-ci et les Phéniciens ont fondées dans la Grèce plusieurs siècles avant la guerre de Troie.

Secondement, fixer seulement l'époque de l'équittation dans la Grèce européenne vers le temps de la première guerre de Messene, c'est contredire formellement Xénophon (de rep. Lacedaemon.), qui attribue à Lycurgue les règlements militaires de Sparte, tant par rapport à l'infanterie pesamment armée, que par rapport aux cavaliers : dire que ceux-ci n'ont jamais servi à cheval, et dériver leur dénomination du temps où elle désignait aussi ceux qui combattaient sur des chars, c'est éluder la difficulté et supposer ce qui est en question. Ces cavaliers, dit Xénophon, étaient choisis par des magistrats nommés hippagiritae, ab equittatu congregando ; ce qui prouve une connaissance et un usage antérieurs de la cavalerie. Cet établissement de Lycurgue, tout sage qu'il était, souffrit ensuite diverses altérations, mais il ne fut jamais entièrement aboli. Les hommes choisis, qui suivant l'intention du législateur avaient été destinés pour combattre à cheval, s'en dispensèrent peu-à-peu, et ne se chargèrent plus que du soin de nourrir des chevaux durant la paix, qu'ils confiaient pendant la guerre (b) à tout ce qu'il y avait à Sparte d'hommes peu vigoureux et peu braves. M. Freret confond en cet endroit l'ordre des temps. A la bataille de Leuctres, dit-il, la cavalerie lacédemonienne était encore très-mauvaise, selon Xénophon ; elle ne commença à devenir bonne qu'après avoir été mêlée avec la cavalerie étrangère, ce qui arriva au temps d'Agésilaus : ce prince étant passé dans l'Asie mineure, leva parmi les Grecs asiatiques un corps de 1500 chevaux, avec lesquels il repassa dans la Grèce, et qui rendit de grands services aux Lacédemoniens.

Agésilaus avait fait tout cela avant la bataille de Leuctres. La suite des événements est totalement intervertie dans ces réflexions de M. Freret. Il suit de cette explication, qu'encore que les cavaliers spartiates n'aient pas toujours combattu à cheval, il ne laissait pas d'y avoir toujours de la cavalerie à Sparte, mais à la vérité très-mauvaise : on le voit surtout dans l'histoire des guerres de Messene. Pausanias, l. IV.

Il est à propos de remarquer que Strabon, sur lequel M. Freret s'appuye en cet endroit, prouve contre lui. Lorsque cet auteur dit (Strabon, l. X.) que les hommes choisis, que l'on nommait à Sparte les cavaliers, servaient à pied ; il ajoute qu'ils le faisaient à la différence de ceux de l'île de Crète : ces derniers combattaient donc à cheval. Or Lycurgue avait puisé dans l'île de Crète la plupart de ses lais, par conséquent l'usage de la cavalerie avait précédé dans la Grèce le temps où ce législateur a vécu.

S'il est vrai qu'au commencement des guerres de Messene les peuples du Péloponnèse fussent très-peu habiles dans l'art de monter à cheval (c), il l'est encore davantage qu'ils ne se servaient point de chars ; on n'en voit pas un seul dans leurs armées, quoiqu'il y eut de la cavalerie. Il est bien singulier que ces Grecs, qui, dans les temps héroïques n'avaient combattu que montés sur des chars, qui encore alors se faisaient gloire de remporter dans les jeux publics le prix à la course des chars, aient cessé néanmoins tout-à-coup d'en faire usage à la guerre, qu'on n'en voie plus dans leurs armées, et qu'ils n'aient commencé d'en avoir que plusieurs siècles après, lorsque les généraux d'Alexandre se furent partagés l'empire que ce grand prince avait conquis sur Darius.

Une chose étonnante dans le système de M. Freret, c'est qu'il suppose nécessairement que l'usage des chars a été connu des Grecs avant celui de l'équittation. La marche de la Nature qui nous conduit ordinairement du simple au composé, se trouve ici totalement renversée, quoi qu'en ait dit Lucrèce dans les vers suivants :

Et priùs est repertum in equi conscendere costas,

Et moderarier hunc fraeno, dextraque vigère,

Quambijugo curru belli tentare pericla. Lucr. l. V.

Ce poète avait raison de regarder l'art de conduire un char attelé de plusieurs chevaux, comme quelque chose de plus combiné, que celui de monter et conduire un seul cheval. Mais M. Freret soutient que cela est faux, et que la façon la plus simple et la plus aisée de faire usage des chevaux, celle par où l'on a dû commencer, a été de les attacher à des fardeaux, et de les leur faire tirer après eux : " Par-là, dit-il, la fougue du cheval le plus impétueux est arrêtée, ou du moins diminuée.... Le traineau a dû être la plus ancienne de toutes les voitures ; ce traineau ayant été posé ensuite sur des rouleaux, qui sont devenus des roues lorsqu'on les a attachées à cette machine, s'éleva peu-à-peu de terre, et a formé des chars anciens à deux ou à quatre roues. Quelle combinaison, quelle suite d'idées il faut supposer dans les premiers hommes qui se sont servis du cheval ? Cet animal a donc été très-longtemps inutîle à l'homme, s'il a fallu, avant qu'il le prit à son service, qu'il connut l'art de faire des liens, de façonner le bois, d'en construire des traineaux ? Mais pourquoi n'a-t-il pu mettre sur le dos du cheval les fardeaux qu'il ne pouvait porter lui-même ? Ne dirait-on pas que le cheval a la férocité du tigre et du lion, et qu'il est le plus difficîle des animaux, lui qu'on a Ve sans bride et sans mors obéir aveuglement à la voix du numide ". ? Mais pour combattre un raisonnement aussi extraordinaire que celui de M. Freret, il suffit d'en appeler à l'expérience connue des siècles passés et à nos usages

(b) Equos enim locupletiores alebant, cum vero in expeditionem eundum esset, veniebat is qui designatus erat, et equum et arma... qualiacumque accipiebat, atque ita militabat. Equis inde milites corporibus imbecilles, animisque languentes imponebant. Xénoph. hist. greq. lib. VI.

(c) L'état de faiblesse où se trouvait alors toute la Grèce en général était une suite de l'irruption des Doriens de Thessalie, sous la conduite des Héraclides : cet événement arrivé un siècle après la prise de Troie, jeta la Grèce dans un état de barbarie et d'ignorance à peu-près pareil, dit M. Freret, à celui où l'invasion des Normands jeta la France sur la fin du neuvième siècle. Cela est conforme à ce que rapporte Thucydide, liv. I. il fallut plusieurs siècles pour mettre les Grecs en état d'agir avec vigueur.

présents : on ne s'avise d'atteler les chevaux à des charrues, à des charrettes, etc. qu'après qu'ils ont été domptés, montés, et accoutumés avec l'homme ; une méthode contraire mettrait en danger la vie du conducteur et celle du cheval. Mais l'histoire dépose encore ici contre cet académicien : par le petit nombre de chars que l'on compte dans les dénombrements qui paraissent les plus exacts des armées anciennes, et la grande quantité de cavalerie (d), il est aisé de juger que celle-ci a nécessairement précédé l'usage des chars. Ce n'est pas qu'on ne trouve souvent les chars en nombre égal, et même supérieur à celui des gens de cheval ; mais on a lieu de soupçonner qu'à cet égard il s'est glissé de la part des copistes des erreurs dans les nombres. On en est bien-tôt convaincu, quand on réfléchit sur l'impossibilité de mettre en bataille et de faire manœuvrer des vingt ou trente mille chars (e) : on observe d'ailleurs, que bien loin de trouver dans les temps mieux connus cette quantité extraordinaire de chars, chez les peuples mêmes qui en ont toujours fait le plus grand usage, on en compte à peine mille dans les plus formidables armées qu'ils aient mis sur pied. (f)

Pour terminer enfin cet article, je tire de M. Fréret même une preuve invincible que l'équittation a dû précéder dans la Grèce l'usage des chars.

Selon cet auteur, les chevaux étaient rares en ce pays : on n'y en avait jamais Ve de sauvages, ils avaient tous été amenés de dehors. Dans les anciens poètes on voit que les chevaux étaient extrêmement chers, et que tous ceux qui avaient quelque célébrité étaient regardés comme un présent de Neptune, ce qui dans leur langage figuré, signifie qu'ils avaient été amenés par mer des côtes de la Lybie et de l'Afrique.

Cela posé, est-il vraisemblable que quelqu'un ait transporté de ces pays des chevaux dans la Grèce, et qu'il n'ait pas enseigné à ceux qui les achetaient la manière la plus prompte, la plus utile, la plus générale de s'en servir ? Il est incontestable que l'équittation était connue en Afrique longtemps avant la guerre de Troie. Par quelle raison les marchands en vendant leurs chevaux fort cher aux Grecs, leur auraient-ils caché l'art de les monter ? ou pourquoi les Grecs se seraient-ils chargés de chevaux à un prix excessif, sans apprendre les différentes manières de les conduire, de les manier, et d'en faire usage ?

M. Freret devait, pour donner à son système un air de vérité, prouver avant toute autre chose que l'art de monter à cheval était ignoré dans tous les lieux d'où les Grecs ont pu tirer leurs premiers chevaux. Ne l'ayant pas fait, sa dissertation malgré toute l'érudition qu'elle renferme, ne pourra jamais établir son étrange paradoxe, et il demeurera pour constant que l'équittation a été pratiquée par les Grecs longtemps avant le siège de Troie. Cet article est de M. D'AUTHVILLE, commandant de bataillon.

EQUITATION, (Médecine) , equittatio, l'action d'aller à cheval ; elle est considérée comme un exercice qui fait partie de la Gymnastique, et qui peut être employé utilement pour la conservation de la santé, et pour son rétablissement.

Le mouvement du corps que procure l'équittation lorsqu'elle est modérée, peut être très-salutaire ; il cause de douces secousses dans les viscères de la poitrine et du bas-ventre ; il les applique et les presse sans effort les uns contre les autres ; il donne occasion à ce que l'on change d'air, et que l'on respire celui de la campagne ; il fait que ce fluide pénètre avec plus de force dans la poitrine ; il dispose à l'excrétion des matières fécales.

Il résulte de tous ces effets combinés des changements si avantageux, dans les cas où l'équittation est faite à-propos, qu'ils sont presqu'incroyables. Elle convient en général aux personnes d'un tempérament faible, délicat, dans les maladies qui produisent de grandes diminutions de force : on doit observer qu'elle ne doit pas avoir lieu pendant que l'estomac est plein d'aliments, mais avant les repas, ou lorsque la digestion est presque faite, attendu que les secousses que donne le cheval, ne pourraient que causer des tiraillements douloureux à ce viscère par le poids des matières contenues.

L'expérience avait appris à Sydenham à faire tant de cas de l'équittation, qu'il la croyait propre à guérir, sans autre secours, non-seulement de petites infirmités, mais encore des maladies désespérées, telles que la consomption, la phtisie même accompagnée de sueurs nocturnes et de diarrhée colliquative ; et il témoigne dans sa dissertation épistolaire, n'être pas moins assuré de l'efficacité de ce secours dans cette dernière maladie, que de celle du mercure dans la curation de la vérole, et de celle du kinquina contre les fièvres intermittentes : il avertit en même temps qu'il ne faut pas que ceux qui mettent en usage l'équittation, se fatiguent tout-d'un-coup par une course trop précipitée ; mais qu'ils doivent faire cet exercice, d'abord fort doucement et pendant un petit espace de temps, ensuite en augmenter peu-à-peu le mouvement et la durée. Il rapporte un grand nombre d'exemples de très-belles cures qu'il a faites par ce moyen. Voyez la dissertation citée ci-dessus, parmi les œuvres de cet auteur. Voyez GYMNASTIQUE. (d)