Grammaire & Morale

adj. (Grammaire et Morale) se dit des hommes, des femmes, des animaux, qui manquent des proportions ou des couleurs dont nous formons l'idée de beauté ; il se dit aussi des differentes parties d'un corps animé ; mais quoiqu'en disent les auteurs du dictionnaire de Trévoux, et même ceux du dictionnaire de l'académie, on ne doit pas dire, et on ne dit pas quand on parle avec noblesse et avec précision une laide mode, une laide maison, une étoffe laide. On fait usage d'autres épithetes ou de périphrases, pour exprimer la privation des qualités qui nous rendraient agréables les êtres inanimés ; il en est de même des êtres moraux ; et ce n'est plus que dans quelques proverbes, qu'on emploie le mot de laid dans le sens moral.

S. f. (Grammaire et Morale) c'est l'opposé de la beauté ; il n'y a au moral rien de beau ou de laid, sans règles ; au physique, sans rapports ; dans les Arts, sans modèle. Il n'y a donc nulle connaissance du beau ou du laid, sans connaissance de la règle, sans connaissance du modèle, sans connaissance des rapports et de la fin. Ce qui est necessaire n'est en soi ni bon ni mauvais, ni beau ni laid ; ce monde n'est donc ni bon ni mauvais, ni beau ni laid en lui-même ; ce qui n'est pas entièrement connu, ne peut être dit ni bon ni mauvais, ni beau ni laid. Or on ne connait ni l'univers entier, ni son but ; on ne peut donc rien prononcer ni sur sa perfection ni sur son imperfection. Un bloc informe de marbre, considéré en lui-même, n'offre ni rien à admirer, ni rien à blâmer ; mais si vous le regardez par ses qualités ; si vous le destinez dans votre esprit à quelqu'usage ; s'il a déjà pris quelque forme sous la main du statuaire, alors naissent les idées de beauté et de laideur ; il n'y a rien d'absolu dans ces idées. Voilà un palais bien construit ; les murs en sont solides ; toutes les parties en sont bien combinées ; vous prenez un lesard, vous le laissez dans un de ses appartements ; l'animal ne trouvant pas un trou où se réfugier, trouvera cette habitation fort incommode ; il aimera mieux des décombres. Qu'un homme soit boiteux, bossu ; qu'on ajoute à ces difformités toutes celles qu'on imaginera, il ne sera beau ou laid, que comparé à un autre ; et cet autre ne sera beau ou laid que rélativement au plus ou moins de facilité à remplir ses fonctions animales. Il en est de même des qualités morales. Quel témoignage Newton seul sur la surface de la terre, dans la supposition qu'il eut pu s'élever par ses propres forces à toutes les découvertes que nous lui devons, aurait-il pu se rendre à lui-même ? Aucun ; il n'a pu se dire grand, que parce que ses semblables qui l'ont environné, étaient petits. Une chose est belle ou laide sous deux aspects differents. La conspiration de Venise dans son commencement, ses progrès et ses moyens nous font écrier : quel homme que le comte de Bedmard ! qu'il est grand ! La même conspiration sous des points de vue moraux et relatifs à l'humanité et à la justice, nous fait dire, qu'elle est atroce ! et que le comte de Bedmard est hideux ! Voyez l'article BEAU.

S. f. (Grammaire et Morale) c'est l'action d'instruire. Les maîtres de la jeunesse en s'écartant trop de la manière dont la nature nous instruit, donnent des leçons qui fatiguent l'entendement et la mémoire sans les enrichir et sans les perfectionner.

Les leçons la plupart ne sont qu'un assemblage de mots et de raisonnements, et les mots sur quelque matière que ce sait, ne nous rendent qu'imparfaitement les idées des choses. L'écriture hiérogliphique des anciens egyptiens était beaucoup plus propre à enrichir promptement l'esprit de connaissances réelles, que nos signes de convention. Il faudrait traiter l'homme comme un être organisé et sensible ; et se souvenir que c'est par ses organes qu'il reçoit ses idées, et que le sentiment seul les fixe dans sa mémoire. En Métaphysique, Morale, Politique, principes des Arts, etc. il faut que le fait ou l'exemple suive la leçon, si vous voulez rendre la leçon utile. On formerait mieux la raison en faisant observer la liaison naturelle des choses et des idées, qu'en donnant l'habitude de faire des arguments ; il faut mêler l'Histoire naturelle et civile, la Fable, les emblèmes, les allégories, à ce qu'il peut y avoir d'abstrait dans les leçons qu'on donne à la jeunesse ; on pourrait imaginer d'exécuter une suite de tableaux, dont l'ensemble instruirait des devoirs des citoyens, etc.

v. act. (Grammaire et Morale) c'est témoigner qu'on pense avantageusement. La louange devrait toujours être l'expression de l'estime. Louer délicatement, c'est faire croire à la louange. Toute louange qui ne porte pas avec elle le caractère de la sincérité, tient de la flatterie ou du persiflage, et par conséquent indique de la malice dans celui qui la donne, et quelque sottise dans celui qui la reçoit. L'homme de sens la rejette et en ressent de l'indignation. Rien ne se prodigue plus entre les hommes que la louange ; rien ne se donne avec moins de grâce. L'intérêt et la complaisance inondent de protestations, d'exagérations, de faussetés ; mais l'envie et la vanité viennent presque toujours à la traverse, et répandent sur la louange un air contraint qui la rend insipide. Ce serait peut-être un paradoxe que de dire qu'il n'y a point de louange qui ne peche ou par le défaut de mérite en celui à qui elle est adressée, ou par défaut de connaissance en celui qui la donne ; mais je sais bien que l'écorce d'une belle action, séparée du motif qui l'a inspirée, n'en fait pas le mérite, et que la valeur réelle qui dépend de la raison secrète de celui qui agissait, et qu'on loue d'avoir agi, nous est souvent inconnue, et plus souvent encore déguisée.