S. f. (Grammaire et Morale) jouir, c'est connaître, éprouver, sentir les avantages de posséder : on possède souvent sans jouir. A qui sont ces magnifiques palais ? qui est-ce qui a planté ces jardins immenses ? c'est le souverain : qui est-ce qui en jouit ? c'est moi.

Mais laissons ces palais magnifiques que le souverain a construits pour d'autres que lui, ces jardins enchanteurs où il ne se promene jamais, et arrêtons-nous à la volupté qui perpétue la chaîne des êtres vivants, et à laquelle on a consacré le mot de jouissance.

Entre les objets que la nature offre de toutes parts à nos désirs ; vous qui avez une âme, dites-moi, y en a-t-il un plus digne de notre poursuite, dont la possession et la jouissance puissent nous rendre aussi heureux, que celles de l'être qui pense et sent comme vous, qui a les mêmes idées, qui éprouve la même chaleur, les mêmes transports, qui porte ses bras tendres et délicats vers les vôtres, qui vous enlace, et dont les caresses seront suivies de l'existence d'un nouvel être qui sera semblable à l'un de vous, qui dans ses premiers mouvements vous cherchera pour vous serrer, que vous éleverez à vos côtés, que vous aimerez ensemble, qui vous protégera dans votre vieillesse, qui vous respectera en tout temps, et dont la naissance heureuse a déjà fortifié le lien qui vous unissait ?

Les êtres brutes, insensibles, immobiles, privés de vie, qui nous environnent, peuvent servir à notre bonheur ; mais c'est sans le savoir, et sans le partager : et notre jouissance stérîle et destructive qui les altère tous, n'en reproduit aucun.

S'il y avait quelqu'homme pervers qui put s'offenser de l'éloge que je fais de la plus auguste et la plus générale des passions, j'évoquerais devant lui la Nature, je la ferais parler, et elle lui dirait. Pourquoi rougis-tu d'entendre prononcer le nom d'une volupté, dont tu ne rougis pas d'éprouver l'attrait dans l'ombre de la nuit ? Ignores-tu quel est son but et ce que tu lui dois ? Crais-tu que ta mère eut exposé sa vie pour te la donner, si je n'avais pas attaché un charme inexprimable aux embrassements de son époux ? Tais-toi, malheureux, et songe que c'est le plaisir qui t'a tiré du néant.

La propagation des êtres est le plus grand objet de la nature. Elle y sollicite impérieusement les deux sexes, aussi tôt qu'ils en ont reçu ce qu'elle leur destinait de force et de beauté. Une inquiétude vague et mélancholique les avertit du moment ; leur état est mêlé de peine et de plaisir. C'est alors qu'ils écoutent leurs sens, et qu'ils portent une attention réfléchie sur eux-mêmes. Un individu se présente-t-il à un individu de la même espèce et d'un sexe différent, le sentiment de tout autre besoin est suspendu ; le cœur palpite ; les membres tréssaillent ; des images voluptueuses errent dans le cerveau ; des torrents d'esprits coulent dans les nerfs, les irritent, et vont se rendre au siège d'un nouveau sens qui se déclare et qui tourmente. La vue se trouble, le délire nait ; la raison esclave de l'instinct se borne à le servir, et la nature est satisfaite.

C'est ainsi que les choses se passaient à la naissance du monde, et qu'elles se passent encore au fond de l'antre du sauvage adulte.

Mais lorsque la femme commença à discerner ; lorsqu'elle parut mettre de l'attention dans son choix, et qu'entre plusieurs hommes sur lesquels la passion promenait ses regards, il y en eut un qui les arrêta, qui put se flatter d'être préféré, qui crut porter dans un cœur qu'il estimait, l'estime qu'il faisait de lui-même, et qui regarda le plaisir comme la récompense de quelque mérite. Lorsque les voiles que la pudeur jeta sur les charmes laissèrent à l'imagination enflammée le pouvoir d'en disposer à son gré, les illusions les plus délicates concoururent avec le sens le plus exquis, pour exagérer le bonheur ; l'âme fut saisie d'un enthousiasme presque divin ; deux jeunes cœurs éperdus d'amour se vouèrent l'un à l'autre pour jamais, et le ciel entendit les premiers serments indiscrets.

Combien le jour n'eut-il pas d'instants heureux, avant celui où l'âme toute entière chercha à s'élancer et à se perdre dans l'âme de l'objet aimé ! On eut des jouissances du moment où l'on espéra.

Cependant la confiance, le temps, la nature et la liberté des caresses, amenèrent l'oubli de soi-même ; on jura, après avoir éprouvé la dernière ivresse, qu'il n'y en avait aucune autre qu'on put lui comparer ; et cela se trouva vrai toutes les fois qu'on y apporta des organes sensibles et jeunes, un cœur tendre et une âme innocente qui ne connut ni la méfiance, ni le remors.

JOUISSANCE, (Jurisprudence) est ordinairement synonyme de possession ; c'est pourquoi l'on dit communément possession et jouissance ; cependant l'on peut avoir la possession d'un bien sans en jouir. Ainsi la partie saisie possède jusqu'à l'adjudication, mais elle ne jouit plus depuis qu'il y a un bail judiciaire exécuté.

Jouissance se prend donc quelquefois pour la perception des fruits.

Rapporter les jouissances, c'est rapporter les fruits. Ceux qui rapportent des biens à une succession, sont obligés de rapporter aussi les jouissances du jour de l'ouverture de la succession ; le possesseur de mauvaise foi est tenu de rapporter toutes les jouissances qu'il a eues. Voyez FRUITS, POSSESSEURS, POSSESSION, RESTITUTION. (A)