S. m. terme de Grammaire grecque. Le mot esprit, spiritus, signifie dans le sens propre un vent subtil, le vent de la respiration, un souffle. En termes de Grammaire grecque, on appelle esprit, un signe particulier destiné à marquer l'aspiration comme dans l'article , le, , la. On prononce ho, hé, comme dans hotte, héros, ce petit ` qu'on écrit sur la lettre, est appelé esprit rude.

L'esprit des Grecs répond parfaitement à notre H ; car comme nous avons une h aspirée que l'on fait sentir dans la prononciation, comme dans haine, héros, et que de plus nous avons une h qu'on écrit, mais qu'on appelle muette, parce qu'on ne la prononce point, comme dans l'homme, l'heure, de même en grec il y a esprit rude qu'on prononce toujours, et il y a esprit doux qu'on ne prononce jamais. Nous avons dit que l'esprit rude est marqué comme un petit ` qu'on écrit sur la lettre ; ajoutons que l'esprit doux est marqué par une petite virgule '; ainsi l'esprit rude est tourné de gauche à droite `, et le doux de droite à gauche '.

Que nos h soient aspirées ou qu'elles ne le soient pas, il n'y a aucun signe qui les distingue ; on écrit également par h le héros et l'héroïne, mais les Grecs distinguaient l'esprit rude de l'esprit doux : je trouve que les Italiens sont encore plus exacts, car ils ne prennent pas la peine d'écrire l'h qui ne marque aucune aspiration ; homme, uomo ; les hommes, uomini ; philosophe, filosofo ; rhétorique, rettorica ; on prononce les deux t.

L'esprit rude était marqué autrefois par h, eta, qui est le signe de la plus forte aspiration des Hébreux, comme l'h en latin et en français est la marque de l'aspiration. Ainsi ils écrivirent d'abord HEKATON, dit la Méthode de Port royal, et dans la suite ils ont écrit en marquant l'esprit sur l'e.

La même méthode observe, page 23, que les deux esprits sont des restes de h qui a été fendue en deux horizontalement, en sorte qu'une partie c a servi pour marquer l'esprit rude, et l'autre pour être le signe de l'esprit doux.

Le mécanisme des organes de la parole a souvent changé l'esprit rude, et même quelquefois le doux en s ou en Ve Ainsi de , dessus, on a fait super ; de , dessous, on a fait sub ; de , vinum ; de , vis ; de , sal ; de , septem ; de , sex ; de , semis ; de , serpo. (F)

ESPRIT, ments, s. f. (Métaphysique) un être pensant et intelligent. Voyez PENSEE, etc.

Les philosophes chrétiens reconnaissent généralement trois sortes d'esprits, Dieu, les anges, et l'esprit humain.

Car l'être pensant est ou fini ou infini : s'il est infini, c'est Dieu ; et s'il est fini, ou bien il n'est joint à aucun corps, ou bien il est joint à un corps : dans le premier cas c'est un ange, dans le second c'est une âme. Voyez DIEU, ANGE, E AME.

On définit avec raison l'esprit humain, une substance pensante et raisonnable. Comme pensante, elle est distinguée du corps, et comme raisonnable, ou plutôt raisonnante, elle est distinguée de Dieu et des anges, qu'on suppose voir les choses intuitivement, c'est-à-dire sans avoir besoin d'aucune déduction ou raisonnement. Voyez RAISONNEMENT et JUGEMENT.

ESPRIT signifie aussi un être incorporel. Dans ce sens on dit Dieu est un esprit, le démon est un esprit de ténèbres. Le père Malebranche remarque qu'il est extrêmement difficîle de concevoir ce qui pourrait faire la communication entre un corps et un esprit ; car, dit-il, si l'esprit n'a point de parties matérielles, il ne peut pas mouvoir le corps : mais cet argument est faux par les conséquences qui en résultent ; car nous croyons que Dieu peut mouvoir les corps, et cependant nous n'admettons en lui aucunes parties matérielles. Chambers. Voyez EVIDENCE.

ESPRIT, en Théologie. C'est le nom qu'on donne par distinction à la troisième personne de la sainte Trinité qu'on appelle l'Esprit, le Saint-Esprit. Voyez TRINITE, PERSONNE.

Les Macédoniens ont nié la divinité du Saint-Esprit, les Ariens ont soutenu qu'il n'était pas égal au père, et les Sociniens nient son existence. Mais l'Ecriture, la tradition et les décisions de l'Eglise établissent uniformément les trois dogmes contraires à ces erreurs.

Le Saint-Esprit procede du père et du fils comme d'un seul et même principe, ainsi que l'ont enseigné les pères, et qu'il a été défini au concîle général de Lyon sous Grégoire X contre les Grecs qui niaient que le Saint-Esprit procédât du fils ; et c'était un des prétextes de leur schisme sous Michel Cérularius ; cependant ils reconnurent ce dogme dans la réunion qui se fit au concîle de Florence.

Les Théologiens expliquent la manière avec laquelle le Saint-Esprit est produit de toute éternité par la spiration active du père et du fils. C'est de-là que lui vient le nom d'esprit, spiritus, quasi spiratus. Voyez SPIRATION.

Ils se servent aussi du mot esprit pour signifier la vertu et la puissance divine, et la manière dont elle se communique aux hommes. C'est en ce sens qu'il est dit, Genèse, chap. j. . 2, que l'esprit était répandu sur la surface de l'abîme, que les prophetes ont été inspirés par l'esprit de Dieu. C'est aussi dans ce sens qu'on dit que la providence divine est cet esprit universel par lequel Dieu fait agir toute la nature, et que le corps de Jesus-Christ a été formé dans le sein d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit.

On donne encore le nom d'esprit aux substances créées et immatérielles connues sous celui d'anges et de démons. Les premiers sont appelés esprits célestes, esprits bienheureux, on appelle les autres les esprits de ténèbres. (G)

ESPRIT PARTICULIER, spiritus privatus, terme célèbre dans les disputes de religion des deux derniers siècles. Il signifie le sentiment particulier et la notion que chacun a sur les dogmes de la foi et sur le sens des écritures, suivant ce qui lui est suggéré par ses propres pensées et par la persuasion dans laquelle il est par rapport à ces matières.

Les premiers réformateurs niant qu'il y eut aucun interprete infaillible des Ecritures, ni aucun juge des controverses, soutinrent que chacun pouvait interpreter et porter son jugement des vérités revélées, en suivant ses propres lumières assistées de la grâce de Dieu ; et c'est ce qu'ils appellent esprit ou jugement particulier. C'était lâcher la bride au fanatisme : aussi sans parler des variations innombrables que cette opinion a introduites parmi les prétendus-reformés, elle a donné naissance au Socinianisme et à plusieurs sectes également dangereuses auxquelles les reformés ont fourni des armes dont ils ne peuvent eux-mêmes parer les coups. En effet, de quelle autorité Calvin faisait-il bruler Servet à Geneve, si l'esprit particulier était le seul interprete des Ecritures ; qu'elle certitude avait-il de les entendre mieux que cet anti-trinitaire ? Voyez TOLERANCE.

Les Catholiques au contraire prétendent que les vérités revélées étant unes et les mêmes pour tous les fidèles, la règle que Dieu nous a donnée pour en juger doit nous les représenter d'une manière uniforme, ce qui ne se peut faire que par la voie d'autorité qui réside dans l'Eglise ; au lieu que l'esprit particulier sur le même point de doctrine inspire Luther d'une façon, et Calvin d'une autre. Il divise Oecolampade, Bucer, Osiandre, etc. et la doctrine qu'il découvre aux partisans de la confession d'Augsbourg, est diamétralement opposée à celle qu'il enseigne aux Anabaptistes, aux Mennonites, etc. sur le même passage de l'écriture. C'est un argument ad hominem auquel les protestants n'ont jamais répondu rien de solide. (G)

ESPRIT, (Saint -) ORDRE DU SAINT-ESPRIT, (Histoire moderne) est un ordre militaire établi en France sous le nom d'ordre et milice du Saint-Esprit, le 31 Décembre 1578, par Henri III. en mémoire de trois grands événements arrivés le jour de la Pentecôte et qui le touchaient personnellement ; savoir sa naissance, son élection à la couronne de Pologne, et son avancement à celle de France. L'ordre du Saint-Esprit doit n'être composé que de cent chevaliers, qui sont obligés pour y être admis de faire preuve de trois races.

Le roi est grand-maître de cet ordre, et prête en cette qualité serment le jour de son sacre, de maintenir toujours l'ordre du Saint-Esprit ; de ne point souffrir, autant qu'il sera en son pouvoir, qu'il tombe, ou diminue, ou qu'il reçoive la moindre altération dans aucun de ses principaux statuts.

Tous les chevaliers portaient autrefois une croix d'or au cou, pendant à un ruban de couleur bleu céleste : maintenant elle est attachée sur la hanche au bas d'un large cordon bleu en baudrier. Tous les officiers et commandeurs portent toujours la croix cousue sur le côté gauche de leurs manteaux, robes, et autres habillements de dessus.

Avant que de recevoir l'ordre du S. Esprit, ils reçoivent celui de S. Michel ; ce qui fait que leurs armes sont entourées de deux colliers ; l'un de S. Michel, composé d'SS et de coquilles entrelacées ; l'autre du S. Esprit, qui est formé de fleurs-de-lis d'or, d'où naissent des flammes et des bouillons de feu, et d'H H couronnées avec des festons et des trophées d'armes.

Parmi les chevaliers sont compris neuf prélats, qui sont cardinaux, archevêques, évêques, ou abbés, du nombre desquels est toujours le grand-aumônier, et ils sont nommés commandeurs de l'ordre du Saint-Esprit. Henri III. avait aussi projeté d'attribuer à chacun des chevaliers des commanderies ; mais son dessein n'ayant pas eu d'exécution, il assigna à chacun d'eux une pension de mille écus d'or, réduite depuis à 3000 liv. qui sont payées sur le produit du droit du marc d'or affecté à l'ordre. (G)

ESPRIT, (Saint -) ORDRE DU SAINT-ESPRIT DU DROIT DESIR, (Histoire moderne) ordre de chevalerie institué à Naples dans le château de l'Oeuf en 1352, par Louis d'Anjou dit de Tarente, prince du sang de France, roi de Jérusalem et de Sicile, et époux de Jeanne 1ere reine de Naples. Les constitutions de cet ordre étaient en vingt-cinq chapitres, dont voici le préambule dans le style de ces temps-là : " Nous Loys, par la grâce de Dieu roi de Jérusalem et de Sicile, allonneur du Saint-Esprit ; lequel jour par la grâce nous fumes couronnés de nos royaumes, en essaucement de chevalerie et accroissement d'onneur, avons ordonné de faire une compagnie de chevaliers qui seront appelés les chevaliers du Saint-Esprit du droit désir, et les dits chevaliers seront au nombre de trois cens, desquels nous, comme trouveur et fondeur de cette compagnie, serons princeps, et aussi doivent être tous nos successeurs, rois de Jérusalem et de Sicile, etc. "

Mais la mort de ce prince sans laisser d'enfants, et les révolutions qui la suivirent, firent périr cet ordre presque dès sa naissance. On ne sait comment les constitutions en tombèrent entre les mains de la république de Venise, qui en fit présent à Henri III. lorsqu'il s'en retournait de Pologne en France. On dit que ce prince en tira l'idée et les statuts de l'ordre, qu'il institua ensuite sous le nom du Saint-Esprit ; et que pour ne pas perdre le mérite de l'invention, il remit ces constitutions du roi Louis d'Anjou au sieur de Chiverni, avec ordre de les bruler ; ce que celui-ci ayant cru pouvoir négliger sans préjudice de l'obéissance dû. à son souverain, elles se sont conservées dans sa famille, d'où elles avaient passé dans le cabinet du président de Maisons, et M. le Laboureur les a données au public dans ses additions aux mémoires de Castelnau. Mais en comparant ces statuts avec ceux qu'Henri III. fit dresser pour son nouvel ordre du Saint-Esprit, on n'y trouve aucune conformité qui prouve que ceux-ci soient une copie des premiers. (G)

ESPRIT, (Saint -) terme de Blason : Croix du Saint-Esprit, est une croix d'or à huit raies émaillées, chaque rayon pommeté d'or, une fleur-de-lis dans chacun des angles de la croix, et dans le milieu un Saint-Esprit ou colombe d'argent d'un côté, et de l'autre un Saint-Michel. La croix des prélats-commandeurs porte la colombe des deux côtés ; parce qu'ils n'ont que l'ordre du Saint-Esprit, et non celui de Saint-Michel. (G)

ESPRIT, (Philos. et Belles-Lettr.) ce mot, en tant qu'il signifie une qualité de l'âme, est un de ces termes vagues, auxquels tous ceux qui les prononcent attachent presque toujours des sens différents. Il exprime autre chose que jugement, génie, gout, talent, pénétration, étendue, grâce, finesse ; et il doit tenir de tous ces mérites : on pourrait le définir, raison ingénieuse.

C'est un mot générique qui a toujours besoin d'un autre mot qui le détermine ; et quand on dit, voilà un ouvrage plein d'esprit, un homme qui a de l'esprit, on a grande raison de demander duquel. L'esprit sublime de Corneille n'est ni l'esprit exact de Boileau, ni l'esprit naïf de Lafontaine ; et l'esprit de la Bruyere, qui est l'art de peindre singulièrement, n'est point celui de Malebranche, qui est de l'imagination avec de la profondeur.

Quand on dit qu'un homme a un esprit judicieux, on entend moins qu'il a ce qu'on appelle de l'esprit, qu'une raison épurée. Un esprit ferme, mâle, courageux, grand, petit, faible, leger, doux, emporté, etc. signifie le caractère et la trempe de l'âme, et n'a point de rapport à ce qu'on entend dans la société par cette expression, avoir de l'esprit.

L'esprit, dans l'acception ordinaire de ce mot, tient beaucoup du bel-esprit, et cependant ne signifie pas précisément la même chose : car jamais ce terme homme d'esprit ne peut être pris en mauvaise part, et bel-esprit est quelquefois prononcé ironiquement. D'où vient cette différence ? c'est qu'homme d'esprit ne signifie pas esprit supérieur, talent marqué, et que bel-esprit le signifie. Ce mot homme d'esprit n'annonce point de prétention, et le bel-esprit est une affiche ; c'est un art qui demande de la culture, c'est une espèce de profession, et qui par-là expose à l'envie et au ridicule.

C'est en ce sens que le P. Bouhours aurait eu raison de faire entendre, d'après le cardinal du Perron, que les Allemands ne prétendaient pas à l'esprit ; parce qu'alors leurs savants ne s'occupaient guère que d'ouvrages laborieux et de pénibles recherches, qui ne permettaient pas qu'on y répandit des fleurs, qu'on s'efforçât de briller, et que le bel-esprit se mêlât au savant.

Ceux qui méprisent le génie d'Aristote au lieu de s'en tenir à condamner sa physique qui ne pouvait être bonne, étant privée d'expériences, seraient bien étonnés de voir qu'Aristote a enseigné parfaitement dans sa rhétorique la manière de dire les choses avec esprit. Il dit que cet art consiste à ne se pas servir simplement du mot propre, qui ne dit rien de nouveau ; mais qu'il faut employer une métaphore, une figure dont le sens soit clair et l'expression énergique. Il en apporte plusieurs exemples, et entr'autres ce que dit Periclès d'une bataille où la plus florissante jeunesse d'Athènes avait péri, l'année a été dépouillée de son printemps. Aristote a bien raison de dire, qu'il faut du nouveau ; le premier qui pour exprimer que les plaisirs sont mêlés d'amertumes, les regarda comme des roses accompagnées d'épines, eut de l'esprit. Ceux qui le répétèrent n'en eurent point.

Ce n'est pas toujours par une métaphore qu'on s'exprime spirituellement ; c'est par un tour nouveau ; c'est en laissant deviner sans peine une partie de sa pensée, c'est ce qu'on appelle finesse, délicatesse ; et cette manière est d'autant plus agréable, qu'elle exerce et qu'elle fait valoir l'esprit des autres. Les allusions, les allégories, les comparaisons, sont un champ vaste de pensées ingénieuses ; les effets de la nature, la fable, l'histoire présentes à la mémoire, fournissent à une imagination heureuse des traits qu'elle emploie à-propos.

Il ne sera pas inutîle de donner des exemples de ces différents genres. Voici un madrigal de M. de la Sablière, qui a toujours été estimé des gens de gout.

Eglé tremble que dans ce jour

L'hymen plus puissant que l'amour,

N'enlève ses trésors sans qu'elle ose s'en plaindre.

Elle a négligé mes avis.

Si la belle les eut suivis,

Elle n'aurait plus rien à craindre.

L'auteur ne pouvait, ce semble, ni mieux cacher ni mieux faire entendre ce qu'il pensait, et ce qu'il craignait d'exprimer.

Le madrigal suivant parait plus brillant et plus agréable : c'est une allusion à la fable.

Vous êtes belle et votre sœur est belle,

Entre vous deux tout choix serait bien doux ;

L'amour était blond comme vous,

Mais il aimait une brune comme elle.

En voici encore un autre fort ancien ; il est de Bertaud évêque de Sées, et parait au-dessus des deux autres, parce qu'il réunit l'esprit et le sentiment.

Quand je revis ce que j'ai tant aimé,

Peu s'en fallut que mon feu rallumé

N'en fit le charme en mon âme renaître,

Et que mon cœur autrefois son captif

Ne ressemblât l'esclave fugitif,

A qui le sort fit rencontrer son maître.

De pareils traits plaisent à tout le monde, et caractérisent l'esprit délicat d'une nation ingénieuse. Le grand point est de savoir jusqu'où cet esprit doit être admis. Il est clair que dans les grands ouvrages on doit l'employer avec sobriété, par cela même qu'il est un ornement. Le grand art est dans l'à-propos. Une pensée fine, ingénieuse, une comparaison juste et fleurie, est un défaut quand la raison seule où la passion doivent parler, ou bien quand on doit traiter de grands intérêts : ce n'est pas alors du faux bel-esprit, mais c'est de l'esprit déplacé ; et toute beauté hors de sa place cesse d'être beauté. C'est un défaut dans lequel Virgile n'est jamais tombé, et qu'on peut quelquefois reprocher au Tasse, tout admirable qu'il est d'ailleurs : ce défaut vient de ce que l'auteur trop plein de ses idées veut se montrer lui-même, lorsqu'il ne doit montrer que ses personnages. La meilleure manière de connaître l'usage qu'on doit faire de l'esprit, est de lire le petit nombre de bons ouvrages de génie qu'on a dans les langues savantes et dans la nôtre.

Le faux-esprit est autre chose que de l'esprit déplacé : ce n'est pas seulement une pensée fausse, car elle pourrait être fausse sans être ingénieuse ; c'est une pensée fausse et recherchée. Il a été remarqué ailleurs qu'un homme de beaucoup d'esprit qui traduisit, ou plutôt qui abrégea Homère en vers français, crut embellir ce poète dont la simplicité fait le caractère, en lui prêtant des ornements. Il dit au sujet de la réconciliation d'Achille :

Tout le camp s'écria dans une joie extrême,

Que ne vaincra-t-il point ? Il s'est vaincu lui-même.

Premièrement, de ce qu'on a dompté sa colere, il ne s'ensuit point du tout qu'on ne sera point battu : secondement, toute une armée peut-elle s'accorder par une inspiration soudaine à dire une pointe ?

Si ce défaut choque les juges d'un goût sévère, combien doivent révolter tous ces traits forcés, toutes ces pensées alambiquées que l'on trouve en foule dans des écrits, d'ailleurs estimables ? comment supporter que dans un livre de mathématiques on dise, que " si Saturne venait à manquer, ce serait le dernier satellite qui prendrait sa place, parce que les grands seigneurs éloignent toujours d'eux leurs successeurs " ? comment souffrir qu'on dise qu'Hercule savait la physique, et qu'on ne pouvait résister à un philosophe de cette force ? L'envie de briller et de surprendre par des choses neuves, conduit à ces excès.

Cette petite vanité a produit les jeux de mots dans toutes les langues ; ce qui est la pire espèce du faux bel-esprit.

Le faux goût est différent du faux bel-esprit ; parce que celui-ci est toujours une affectation, un effort de faire mal : au lieu que l'autre est souvent une habitude de faire mal sans effort, et de suivre par instinct un mauvais exemple établi. L'intempérance et l'incohérence des imaginations orientales, est un faux goût ; mais c'est plutôt un manque d'esprit, qu'un abus d'esprit. Des étoiles qui tombent, des montagnes qui se fendent, des fleuves qui reculent, le Soleil et la Lune qui se dissolvent, des comparaisons fausses et gigantesques, la nature toujours outrée, sont le caractère de ces écrivains, parce que dans ces pays où l'on n'a jamais parlé en public, la vraie éloquence n'a pu être cultivée, et qu'il est bien plus aisé d'être empoulé, que d'être juste, fin, et délicat.

Le faux esprit est précisément le contraire de ces idées triviales et empoulées ; c'est une recherche fatigante de traits trop déliés, une affectation de dire en énigme ce que d'autres ont déjà dit naturellement, de rapprocher des idées qui paraissent incompatibles, de diviser ce qui doit être réuni, de saisir de faux rapports, de mêler contre les bienséances le badinage avec le sérieux, et le petit avec le grand.

Ce serait ici une peine superflue d'entasser des citations, dans lesquelles le mot d'esprit se trouve. On se contentera d'en examiner une de Boileau, qui est rapportée dans le grand dictionnaire de Trévoux : C'est le propre des grands esprits, quand ils commencent à vieillir et à décliner, de se plaire aux contes et aux fables. Cette réflexion n'est pas vraie. Un grand esprit peut tomber dans cette faiblesse, mais ce n'est pas le propre des grands esprits. Rien n'est plus capable d'égarer la jeunesse, que de citer les fautes des bons écrivains comme des exemples.

Il ne faut pas oublier de dire ici en combien de sens différents le mot d'esprit s'emploie ; ce n'est point un défaut de la langue, c'est au contraire un avantage d'avoir ainsi des racines qui se ramifient en plusieurs branches.

Esprit d'un corps, d'une société, pour exprimer les usages, la manière de penser, de se conduire, les préjugés d'un corps.

Esprit de parti, qui est à l'esprit d'un corps ce que sont les passions aux sentiments ordinaires.

Esprit d'une loi, pour en distinguer l'intention ; c'est en ce sens qu'on a dit, la lettre tue et l'esprit vivifie.

Esprit d'un ouvrage, pour en faire concevoir le caractère et le but.

Esprit de vengeance, pour signifier désir et intention de se vanger.

Esprit de discorde, esprit de révolte, &c.

On a cité dans un dictionnaire, esprit de politesse ; mais c'est d'après un auteur nommé Bellegarde, qui n'a nulle autorité. On doit choisir avec un soin scrupuleux ses auteurs et ses exemples. On ne dit point esprit de politesse, comme on dit esprit de vengeance, de dissention, de faction ; parce que la politesse n'est point une passion animée par un motif puissant qui la conduise, lequel on appelle esprit métaphoriquement.

Esprit familier se dit dans un autre sens, et signifie ces êtres mitoyens, ces génies, ces démons admis dans l'antiquité, comme l'esprit de Socrate, &c.

Esprit signifie quelquefois la plus subtîle partie de la matière : on dit esprits animaux, esprits vitaux, pour signifier ce qu'on n'a jamais vu, et ce qui donne le mouvement et la vie. Ces esprits qu'on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. Le docteur Méad est le premier qui semble en avoir donné des preuves dans la préface du traité sur les poisons.

Esprit, en Chimie, est encore un terme qui reçoit plusieurs acceptions différentes ; mais qui signifie toujours la partie subtîle de la matière. Voyez plus bas ESPRIT, en Chimie.

Il y a loin de l'esprit, en ce sens, au bon esprit, au bel esprit. Le même mot dans toutes les langues peut donner toujours des idées différentes, parce que tout est métaphore sans que le vulgaire s'en aperçoive. Voyez ELOQUENCE, ELEGANCE, etc. Cet article est de M. DE VOLTAIRE.

ESPRIT, (Chimie) ce nom a été employé dans sa signification propre, par les Chimistes comme par les Philosophes et par les Médecins, pour exprimer un corps subtil, délié, invisible, impalpable, une vapeur, un souffle, un être presque immatériel.

Tous les chimistes antérieurs à Stahl et à la naissance de la Chimie philosophique, ont été grands fauteurs des agens de cette classe, qui ont été mis en jeu dans plusieurs systèmes de physique. Un esprit du monde, un esprit universel, aérien, éthérien, ont été pour eux des principes dont ils se sont fort bien accommodés, et ils ont enrichi eux-mêmes la Physique de plusieurs substances de cette nature : l'archée, le blas, la magnale de Vanhelmont, les ens de Paracelse, etc. sont des fantômes philosophiques de cette classe, si ce ne sont point cependant des expressions énigmatiques, ou simplement figurées.

Des êtres très-existants qui mériteraient éminemment la qualité d'esprit, ce sont les exhalaisons qui s'élèvent des corps fermentants et pourrissants de certaines cavités souterraines, du charbon embrasé, et de plusieurs autres matières. Ces corps sont véritablement incoercibles, invisibles, et impalpables ; mai on n'a pas coutume dans le langage chimique, de le désigner par ce nom. Nous les connaissons sous celui de gas. Voyez GAS.

Depuis que notre manière plus sage de philosophe nous a fait rejeter tous ces esprits imaginaires don nous avons parlé au commencement de cet article nous ne donnons plus ce titre qu'à différentes substances beaucoup plus matérielles même que les gas ; savoir à certains corps expansibles ou volatils, dont l'état ordinaire sous la température de nos climats est celui de liquidité, et dont les différentes espèces qui sont classées par ce petit nombre de qualités communes, sont d'ailleurs essentiellement différentes, en sorte que c'est ici une qualification très-générique, exprimant une qualité très-extérieure très-vaguement déterminée.

Les diverses substances qu'on trouve désignées dans les ouvrages des Chimistes, par le nom d'esprit, sont :

Premièrement, un être fort indéterminé, connu plus généralement sous le nom de mercure, qui est compté dans l'ancienne Chimie parmi les principes ou produits généraux de l'analyse des corps. Voyez MERCURE et PRINCIPE.

Secondement, la plupart des liqueurs acides retirées des minéraux, des végétaux, des animaux, par la distillation. Voyez VITRIOL, NITRE, SEL MARIN, ANALYSE VEGETALE, au mot VEGETAL, VINAIGRE, SUBSTANCES ANIMALES, et FOURMI.

Traisiemement, les sels alkalis volatils sous forme liquide. Voyez SEL ALKALI VOLATIL.

Quatriemement, les liqueurs inflammables retirées des vins. Voyez ESPRIT DE VIN à l'article VIN.

Cinquiemement, les eaux essentielles ou esprits recteurs. Voyez EAUX DISTILLEES.

Sixiemement, les huiles essentielles très-subtiles, retirées des baumes par la distillation à feu doux. Voyez HUILE et TEREBENTHINE.

Septiemement, enfin les esprits ardents chargés par la distillation de la partie aromatique, ou alkali volatil de certains végétaux. Voyez EAUX DISTILLEES, ESPRIT ARDENT, CITRON, COCHLEARIA, et ESPRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX.

Nota. Que dans le langage ordinaire, on ne désigne le plus souvent les esprits particuliers que par le nom de la substance qui les a fournis, sans déterminer par une qualification spécifique la nature de chaque esprit. Ainsi on dit esprit de vitriol, et non pas esprit acide de vitriol ; esprit de soie, et non pas esprit alkali de soie ; esprit-de-vin, (c'est-à-dire de suc de raisin fermenté, selon la signification vulgaire du mot vin), et non pas esprit ardent de vin de raisin ; esprit de terebenthine, et non pas esprit huileux de terebenthine ; esprit de citron, et non pas esprit-de-vin chargé de l'aromate du citron. Ainsi toute cette nomenclature est presque absolument arbitraire ; et d'autant plus que diverses substances, comme le sel ammoniac, la terebenthine, le citron, etc. peuvent fournir plusieurs produits qui mériteraient également le nom d'esprit, quoiqu'il ne soit donné qu'à un seul dans le langage reçu : on se familiarise cependant bien-tôt avec ces dénominations vagues ; on les apprend comme des mots d'une langue inconnue. (b)

ESPRIT ARDENT, (Chimie) Voyez ESPRIT-DE-VIN, sous le mot VIN.

ESPRIT RECTEUR, (Chimie) Voyez EAUX DISTILLEES.

ESPRIT-DE-VIN, (Chimie) Voyez au mot VIN.

ESPRIT VOLATIL, (Chimie) Toutes les substances auxquelles les Chimistes ont donné le nom d'esprit, sont volatiles (voyez ESPRIT) ; il a plu cependant à quelques-uns de prendre la dénomination qui fait le sujet de cet article, dans un sens particulier ; de l'attribuer aux alkalis volatils sous forme fluide ; et de les distinguer par ce titre, des alkalis volatils, concrets, qu'ils ont appelés tout aussi arbitrairement, sels volatils. Voyez SEL ALKALI VOLATIL. (b)

ESPRIT-DE-VINAIGRE, spiritus aceti. Voyez VINAIGRE DISTILLE, au mot VINAIGRE.

ESPRITS SAUVAGES, (Chimie) spiritus sylvestres de Vanhelmont. Voyez GAS, FERMENTATION, N VIN.

ESPRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX, (Pharmacie et Matière médicale) On a donné ce nom à une préparation officinale, qui n'est proprement qu'un mélange d'esprit volatil de sel ammoniac, et d'un esprit aromatique composé. Voici cette préparation, telle qu'elle est décrite dans la nouvelle pharmacopée de Paris.

Prenez six dragmes de zestes récens d'oranges, autant de ceux de citron ; deux dragmes de vanille, deux dragmes de macis, une demi-dragme de gérofle, une dragme de canelle, quatre onces de sel ammoniac : coupez en petits morceaux les zestes et la vanille : concassez le macis, le gérofle et la canelle : pulvérisez le sel ammoniac, et mettez le tout dans une cornue de verre, versant par-dessus quatre onces d'eau simple de canelle, et quatre onces d'esprit-de-vin rectifié : fermez le vaisseau, et laissez digérer pendant quelques jours, ayant soin de remuer de temps en temps.

Ajoutez, après deux ou trois jours de digestion, quatre onces de sel de tartre ; et sur le champ ajoutez au bec de la cornue un récipient convenable, que vous luterez selon les règles de l'art : faites la distillation au bain de sable. Vous garderez la liqueur qui passera, dans une bouteille bien bouchée.

L'esprit volatil aromatique huileux, est un cordial très-vif, un sudorifique très-efficace, un bon emménagogue, un hystérique assez utile. On le fait entrer ordinairement à la dose de trente ou de quarante gouttes, dans des potions de quatre à cinq onces, destinées à être prises par cuillerées. (b)

ESPRITS ANIMAUX. Voyez NERFS, FLUIDE NERVEUX, etc.