S. f. (Logique, Grammaire) les Métaphysiciens distinguent entre négation et privation. Ils appellent négation l'absence d'un attribut qui ne saurait se trouver dans le sujet, parce qu'il est incompatible avec la nature du sujet : c'est ainsi que l'on nie que le monde soit l'ouvrage du hasard. Ils appellent privation, l'absence d'un attribut qui non-seulement peut se trouver, mais se trouve même ordinairement dans le sujet, parce qu'il est compatible avec la nature du sujet, et qu'il en est un accompagnement ordinaire : c'est ainsi qu'un aveugle est privé de la vue.

Les Grammairiens sont moins circonspects, parce que cette distinction est inutîle aux vues de la parole : l'absence de tout attribut est pour eux négation. Mais ils donnent particulièrement ce nom à la particule destinée à désigner cette absence, comme non, ne, en français ; no, en italien, en espagnol et en anglais ; nein, nicht, en allemand ; ', , en grec, etc. sur quoi il est important d'observer que la négation désigne l'absence d'un attribut, non comme conçue par celui qui parle, mais comme un mode propre à sa pensée actuelle ; en un mot la négation ne présente point à l'esprit l'idée de cette absence comme pouvant être sujet de quelques attributs, c'est l'absence elle-même qu'elle indique immédiatement comme l'un des caractères propres au jugement actuellement énoncé. Si je dis, par exemple, la négation est contradictoire à l'affirmation ; le nom négation en désigne l'idée comme sujet de l'attribut contradictoire, mais ce nom n'est point la négation elle-même : la voici dans cette phrase, Dieu NE peut être injuste, parce que ne désigne l'absence du pouvoir d'être injuste, qui ne saurait se trouver dans le sujet qui est Dieu.

La distinction philosophique entre négation et privation n'est pourtant pas tout à fait perdue pour la Grammaire ; et l'on y distingue des mots négatifs et des mots privatifs.

Les mots négatifs sont ceux qui ajoutent à l'idée caractéristique de leur espèce, et à l'idée propre qui les individualise l'idée particulière de la négation grammaticale. Les noms généraux nemo, nihil ; les adjectifs neuter, nullus ; les verbes nolo, nescis ; les adverbes numquam, nusquam, nullibi ; les conjonctions nec, neque, nisi, quin, sont des mots négatifs. Les mots privatifs sont ceux qui expriment directement l'absence de l'idée individuelle qui en constitue la signification propre ; ce qui est communément indiqué par une particule composante, mise à la tête du mot positif. Les Grecs se servaient surtout de l'alpha, que les Grammairiens nomment pour cela privatif ; ; d'où , avec et un euphonique ; , d'où . La particule in, était souvent privative en latin ; dignus, mot positif, indignus, mot privatif ; decorus, indecorus ; sanus, insanus ; violatus, inviolatus ; felix, felicitas et feliciter, d'où infelix, infelicitas et infeliciter : quelquefois le n final de in, se change en l et en r, quand le mot positif commence par l'une de ces liquides, et d'autres fois en m, si le mot commence par les labiales b, p et m ; legitimus, de-là illegitimus pour inlegitimus ; regularis, de-là irregularis pour inregularis ; bellum, et de-là imbellis pour inbellis ; probè, d'où improbè pour inprobè ; mortalis, d'où immortalis pour inmortalis. Nous avons transporté dans notre langue les mots privatifs grecs et latins, avec les particules de ces langues ; nous disons anomal, abîme, indigne, indécent, insensé, inviolable, infortune, illégitime, irrégulier, etc. mais si nous introduisons quelques mots privatifs nouveaux, nous suivons la méthode latine et nous nous servons de in.

Ainsi la principale différence entre les mots négatifs et les mots privatifs, c'est que la négation renfermée dans la signification des premiers, tombe sur la proposition entière dont ils font partie et la rendent négative ; au-lieu que celle qui constitue les mots privatifs, tombe sur l'idée individuelle de leur signification, sans influer sur la nature de la proposition.

A l'égard de nos négations, non et ne, il y a dans notre langue quelques usages qui lui sont propres, et dont je pourrais grossir cet article ; mais je l'ai déjà dit, ce qui est propre à certaines langues, n'est nullement encyclopédique : et je ne puis ici, en faveur de la nôtre, qu'indiquer les remarques 389 et 506 de Vaugelas, celle du P. Bouhours sur je ne l'aime, ni ne l'estime, tom. I. p. 89. et l'art de bien parler français, tom. II. p. 355. remarque sur ne. (B. E. R. M.)