S. f. (Antiquité grecque et romaine) execratio, devotio, deprecatio, obsecratio, c'est-à-dire malédiction. Ce terme dans l'acception commune, désigne proprement des vœux formés par la colere ou par la haine.

On appelle de ce mot les expressions emportées, que le désir de la vengeance nous arrache, lorsque nous sentant trop faibles pour nuire par nous-mêmes à ce que nous haïssons, nous osons réclamer le secours de la divinité, et l'inviter à épouser nos ressentiments.

Mais il s'agit ici de ces imprécations singulières des anciens, que leur religion et la croyance des peuples autorisent. Ce sujet vraiment curieux pour un littérateur philosophe, a fait la matière de plusieurs savants mémoires insérés dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres : il en faut détacher les généralités les plus importantes et les plus assortissantes au plan de cet Ouvrage.

Commençons par distinguer les imprécations des anciens, en imprécations publiques, en imprécations des particuliers, et en imprécations contre soi-même, lorsqu'on se dévouait pour la patrie ; mais nous ne dirons rien de ces dernières, parce que nous en avons déjà traité à l'article DEVOUEMENT, (Histoire et Littér.)

J'entends par imprécations publiques, celles que l'autorité publique ordonnait en certains cas chez les Grecs, chez les Romains, et chez quelques autres peuples.

Les citoyens impies, mais surtout les oppresseurs de la liberté et les ennemis de l'état, furent l'objet le plus ordinaire de ces sortes d'imprécations. Alcibiade en subit la peine, pour avoir mutilé les statues de Mercure, et pour avoir profané les sacrés mystères de Cérès.

Dès que les Athéniens eurent secoué le joug des Pisistratides, un decret du sénat ordonna des imprécations contre Pisistrate et ses descendants. Un pareil decret en ordonna de plus fortes encore contre Philippe, roi de Macédoine. Tite-Live nous en a conservé la teneur que voici.

Le peuple, dit-il, obtint du sénat un decret, qui portait que les statues qu'on avait élevées à ce prince, seraient renversées ; que tous ses portraits seraient déchirés ; que son nom et ceux de ses ancêtres de l'un et de l'autre sexe, seraient effacés ; que les fêtes établies en son honneur seraient réputées profanes, et les jours où on les célebrait, des jours malheureux ; que les lieux où l'on avait placé quelque monument à sa gloire, seraient déclarés des lieux exécrables ; enfin, que les prêtres dans toutes leurs prières publiques pour les Athéniens et pour leurs alliés, seraient obligés de joindre des malédictions contre la personne et la famille de Philippe. On inséra depuis dans le decret, que tout ce qui pourrait être imaginé pour flétrir le nom du roi de Macédoine, serait avoué et adopté par le peuple d'Athènes ; et que si quelqu'un osait s'y opposer, il serait regardé pour ennemi de l'état.

Eschine nous apprend que les Amphictions s'obligèrent par une amère imprécation, non-seulement à ne jamais cultiver, mais même à ne jamais permettre qu'on cultivât les terres des Cyrrhéens et des Acragallides, qui avaient prophané le temple de Delphes, et s'étaient gorgés du butin des offrandes dont l'avait enrichi la piété des peuples : voici les propres termes de l'imprécation, ils sont bien curieux.

" Si quelqu'un, soit particulier, soit ville, soit nation entière, viole cet engagement, qu'on les déteste comme criminels de lesse-majesté divine envers Apollon, Latone, Diane et Minerve ; que leurs terres ne donnent point de fruits ; que leurs femmes n'enfantent pas des hommes, mais des monstres ; que leurs troupeaux ne produisent que des masses contraires à l'ordre de la nature ; que sans-cesse de tels gens succombent dans toute expéditions de guerre, dans tout jugement de tribunal, dans toute délibération de peuple ; qu'eux, leur famille et leur race, périssent par une extermination totale ; qu'enfin aucune victime de leur part ne trouve grâce devant les quatre divinités offensées, et qu'à jamais elles rejettent de semblables sacrifices.

Comme toutes les imprécations avaient pour but d'attirer la colere des dieux sur la tête de celui contre qui on les prononçait, les divinités, qui dans la Mythologie présidaient à la vengeance, entre lesquelles les Furies tenaient le premier rang, étaient celles qu'on invoquait le plus généralement dans les imprécations.

Les vœux qu'on leur adressait sont appelés indistinctement, execrationes, execrationum carmen, dirae, deprecationes, devotiones, vota feralia, termes qui marquent qu'on ne les invoquait que pour en obtenir quelque chose de funeste ; afin de répandre une sorte d'horreur sur les sacrifices qui faisaient partie de la cérémonie, on les offrait ces sacrifices, non sur des autels élevés, mais dans des fosses profondes que l'on creusait exprès.

Le premier but de ces prières vengeresses était de mettre les divinités infernales en possession du coupable, qu'on leur abandonnait ; c'est ce qu'on entendait par les deux mots devovère diris. Ceux qui avaient été ainsi dévoués étaient regardés comme des ennemis publics, et comme des hommes exécrables. Bannis de la société, ils n'avaient plus de part aux aspersions qui se faisaient avec les tisons sacrés trempés dans le sang des victimes. Ils n'avaient plus la liberté d'offrir des libations dans les temples, ni d'assister aux assemblées du peuple. Chassés de leur patrie, ils n'y étaient pas même reçus après leur mort : on ne voulait pas que leurs vêtements fussent confondus avec ceux des citoyens, ni que la terre natale qu'ils avaient déshonorée, servit à les couvrir ; à moins que sur des preuves bien authentiques de leur innocence, ils ne fussent réhabilités. La réhabilitation se faisait en immolant quelques victimes à l'honneur des mêmes dieux, dont on avait imploré l'assistance par les imprécations.

Mais les meurtriers, les assassins, les parricides ne pouvaient jamais se flatter de cet avantage. C'est ainsi que le déclare Oedipe dans Sophocle, lorsqu'il prononce ces violentes imprécations contre le meurtrier de Laïus. " Je défends, dit-il, qu'en aucun lieu de mes états, ce malheureux soit reçu dans les sacrifices et dans les compagnies : je défends qu'on ait rien de commun avec lui, pas même la participation de l'eau lustrale ; et j'ordonne qu'on le bannisse comme un monstre, de toutes les maisons où il se retirerait. Puisse le criminel éprouver l'effet des malédictions dont je l'accable aujourd'hui. Qu'il traine une vie misérable, sans feu, sans lieu, sans secours, et sans espoir d'être jamais réhabilité.

Les imprécations furent originairement établies par le concours de la religion et de la politique, pour exclure de la société et de la participation aux avantages qui y sont attachés, ceux qui seraient capables d'en détruire l'ordre et l'administration. On regarda les imprécations comme une suite naturelle du droit commun dont jouit tout gouvernement, de pouvoir retrancher de son sein, les membres qui le bouleversent et les sujets rebelles.

Je n'examinerai point si l'usage qu'on en a fait dans l'antiquité en divers temps et en plusieurs pays, n'a pas quelquefois dégénéré en abus ; et si la passion se couvrant du voîle de la religion et du bien public, ne les a pas quelquefois injustement appliquées ; je sais qu'on les employait très-rarement et seulement dans des cas extrêmes. Cependant on ne saurait nier que les formules n'en fussent blâmables, et qu'en même temps elles étaient accompagnées de cérémonies infamantes, qu'il fallait retrancher. Mais les abus des excommunications qui ont succédé aux imprécations des Payens, sont bien autrement condamnables. Il n'y en a que trop d'exemples dans les derniers siècles. " Dieu, dit M. l'abbé de Fleury, a permis les suites affreuses des fausses idées qu'on a eu si longtemps sur l'excommunication pour nous en désabuser à jamais, du-moins par l'expérience ". Voyez EXCOMMUNICATION.

On peut même ajouter, à la décharge des imprécations des anciens, qu'elles n'étaient pas toujours mêlées de formalités odieuses, et qu'elles variaient suivant la nature du crime qui y donnait lieu, et suivant les idées que les peuples en avaient. Lorsque les Crétais, chez qui la dépravation des mœurs était regardée comme la source de tous les désordres, chassaient de leur île un citoyen corrompu ; ils ne fermaient contre lui d'autre vœu, sinon qu'il fût obligé de passer sa vie hors de sa patrie, dans la compagnie de gens qui lui ressemblassent ; imprécation bien digne d'un peuple qui avait eu Minos pour législateur.

L'usage des imprécations passa des Grecs chez les Romains ; elles s'étaient glissées à Rome, dès la naissance de la république ; et elles y subsistèrent dans les temps postérieurs. Valerius Publicola, autorisé par le peuple, dévoua aux dieux infernaux la vie et les biens de quiconque oserait aspirer à la royauté. Crassus, ce Romain si fameux par ses richesses, ayant formé le dessein d'aller conquérir le pays des Parthes, surmonta par la faveur de Pompée, l'opposition que les pontifes mettaient à cette entreprise ; mais le tribun Atéius s'étant fait apporter dans l'endroit par où Crassus devait passer, un réchaud plein de feu, y jeta quelques parfums, fit des aspersions, et prononça une formule conçue en termes si effrayans, qu'on la nomma carmen desperatum.

Telles étaient la plupart des imprécations particulières ; je les définis, des prières qu'on adresse à un être suprême, pour l'engager à se porter vangeur des injures, dont sa protection n'a pas garanti, et dont on est hors d'état de se vanger.

Rien n'est plus naturel à la faiblesse accablée, que d'implorer l'assistance d'un pouvoir supérieur à ceux qui l'oppriment. Les hommes dans tous les temps ont adressé leurs vœux aux dieux protecteurs de l'humanité. L'idée de tirer vengeance des maux qu'on a soufferts par la malice ou la violence des autres, est une idée pleine de douceur et de consolation. Les malheureux ne désirent guère moins la vengeance de leurs calamités, que la protection des dieux, pour la conservation de leurs repos. Ils se sont toujours adressés à la justice divine, pour la punition des offenses dont ils ne peuvent se flatter d'obtenir la satisfaction d'une autre manière. Les vœux commencent où l'espoir vient à cesser.

Il est beaucoup parlé dans l'antiquité des imprécations célèbres, dont l'effet a rempli également de terreur et de pitié, les théâtres de la Grèce, et quelquefois les nôtres. Il est vrai que c'est par le canal des poètes que la connaissance de ces imprécations est parvenue jusqu'à nous ; mais il n'est pas moins vrai que les poètes sont les historiens des temps les plus éloignés, et les témoins d'une vieille tradition, dont le souvenir quand ils écrivaient, n'était pas encore effacé de la mémoire des hommes.

Or de toutes les imprécations, dont les écrits des poètes sont remplis, les plus remarquables ont été celles que les pères irrités ont faites contre leurs enfants.

Il faut d'abord observer que soit qu'elles eussent leur fondement légitime dans quelque grand outrage, soit qu'elles ne fussent que le produit d'un esprit troublé par des soupçons injustes, l'événement n'en était pas moins funeste à ceux qui en étaient frappés.

Pour découvrir la cause de cette opinion reçue chez les anciens, il faut remonter aux temps du monde, qui ont précédé l'établissement des états. Alors un père de famille, maître absolu de la destinée de ses enfants, ne voyait rien au-dessus de lui que les dieux. Il en était en quelque sorte l'image vivante ; et comme les pères par leur sagesse, s'attiraient de leurs enfants l'admiration, et le respect qui en est inséparable, de même par leur tendresse et par leurs soins, ils en avaient le cœur et l'attachement. Les enfants ne voyaient donc après les dieux, rien qui fût si bon ni si grand, que les auteurs de leur naissance ; aussi de toute ancienneté, le respect dû aux pères par leurs enfants marche à côté du culte des dieux.

Les Furies, nées selon Hésiode du sang d'un père outragé par son fils, de Célus mutilé par Saturne, étaient les ministres infatigables des vengeances paternelles. C'était à elles que les pères dans l'excès de leur colere adressaient les imprécations contre leur propre sang ; et s'ils appelaient quelque autre divinité à leur vengeance, les Furies étaient toujours prêtes à se joindre à elles, pour exécuter leurs ordres. Althée, dit Homère, frappait à genoux la terre avec les mains, lorsqu'elle proférait son imprécation contre son fils Méléagre, et demandait aux dieux des enfers et à Proserpine la mort de ce fils infortuné, la Furie qui erre dans les ténèbres, entendit du fond du Tartare sa funeste prière.

L'effet même des imprécations paternelles sur des enfants innocens ne se révoquait point en doute, parce que le père était regardé comme le souverain seigneur de sa famille. La politique fortifia dans l'esprit des hommes une opinion d'où dépendait le repos de l'ordre public.

Entre les imprécations prononcées par un père avec justice, personne ne peut oublier celle d'Oedipe contre Etéocle et Polinice, qui leur fut si fatale. C'est le principal point de vue des Phéniciennes d'Euripide, et de la tragédie d'Eschyle intitulée les sept devant Thebes.

On ne se ressouvient pas moins des imprécations de Thésée, qui toutes injustes qu'elles étaient, donnèrent la mort à Hyppolite son fils vertueux, et à lui une douleur mortelle. C'est encore le sujet de la tragédie d'Euripide, qui a pour titre Hyppolite.

L'histoire moderne rapporte que le malheureux Henri IV. empereur d'Allemagne, trompé par son indigne fils, qui le dépouilla de sa couronne, s'écriait en mourant, " Dieu des vengeances, vous vengerez ce parricide ". Ainsi de tout temps, les hommes ont imaginé que Dieu exauçait les imprécations des mourants, et surtout celles des pères. Erreur utîle et respectable, dit M. de Voltaire, si elle pouvait arrêter le crime !

En général, les Romains croyaient que les imprécations avaient une telle force, qu'aucun de ceux contre qui elles avaient été faites n'en pouvait éviter l'effet. C'est en profitant de cette opinion superstitieuse, qu'Horace dans une ode satyrique contre la magicienne Canidie, lui dit " vos maléfices ne changeront point le cours de la justice des dieux ; mais mes imprécations vont attirer sur vous la colere du ciel, et nul sacrifice n'en pourra détourner l'accomplissement. "

Dira detestatio

Nullâ expiatur victimâ. Ode V. lib. V.

Je ne dois pas oublier de remarquer que les anciens, à la prise et à la destruction des villes, qui leur avaient couté beaucoup de sang, prononcèrent quelquefois des imprécations contre quiconque oserait les rétablir.

Quelques-uns craient que ce fut-là la principale raison, pour laquelle Troie ne put jamais se relever de ses cendres, les Grecs l'ayant dévouée à une chute éternelle et irréparable.

Ces imprécations contre des villes entières saccagées et renversées, passèrent chez les Juifs, qui les goutèrent avec avidité, et les employèrent impitoyablement. Ainsi nous lisons que Josué à la destruction de Jéricho, fit de fatales imprécations contre quiconque oserait la rebâtir ; ce qui fut accompli au bout d'environ 537 ans dans la personne d'Hiel de Béthel ; et s'il est parlé dans ce long espace de temps d'une ville de Jéricho, cette ville n'avait point été bâtie sur les fondements de l'ancienne, mais dans son voisinage. Ce ne fut qu'après la mort d'Hiel, qu'on vint demeurer dans la première qu'il avait réparée.

Mais tous les peuples s'accordèrent à lancer des imprécations contre les violateurs des sépulchres, qui par-tout étaient des lieux réputés sacrés. On chargeait les tombeaux de diverses formules terribles : que le violateur meure le dernier de sa race, qu'il s'attire l'indignation des dieux, qu'il soit privé de la sépulture, qu'il soit précipité dans le Tartare, qu'il voie les ossements des siens déterrés et dispersés, que les mystères d'Isis troublent à jamais son repos, que ses descendants soient réduits au même état qu'il éprouve. Deos iratos habeat....ossa suorum eruta atque dispersa videat, si quis de eo sepulchro violarit, &c.

Enfin, les imprécations furent en usage chez les Gaulois, mais il n'appartenait qu'aux druides de les prononcer, et la désobéissance à leurs décisions était au rapport de César, de bello Gallico, lib. VI. p. 220, edit. variorum, le cas le plus ordinaire où ils les employassent. On en peut croire César sur sa parole, il avait Ve ce qu'il avançait, et s'il ne l'avait pas vu, on pourrait l'en croire encore. (D.J.)

IMPRECATIONS, s. f. pl. (Littérature) dirae ; ce sont les déesses impitoyables que l'on nommait Furies sur la terre ; Euménides aux enfers, et imprécations dans le ciel, dit Servius sur le quatrième livre de l'Enéïde.

Quelques uns craient que leur nom latin dirae vient du grec , qui signifie terribles.

Incinctae igni

Incedunt cum ardentibus taedis.

On les invoquait toujours dans toutes les prières qu'on faisait contre ses ennemis, ou contre les scélerats.

Ces prétendues déesses vengeresses avaient outre leurs temples et leurs bois sacrés, des libations qui leur étaient propres, et dans lesquelles on n'employait que l'eau et le miel, sans aucun mélange de vin. On ne parlait qu'avec une horreur religieuse de ces divinités infernales et célestes. On évitait de prononcer leurs deux noms d'imprécations et de Furies, et l'on leur substituait celui d'Euménides, qui n'offrait rien d'affreux. Voyez EUMENIDES.

Enfin, comme on tremble toujours à l'aspect de la main qui Ve nous frapper, aussi n'y avait-il rien qui portât avec soi plus d'épouvante que le caractère des Furies, dont Héraclite disait qu'elles arrêteraient le soleil même, s'il voulait se détourner de sa route ; mais il ne s'agit pas ici de s'étendre davantage, le lecteur peut consulter leur article, où l'on est entré dans de grands détails. (D.J.)

IMPRECATION, (Littérature) figure de rhétorique par laquelle l'orateur souhaite des malheurs à ceux à qui il parle. Elle est quelquefois dictée par l'horreur pour le crime et pour les scélérats, comme celle-ci du grand-prêtre Joad dans l'Athalie de Racine.

Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle

Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,

De la chute des rais, funeste avant-coureur.

Quelquefois elle est l'effet de l'indignation, mais le plus souvent celui de la colere et de la fureur. Ainsi dans Rodogune Cléopatre expirante, souhaite à son fils Antiochus et à cette princesse tous les malheurs réunis.

Puisse le ciel, tous deux vous prenant pour victimes,

Laisser tomber sur vous la peine de mes crimes.

Puissiez-vous ne trouver dedans votre union,

Qu'horreur, que jalousie, et que confusion ;

Et pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,

Puisse naître de vous un fils qui me ressemble.