(Histoire des Langues) ou romance, et par quelques-uns romans ou romant ; c'était une langue composée de celtique et du latin, mais dans laquelle celle-ci l'emportait assez pour qu'on lui donnât les noms qu'on vient de dire. Ce fut elle qui fut en usage durant les deux premières races. Elle était nommée rustique ou provinciale par les Romains et par ceux qui leur succédèrent : ce qui semble prouver qu'elle n'était parlée que par le peuple et les habitants de la campagne. Les auteurs du roman d'Alexandre disent cependant qu'ils l'ont traduit du latin en roman.

Il y avait dans la Gaule, lorsque les Francs y entrèrent, trois langues vivantes, la latine, la celtique et la romane ; et c'est de celle-ci sans doute que Sulpice Sevère qui écrivait au commencement du cinquième siècle, entend parler, lorsqu'il fait dire à Posthumien : tu verò, vel celticè, vel si mavis, gallicè loquere. La langue qu'il appelait gallicane, devait être la même qui dans la suite fut nommée plus communément la romane ; autrement il faudrait dire qu'il regnait dans les Gaules une quatrième langue, sans qu'il fût possible de la déterminer, à moins que ce ne fût un dialecte du celtique non corrompu par le latin, et tel qu'il pouvait se parler dans quelque canton de la Gaule avant l'arrivée des Romains. Mais quelque temps après l'établissement des Francs, il n'est plus parlé d'autre langue d'usage que de la romane et de la tudesque.

Le plus ancien monument que nous ayons de la langue romane, est celui de Louis le germanique, auquel répondent les seigneurs français du parti de Charles le chauve.

Les deux rois Louis de Germanie et Charles le chauve ayant à se défendre contre les entreprises de Lothaire leur frère ainé, font entr'eux à Strasbourg en 842, un traité de paix, dans lequel ils conviennent de se secourir mutuellement, et de défendre leurs états respectifs avec le secours des seigneurs et des vassaux qui avaient embrassé leur parti. Du côté de Charles le chauve, étaient les seigneurs français habitants de la Gaule, et du côté de Louis, étaient les français orientaux ou germains. Les premiers parlaient la langue romane, et les germains parlaient la langue tudesque.

Les français occidentaux, ou les sujets de Charles le chauve, ayant donc une langue différente de celle que parlaient les français orientaux, ou sujets de Louis de Germanie, il était nécessaire que ce dernier prince parlât, en faisant son serment, dans la langue des sujets de Charles, afin d'en être entendu dans les promesses qu'il faisait, comme Charles se servit de la langue tudesque pour faire connaître ses sentiments aux Germains ; et l'un et l'autre de ces peuples fit aussi son serment dans la langue qui lui était particulière.

Nous ne parlerons point des serments en langue tudesque ; il ne s'agit ici que des serments en langue romane. On mettra d'abord le texte des serments, au-dessous l'interprétation latine, et enfin, dans une troisième ligne, les mots français usités dans les XIIe et XIIIe siècles, qui répondent à chacun des mots des deux serments ; par-là on verra d'un coup d'oeil la ressemblance des deux langues françaises, et leur rapport commun avec le latin.

Serment de Louis, roi de Germanie. La première ligne contient les paroles du serment ; la seconde l'interprétation latine, et la troisième le français du XIIe siècle.

C'est-à-dire : " Pour l'amour de Dieu, et pour le peuple chrétien en notre commun salut de ce jour en avant autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je déclare que je sauverai mon frère Charles, ci-présent, et lui serai en aide dans chaque chose (ainsi qu'un homme selon la justice doit sauver son frere) en tout ce qu'il serait de la même manière pour moi, et que je ne ferai avec Lothaire aucun accord qui par ma volonté porterait préjudice à mon frère Charles ci-présent. "

Serment des seigneurs français sujets de Charles le Chauve. La première ligne contient les paroles du serment ; la seconde l'interprétation latine, et la troisième le français du XIIe siècle.

C'est-à-dire : " Si Louis observe le serment que son frère Charles lui jure, et que Charles, monseigneur de sa part ne le tint point, si je ne puis détourner Charles de ce violement, ni moi, ni aucuns

(a) Je lis er pour ero, au lieu de &.

(b) M. Ducange lit fuer pour fuero, au lieu de juer ou iver.

de ceux que je puis détourner, ne serons en aide à Charles contre Louis. "

On voit par cet exemple que la langue romane avait déjà autant de rapport avec le français auquel il a donné naissance, qu'avec le latin dont il sortait. Quoique les expressions en soient latines, la syntaxe ne l'est pas ; et l'on sait qu'une langue est aussi distinguée d'une autre par sa syntaxe que par son vocabulaire. Mém. de l'acad. des Insc. tom. XVII. et XXVI. in -4°. (D.J.)