S. m. terme de Grammaire. Le mot latin supinus signifie proprement couché sur le dos ; c'est l'état d'une personne qui ne fait rien, qui ne se mêle de rien. Sur quel fondement a-t-on donné ce nom à certaines formes de verbes latins, comme amatum, monitum, rectum, auditum, etc. ? Sans entrer dans une discussion inutîle des differentes opinions des grammairiens anciens et modernes sur cette question, je vais proposer la mienne, qui n'aura peut-être pas plus de solidité, mais qui me parait du moins plus vraisemblable.

Les verbes appelés neutres par le commun des grammairiens, comme sum, existo, fio, sto, etc. Diomèdes dit, au rapport de Vossius, (Anal. III. 2.) que le nom de supins leur fut donné par les anciens, quod nempe velut otiosa resupinaque dormiant, nec actionem, nec passionem significantia. Si les anciens ont adopté dans ce sens le terme de supin, comme pouvant devenir propre au langage grammatical ; c'est assurément dans le même sens qu'il a été donné à la partie des verbes qui l'a retenue jusqu'à présent, et c'est avec beaucoup de justice qu'il en est aujourd'hui la dénomination exclusive. Qu'il me soit permis, pour le prouver, de faire ici une petite observation métaphysique.

Quand une puissance agit, il faut distinguer l'action, l'acte et la passion. L'acte est l'effet qui résulte de l'opération de la puissance, (res acta), mais considéré en soi, et sans aucun rapport à la puissance qui l'a produit, ni au sujet sur qui est tombée l'opération ; c'est l'effet Ve dans l'abstraction la plus complete . L'action, c'est l'opération même de la puissance ; c'est le mouvement physique ou moral, qu'elle se donne pour produire l'effet, mais sans aucun rapport au sujet sur qui peut tomber l'opération. La passion enfin, c'est l'impression produite par l'acte, dans le sujet sur qui est tombée l'opération. Ainsi, l'acte tient en quelque manière le milieu, entre l'action et la passion ; il est l'effet immédiat de l'action, et la cause immédiate de la passion ; il n'est ni l'action, ni la passion. Qui dit action, suppose une puissance qui opère ; qui dit passion, suppose un sujet qui reçoit une impression ; mais qui dit acte, fait abstraction, et de la puissance active et du sujet passif.

Or, voilà justement ce qui distingue le supin des verbes : amare (aimer) exprime l'action ; amari (être aimé) exprime la passion ; amatum (aimé) exprime l'acte.

De-là vient, 1°. que le supin amatum peut être mis à la place du prétérit de l'infinitif, et qu'il a essentiellement le sens prétérit, dès qu'on le met à la place de l'action. Dictum est, l'acte de dire est, et par conséquent l'action de dire a été, parce que l'action est nécessairement antérieure à l'acte, comme la cause à l'effet ; ainsi dictum est a le même sens que dicère fuit ou dixisse est pourraient avoir, si l'usage les avait autorisés.

De-là vient, 2°. que le prétérit du participe passif en français, en italien, en espagnol et en allemand, ne diffère du supin, que parce que le participe est déclinable, et que le supin ne l'est pas : supin indéclinable ; loué, fr. lodato, ital. alabado, esp. gelobett, all. Prétérit du participe passif, déclinable ; loué, ée, fr. lodato, ta, ital. alabado, da, esp. gelober, te, tes, all. et il y a encore à remarquer que le supin et le participe dans la langue allemande, ont tous deux la particule prépositive ge qui est le signe de l'antériorité, et qui ne se trouve que dans ces deux parties du verbe loben (louer) ; ce qui confirme grandement mes observations précédentes.

De-là vient, 3°. que le supin n'exprimant ni action, ni passion, a pu servir en latin à produire des formes actives et passives, comme il a plu à l'usage, parce que la diversité des terminaisons sert à marquer celle des idées accessoires qui sont ajoutées à l'idée fondamentale de l'acte énoncé par le supin ; ainsi le futur du participe actif, amaturus, a, um, et le prétérit du participe passif, amatus, a, um, sont également dérivés du supin.

Je ne m'étendrai pas davantage ici sur la nature du supin, ni sur la réalité de son existence dans notre langue et dans celles qui ont des procédés pareils à la nôtre, voyez PARTICIPE, art. II. Mais j'ajouterai seulement quelques remarques, qui sont des suites nécessaires de la nature même de la chose.

1°. Le supin est véritablement verbe, et fait une partie essentielle de la conjugaison, puisqu'il conserve l'idée différencielle de la nature du verbe, celle de l'existence sous un attribut, qui est marquée dans le supin par le rapport d'antériorité qui le met dans la classe des prétérits. Voyez VERBE, PRETERIT et TEMPS.

2°. Le supin est véritablement nom, puisqu'il peut être sujet d'un autre verbe, comme les noms ou complément objectif d'un verbe relatif, ou complément d'une préposition. Itum est, itum erat, itum erit ; le supin est ici le sujet du verbe substantif, et conséquemment au nominatif ; c'est la même chose dans cette phrase de Tite-Live, VIIe 8. Diù non perlitatum tenuerat dictatorem, littéralement, n'avoir pas fait pendant longtemps de sacrifices agréables aux dieux avait retenu le dictateur, car perlitare signifie faire des sacrifices agréables aux dieux, des sacrifices heureux et de bon augure ; c'est-à-dire ce qui avait retenu le dictateur, c'est que depuis longtemps on n'avait point fait de sacrifices favorables. Dans Varron, esse in arcadiâ scio spectatum suem ; le supin est complément objectif de scio, et littéralement scio spectatum veut dire, je sais avoir vu. Enfin, dans Salluste, nec ego vos ultum injurias hortor, le supin est complément de la préposition ad, sous-entendue ici, et communément exprimée après le verbe hortor.

3°. Le supin, à proprement parler, n'est ni de la voix active, ni de la voix passive, puisqu'il n'exprime ni l'action, ni la passion, mais l'acte : cependant comme il se construit plus souvent comme la voix active, que comme la voix passive, parce qu'on le rapporte plus fréquemment au sujet objectif, qu'à la puissance qui produit l'acte ; il convient plutôt de le mettre dans le paradigme de la conjugaison active. En effet, on le trouve souvent employé avec l'accusatif pour régime, et jamais la préposition à ou ab avec l'ablatif, ne lui sert de complément dans le sens passif ; car impetratum est à consuetudine (Cic.) se dit comme on dirait à l'actif impetravimus à consuetudine.

4°. Le supin doit être placé dans l'infinitif, puisqu'il est communément employé pour le prétérit de l'infinitif : dictum est, pour dixisse est, équivalent de dicère fuit, on a dit.

5°. Quelques grammairiens ont prétendu que le supin en u n'est pas un supin, mais l'ablatif d'un nom verbal dérivé du supin, lequel est de la quatrième déclinaison : je crois qu'ils se sont trompés. Les noms verbaux de la quatrième déclinaison, différent de ceux de la troisième, en ce que ceux de la quatrième expriment en effet l'acte, et ceux de la troisième l'action ; ainsi visio, c'est l'action de voir, visus en est l'acte ; pactio, l'action de traiter ; pactus, l'acte même ou le traité ; actio et actus, d'où nous viennent action et acte. Or le supin ayant un nominatif et un accusatif, et surtout un accusatif qui est souvent régi par des prépositions, pourquoi n'aurait-il pas un ablatif pour la même fin ? On répond que l'ablatif devrait être en o à cause du nominatif en um : mais il est vraisemblable que l'usage a proscrit l'ablatif en o, pour empêcher qu'on ne le confondit avec celui du participe passif, et que ce qui a donné la préférence à l'ablatif en u, c'est qu'il présente toujours l'idée fondamentale du supin ; l'idée simple de l'acte, soit qu'on le regarde comme appartenant au supin, soit qu'on le rapporte au nom verbal de la quatrième déclinaison, quand il en existe ; car tous les verbes n'ont pas produit ce nom verbal, et cependant plusieurs dans ce cas-là même ne laissent pas d'avoir le supin en u ; ce qui confirme l'opinion que j'établis ici. (E. R. M. B.)