S. f. (Grammaire, Etymologie), ce mot est grec, , comme pour dire , nominis creatio, création, formation ou génération du mot. " Cette figure n'est point un trope, dit M. du Marsais, puisque le mot se prend dans le sens propre ; mais j'ai cru qu'il n'était pas inutîle de le remarquer ici ", dans son livre des tropes, part. II. art. xix. Il me semble au contraire qu'il était très-inutîle au-moins de remarquer, en parlant des tropes, une chose que l'on avoue n'être pas un trope ; et ce savant grammairien devait d'autant moins se permettre cette licence, qu'il regardait cet ouvrage comme partie d'un traité complet de Grammaire, où il aurait trouvé la vraie place de l'onomatopée. J'ajoute que je ne la regarde pas même comme une figure ; c'est simplement le nom de l'une des causes de la génération matérielle des mots expressifs des objets sensibles, et cette cause est l'imitation plus ou moins exacte de ce qui constitue la nature des êtres nommés.

C'est une vérité de fait assez connue, que par sa nature l'homme est porté à l'imitation ; et ce n'est même qu'en vertu de cette heureuse disposition que la tradition des usages nationaux des langues se conserve et passe de générations en générations. Si l'on a donc à imposer un nom à un objet nouvellement découvert, et que cet objet agisse sur le sens de l'ouïe d'une manière qui puisse le distinguer des autres ; comme l'ouïe a un rapport immédiat avec l'organe de la voix, l'homme sans réflexion, sans comparaison explicite donne naturellement à cet objet sensible un nom dont les éléments concourent de façon qu'ils répètent à-peu-près le bruit que fait l'objet lui-même. Voilà ce que c'est que l'onomatopée ; et c'est, comme on le voit avec raison, que Wachter, dans son Glossaire germanique, praef. ad Germ. §. VII. l'appelle vox repercussa naturae, l'écho de la nature.

Cette source de mots est naturelle ; et la preuve en est que les enfants se portent généralement et d'eux-mêmes à désigner les choses bruyantes par l'imitation du bruit qu'elles font : ajoutez que la plupart de ces choses ont des noms radicalement semblables dans les langues les plus éloignées les unes des autres, soit par les temps, soit par les lieux ou par le génie caractéristique.

C'est surtout dans le genre animal que l'on en rencontre le plus. Ainsi les Grecs appellent le cri naturel des brebis , les Latins balare, les Allemands bleken, les François bêler, et l'on retrouve par-tout l'articulation qui caractérise ce cri qui est bê. Pareillement on a imaginé les mots analogues et semblables , ululare, heulen, hurler ; , crocire, croasser ; , mugire, mugir ou meugler, etc.

Le coucou est un oiseau connu qui prononce exactement ce nom même ; et les Grecs l'appelaient , les Latins cuculus, qu'ils prononçaient coucoulous ; les Allemands le nomment guguk, en prononçant gougouk ; c'est la nature par-tout.

Upupa ou bubo en latin, en grec, buho en espagnol, puhacz en polonais, owle en anglais, uhu en allemand, hibou en français, sont autant de mots tirés évidemment du cri lugubre de cet oiseau nocturne qui, comme le dit Pline, lib. X. cap. XIIe est moins un chant qu'un gémissement, nec cantu aliquo vocalis, sed gemitu.

L'onomatopée ne s'est pas renfermée seulement dans le règne animal. Tintement, tinnitus, tintinnabulum sont des mots dont le radical commun tin imite exactement le son clair, aigu et durable, que l'on entend diminuer progressivement quand on a frappé quelque vase de métal.

Le glouglou d'une bouteille, le cliquetis des armes, les éclats du tonnerre sont autant de mots imitatifs des différents bruits qu'ils expriment.

Le trictrac est ainsi nommé du bruit que font alternativement les joueurs avec les dez, ou de celui qu'ils font en abattant deux dames, comme ils le peuvent à chaque coup de dez ; autrefois on disait tictac.

L'imitation qui sert de guide à l'onomatopée se fait encore remarquer d'une autre manière dans la génération de plusieurs mots ; c'est en proportionnant, pour ainsi dire, les éléments du mot à la nature de l'idée que l'on veut exprimer. Pour faire entendre ma pensée, rappelons-nous ici la division simple et naturelle des éléments de la voix en sons et articulations, ou, si l'on veut, en voyelles et consonnes.

Le son ou la voyelle n'exige, pour se faire entendre, que la simple ouverture de la bouche ; qu'elle soit disposée d'une manière ou d'une autre, cette disposition n'apporte aucun obstacle à l'émission du son, elle diversifie seulement le canal, afin de diversifier l'impression que l'air sonore doit faire sur l'organe de l'ouïe ; le moule change, mais le passage demeure libre, et la matière du son coule sans embarras, sans obstacle. Or voilà vraisemblablement l'origine du nom danois aa, qui signifie fleuve ; ce nom générique est devenu ensuite le nom propre de trois rivières dans les Pays-bas, de trois en Suisse, et de cinq en Westphalie : les voyelles coulent sans obstacle comme les fleuves.

Le temps coule de même ; et de là, par une raison pareille, l'adverbe grec , semper, toujours, perpétuellement ; l'allemand ie en est synonyme, et présente une image semblable.

L'interjection latine eia, semblable à la grecque , parait tenir à la même source, sus, allez sans vous arrêter, coulez comme un fleuve, &c.

Les articulations ou les consonnes sont labiales, linguales ou gutturales : les linguales sont dentales, sifflantes, liquides ou mouillées, voyez LETTRES ; et le mouvement de la langue est plus sensible ou vers sa pointe, ou vers son milieu qui s'éleve, ou vers la racine dans la région de la gorge. Ce ne peut-être que dans ce mécanisme et d'après la combinaison des effets qu'il peut produire, que l'on peut trouver l'explication de l'analogie que l'on remarque dans les langues entre plusieurs noms des choses que l'on peut classifier sous quelque aspect commun.

" Par exemple, dit M. le président des Brosses, pourquoi la fermeté et la fixité sont-elles le plus souvent désignées par le caractère st ? Pourquoi le caractère st est-il lui-même l'interjection dont on se sert pour faire rester quelqu'un dans un état d'immobilité " ?

, colonne ; , solide, immobîle ; , stérile, qui demeure constamment sans fruit ; , j'affermis, je soutiens ; voilà des exemples grecs : en voici de latins, stare, stips, stupere, stupidus, stamen, stagnum (eau dormante), stellae (étoiles fixes), strenuus, etc. en français, stable, état, (autrefois estat de status), estime, consistance, juste (injure stans), etc.

" Pourquoi le creux et l'excavation sont-ils marqués par sc ? , fouir, , esquif, scutum, scaturire, scabies, scyphus, sculpere, scrobs, scrutari ; écuelle (anciennement escuelle), scarifier, scabreux, sculpture ".

Ecrire (autrefois escrire) vient de scribere ; et l'on sait qu'anciennement on écrivait avec une sorte de poinçon qui gravait les lettres sur la cire, dont les tablettes étaient enduites, et les Grecs, par la même analogie, appelaient cet instrument .

" Leibnitz a si bien fait attention à ces singularités, qu'il les remarque comme des faits constants : il en donne plusieurs exemples dans sa langue. Mais quelle en pourrait être la cause ? Celle que j'entrevais me paraitra peut-être satisfaisante ; savoir que les dents étant la plus immobîle des parties organiques de la voix, la plus ferme des lettres dentales, le t a été machinalement employé pour désigner la fixité ; comme pour désigner le creux et la cavité, on emploie le k ou le c qui s'opère vers la gorge le plus creux et le plus cave des organes de la voix. Quant à la lettre s, qui se joint volontiers aux autres articulations, elle est ici, ainsi qu'elle est souvent ailleurs comme un augmentatif plus marqué, tendant à rendre la peinture plus forte ".

D'où lui vient cette propriété ? c'est que la nature de cette articulation consistant à intercepter le son sans arrêter entièrement l'air, elle opère une sorte de sifflement qui peut être continué et prendre une certaine durée. Ainsi, dans le cas où elle est suivie de t, il semble que le mouvement explosif du sifflement soit arrêté subitement par la nouvelle articulation, ce qui peint en effet la fixité ; et dans le cas où il s'agit de s c, le mouvement de sibilation parait désigner l'action qui tend à creuser et à pénétrer profondément, comme on le sent par l'articulation r, qui tient à la racine de la langue.

" N, la plus liquide de toutes les lettres, est la lettre caractéristique de ce qui agit sur le liquide : no, , navis, navigium, , nubes, nuage, etc.

De même fl, composé de l'articulation labiale et sifflante f et de la liquide l, est affecté au fluide, soit ignée, soit aquatique, soit aèrien, dont il peint assez bien le mouvement ; flamma, fluo, flatus, fluctus, etc. , flamme ; , veine où coule le sang ; , fleuve brulant d'enfer, etc. ou à ce qui peut tenir du liquide par sa mobilité ; fly en anglais, mouche et voler, flight, fuir, &c.

Leibnitz remarque que si l's y est jointe, sw est dissipare, dilatare ; sl, est dilabi vel labi cùm recessu : il en cite plusieurs exemples dans sa langue, auxquels on peut joindre en anglais slide, slink, slip, &c.

On peint la rudesse des choses extérieures par l'articulation r, la plus rude de toutes ; il n'en faut point d'autre preuve que les mots de cette espèce : rude, âpre, âcre, roc, rompre, racler, irriter, &c.

Si la rudesse est jointe à la cavité, on joint les deux caractéristiques, scabrosus. Si la rudesse est jointe à l'échappement, on a joint de même deux caractéristiques propres : frangère, briser, breche, phur ou phour, c'est-à-dire frangère. On voit par ces exemples que l'articulation labiale, qui peint toujours la mobilité, la peint rude par frangère, et douce par fluere....

La même inflexion r détermine le nom des choses qui vont d'un mouvement vite, accompagné d'une certaine force ; rapide, ravir, rouler, racler, rainure, raie, rota, rheda, ruere, etc. Aussi sert-elle souvent aux noms des rivières dont le cours est violent ; Rhin, Rhône, Heridanus, Garonne, Rha (le Volga), Araxes, &c.

Valor ejus, dit Heuselius en parlant de cette lettre, erit egressus rapidus et vehements, tremulants et strepidants ; hinc etiam affert affectum vehementem rapidumque. C'est la seule observation raisonnable qu'il y ait dans le système absurde que cet auteur s'est formé sur les propriétés chimériques qu'il attribue à chaque lettre.... ".

Toutes ces remarques, et mille autres que l'on pourrait faire et justifier par des exemples sans nombre, nous montrent bien que la nature agit primitivement sur le langage humain, indépendamment de tout ce que la réflexion, la convention ou le caprice y peuvent ensuite ajouter ; et nous pouvons établir comme un principe, qu'il y a de certains mouvements des organes appropriés à désigner une certaine classe de choses de même espèce ou de même qualité. Déterminés par différentes circonstances, les hommes envisagent les choses sous divers aspects : c'est le principe de la différence de leurs idiomes ; fenêtra exprimait chez les Latins le passage de la lumière ; ventana en Espagne désigne le passage des vents ; janella en langue portugaise, marque une petite porte ; croisée en français, indique une ouverture coupée par une croix. Partout c'est la même chose, envisagée ici par son principal usage, là par ses inconvéniens, ailleurs par une relation accidentelle, chez nous par sa forme. Mais la chose une fois vue, l'homme, sans convention, sans s'en apercevoir, forme machinalement ses mots les plus semblables qu'il peut aux objets signifiés. C'est à-peu-près la conclusion de M. le président des Brosses, qui continue ainsi :

" Publius Nigidius, ancien grammairien latin (il était contemporain de Ciceron), poussait peut-être ce système trop loin lorsqu'il voulait l'appliquer, par exemple, aux pronoms personnels, et qu'il remarquait que dans les mots ego et nos le mouvement organique se fait avec un retour intérieur sur soi-même, au lieu que dans les mots tu et vos l'inflexion se porte au-dehors vers la personne à qui on s'adresse ; mais il est du-moins certain qu'il rencontre juste dans la réflexion générale qui suit : Nomina verbaque non positu fortuito, sed quâdam Ve et ratione naturae facta esse P. Nigidius in grammaticis commentariis docet, rem sanè in philosophiae dissertationibus celebrem. Quaeri enim solitum apud Philosophos sint , naturâ nomina sint an impositione. In eam rem multa argumenta dicit, cur videri possint verba esse naturalia magis quàm arbitraria.... Nam sicuti cùm adnuimus et abnuimus, motus quidem ille vel capitis vel oculorum à naturâ rei quam significat non abhorret ; ita in vocibus quasi gestus quidam oris et spiritus naturalis est. Eadem ratio est in graecis quoque vocibus quam esse in nostris animadvertimus. A. Gell. lib. X. cap. IVe

Qu'on ne s'étonne donc pas de trouver des termes de figure et de signification semblables dans les langues de peuples fort différents les uns des autres, qui ne paraissent avoir jamais eu de communication ensemble ". Toutes les nations sont inspirées par le même maître, et d'ailleurs tous les idiomes descendent d'une même langue primitive, voyez LANGUE. C'est assez pour établir des radicaux communs à toutes les langues postérieures, mais ce n'est pas assez pour en conclure une liaison immédiate. Ces radicaux prouvent que les mêmes objets ont été vus sous les mêmes aspects, et nommés par des hommes semblablement organisés ; mais la même manière de construire est ce qui prouve l'affinité la plus immédiate, surtout quand elle se trouve réunie avec la similitude des mots radicaux.

(B. E. R. M.)