(Géographie ancienne et moderne) en latin Narbo ; ville de France dans le bas Languedoc, avec un archevêché dont celui qui en est revêtu, se dit primat, et préside aux états de Languedoc. Narbonne est à 12 lieues N. E. de Perpignan, 17 S. O. de Montpellier, 45 S. O. de Toulouse, et 160 S. E. de Paris. Long. selon Cassini, 20. 32. 30. lat. 43. 11.

Mais cette ville mérite que nous entrions dans de plus grands détails. Elle est située sur un canal tiré de la rivière d'Aude, qu'on appelle en latin Atax : elle est à 2 lieues de la mer près du lac nommé par Pline et par Méla Rubresus ou Rubrensis, et en français l'étang de la Rubine. Il formait autrefois un port dans lequel les vaisseaux abordaient, ce qui procurait aux états de Narbonne le moyen de faire un grand commerce dans toutes les provinces qui sont sur la mer Méditerranée jusqu'en Egypte ; mais il y a longtemps que ce port a été bouché, la mer s'étant retirée de ses côtes où les navires ne peuvent plus aborder à cause des bas-fonds.

Narbonne a donné son nom à la province ou Gaule-narbonnaise dont elle était la capitale, et à cette partie de la mer Méditerranée qui mouillait les côtes de la province narbonnaise, et que Strabon appelle mare Narbonense. Cette ville était la plus ancienne colonie des Romains dans la Gaule-transalpine. Elle fut fondée l'an de Rome 636, sous le consulat de Porcius et de Marcius, par l'orateur Licinius Crassus, qui avait été chargé de la conduite de la colonie.

Il donna à Narbonne, en latin Narbo, le surnom de martius et de decanorum colonia, à cause qu'il y établit des soldats vétérants de la dixième légion surnommée Martia. Narbonne fut pendant quelque temps un boulevard de l'empire romain contre les nations voisines qui n'étaient pas encore soumises ; c'est Ciceron qui nous l'apprend dans son oraison pour Fonteïus. Pomponius Mela qui vivait sous l'empereur Claude, parle de cette ville comme d'une colonie qui l'emportait sur les autres ; voici ses termes : sed ante stat omnes Atacinorum Decumanorumque colonia, unde olim his terris auxilium fuit, nunc et nomen et decus est Martius Narbo. On voit par-là que Narbonne s'appelait non-seulement decumanorum, mais Atacinorum colonia, à cause de la rivière Atax ou Aude, sur laquelle cette ville avait été bâtie. On nommait en conséquence ses habitants Attacini.

Narbonne après les premiers Césars, fut obligée de céder la primatie à Vienne sur le Rhône, à qui les Romains avaient donné de grandes prérogatives ; mais depuis Constantin, Narbonne fut reconnue la métropole de tout le pays qui est entre le Rhône et la Garonne.

Cette ville vint au pouvoir des Visigoths sur la fin du règne de Valentinien III. au milieu du Ve siècle, et ils l'ont conservée jusqu'à la mort de leur dernier roi Rodoric, tué en Espagne par les Sarrasins. Ces derniers conquérants ayant passé les Pyrénées l'an 721, ils établirent une colonie de mahométants à Narbonne, qui devint leur place d'armes au-deçà des Monts ; enfin ils en furent chassés par Charlemagne. Lors du déclin de la race de ce prince, les comtes de Toulouse et de Carcassone, et même plusieurs vicomtes, eurent part à la seigneurie de Narbonne et de son territoire ; mais l'archevêque y dominait principalement, ce qui dura jusqu'à la fin de l'onzième siècle. On sait la suite de l'histoire de Narbonne. Jeanne d'Albret apporta les droits du vicomté de Narbonne à Antoine de Bourbon, père d'Henri IV. roi de France, qui réunit à la couronne ses biens patrimoniaux.

Il y avait autrefois à Narbonne grand nombre de bâtiments antiques, un capitole, un cirque, un amphithéâtre, etc. mais tout cela a été ruiné, et on s'est servi des matériaux pour bâtir les fortifications de cette ville, qui était un boulevard de la France dans le temps que les Espagnols occupaient Perpignan. Cependant Narbonne a encore conservé un plus grand nombre d'inscriptions antiques qu'aucune ville des Gaules, et on y en déterre de temps à autre ; mais il n'y reste pas la moindre trace de ses anciens monuments.

Cette ville est située dans un fonds environné de montagnes qui la rendent des plus bourbeuses pour peu qu'il y pleuve. Bachaumont et Chapelle l'éprouvèrent sans doute, lorsqu'ils apostrophèrent ainsi cette ville dans un moment de mauvaise humeur.

Digne objet de notre courroux,

Vieille ville toute de fange,

Qui n'es que ruisseaux et qu'égouts,

Pourrais tu prétendre de nous

Le moindre vers à ta louange ?

L'archevêché de Narbonne est considérable par son ancienneté, et c'était autrefois le seul qu'il y eut dans le Languedoc ; par sa primatie ; par son droit de présider aux états de la province ; et par son revenu qui est d'environ quatre-vingt-dix mille livres. Il a dix suffragans, et son diocese n'est cependant composé que de cent quarante paroisses. On y compte quatre abbayes d'hommes et deux de filles.

Le Fabius qu'Horace, dans sa I. satyre, liv. I. marque au coin des grands parleurs, était de Narbonne, et avait composé des livres sur la philosophie stoïcienne dont il faisait profession. Le poète qui était épicurien, trouvait apparemment plus de babil que de solidité dans ses discours.

Montanus de Narbonne, vivait dans les commencements de la chute de l'éloquence romaine ; c'était un génie rare, mais peu exact. Ses plaidoyers coulaient de la même source que ses déclamations ; il gâtait ses pensées en les tournant de trop de manières. Enfin ses fleurs étaient si fort entassées qu'elles fatiguaient l'admiration ; Tibere cependant craignit son éloquence, et le rélegua aux îles Baléares.

Carus (M. Aurelius) élu empereur en 282, était natif de Narbonne. Il est connu par des victoires sur les Sarmates et les Perses, et pour être mort d'un coup de foudre dont il fut frappé à Ctésiphonte après seize mois de règne.

Les temps modernes n'offrent à ma mémoire ni orateurs, ni gens de lettres illustres, natifs de Narbonne. Il faut pourtant en excepter Bosquet (Français) évêque de Montpellier, mort en 1676, et un des plus savants prélats de France au xvij siècle. Nous avons de lui l'abrégé de la jurisprudence de Psellus, qu'il traduisit du grec en latin avec des notes : Pselli synopsis legum, Paris 1632, in-8 °. Nous avons encore du même auteur, l'histoire de l'église gallicane depuis Constantin, avec ce titre : Ecclésiastesiae gallicanae historiarum liber primus, apud Joann. Camusat, 1633 in-8 °. C'est la première édition ; la seconde est chez le même libraire, en 1636 in-4 °. Un passage que M. Bosquet retrancha de cette seconde édition, en la faisant réimprimer, montre que s'il menageait les abus, il ne les ignorait pas. Il montre, dis-je, que cet homme illustre demeurait d'accord, que le faux zèle des moines était la première cause des traditions fabuleuses, qui ont couvert d'obscurité l'origine de l'église gallicane. Voici les propres paroles du savant prelat : elles méritent de se trouver en plus d'un livre.

Primos, si verum amamus, hujusmodi zelatos monachos in Galliis habuimus. Illi simplici ac fervidâ, adeoque minus cautâ, et saepe inconsultâ religione per culsi, ad illiciendas hominum mentes, et augustiori sanctorum nomine, ad eorum cultum revocandas ; illustres eorum titulos primùm sibi, deinde crudelae plebi persuasos, proposuerunt. Ex horum officinâ, Martialis Lemovicensis apostolatus, Ursini Bituricensis discipulatus, Dionysii Parisiensis areopagitica, Pauli Narbonensis proconsularis dignitas, amborum apostoli Pauli magisterium, et in aliis ecclesiis similia prodière. Quibus quidem sano judicio et constanti animo, Galli primùm episcopi restitère. Ast ubi ecclesiae gallicanae parentibus sanctissimis, fidei praeconibus, detractis his spoliis, injuriam fieri mentibus ingenuis et probis persuasum est, paulatim error communi consensu consurgère, et tandem antiquittate suâ, contra veritatem praescribere.

Je ne sais, dit un habîle critique, si ce fut par une politique bien entendue que l'on supprima ces belles paroles dans la seconde édition. Ce retranchement ne fait-il pas voir à tout le monde, le servîle ménagement qu'on a pour l'erreur, et la délicatesse excessive, ou plutôt la sensibilité scandaleuse, de ceux qui ont intérêt à maintenir le mensonge ? Après tout, un tel moyen n'est propre qu'à attirer l'attention de tout le monde sur ces paroles. Tel qui les aurait lues sans beaucoup de réflexion, apprend à les regarder comme quelque chose de la dernière importance. Enfin, on peut dire de ce passage, ce qu'un historien de Rome a dit de Brutus et de Cassius, dont les images ne parurent point dans une pompe funèbre : sed praefulgebant Cassius atque Brutus, eo ipso quod effigies eorum non videbantur. Par cela même, qu'on a tâché d'éclipser le passage dont nous parlons, on lui a donné un éclat brillant et durable. (D.J.)

NARBONNE, GOLFE DE, (Géographie) en latin Narbonense mare ; c'est une partie du golfe de Lion : il commence au port ou cap de Canfranqui, et finit au cap de Cette.

NARBONNE, CANAL DE, (Architecture marit.) après qu'on eut fait dans le dernier siècle le grand canal de Languedoc, on trouva praticable l'exécution de celui de Narbonne ; et dès l'an 1684 la ville de Narbonne obtint la permission de travailler à une communication avec le grand canal. L'ouvrage fut même conduit aux deux tiers ; mais les fonds manquèrent, et les malheurs de la guerre qui survint, firent suspendre l'entreprise. La postérité ne croira pas qu'un corps aussi respectable que les états de Languedoc, se soit opposé à un ouvrage intéressant, et d'autant plus nécessaire, que la communication des deux mers se trouve souvent interrompue sur le grand canal. Si le Languedoc ne connait pas ses vrais intérêts, ou s'il veut les dissimuler, il parait injuste qu'une nation entière soit la victime de ses fautes. Celle-ci est de nature à faire penser qu'elle est le fruit d'une surprise, plutôt que d'un conseil dicté par de petits intérêts particuliers : ce n'est pas que le canal de Narbonne suffise seul pour faire jouir la France de tous les avantages que lui offre la communication des deux mers ; la durée du grand canal, la facilité de la navigation et l'économie du commerce, gagneront préalablement beaucoup, lorsque le roi rentrera dans cette aliénation de son domaine, ou qu'il la transportera aux états de la province qui y a contribué pour près de moitié. L'achat de la juridiction du canal, est la seule propriété des cessionnaires dans cet ouvrage, et n'est pas un remboursement onéreux. En attendant, il est clair que si le canal de Narbonne n'est pas utîle au commerce, les entrepreneurs seuls y perdront ; et l'état aura toujours une ville commerçante de plus : s'il est utile, il doit s'achever. L'heureuse constitution des provinces d'états, les rend responsables de tout le bien qui peut exister dans leur intérieur. Recher. sur les finances, tom. I. (D.J.)