adject. pris substantivement, (Grammaire) c'est ainsi que l'on nomme communément le petit livre qui renferme les premiers éléments de la lecture, en quelque langue que ce sait. Il en est des éléments de l'art de lire comme de tous les autres ; les livres abécédaires ne sont point rares, les bons ne sont pas communs, et les meilleurs ne sont pas sans défauts : c'est que tout livre préparé pour l'instruction, et surtout pour celle des enfants, doit être conçu et rédigé par la Philosophie ; non pas cette philosophie sourcilleuse, qui méprise tout ce qui n'est pas surprenant, extraordinaire, sublime, et qui ne croit digne de ses regards que les objets éloignés d'elle et placés peut-être hors de la sphère de sa vue ; mais par cette philosophie modeste et rare, qui s'occupe simplement des choses dont la connaissance est nécessaire, qui les examine avec discrétion, qui les discute avec profondeur, qui s'y attache par estime, et qui les estime à-proportion de l'utilité dont elles peuvent être.

Il me semble entendre quelques-uns de ces orgueilleux philosophes dont je viens de parler, reprendre avec dédain le ton élevé dont je me sers ici pour annoncer un genre d'ouvrage qui, à leurs yeux, n'était peut-être pas même digne d'être indiqué dans l'Encyclopédie. J'avoue que la lecture est la moindre des parties nécessaires à une éducation ; mais au moins c'en est une, et l'on peut même dire qu'elle est fondamentale, puisque c'est la clé de toutes les autres sciences, et la première introduction à la Grammaire ; quae nisi oratori futuro fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxeris, corruet. C'est Quintilien qui en parle ainsi. Inst. I. IVe 1.

Lui-même, dès le premier chapitre de son excellent ouvrage, s'est occupé dans un assez grand détail de ce qui choque ici la fausse délicatesse de nos graves philosophes : et je ne veux leur répondre que par les propres paroles de ce sage rhéteur, qui dès son temps avait à prévenir de pareilles objections. Quòd si nemo reprehendit patrem qui haec non negligenda in suo filio putet, cur improbetur, si quis ea quae domi suae rectè faceret, in publicum promit ?... An Philippus Macedonum rex Alexandro filio suo prima litterarum elementa tradiab Aristotele summo ejus aetatis philosopho voluisset, aut ille suscepisset hoc officium, si non studiorum INITIA A PERFECTISSIMO QUOQUE TRACTARI, pertinere ad summam credidisset ? On le voit ; ce n'est pas aux plus malhabiles que Quintilien abandonne le soin de montrer les premiers éléments, initia ; il juge que l'homme le plus parfait n'est pas de trop pour cette première culture, à perfectissimo quoque tractari ; et il en conclut qu'il ne doit pas avoir honte d'exposer au commencement de son ouvrage ses vues sur la manière d'enseigner ces choses : pudeatne me in ipsis statim elementis etiam brevia discendi monstrare compendia. Inst. I. j. 4.

Me voilà donc encore bien plus autorisé que Quintilien même à proposer ainsi mes vues sur la même matière : elles deviennent une partie essentielle d'un ouvrage, qui ayant pour objet l'enchainement de toutes les sciences et de tous les arts, ne peut et ne doit en négliger aucune partie : j'y suis d'ailleurs encouragé par plus d'un exemple dont Quintilien ne pouvait s'étayer ; et le sien même est le principal de tous.

Quelques-uns de nos syllabaires les mieux faits sont de gros in-douze. Ce sont des livres trop volumineux pour des enfants, qui aiment à changer souvent, et qui croient avancer d'autant ; si c'est une illusion, il est utîle de la leur laisser, parce qu'elle sert à les encourager. Ajoutez à cette première observation, que des livres si considérables sont par là même beaucoup trop chers pour leur destination ; la partie la moins aisée des citoyens est la plus nombreuse, et les enfants ont le temps de déchirer plusieurs fois des livres un peu gros, avant que d'arriver à la fin.

Un syllabaire doit donc être d'un volume très-mince, tant pour n'être pas si longtemps nécessaire aux enfants, dont il faut ménager et non pas émousser le gout, que pour être d'une acquisition plus facîle pour tous les ordres de citoyens. Il s'en faut beaucoup qu'ils puissent tous fournir à leurs enfants, ces secours ingénieux mais dispendieux, que l'art a inventés pour apprendre à lire avec succès, comme des fiches, des cartes, une boète typographique, etc. Mais il y en a peu qui ne puissent faire l'acquisition d'un petit livre élémentaire : et s'il est assez bien fait pour être utîle aux pauvres citoyens, les riches mêmes feront peut-être bien de ne pas le dédaigner. Il n'est pas bien sur que le mécanisme de l'enseignement par le bureau typographique, n'accoutume pas les jeunes esprits à une espèce de marche artificielle, qu'il n'est ni possible, ni avantageux de leur faire suivre par-tout.

Mais à quoi faut-il réduire un syllabaire, pour lui donner toute l'utilité dont il est susceptible ? A l'exposition juste et méthodique de tous les éléments des mots, et à quelque petit discours suivi qui sera la matière préparée des premiers essais de lecture.

I. Eléments des mots. La première chose qu'il faut faire connaître aux enfants, ce sont les lettres, et les diverses combinaisons de lettres auxquelles l'usage a attaché la représentation des éléments simples de la voix. Je n'irai point grossir cet article d'un détail minutieux qui ne peut pas convenir ici, on trouvera (articles LETTRE, CONSONNE, VOYELLE, DIPHTONGUE), de quoi y suppléer.

Après les lettres doivent venir les diverses combinaisons des consonnes, et l'on ferait bien de partager ces combinaisons en sections, d'après ce qui est dit de leur sociabilité, au mot SYLLABE.

Les syllabes viendront ensuite : 1°. les syllabes physiques, où le son simple est précédé d'une consonne : 2°. celles où il est précédé de deux consonnes : 3°. celles où il est précédé de trois consonnes : 4°. les syllabes dont le son sensible est une diphtongue réelle et auriculaire, soit seule, soit précédée d'une, de deux ou de trois consonnes.

Je ne parlerai point des syllabes artificielles finales, où le son sensible est suivi d'une consonne, parce que je crois qu'il est plus utîle et plus vrai de détacher cette consonne finale pour la prononcer à-part avec son schéva ou e muet presque insensible, comme je l'ai montré ailleurs. Voyez SYLLABE.

Je ne dis pas non plus qu'il faut nommer toutes les consonnes avec ce schéva ou e muet, conformément aux vues de la grammaire générale, adoptées depuis par MM. Dumas et de Launay, et par les maîtres les plus sages. Cette épellation me parait si vraie, si simple et si utîle ; et l'ancienne au contraire, si inconséquente, si embarrassée, et si opposée aux progrès des enfants, que je pense qu'il n'est plus nécessaire d'insister sur cela.

Mais je remarquerai, comme une chose importante, que pour ce qui concerne les syllabes dont j'ai indiqué le détail et les divisions, il n'en faut omettre aucune dans les tables que l'on en dressera : syllabis nullum compendium est, perdiscendae omnes. C'est l'avis de Quintilien. (Inst. I. j. 5.) ; et il veut qu'on y arrête les enfants jusqu'à ce qu'on ait toute la certitude possible qu'ils ne sont plus embarrassés de la distinction d'aucune syllabe. Je suis persuadé qu'ils ne le seront jamais guère, s'ils nomment les consonnes par le schéva ; parce qu'il est aisé de leur faire concevoir, qu'au lieu de schéva, il faut mettre le son qui suit la consonne.

II. Essais de lecture. Quand les enfants seront fermes sur leurs lettres et sur leurs syllabes, il faut leur faire lire quelque chose ; mais cela doit être préparé. Je ne trouve rien de mieux imaginé que l'expédient que j'ai Ve employé dans quelques syllabaires. Le discours qui doit servir de matière aux premières lectures, est imprimé à droite sur la page recto, sous la forme ordinaire ; et vis-à-vis, à gauche sur le verso, le même discours est imprimé en pareils caractères, mais avec une séparation et un tiret entre chacune des syllabes de chaque mot. Par exemple :

Dieu tou-ché de la ve-rtu de Jo-se-ph, lui fit trou-ver gra-ce de-vant le gou-verneu-r.

Dieu touché de la vertu de Joseph, lui fit trouver grâce devant le gouverneur.

On commence à faire lire l'enfant au verso ; cela est aisé pour lui, il y retrouve dans un autre ordre les mêmes syllabes qu'il a vues auparavant : on l'avertit qu'il faut lire de suite celles qui sont attachées par un tiret ; que les consonnes finales qui sont séparées doivent se prononcer, comme dans gou-ve-rneu-r ; que celles qui ne sont pas séparées sont muettes, comme dans trou-ver, de-vant : il est bientôt au fait, et on peut, après deux essais, lui cacher le verso, et lui faire répéter la même lecture au recto.

Mais quelle matière offrira-t-on à ses premiers essais ? Il me semble que jusqu'ici on n'a apporté guère de discernement ou d'attention au choix que l'on en a fait. Dans quelques syllabaires, c'est l'oraison dominicale, la salutation angélique, le symbole des apôtres, la confession, les commandements de Dieu et de l'Eglise, et quelquefois les pseaumes de la pénitence ; choses excellentes en soi, mais déplacées ici : 1°. parce qu'elles ne sont pas de nature à fixer agréablement l'attention des enfants, dont la curiosité n'y trouve aucune idée nouvelle nettement développée et tenant à leur expérience : 2°. parce qu'on a soin dans les familles chrétiennes d'apprendre de bonne heure aux enfants les mêmes choses qu'on leur met ici sous les yeux, ce qui les expose à rendre très-bien l'enchainement des syllabes et la suite des mots, sans être plus intelligens dans l'art de lire, et à tromper ainsi l'espérance de leurs maîtres, qui en les faisant passer à un autre livre, les trouvent aussi embarrassés et aussi neufs que s'ils n'avaient encore rien Ve de pareil.

D'autres syllabaires ne renferment que des choses inutiles, déplacées, ou au-dessus de la portée des enfants : j'ai Ve dans l'un des principes de grammaire, et quels principes ! dans un autre, les fables d'Esope réduites chacune à quatre vers français, quelquefois difficiles à concevoir pour les lecteurs les plus raisonnables, tandis qu'on a bien de la peine à proportionner la prose la plus simple à la faible intelligence des enfants.

Il est constant qu'ils s'occuperont d'autant plus volontiers de leur lecture, qu'ils la trouveront plus à la portée de leur esprit, et qu'ils auront plus de facilité à l'entendre ; que rien n'est moins éloigné de leur intelligence que les faits historiques, parce que ce sont des tableaux où ils se retrouvent eux-mêmes, et dont leur petite expérience les rend déjà juges compétens ; mais que cette matière même doit encore être rapprochée d'eux par la manière dont on la leur présente ; que le style doit en être concis et clair, les phrases simples et peu recherchées, les périodes courtes et peu compliquées.

L'histoire de Joseph la plus intéressante et la plus instructive de toutes pour les enfants, la plus favorable au développement des premiers germes de vertu qui sont dans leurs cœurs, et la plus propre à mettre dans leurs âmes l'idée heureuse et la conviction utîle des attentions perpétuelles de la providence sur les hommes, me semble mériter par tous ces titres, la préférence sur toute autre histoire pour paraitre la première sous les yeux de l'enfance.

Je voudrais qu'elle fût partagée en plusieurs articles, et que chaque phrase fût en alinea. Ces alinea pris un-à-un, deux-à-deux, etc. selon la capacité de chaque enfant, fixeraient naturellement les premières tâches ; chaque article ferait l'objet d'une répétition totale. Après avoir fait lire à l'enfant un ou deux versets, on lui ferait relire assez pour l'affermir un peu, et on l'exhorterait à les relire assez en son particulier pour les redire par cœur : ce moyen, en mettant de bonne heure en exercice sa mémoire et l'art de s'en servir, lui procurerait plus promptement l'habitude de lire, par la répétition fréquente de l'acte même. En allant ainsi de tâche en tâche, on ne manquerait pas de lui faire reprendre la lecture de tout l'article, quand on serait à la fin, et de lui faire répeter en entier par cœur, avant que d'entamer le suivant. Quand on serait parvenu à la fin de toute l'histoire, il serait bon de la reprendre, en faisant alors de chaque article une seule leçon, et enfin de tous les articles une seule répétition, ou du moins deux répétitions partielles, qui deviendraient elles-mêmes la matière d'une répétition totale, tant pour la lecture que pour la récitation.

Qu'il me soit permis d'analyser ici cette histoire telle que je pense qu'il la faudrait. I. La haine des enfants de Jacob contre leur frère Joseph ; ils le vendent à des marchands qui vont en Egypte, et font croire à leur père qu'une bête l'a dévoré. II. Joseph chez Putiphar, puis en prison ; il est établi sur tous les autres prisonniers. III. Ses prédictions au grand échanson et au grand pannetier du roi. IV. Il explique les songes du roi. Voyez Années d'abondance et de stérilité ; premier voyage des enfants de Jacob en Egypte. VI. Second voyage. VII. Joseph reconnu par ses frères. VIII. Etablissement de la maison de Jacob en Egypte.

Après l'histoire de Joseph, imprimée, comme je l'ai dit, sous deux formes différentes mises en parallèle ; on pourrait ajouter quelqu'autre chose, seulement sous la forme ordinaire, afin d'accoutumer les enfants à lire sans trouver les syllabes décomposées. Mais il faut que cette attention tourne encore au profit des jeunes lecteurs, et soit relative à leurs besoins les plus pressants. Les notions des sons, des articulations, des voyelles constantes, des variables, soit orales, soit nasales ; des consonnes labiales, linguales, et gutturales, des dentales, des sifflantes, des liquides, des mouillées, des nasales, des faibles et des fortes mises en parallèle ; des syllabes physiques, artificielles, usuelles : les noms et les usages des accens, de la cédile, de l'apostrophe, du tiret : les noms des ponctuations, et la mesure des poses qu'elles indiquent : voilà, si je ne me trompe, ce qui doit faire la matière de cette addition. Ce sont les principes immédiats de l'art de la lecture, qui seront plus intelligibles après les premiers essais, et qui contribueront à la perfection des suivants ; pourvu que le style en soit aussi assujetti aux petites lumières de l'enfance, et qu'on les fasse lire et apprendre aux jeunes élèves avec les mêmes précautions que l'histoire de Joseph.

Un syllabaire, bien exécuté dans son détail, est un ouvrage d'autant plus digne d'un citoyen vraiment philosophe, que le public même qu'il servirait lui en tiendrait moins de compte : parce qu'en effet plus habet operis quàm ostentationis. Quintil.