VE, (Grammaire) proposition subjonctive, mode subjonctif ; c'est surtout dans ce dernier sens que ce terme est propre au langage grammatical, pour y désigner un mode personnel oblique, le seul qu'il y ait en latin, en allemand, en français, en italien, en espagnol, et apparemment en bien d'autres idiomes.

Le subjonctif est un mode personnel, parce qu'il admet toutes les inflexions personnelles et numériques, au moyen desquelles le verbe peut se mettre en concordance avec le sujet déterminé auquel on l'applique : et c'est un mode oblique, parce qu'il ne constitue qu'une proposition incidente, nécessairement subordonnée à la principale.

Quand je dis que le subjonctif ne constitue qu'une proposition incidente, je ne veux pas dire qu'il soit le seul mode qui puisse avoir cette propriété, l'indicatif et le suppositif sont fréquemment dans le même cas ; par exemple, achetez le livre que j'ai lu ; vous tenez le livre que je lirais le plus volontiers : je veux marquer par-là que le subjonctif ne peut jamais constituer une proposition principale ; ce qui le distingue essentiellement des autres modes personnels, qui peuvent être l'âme de la proposition principale, comme, j'ai lu le livre que vous avez acheté ; je lirais volontiers le livre que vous tenez. De cette remarque il suit deux conséquences importantes.

I. La première, c'est qu'on ne doit point regarder comme appartenant au subjonctif, un temps du verbe qui peut constituer, directement et par soi-même, une proposition principale.

C'est donc une erreur évidente que de regarder comme futur du subjonctif, ce temps que je nomme prétérit postérieur, comme amavero ; j'aurai aimé ; exivero, je serai sorti ; precatus ero ou fuero, j'aurai prié ; laudatus ero ou fuero, j'aurai été loué : c'est pourtant la décision commune de presque tous ceux qui se sont avisés de composer pour les commençans des livres élémentaires de grammaire : et l'auteur même de la Méthode latine de P. R. a suivi aveuglément la multitude des grammatistes, qui avaient répeté sans examen ce que Priscien avait dit le premier sans réflexion, lib. VIII. de cognat. temp.

Suivons au contraire le fil des conséquences qui sortent de la véritable notion du subjonctif. Ce temps peut constituer une proposition principale, comme quand on dit en français, j'aurai fini demain cette lettre : il la constitue dans ce vers d'Horace, II. sat. IIe 54. 55.

.... Frustrà vitium vitaveris illud

Si te alio pravum detorseris.

Car c'est comme si nous disions, vainement aurez-vous évité ce défaut, si mal-à-propos vous tombez dans un autre ; et tout le monde sent bien que l'on pourrait réduire cette phrase périodique à deux propositions détachées et également principales, vous aurez vainement évité ce défaut (voilà la premiere) car vous tomberez mal-à-propos dans un autre (voilà la seconde) ; or la première dans ce cas se dirait toujours de même en latin, frustrà vitium vitaveris illud, et la seconde serait, si te aliò pravum detorquebis.

Concluons donc que le prétendu futur du subjonctif n'appartient point à ce mode, puisque toute proposition dont le verbe est au subjonctif est nécessairement incidente, et que ce temps peut - être au contraire le verbe d'une proposition principale. Cette conséquence peut encore se prouver par une autre observation déjà remarquée au mot FUTUR : la voici. Selon les règles établies par les méthodistes dont il s'agit, la conjonction dubitative an étant placée entre deux verbes, le second doit être mis au subjonctif. A partir de - là, quand j'aurai à mettre en latin cette phrase française, je ne sais si je louerai, je dirai que le si dubitatif doit s'exprimer par an, qu'il est placé entre deux verbes, et que le second je louerai doit être au subjonctif ; or je louerai est en français le futur de l'indicatif (je parle le langage de ceux que je réfute afin qu'ils m'entendent) ; donc je mettrai en latin laudavero, qui est le futur du subjonctif, et je dirai, nescio an laudavero.... Gardez - vous bien, me diront - ils, vous ne parleriez pas latin : il faut dire, nescio an laudaturus sim, en vertu de telle et telle exception ; et quand le verbe est au futur de l'indicatif en français, on ne peut jamais le rendre en latin par le futur du subjonctif, quoique la règle générale exige ce mode : il faut se servir.... Eh ! messieurs, convenez plutôt de bonne foi qu'on ne doit pas dire ici laudavero, parce qu'en effet laudavero n'est pas au subjonctif, et que l'on ne doit dire laudaturus sim, que parce que c'est là le véritable futur de ce mode. Voyez TEMS.

Ajoutons à ces considérations une remarque de fait : c'est qu'il est impossible de trouver dans tous les auteurs latins un seul exemple, où la première personne du singulier de ce temps soit employée avec la conjonction ut ; et que ce serait pourtant la seule qui put prouver en ce cas que le temps est du subjonctif, parce que les cinq autres personnes étant semblables à celles du prétérit du même mode, on peut toujours les rapporter au prétérit qui est incontestablement du subjonctif. Périzonius lui-même, qui regarde le temps dont il s'agit, comme futur du subjonctif, est forcé d'avouer le fait, et il ne répond à la conséquence qui s'en tire, qu'en la rejetant positivement et en recourant à l'ellipse pour amener ut devant ce temps. Sanct. Minerv. 1. 13. not. 6. Mais enfin, il faut convenir que c'est abuser de l'ellipse : elle ne doit avoir lieu que dans les cas où d'autres exemples analogues nous autorisent à la suppléer, ou bien lorsqu'on ne peut sans y recourir, expliquer la constitution grammaticale de la phrase ; c'est ainsi qu'en parle Sanctius même, (Minerv. iv. 2.) avoué en cela par Périzonius son disciple : Ego illa tantum supplenda praecipio, quae veneranda illa supplevit antiquittas, aut ea sine quibus grammaticae ratio constare non potest. Or, 1°. il est avoué qu'on ne trouve dans les anciens aucun exemple où la première personne singulière du prétendu futur du subjonctif soit employée avec ut ; 2°. en considérant comme principale la proposition où entre ce temps, on en explique très-bien la constitution grammaticale sans recourir à l'ellipse, ainsi qu'on l'a Ve plus haut : c'est donc un subterfuge sans fondement, que de vouloir expliquer ce temps par une ellipse, plutôt que d'avouer qu'il n'appartient pas au subjonctif.

Il y a encore deux autres temps des verbes français, italiens, espagnols, allemands, etc. que la plupart des grammairiens regardent comme appartenans au mode subjonctif, et qui n'en sont pas ; comme je lirais, j'aurais lu ; je sortirais, je serais sorti. L'abbé Regnier les appelle premier et second futur du subjonctif ; la Touche les appelle imparfait et plus-que-parfait conditionnels, et c'est le système commun des rudimentaires. Mais ces deux temps s'emploient directement et par eux-mêmes dans les propositions principales : de même que l'on dit, je le ferai, si je puis, on dit, je le FEROIS, si je pouvais ; je l'AUROIS FAIT, si j'avais pu : or il est évident que dans trois phrases si semblables, les verbes qui y ont des fonctions analogues sont employés dans le même sens ; par conséquent, je ferais et j'aurais fait sont à un mode direct aussi-bien que je ferai ; les uns ne sont pas plus que l'autre à un mot oblique ; tous trois constituent la proposition principale ; aucun des trois n'est au subjonctif.

II. La seconde conséquence à déduire de la notion du subjonctif, c'est qu'on ne doit regarder comme primitive et principale, aucune proposition dont le verbe est au subjonctif ; elle est nécessairement subordonnée à une autre, dans laquelle elle est incidente, sous laquelle elle est comprise, et à laquelle elle est jointe par un mot conjonctif, subjungitur.

C'est cette propriété qui est le fondement de la dénomination de ce mode, subjunctivus modus, c'est-à-dire modus JUVANS, ad JUVANDAM propositionem SUB aliâ propositione : en sorte que les grammairiens qui ont jugé à propos de donner à ce mode le nom de conjonctif, n'ont abandonné l'usage le plus général, que pour n'avoir pas bien compris la force du mot ou la nature de la chose ; conjungère ne peut se dire que des choses semblables, subjungère regarde les choses subordonnées à d'autres.

1°. Il n'est donc pas vrai qu'il y ait une première personne du pluriel dans les impératifs latins ; comme le disent tous les rudiments de ma connaissance, à l'exception de celui de P. R. amemus, doceamus, legamus, audiamus ; c'est la première personne du temps que l'on appelle le présent du subjonctif ; et si l'on trouve de tels mots employés seuls dans la phrase et avec un sens direct en apparence, ce n'est point immédiatement dans la forme de ces mots qu'il en faut chercher la raison grammaticale : il en est de cette première personne du pluriel comme de toutes les autres du même temps, on ne peut les construire grammaticalement qu'au moyen du supplément de quelque ellipse. Quelle est donc la construction analytique de ces phrases de Cicéron ? Nos autem tenebras COGITEMUS tantas quantae quondam, etc. (de nat. deor. IIe 38.) &, VIDEAMUS quanta sint quae à philosophiâ remedia morbis animorum adhibeantur. Tusc. iv. 27. La voici telle qu'on doit la supposer dans tous les cas pareils, res ESTO ita ut COGITEMUS, etc. res ESTO ita ut VIDEAMUS, etc. comme les verbes cogitemus et videamus sont au subjonctif, je supplée la conjonction ut qui doit amener ce mode ; cette conjonction exige un antécédent qui soit modifié par la proposition incidente ou subjonctive, c'est l'adverbe ita, qui ne peut être que le complément modificatif du verbe principal esto ; je supplée esto à l'impératif, à cause du sens impératif de la phrase, et le sujet de ce verbe est le nom général res.

Ce serait le même supplément, si le verbe était à la troisième personne dans la phrase prétendue directe. VENDAT aedes vir bonus propter aliqua vitia quae ipse novit, caeteri ignorent pestilentes SINT, et HABEANTUR salubres ; IGNORETUR in omnibus cubiculis apparere serpentes : malè materiatae, ruinosae : sed hoc, praeter dominum, nemo SCIAT. Off. IIIe 13. Il faut mettre par-tout le même supplément, res esto ita ut.

2°. Ceux de nos grammairiens français qui établissent une troisième personne singulière, et une troisième personne plurielle dans nos impératifs, sont encore dans la même erreur. Qu'ils y prennent garde, la seconde du singulier et les deux premières du pluriel ont une forme bien différente des prétendues troisiemes personnes ; fais, faisons, faites ; lis, lisons, lisez ; écoute, écoutons, écoutez, etc. ce sont communément des personnes de l'indicatif dont on supprime les pronoms personnels ; et cette suppression même est la forme qui constitue l'impératif, voyez IMPERATIF. Mais c'est tout autre chose à la prétendue troisième personne ; qu'il ou qu'elle fasse, qu'il ou qu'elle lise, qu'il ou qu'elle écoute, au singulier ; qu'ils ou qu'elles fassent, qu'ils ou qu'elles lisent, qu'ils ou qu'elles écoutent, au pluriel ; il y a ici des pronoms personnels, une conjonction que, en un mot, ces deux troisiemes personnes prétendues impératives, sont toujours les mêmes, dit M. Restaut, ch. VIe art. 3. que celles du présent du subjonctif.

Or, je le demande, est-il croyable qu'aucune vue d'analogie ait pu donner des formations si différentes aux personnes d'un même temps, je ne dis pas par rapport à quelques verbes exceptés, comme chacun sent que cela peut être, mais dans le système entier de la conjugaison française ? Ce ne serait plus analogie, puisque des idées semblables auraient des signes différents, et que des idées différentes y auraient des signes semblables ; ce serait anomalie et confusion.

Je dis donc que les prétendues troisiemes personnes de l'impératif sont en effet du subjonctif, comme il est évident par la forme constante qu'elles ont, et par la conjonction qui les accompagne toujours : j'ajoute que dans toutes les occasions où elles paraissent employées directement, comme il convient en effet au mode impératif, il y a nécessairement une ellipse, sans le supplément de laquelle il n'est pas possible de rendre de la phrase une bonne raison grammaticale. Qu'il médite beaucoup avant que d'écrire, c'est-à-dire il faut, il est nécessaire, il est convenable, je lui conseille, etc. qu'il médite beaucoup avant que d'écrire : Qu'elles aient tout préparé quand nous arriverons, c'est-à-dire, par exemple, je désire ou je veux qu'elles aient tout préparé.

Mais dira-t-on, ces suppléments font disparaitre le sens impératif que la forme usuelle montre nettement ; donc ils ne rendent pas une juste raison de la phrase. Il me semble au contraire, que c'est marquer bien nettement le sens impératif, que de dire je veux, je désire, je conseille (Voyez IMPERATIF) : et si l'on dit, il faut, il est nécessaire, il est convenable ; qu'est-ce à dire, sinon la loi ordonne, la raison rend nécessaire ou impose la nécessité, la bienséance ou la convenance exige ? Et tout cela n'est-il pas impératif ?

C'est donc la forme de la phrase, c'est le tour elliptique qui avertit alors du sens impératif ; et il n'est point attaché à la forme particulière du verbe comme dans les autres personnes : mais la forme de la phrase ne doit entrer pour rien dans le système de la conjugaison, où elle n'est nullement sensible. Que je dise à un étranger que ces mots qu'il fasse sont de la conjugaison du verbe faire, il m'en croira : mais que je lui dise que c'est la troisième personne de l'impératif, et que la seconde est fais, je le dis hardiment, il ne m'en croira pas, s'il raisonne juste et conséquemment. S'il connait les principes généraux de la grammaire, et qu'il sache que notre que est une conjonction, je ne doute pas qu'il n'aille jusqu'à voir que ces mots qu'il fasse sont du subjonctif, parce qu'il n'y a que des formes subjonctives qui exigent indispensablement des conjonctions.

3°. Par-tout où l'on trouve le subjonctif, il y a, ou il faut suppléer une conjonction, qui puisse attacher ce mode à une phrase principale. Ainsi dans ces vers d'Horace, II. Ep. j. 1.

Cùm tot SUSTINEAS et tanta negotia solus ;

Res italas armis TUTERIS, moribus ORNES,

Legibus EMENDES : in publica commoda PECCEM,

Si longo sermone MORER tua tempora, Caesar :

Il faut nécessairement suppléer ut avant chacun de ces subjonctifs, et tout ce qui sera nécessaire pour amener cet ut ; par exemple : Cùm res est ita ut tot SUSTINEAS et tanta negotia solus ; ut res italas armis TUTERIS, ut res italas moribus ORNES, ut res italas legibus EMENDES : res erit ita ut in publica commoda PECCEM, si res erit ita ut longo sermone morer tua tempora, Caesar.

Ferreus ESSEM, si te non AMAREM : (Cic. Ep. XVe 21.) c'est-à-dire, res ita jam dudum fuit ut ferreus ESSEM, si unquam res fuit ita ut te non AMAREM.

Pace tuâ DIXERIM : c'est-à-dire, ita concede ut pace tuâ DIXERIM.

Nonnulli etiam Caesari nuntiabant, quum castra moveri aut signa ferri JUSSISSET, non fore dicto audientes milites : (Caes. I. Gall.) c'est-à-dire, quum res futura erat ita ut castra moveri aut signa ferri JUSSISSET.

La nécessité d'interprêter ainsi le subjonctif, est non-seulement une suite de la nature connue de ce mode, c'est encore une chose en quelque sorte avouée par nos grammairiens, qui ont grand soin de mettre la conjonction que avant toutes les personnes des temps du subjonctif, parce qu'il est constant que cette conjonction est essentielle à la syntaxe de ce mode ; que j'aime, que j'aimasse, que j'aye aimé, etc. Les Rudimentaires eux-mêmes ne traduisent pas autrement le subjonctif latin dans les paradigmes des conjugaisons : amem, que j'aime ; amarem, que j'aimasse ; amaverim, que j'aie aimé, etc.

On trouve dans les auteurs latins plusieurs phrases où le subjonctif et l'indicatif paraissent réunis par la conjonction copulative, qui ne doit exprimer qu'une liaison d'unité fondée sur la similitude. (Voyez MOT, art. IIe n °. 3.) Les Grammairiens en ont conclu que c'était une énallage en vertu de laquelle le subjonctif est mis pour l'indicatif. Mais en vérité, c'est connaître bien peu jusqu'à quel point est raisonnable et conséquent ce génie supérieur qui dirige secrètement toutes les langues, que de croire qu'il puisse suggérer des locutions si contraires à ses principes fondamentaux, et conséquemment si nuisibles à la clarté de l'énonciation, qui est le premier et le plus essentiel objet de la parole.

L'énallage est une chimère inventée par les Grammatistes qui n'ont pas su analyser les phrases usuelles. (Voyez ENALLAGE) Chaque tems, chaque mode, chaque nombre, etc. est toujours employé conformément à sa destination ; jamais une conjonction copulative ne lie des phrases dissemblables, comme il n'arrive jamais qu'amare signifie haïr, que ignis signifie eau, etc. l'un n'est ni plus possible, ni plus raisonnable que l'autre.

Que fallait-il donc conclure des phrases où la conjonction copulative semble réunir l'indicatif et le subjonctif ? Par exemple, quand on lit dans Plaute : eloquere quid tibi EST, et quid nostram VELIS operam ; et ailleurs : nunc dicam cujus jussu VENIO, et quamobrem VENERIM etc. ? Voici, si je ne me trompe, comment il fallait raisonner ; la conjonction copulative et doit lier des phrases semblables ; or la première phrase quid tibi EST d'une part, ou cujus jussu VENIO de l'autre, est directe, et le verbe en est à l'indicatif ; donc la seconde phrase de part et d'autre doit également être directe et avoir son verbe à l'indicatif : je trouve cependant le subjonctif ? C'est qu'il constitue une phrase subordonnée à la phrase directe qui doit suivre la conjonction, dont l'ellipse a supprimé le verbe indicatif, mais dont la suppression est indiquée par le subjonctif même qui est exprimé. Ainsi je dois expliquer ces passages en suppléant l'ellipse : eloquere quid tibi EST, et ad quid res est ita ut nostram VELIS operam ; et l'autre, nunc dicam cujus jussu VENIO, et quamobrem factum EST ita ut VENERIM.

Mais ne m'objectera-t-on point que c'est innover dans la langue latine, que d'y imaginer des suppléments de cette espèce ? Ces res est ou erat, ou futura est, ou futura erat ita ut, factum est ita ut, etc. placées par-tout avant le subjonctif, semblent être " des expressions qui ne sont point marquées au coin public, des expressions de mauvais aloi, qui doivent être rejetées comme barbares ". Ainsi s'exprime un grammairien moderne dans une sortie fort vive contre Sanctius. Je ne me donne pas pour l'apologiste de ce grammairien philosophe : je conviens au contraire qu'avec des vues générales très-bonnes en soi, il s'est souvent mépris dans les applications particulières ; et moi-même j'ai osé quelquefois le censurer : mais je pense qu'il est excessif au moins de dire que certaines expressions qu'il a prises pour supplément d'ellipse, " ne sont les productions que de l'ignorance ". On ne doit parler ainsi de quelqu'un en particulier, qu'autant que l'on serait sur d'être infaillible. Je laisse cette digression et je viens à l'objection.

Je réponds, 1°. que ces suppléments ne sont pas tout à fait inconnus dans la langue latine, et qu'on en trouvera des exemples, et la preuve de ce que je soutiens ici sur la nature du subjonctif, dans les excellentes notes de Perizonius sur Sanctius même. Minerv. I. XIIIe

Je réponds, 2°. qu'on ne donne point ces suppléments comme des locutions usitées dans la langue, mais comme des développements analytiques, des phrases usuelles ; non comme des modèles qu'il faille imiter, mais comme des raisons grammaticales des modèles qu'il faut entendre pour les imiter à propos.

Je réponds, 3°. que dès que la raison grammaticale et analytique exige un supplément d'ellipse, on est suffisamment autorisé à le donner, quand même on n'en aurait aucun modèle dans la construction usuelle de la langue. Personne apparemment ne s'est encore avisé de dire en français, je souhaite ardemment que le ciel FASSE en sorte que nous ayons bien-tôt la paix : c'est pourtant le développement analytique le plus naturel et le plus raisonnable de cette phrase française, FASSE le ciel que nous ayons bien-tôt la paix ! C'est une règle générale dans la langue française, et qui peut-être n'a pas encore été observée, que quand un verbe est suivi de son sujet, il y a ellipse du verbe principal auquel est subordonné celui qui est dans une construction inverse. On en peut voir des exemples, (article RELATIF, à la fin), dans lesquels le verbe est à l'indicatif ; et l'on a Ve (article INTERROGATIF), que c'est un des moyens qui nous servent à marquer l'interrogation, sans charger la phrase de mots superflus qui la rendraient lâche. Il en est de même pour le sens optatif de la phrase en question ; et l'ellipse y est indiquée non-seulement par l'inversion du sujet, mais encore par la forme subjonctive du verbe, laquelle suppose toujours un autre verbe à l'indicatif, qui ne peut être ici que le verbe je souhaite ; l'adverbe ardemment que j'y ajoute, me semble nécessaire pour rendre l'énergie du tour elliptique ; et en sorte est l'antécédent nécessaire de la conjonction que, qui doit lier la proposition subjonctive à la principale.

Pour ce qui concerne les temps du subjonctif, il en sera parlé ailleurs. Voyez TEMS.

Remarquons, en finissant, que le subjonctif, est un mode mixte, et par conséquent non nécessaire dans la conjugaison ; c'est pour cela que la langue hébraïque ne l'a point admis ; et il est évident que M. Lavery se trompe dans sa grammaire anglaise dédiée à madame du Bocage, lorsqu'il veut faire trouver un subjonctif dans les verbes anglais : il ne faut pour s'en convaincre, que comparer les temps du prétendu subjonctif avec ceux de l'indicatif, et l'on y verra l'identité la plus exacte ; ce sera la même chose en comparant le prétendu second subjonctif avec le prétendu potentiel ; ils sont également identiques, et j'ajoute que ni l'un ni l'autre ne doit pas plus être compté dans la conjugaison anglaise qu'on ne doit compter dans la nôtre ; je puis diner, je pouvais diner, etc. je veux diner, je voulais diner, etc. j'aime à diner, j'aimais à diner, etc. ou telle autre phrase où entrerait l'infinitif diner. Il me semble difficîle de bien exposer les règles d'aucune grammaire particulière, quand on ne connait pas à fond les principes de la Grammaire générale. (E. R. M. B.)