S. f. terme de Grammaire ; ce mot est pris ici dans un sens métaphorique, et vient du latin construere, construire, bâtir, arranger.

La construction est donc l'arrangement des mots dans le discours. La construction est vicieuse quand les mots d'une phrase ne sont pas arrangés selon l'usage d'une langue. On dit qu'une construction est grecque ou latine, lorsque les mots sont rangés dans un ordre conforme à l'usage, au tour, au génie de la langue grecque, ou à celui de la langue latine.

Construction louche ; c'est lorsque les mots sont placés de façon qu'ils semblent d'abord se rapporter à ce qui précède, pendant qu'ils se rapportent réellement à ce qui suit. On a donné ce nom à cette sorte de construction, par une métaphore tirée de ce que dans le sens propre les louches semblent regarder d'un côté pendant qu'ils regardent d'un autre.

On dit construction pleine, quand on exprime tous les mots dont les rapports successifs forment le sens que l'on veut énoncer. Au contraire la construction est elliptique lorsque quelqu'un de ces mots est sousentendu.

Je crois qu'on ne doit pas confondre construction avec syntaxe. Construction ne présente que l'idée de combinaison et d'arrangement. Cicéron a dit selon trois combinaisons différentes, accepi litteras tuas, tuas accepi litteras, et litteras accepi tuas : il y a là trois constructions, puisqu'il y a trois différents arrangements de mots ; cependant il n'y a qu'une syntaxe ; car dans chacune de ces constructions il y a les mêmes signes des rapports que les mots ont entr'eux, ainsi ces rapports sont les mêmes dans chacune de ces phrases. Chaque mot de l'une indique également le même correlatif qui est indiqué dans chacune des deux autres ; en sorte qu'après qu'on a achevé de lire ou d'entendre quelqu'une de ces trois propositions, l'esprit voit également que litteras est le déterminant d'accepi, que tuas est l'adjectif de litteras ; ainsi chacun de ces trois arrangements excite dans l'esprit le même sens, j'ai reçu votre lettre. Or ce qui fait en chaque langue, que les mots excitent le sens que l'on veut faire naître dans l'esprit de ceux qui savent la langue, c'est ce qu'on appelle syntaxe. La syntaxe est donc la partie de la Grammaire qui donne la connaissance des signes établis dans une langue pour exciter un sens dans l'esprit. Ces signes, quand on en sait la destination, font connaître les rapports successifs que les mots ont entr'eux ; c'est pourquoi lorsque celui qui parle ou qui écrit s'écarte de cet ordre par des transpositions que l'usage autorise, l'esprit de celui qui écoute ou qui lit, rétablit cependant tout dans l'ordre en vertu des signes dont nous parlons, et dont il connait la destination par usage.

Il y a en toute langue trois sortes de constructions qu'il faut bien remarquer.

I°. Construction nécessaire, significative ou énonciative, c'est celle par laquelle seule les mots font un sens : on l'appelle aussi construction simple et construction naturelle, parce que c'est celle qui est la plus conforme à l'état des choses, comme nous le ferons voir dans la suite, et que d'ailleurs cette construction est le moyen le plus propre et le plus facîle que la nature nous ait donné pour faire connaître nos pensées par la parole ; c'est ainsi que lorsque dans un traité de Géométrie les propositions sont rangées dans un ordre successif qui nous en fait apercevoir aisément la liaison et le rapport, sans qu'il y ait aucune proposition intermédiaire à suppléer, nous disons que les propositions de ce traité sont rangées dans l'ordre naturel.

Cette construction est encore appelée nécessaire, parce que c'est d'elle seule que les autres constructions empruntent la propriété qu'elles ont de signifier, au point que si la construction nécessaire ne pouvait pas se retrouver dans les autres sortes d'énonciations, celles-ci n'exciteraient aucun sens dans l'esprit, ou n'y exciteraient pas celui qu'on voulait y faire naître ; c'est ce que nous ferons voir bien-tôt plus sensiblement.

II°. La seconde sorte de construction, est la construction figurée.

III°. Enfin, la troisième est celle où les mots ne sont ni tous arrangés suivant l'ordre de la construction simple, ni tous disposés selon la construction figurée. Cette troisième sorte d'arrangement est le plus en usage ; c'est pourquoi je l'appelle construction usuelle.

1. De la construction simple. Pour bien comprendre ce que j'entens par construction simple et nécessaire, il faut observer qu'il y a bien de la différence entre concevoir un sens total, et énoncer ensuite par la parole ce que l'on a conçu.

L'homme est un être vivant, capable de sentir, de penser, de connaître, d'imaginer, de juger, de vouloir, de se ressouvenir, etc. Les actes particuliers de ces facultés se font en nous d'une manière qui ne nous est pas plus connue que la cause du mouvement du cœur, ou de celui des pieds et des mains. Nous savons par sentiment intérieur, que chaque acte particulier de la faculté de penser, ou chaque pensée singulière est excitée en nous en un instant, sans division, et par une simple affection intérieure de nous-mêmes. C'est une vérité dont nous pouvons aisément nous convaincre par notre propre expérience, et surtout en nous rappelant ce qui se passait en nous dans les premières années de notre enfance : avant que nous eussions fait une assez grande provision de mots pour énoncer nos pensées, les mots nous manquaient, et nous ne laissions pas de penser, de sentir, d'imaginer, de concevoir, et de juger. C'est ainsi que nous voulons par un acte simple de notre volonté, acte dont notre sens interne est affecté aussi promptement que nos yeux le sont par les différentes impressions singulières de la lumière. Ainsi je crois que si après la création l'homme fût demeuré seul dans le monde, il ne se serait jamais avisé d'observer dans sa pensée un sujet, un attribut, un substantif, un adjectif, une conjonction, un adverbe, une particule négative, etc.

C'est ainsi que souvent nous ne faisons connaître nos sentiments intérieurs que par des gestes, des mines, des regards, des soupirs, des larmes, et par tous les autres signes, qui sont le langage des passions plutôt que celui de l'intelligence. La pensée, tant qu'elle n'est que dans notre esprit, sans aucun égard à l'énonciation, n'a besoin ni de bouche, ni de langue, ni du son des syllabes ; elle n'est ni hébraïque, ni grecque, ni latine, ni barbare, elle n'est qu'à nous : intùs, in domicilio cogitationis, nec haebrea, nec graeca, nec latina, nec barbara... sine oris et linguae organis, sine strepitu syllabarum. S. August. confess. l. XI. c. IIIe

Mais dès qu'il s'agit de faire connaître aux autres les affections ou pensées singulières, et pour ainsi dire, individuelles de l'intelligence, nous ne pouvons produire cet effet qu'en faisant en détail des impressions, ou sur l'organe de l'ouïe par des sons dont les autres hommes connaissent comme nous la destination, ou sur l'organe de la vue, en exposant à leurs yeux par l'écriture, les signes convenus de ces mêmes sons ? or pour exciter ces impressions, nous sommes contraints de donner à notre pensée de l'étendue, pour ainsi dire, et des parties, afin de la faire passer dans l'esprit des autres, où elle ne peut s'introduire que par leurs sens.

Ces parties que nous donnons ainsi à notre pensée par la nécessité de l'élocution, deviennent ensuite l'original des signes dont nous nous servons dans l'usage de la parole ; ainsi nous divisons, nous analysons, comme par instinct, notre pensée ; nous en rassemblons toutes les parties selon l'ordre de leurs rapports : nous lions ces parties à des signes, ce sont les mots dont nous nous servons ensuite pour en affecter les sens de ceux à qui nous voulons communiquer notre pensée : ainsi les mots sont en même temps, et l'instrument et le signe de la division de la pensée. C'est de-là que vient la différence des langues et celle des idiotismes ; parce que les hommes ne se servent pas des mêmes signes partout, et que le même fond de pensée peut être analysé et exprimé en plus d'une manière.

Dès les premières années de la vie, le penchant que la nature et la constitution des organes donnent aux enfants pour l'imitation, les besoins, la curiosité et la présence des objets qui excitent l'attention, les signes qu'on fait aux enfants en leur montrant les objets, les noms qu'ils entendent en même temps qu'on leur donne, l'ordre successif qu'ils observent que l'on suit, en nommant d'abord les objets, et en énonçant ensuite les modificatifs et les mots déterminans ; l'expérience répétée à chaque instant et d'une manière uniforme, toutes ces circonstances et la liaison qui se trouve entre tant de mouvements excités en même temps : tout cela, dis-je, apprend aux enfants, non-seulement les sons et la valeur des mots, mais encore l'analyse qu'ils doivent faire de la pensée qu'ils ont à énoncer, et de quelle manière ils doivent se servir des mots pour faire cette analyse, et pour former un sens dans l'esprit des citoyens parmi lesquels la providence les a fait naître.

Cette méthode dont on s'est servi à notre égard, est la même que l'on a employée dans tous les temps et dans tous les pays du monde, et c'est celle que les nations les plus policées et les peuples les plus barbares mettent en œuvre pour apprendre à parler à leurs enfants. C'est un art que la nature même enseigne. Ainsi je trouve que dans toutes les langues du monde, il n'y a qu'une même manière nécessaire pour former un sens avec les mots : c'est l'ordre successif des relations qui se trouvent entre les mots, dont les uns sont énoncés comme devant être modifiés ou déterminés, et les autres comme modifiant ou déterminant : les premiers excitent l'attention et la curiosité, ceux qui suivent la satisfont successivement.

C'est par cette manière que l'on a commencé dans notre enfance à nous donner l'exemple et l'usage de l'élocution. D'abord on nous a montré l'objet, ensuite on l'a nommé. Si le nom vulgaire était composé de lettres dont la prononciation fût alors trop difficîle pour nous, on en substituait d'autres plus aisées à articuler. Après le nom de l'objet on ajoutait les mots qui le modifiaient, qui en marquaient les qualités ou les actions, et que les circonstances et les idées accessoires pouvaient aisément nous faire connaître.

A mesure que nous avancions en âge, et que l'expérience nous apprenait le sens et l'usage des prépositions, des adverbes, des conjonctions, et surtout des différentes terminaisons des verbes, destinées à marquer le nombre, les personnes et les temps, nous devenions plus habiles à démêler les rapports des mots et à en apercevoir l'ordre successif, qui forme le sens total des phrases, et qu'on avait grande attention de suivre en nous parlant.

Cette manière d'énoncer les mots successivement selon l'ordre de la modification ou détermination que le mot qui suit donne à celui qui le précède, a fait règle dans notre esprit. Elle est devenue notre modèle invariable, au point que, sans elle, ou du moins sans les secours qui nous aident à la rétablir, les mots ne présentent que leur signification absolue, sans que leur ensemble puisse former aucun sens. Par exemple ;

Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris,

Italiam, fato profugus, Lavinaque venit

Littora. Virg. Aeneid. Liv. I. vers prem.

Otez à ces mots latins les terminaisons ou désinances, qui sont les signes de leur valeur relative, et ne leur laissez que la première terminaison qui n'indique aucun rapport, vous ne formerez aucun sens ; ce serait comme si l'on disait :

Armes, homme, je chante, Troie, qui premier, des côtes,

Italie, destin, fugitif, Laviniens, vint, rivages.

Si ces mots étaient ainsi énoncés en latin avec leurs terminaisons absolues, quand même on les rangerait dans l'ordre où on les voit dans Virgile, non-seulement ils perdraient leur grâce, mais encore ils ne formeraient aucun sens ; propriété qu'ils n'ont que par leurs terminaisons relatives, qui, après que toute la proposition est finie, nous les font regarder selon l'ordre de leurs rapports, et par conséquent selon l'ordre de la construction simple, nécessaire, et significative.

Cano arma atque virum, qui vir, profugus à fato, venit primus ab oris Trojae in Italiam, atque ad littora Lavina ; tant la suite des mots et leurs desinances ont de force pour faire entendre le sens.

Tantum series juncturaque pollet.

Hor. Art. poet. Ve 240.

Quand une fois cette opération m'a conduit à l'intelligence du sens, je lis et je relis le texte de l'auteur, je me livre au plaisir que me cause le soin de rétablir sans trop de peine l'ordre que la vivacité et l'empressement de l'imagination, l'élégance et l'harmonie avaient renversé ; et ces fréquentes lectures me font acquérir un goût éclairé pour la belle latinité.

La construction simple est aussi appelée construction naturelle, parce que c'est celle que nous avons apprise sans maître, par la seule constitution mécanique de nos organes, par notre attention et notre penchant à l'imitation : elle est le seul moyen nécessaire pour énoncer nos pensées par la parole, puisque les autres sortes de construction ne forment un sens, que lorsque par un simple regard de l'esprit nous y apercevons aisément l'ordre successif de la construction simple.

Cet ordre est le plus propre à faire apercevoir les parties que la nécessité de l'élocution nous fait donner à la pensée ; il nous indique les rapports que ces parties ont entr'elles ; rapports dont le concert produit l'ensemble, et pour ainsi dire, le corps de chaque pensée particulière. Telle est la relation établie entre la pensée et les mots, c'est-à-dire, entre la chose et les signes qui la font connaître : connaissance acquise dès les premières années de la vie, par des actes si souvent répétés, qu'il en résulte une habitude que nous regardons comme un effet naturel. Que celui qui parle emploie ce que l'art a de plus séduisant pour nous plaire, et de plus propre à nous toucher, nous applaudirons à ses talents ; mais son premier devoir est de respecter les règles de la construction simple, et d'éviter les obstacles qui pourraient nous empêcher d'y réduire sans peine ce qu'il nous dit.

Comme par-tout les hommes pensent, et qu'ils cherchent à faire connaître la pensée par la parole, l'ordre dont nous parlons est au fond uniforme partout ; et c'est encore un autre motif pour l'appeler naturel.

Il est vrai qu'il y a des différences dans les langues ; différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets et ceux de leurs qualificatifs ; différence dans les terminaisons qui sont les signes de l'ordre successif des correlatifs ; différence dans l'usage des métaphores, dans les idiotismes, et dans les tours de la construction usuelle : mais il y a uniformité en ce que par-tout la pensée qui est à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, et que ces parties ont des signes de leur relation.

Enfin cette construction est encore appelée naturelle, parce qu'elle suit la nature, je veux dire parce qu'elle énonce les mots selon l'état où l'esprit conçoit les choses ; le soleil est lumineux. On suit ou l'ordre de la relation des causes avec les effets, ou celui des effets avec leur cause ; je veux dire que la construction simple procede, ou en allant de la cause à l'effet, ou de l'agent au patient ; comme quand on dit, Dieu a créé le monde ; Julien Leroi a fait cette montre ; Auguste vainquit Antoine ; c'est ce que les Grammairiens appellent la voix active ; ou bien la construction énonce la pensée en remontant de l'effet à la cause, et du patient à l'agent, selon le langage des philosophes ; ce que les Grammairiens appellent la voix passive : le monde a été créé par l'Etre tout puissant ; cette montre a été faite par Julien Leroi, horloger habîle ; Antoine fut vaincu par Auguste. La construction simple présente d'abord l'objet ou sujet, ensuite elle le qualifie selon les propriétés ou les accidents que les sens y découvrent, ou que l'imagination y suppose.

Or dans l'un et dans l'autre de ces deux cas, l'état des choses demande que l'on commence par nommer le sujet. En effet, la nature et la raison ne nous apprennent-elles pas 1°. qu'il faut être avant que d'opérer, prius est esse quam operari ; 2°. qu'il faut exister avant que de pouvoir être l'objet de l'action d'un autre ; 3°. enfin qu'il faut avoir une existence réelle ou imaginée, avant que de pouvoir être qualifié, c'est-à-dire avant que de pouvoir être considéré comme ayant telle ou telle modification propre, ou bien tel ou tel de ces accidents qui donnent lieu à ce que les Logiciens appellent des dénominations externes : il est aimé, il est haï, il est loué, il est blâmé.

On observe la même pratique par imitation, quand on parle de noms abstraits et d'êtres purement métaphysiques : ainsi on dit que la vertu a des charmes, comme l'on dit que le roi a des soldats.

La construction simple, comme nous l'avons déjà remarqué, énonce d'abord le sujet dont on juge, après quoi elle dit, ou qu'il est, ou qu'il fait, ou qu'il souffre, ou qu'il a, soit dans le sens propre, soit au figuré.

Pour mieux faire entendre ma pensée, quand je dis que la construction simple suit l'état des choses, j'observerai que dans la réalité l'adjectif n'énonce qu'une qualification du substantif ; l'adjectif n'est donc que le substantif même considéré avec telle ou telle modification ; tel est l'état des choses : aussi la construction simple ne sépare-t-elle jamais l'adjectif du substantif. Ainsi quand Virgile a dit,

Frigidus, agricolam, si quando continet imber.

Géorg. liv. I. Ve 259.

l'adjectif frigidus étant séparé par plusieurs mots de son substantif imber, cette construction sera, tant qu'il vous plaira, une construction élégante, mais jamais une phrase de la construction simple, parce qu'on n'y suit pas l'ordre de l'état des choses, ni du rapport immédiat qui est entre les mots en conséquence de cet état.

Lorsque les mots essentiels à la proposition ont des modificatifs qui en étendent ou qui en restraignent la valeur, la construction simple place ces modificatifs à la suite des mots qu'ils modifient : ainsi tous les mots se trouvent rangés successivement selon le rapport immédiat du mot qui suit avec celui qui le précède : par exemple, Alexandre vainquit Darius, voilà une simple proposition ; mais si j'ajoute des modificatifs ou adjoints à chacun de ses termes, la construction simple les placera successivement selon l'ordre de leur relation. Alexandre fils de Philippe et roi de Macédoine vainquit avec peu de troupes Darius roi des Perses qui était à la tête d'une armée nombreuse.

Si l'on énonce des circonstances dont le sens tombe sur toute la proposition, on peut les placer ou au commencement ou à la fin de la proposition : par ex. en la troisième année de la cxij. olympiade, 330 ans avant Jesus-Christ, onze jours après une éclipse de lune, Alexandre vainquit Darius ; ou bien Alexandre vainquit Darius en la troisième année, &c.

Les liaisons des différentes parties du discours, telles que cependant, sur ces entrefaites, dans ces circonstances, mais, quoique, après que, avant que, etc. doivent précéder le sujet de la proposition où elles se trouvent, parce que ces liaisons ne sont pas des parties nécessaires de la proposition ; elles ne sont que des adjoints, ou des transitions, ou des conjonctions particulières qui lient les propositions partielles dont les périodes sont composées.

Par la même raison, le relatif qui, quae, quod, et nos qui, que, dont, précèdent tous les mots de la proposition à laquelle ils appartiennent ; parce qu'ils servent à lier cette proposition à quelque mot d'une autre, et que ce qui lie doit être entre deux termes : ainsi dans cet exemple vulgaire, Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est toutpuissant, quem précède adoramus, et que est avant nous adorons, quoique l'un dépende d'adoramus, et l'autre de nous adorons, parce que quem détermine Deus. Cette place du relatif entre les deux propositions correlatives, en fait apercevoir la liaison plus aisément, que si le quem ou le que étaient placés après les verbes qu'ils déterminent.

Je dis donc que pour s'exprimer selon la construction simple, on doit 1°. énoncer tous les mots qui sont les signes des différentes parties que l'on est obligé de donner à la pensée, par la nécessité de l'élocution, et selon l'analogie de la langue en laquelle on a à s'énoncer.

2°. En second lieu la construction simple exige que les mots soient énoncés dans l'ordre successif des rapports qu'il y a entr'eux, en sorte que le mot qui est à modifier ou à déterminer précède celui qui le modifie ou le détermine.

3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaisons qui sont les signes de leur position et de leurs relations, ce serait une faute si l'on se contentait de placer un mot dans l'ordre où il doit être selon la construction simple, sans lui donner la terminaison destinée à indiquer cette position : ainsi on ne dira pas en latin, diliges Dominus Deus tuus, ce qui serait la terminaison de la valeur absolue, ou celle du sujet de la proposition ; mais on dira, diliges Dominum Deum tuum, ce qui est la terminaison de la valeur relative de ces trois derniers mots. Tel est dans ces langues le service et la destination des terminaisons ; elles indiquent la place et les rapports des mots ; ce qui est d'un grand usage lorsqu'il y a inversion ; c'est-à-dire lorsque les mots ne sont pas énoncés dans l'ordre de la construction simple ; ordre toujours indiqué, mais rarement observé dans la construction usuelle des langues dont les noms ont des cas, c'est-à-dire des terminaisons particulières destinées en toute construction à marquer les différentes relations ou les différentes sortes de valeurs relatives des mots.

II. De la construction figurée. L'ordre successif des rapports des mots n'est pas toujours exactement suivi dans l'exécution de la parole : la vivacité de l'imagination, l'empressement à faire connaître ce qu'on pense, le concours des idées accessoires, l'harmonie, le nombre, le rythme, etc. font souvent que l'on supprime des mots, dont on se contente d'énoncer les correlatifs. On interrompt l'ordre de l'analyse ; on donne aux mots une place ou une forme, qui au premier aspect ne parait pas être celle qu'on aurait dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui écoute, ne laisse pas d'entendre le sens de ce qu'on lui dit, parce que l'esprit rectifie l'irrégularité de l'énonciation, et place dans l'ordre de l'analyse les divers sens particuliers, et même le sens des mots qui ne sont pas exprimés.

C'est en ces occasions que l'analogie est d'un grand usage : ce n'est alors que par analogie, par imitation, et en allant du connu à l'inconnu, que nous pouvons concevoir ce qu'on nous dit. Si cette analogie nous manquait, que pourrions-nous comprendre dans ce que nous entendrions dire ? ce serait pour nous un langage inconnu et inintelligible. La connaissance et la pratique de cette analogie ne s'acquiert que par imitation, et par un long usage commencé dès les premières années de notre vie.

Les façons de parler dont l'analogie est pour ainsi dire l'interprete, sont des phrases de la construction figurée.

La construction figurée est donc celle où l'ordre et le procédé de l'analyse énonciative ne sont pas suivis, quoiqu'ils doivent toujours être aperçus, rectifiés, ou suppléés.

Cette seconde sorte de construction est appelée construction figurée, parce qu'en effet elle prend une figure, une forme, qui n'est pas celle de la construction simple. La construction figurée est à la vérité autorisée par un usage particulier ; mais elle n'est pas conforme à la manière de parler la plus régulière, c'est-à-dire à cette construction pleine et suivie dont nous avons parlé d'abord. Par exemple, selon cette première sorte de construction, on dit, la faiblesse des hommes est grande ; le verbe est s'accorde en nombre et en personne avec son sujet la faiblesse, et non avec des hommes. Tel est l'ordre significatif ; tel est l'usage général. Cependant on dit fort bien la plupart des hommes se persuadent, etc. où vous voyez que le verbe s'accorde avec des hommes, et non avec la plupart : les savants disent, les ignorants s'imaginent, etc. telle est la manière de parler générale ; le nominatif pluriel est annoncé par l'article les. Cependant on dit fort bien, des savants m'ont dit, etc. des ignorants s'imaginent, etc. du pain et de l'eau suffisent, &c.

Voilà aussi des nominatifs, selon nos Grammairiens ; pourquoi ces prétendus nominatifs ne sont-ils point analogues aux nominatifs ordinaires ? Il en est de même en latin, et en toutes les langues. Je me contenterai de ces deux exemples.

1°. La préposition ante se construit avec l'accusatif ; tel est l'usage ordinaire : cependant on trouve cette préposition avec l'ablatif dans les meilleurs auteurs, multis ante annis.

2°. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de la personne ou celui de la chose est le sujet de la proposition, ce nom est au nominatif. Il faut bien en effet nommer la personne ou la chose dont on juge, afin qu'on puisse entendre ce qu'on en dit. Cependant on trouve des phrases sans nominatif ; et ce qui est plus irrégulier encore, c'est que le mot qui, selon la règle, devrait être au nominatif, se trouve au contraire en un cas oblique poenitet me peccati, je me repens de mon péché ; le verbe est ici à la troisième personne en latin, et à la première en français.

Qu'il me soit permis de comparer la construction simple au droit commun, et la figurée au droit privilégié. Les jurisconsultes habiles ramènent les privilèges aux lois supérieures de droit commun, et regardent comme des abus que les législateurs devraient réformer, les privilèges qui ne sauraient être réduits à ces lais.

Il en est de même des phrases de la construction figurée ; elles doivent toutes être rapportées aux lois générales du discours, entant qu'il est signe de l'analyse des pensées et des différentes vues de l'esprit. C'est une opération que le peuple fait par sentiment, puisqu'il entend le sens de ces phrases. Mais le Grammairien philosophe doit pénétrer le mystère de leur irrégularité, et faire voir que malgré le masque qu'elles portent de l'anomalie, elles sont pourtant analogues à la construction simple.

C'est ce que nous tâcherons de faire voir dans les exemples que nous venons de rapporter. Mais pour y procéder avec plus de clarté, il faut observer qu'il y a six sortes de figures qui sont d'un grand usage dans l'espèce de construction dont nous parlons, et auxquelles on peut réduire toutes les autres.

1°. L'ellipse, c'est-à-dire manquement, défaut, suppression ; ce qui arrive lorsque quelque mot nécessaire pour réduire la phrase à la construction simple n'est pas exprimé ; cependant ce mot est la seule cause de la modification d'un autre mot de la phrase. P. ex. ne sus Minervam ; Minervam n'est à l'accusatif, que parce que ceux qui entendent le sens de ce proverbe se rappellent aisément dans l'esprit le verbe doceat. Cicéron l'a exprimé (Cic. acad. 1 c. jv.) ; ainsi le sens est sus non doceat Minervam, qu'un cochon, qu'une bête, qu'un ignorant ne s'avise pas de vouloir donner des leçons à Minerve déesse de la science et des beaux arts. Triste lupus stabulis, c'est-à-dire lupus est negotium triste stabulis. Ad Castoris, suppléez ad aedem ou ad templum Castoris. Sanctius et les autres analogistes ont recueilli un grand nombre d'exemples où cette figure est en usage : mais comme les auteurs latins emploient souvent cette figure, et que la langue latine est pour ainsi dire toute elliptique, il n'est pas possible de rapporter toutes les occasions où cette figure peut avoir lieu ; peut-être même n'y a-t-il aucun mot latin qui ne soit sousentendu en quelque phrase. Vulcani item complures, suppléez fuerunt ; primus coelo natus, ex quo Minerva Apollinem, où l'on sousentend peperit (Cic. de nat. deor. liv. III. c. xxij.) et dans Térence (eunuc. act. I. sc. I.), ego ne illam ? quae illum ? quae me ? quae non ? Sur quoi Donat observe que l'usage de l'ellipse est fréquent dans la colere, et qu'ici le sens est, ego ne illam non ulciscar ? quae illum recipit ? quae exclusit me ? quae non admisit ? Priscien remplit ces ellipses de la manière suivante : ego ne illam dignor adventu meo ? quae illum praeposuit mihi ? quae me sprevit ? quae non suscepit heri ? Quoi j'irais la voir, elle qui a préféré Thrason, elle qui m'a hier fermé la porte ?

Il est indifférent que l'ellipse soit remplie par tel ou tel mot, pourvu que le sens indiqué par les adjoints et par les circonstances soit rendu.

Ces sousententes, dit M. Patru (notes sur les remarques de Vaugelas, tome I. page 291. édit. de 1738.) sont fréquentes en notre langue comme en toutes les autres. Cependant elles y sont bien moins ordinaires qu'elles ne le sont dans les langues qui ont des cas ? parce que dans celles-ci le rapport du mot exprimé avec le mot sousentendu, est indiqué par une terminaison relative ; au lieu qu'en français et dans les langues, dont les mots gardent toujours leur terminaison absolue, il n'y a que l'ordre, ou observé, ou facilement aperçu et rétabli par l'esprit, qui puisse faire entendre le sens des mots énoncés. Ce n'est qu'à cette condition que l'usage autorise les transpositions et les ellipses. Or cette condition est bien plus facîle à remplir dans les langues qui ont des cas : ce qui est sensible dans l'exemple que nous avons rapporté, sus Minervam ; ces deux mots rendus en français n'indiqueraient pas ce qu'il y a à suppléer. Mais quand la condition dont nous venons de parler peut aisément être remplie, alors nous faisons usage de l'ellipse, surtout quand nous sommes animés par quelque passion.

Je t'aimais inconstant ; qu'aurais-je fait fidèle ?

Racine, Androm. act. IV. sc. Ve

On voit aisément que le sens est, que n'aurais-je pas fait si tu avais été fidèle ? avec quelle ardeur ne t'aurais-je pas aimé si tu avais été fidèle ? Mais l'ellipse rend l'expression de Racine bien plus vive, que si ce poète avait fait parler Hermione selon la construction pleine. C'est ainsi que lorsque dans la conversation on nous demande quand reviendrez-vous, nous répondons la semaine prochaine, c'est-à-dire je reviendrai dans la semaine prochaine ; à la mi-Aout, c'est-à-dire à la moitié du mois d'Aout ; à la S. Martin, à la Toussaint, au lieu de à la fête de S. Martin, à celle de tous les SS. Dem. Que vous a-t-il dit ? R. rien ; c'est-à-dire il ne m'a rien dit, nullam rem ; on sousentend la négation ne. Qu'il fasse ce qu'il voudra, ce qu'il lui plaira ; on sousentend faire, et c'est de ce mot sousentendu que dépend le que apostrophé devant il. C'est par l'ellipse que l'on doit rendre raison d'une façon de parler qui n'est plus aujourd'hui en usage dans notre langue, mais qu'on trouve dans les livres mêmes du siècle passé ; c'est et qu'ainsi ne sait, pour dire ce que je vous dis est si vrai que, etc. cette manière de parler, dit Danet (verbo ainsi), se prend en un sens tout contraire à celui qu'elle semble avoir ; car, dit-il, elle est affirmative nonobstant la négation. J'étais dans ce jardin, et qu'ainsi ne sait, voilà une fleur que j'y ai cueillie ; c'est comme si je disais, et pour preuve de cela voilà une fleur que j'y ai cueillie, atque ut rem ita esse intelligas. Joubert dit aussi et qu'ainsi ne sait, c'est-à-dire pour preuve que cela est, argumento est quod, au mot ainsi. Moliere, dans Pourceaugnac, act. I. sc. XIe fait dire à un médecin que M. de Pourceaugnac est atteint et convaincu de la maladie qu'on appelle mélancholie hypochondriaque ; et qu'ainsi ne sait, ajoute le médecin, pour diagnostic incontestable de ce que je dis, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux, &c.

M. de la Fontaine, dans son Belphégor qui est imprimé à la fin du XII. livre des fables, dit :

C'est le cœur seul qui peut rendre tranquille ;

Le cœur fait tout, le reste est inutile.

Qu'ainsi ne sait, voyons d'autres états, &c.

L'ellipse explique cette façon de parler : en voici la construction pleine, et afin que vous ne disiez point que cela ne soit pas ainsi, c'est que, etc.

Passons aux exemples que nous avons rapportés plus haut : des savants m'ont dit, des ignorants s'imaginent : quand je dis les savants disent, les ignorants s'imaginent, je parle de tous les savants et de tous les ignorants ; je prents savants et ignorants dans un sens appelatif, c'est-à-dire dans une étendue qui comprend tous les individus auxquels ces mots peuvent être appliqués : mais quand je dis des savants m'ont dit, des ignorants s'imaginent, je ne veux parler que de quelques-uns d'entre les savants ou d'entre les ignorants ; c'est une façon de parler abrégée. On a dans l'esprit quelques-uns ; c'est ce pluriel qui est le vrai sujet de la proposition ; de ou des ne sont en ces occasions que des prépositions extractives ou partitives. Sur quoi je ferai en passant une légère observation ; c'est qu'on dit qu'alors savants ou ignorants sont pris dans un sens partitif : je crois que le partage ou l'extraction n'est marqué que par la préposition et par le mot sousentendu, et que le mot exprimé est dans toute sa valeur, et par conséquent dans toute son étendue, puisque c'est de cette étendue ou généralité que l'on tire les individus dont on parle ; quelques-uns de les savants.

Il en est de même de ces phrases, du pain et de l'eau suffisent, donnez-moi du pain et de l'eau, etc. c'est-à-dire quelque chose de, une portion de, ou du, etc. Il y a dans ces façons de parler syllepse et ellipse : il y a syllepse, puisqu'on fait la construction selon le sens que l'on a dans l'esprit, comme nous le dirons bientôt : et il y a ellipse, c'est-à-dire suppression, manquement de quelques mots, dont la valeur ou le sens est dans l'esprit. L'empressement que nous avons à énoncer notre pensée, et à savoir celle de ceux qui nous parlent, est la cause de la suppression de bien des mots qui seraient exprimés, si l'on suivait exactement le détail de l'analyse énonciative des pensées.

3°. Multis ante annis. Il y a encore ici une ellipse : ante n'est pas le correlatif de annis ; car on veut dire que le fait dont il s'agit s'est passé dans un temps qui est bien antérieur au temps où l'on parle : illud fuit gestum annis multis ante hoc tempus. Voici un exemple de Cicéron, dans l'oraison pro L. Corn. Balbo, qui justifie bien cette explication : Hospitium, multis annis ante hoc tempus, Gaditani cum Lucio Cornelio Balbo fecerant, où vous voyez que la construction selon l'ordre de l'analyse énonciative est Gaditani fecerunt hospitium cum Lucio Cornelio Balbo in multis annis ante hoc tempus.

4°. Poenitet me peccati, je me repens de mon péché. Voilà sans doute une proposition en latin et en français. Il doit donc y avoir un sujet et un attribut exprimé ou sousentendu. J'aperçais l'attribut, car je vois le verbe poenitet me ; l'attribut commence toujours par le verbe, et ici poenitet me est tout l'attribut. Cherchons le sujet, je ne vois d'autre mot que peccati : mais ce mot étant au génitif, ne saurait être le sujet de la proposition ; puisque selon l'analogie de la construction ordinaire, le génitif est un cas oblique qui ne sert qu'à déterminer un nom d'espèce. Quel est ce nom que peccati détermine ? Le fond de la pensée et l'imitation doivent nous aider à le trouver. Commençons par l'imitation. Plaute fait dire à une jeune mariée (Stich. act. I. sc. j. Ve 50.), et me quidem haec conditio nunc non poenitet. Cette condition, c'est-à-dire ce mariage ne me fait point de peine, ne m'affecte pas de repentir ; je ne me repens point d'avoir épousé le mari que mon père m'a donné : où vous voyez que conditio est le nominatif de poenitet. Et Ciceron, sapientis est proprium, nihil quod poenitère possit, facère (Tusc. liv. V. c. 28.), c'est-à-dire non facère nihil quod possit poenitère sapientem est proprium sapientis ; où vous voyez que quod est le nominatif de possit poenitère : rien qui puisse affecter le sage de repentir. Accius (apud Gall. n. A. l. XIII. c. ij.) dit que, neque id sane me poenitet ; cela ne m'affecte point de repentir.

Voici encore un autre exemple : Si vous aviez eu un peu plus de déférence pour mes avis, dit Cicéron à son frère ; si vous aviez sacrifié quelques bons mots, quelques plaisanteries, nous n'aurions pas lieu aujourd'hui de nous repentir. Si apud te plus autoritas mea, quam dicendi sal facetiaeque valuisset, nihil sane esset quod nos poeniteret ; il n'y aurait rien qui nous affectât de repentir. Cic. ad Quint. Fratr. l. I. ep. IIe

Souvent, dit Faber dans son trésor au mot poenitet, les anciens ont donné un nominatif à ce verbe : vetères et cum nominativo copularunt.

Poursuivons notre analogie. Ciceron a dit, conscientia peccatorum timore nocentes afficit (Parad. V.) ; et Parad. II. tuae libines torquent te, conscientiae maleficiorum tuorum stimulant te ; vos remords vous tourmentent : et ailleurs on trouve, conscientia scelerum improbos in morte vexat ; à l'article de la mort les méchants sont tourmentés par leur propre conscience.

Je dirai donc par analogie, par imitation, conscientia peccati poenitet me, c'est-à-dire afficit me poena ; comme Ciceron a dit, afficit timore, stimulat, vexat, torquet, mordet ; le remords, le souvenir, la pensée de ma faute m'affecte de peine, m'afflige, me tourmente ; je m'en afflige, je m'en peine, je m'en repens. Notre verbe repentir est formé de la préposition inséparable, re, retro, et de peine, se peiner du passé : Nicot écrit se pèner de ; ainsi se repentir, c'est s'affliger, se punir soi-même de ; quem poenitet, is, dolendo, à se, quasi poenam suae temeritatis exigit. Martinius Voyez Poenitet.

Le sens de la période entière fait souvent entendre le mot qui est sousentendu : par exemple, Felix qui potuit rerum cognoscère causas (Virg. Georg. l. II. vers. 490.), l'antécédent de qui n'est point exprimé ; cependant le sens nous fait voir que l'ordre de la construction est ille qui potuit cognoscère causas rerum est felix.

Il y a une sorte d'ellipse qu'on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage. Cette figure sera facilement entendue par les exemples. Salluste a dit, non de tyranno, sed de cive : non de domino, sed de parente loquimur ; où vous voyez que ce mot loquimur lie tous ces divers sens particuliers, et qu'il est sousentendu en chacun. Voilà l'ellipse qu'on appelle zeugma. Ainsi le zeugma se fait lorsqu'un mot exprimé dans quelque membre d'une période, est sousentendu dans un autre membre de la même période. Souvent le mot est bien le même, eu égard à la signification ; mais il est différent par rapport au nombre ou au genre. Aquilae volarunt, haec ab oriente, illa ab occidente : la construction pleine est haec volavit ab oriente, illa volavit ab occidente ; où vous voyez que volavit qui est sousentendu, diffère de volarunt par le nombre : et de même dans Virgile (Aen. l. I.) hic illius arma, hic currus fuit ; où vous voyez qu'il faut sousentendre fuerunt dans le premier membre. Voici une différence par rapport au genre : utinam aut hic surdus, aut haec muta facta sit (Ter. And. act. III. sc. j.) ; dans le premier sens on sousentend factus sit, et il y a facta dans le second. L'usage de cette sorte de zeugma est souffert en latin ; mais la langue Française est plus délicate et plus difficîle à cet égard. Comme elle est plus assujettie à l'ordre significatif, on n'y doit sousentendre un mot déjà exprimé, que quand ce mot peut convenir également au membre de phrase où il est sousentendu. Voici un exemple qui fera entendre ma pensée : Un auteur moderne a dit, cette histoire achevera de désabuser ceux qui méritent de l'être ; on sousentend désabusés dans ce dernier membre ou incise, et c'est désabuser qui est exprimé dans le premier. C'est une négligence dans laquelle de bons auteurs sont tombés.

II. La seconde sorte de figure est le contraire de l'ellipse ; c'est lorsqu'il y a dans la phrase quelque mot superflu qui pourrait en être retranché sans rien faire perdre du sens ; lorsque ces mots ajoutés donnent au discours ou plus de grâce ou plus de netteté, ou enfin plus de force ou d'énergie, ils font une figure approuvée. Par ex. quand en certaines occasions on dit, je l'ai Ve de mes yeux, je l'ai entendu de mes propres oreilles, etc. je me meurs ; ce me n'est-là que par énergie. C'est peut-être cette raison de l'énergie qui a consacré le pléonasme en certaines façons de parler : comme quand on dit, c'est une affaire où il y Ve du salut de l'état ; ce qui est mieux que si l'on disait, c'est une affaire où il va, etc. en supprimant y qui est inutîle à cause de où. Car, comme on l'a observé dans les remarques et décisions de l'académie Française, 1698, p. 39. il y va, il y a, il en est, sont des formules autorisées dont on ne peut rien ôter.

La figure dont nous parlons est appelée pléonasme, mot grec qui signifie surabondance. Au reste la surabondance qui n'est pas consacrée par l'usage, et qui n'apporte ni plus de netteté, ni plus de grâce, ni plus d'énergie, est un vice, ou du moins une négligence qu'on doit éviter : ainsi on ne doit pas joindre à un substantif une épithète qui n'ajoute rien au sens, et qui n'excite que la même idée ; par ex. une tempête orageuse. Il en est de même de cette façon de parler, il est vrai de dire que ; de dire est entièrement inutile. Un de nos auteurs a dit que Cicéron avait étendu les bornes et les limites de l'éloquence. Défense de Voiture, pag. 1. Limites n'ajoute rien à l'idée de bornes ; c'est un pléonasme.

III. La troisième sorte de figure est celle qu'on appelle syllepse ou synthèse : c'est lorsque les mots sont construits selon le sens et la pensée, plutôt que selon l'usage de la construction ordinaire ; par exemple, monstrum étant du genre neutre, le relatif qui suit ce mot doit aussi être mis au genre neutre, monstrum quod. Cependant Horace, lib. I. od. 37. a dit, fatale monstrum, quae generosius perire quaerents : mais ce prodige, ce monstre fatal, c'est Cléopatre ; ainsi Horace a dit quae au féminin, parce qu'il avait Cléopatre dans l'esprit. Il a donc fait la construction selon la pensée, et non selon les mots. Ce sont des hommes qui ont, etc. sont est au pluriel aussi-bien que ont, parce que l'objet de la pensée c'est des hommes plutôt que ce, qui est ici pris collectivement.

On peut aussi résoudre ces façons de parler par l'ellipse ; car ce sont des hommes qui ont, etc. ce, c'est-à-dire les personnes qui ont, etc. sont du nombre des hommes qui, etc. Quand on dit la faiblesse des hommes est grande, le verbe est étant au singulier, s'accorde avec son nominatif la faiblesse ; mais quand on dit la plupart des hommes s'imaginent, etc. ce mot la plupart présente une pluralité à l'esprit ; ainsi le verbe répond à cette pluralité, qui est son correlatif. C'est encore ici une syllepse ou synthèse, c'est-à-dire une figure, selon laquelle les mots sont construits selon la pensée et la chose, plutôt que selon la lettre et la forme grammaticale : c'est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou ils au masculin ; parce qu'alors on a dans l'esprit l'homme ou les hommes dont on parle qui sont physiquement du genre masculin. C'est par cette figure que l'on peut rendre raison de certaines phrases où l'on exprime la particule ne, quoiqu'il semble qu'elle dû. être supprimée, comme lorsqu'on dit, je crains qu'il ne vienne, j'empêcherai qu'il ne vienne, j'ai peur qu'il n'oublie, etc. En ces occasions on est occupé du désir que la chose n'arrive pas ; on a la volonté de faire tout ce qu'on pourra, afin que rien n'apporte d'obstacle à ce qu'on souhaite : voilà ce qui fait énoncer la négation.

IV. La quatrième sorte de figure, c'est l'hyperbate, c'est-à-dire confusion, mélange de mots : c'est lorsque l'on s'écarte de l'ordre successif de la construction simple ; Saxa vocant Itali, mediis, quae in fluctibus, aras (Virg. Aeneid. l. I. Ve 113.) ; la construction est Itali vocant aras illa saxa quae sunt in fluctibus mediis. Cette figure était, pour ainsi dire, naturelle au latin ; comme il n'y avait que les terminaisons des mots, qui, dans l'usage ordinaire, fussent les signes de la relation que les mots avaient entr'eux, les Latins n'avaient égard qu'à ces terminaisons, et ils plaçaient les mots selon qu'ils étaient présentés à l'imagination, ou selon que cet arrangement leur paraissait produire une cadence et une harmonie plus agréable ; mais parce qu'en français les noms ne changent point de terminaison, nous sommes obligés communément de suivre l'ordre de la relation que les mots ont entre eux. Ainsi nous ne saurions faire usage de cette figure, que lorsque le rapport des correlatifs n'est pas difficîle à apercevoir ; nous ne pourrions pas dire comme Virgile :

Frigidus, ô pueri, fugite hinc, latet anguis in herbâ.

Eclog. III. Ve 93.

L'adjectif frigidus commence le vers, et le substantif anguis en est séparé par plusieurs mots, sans que cette séparation apporte la moindre confusion. Les terminaisons font aisément rapprocher l'un de l'autre à ceux qui savent la langue : mais nous ne serions pas entendus en français, si nous mettions un si grand intervalle entre le substantif et l'adjectif ; il faut que nous disions fuyez, un froid serpent est caché sous l'herbe.

Nous ne pouvons donc faire usage des inversions, que lorsqu'elles sont aisées à ramener à l'ordre significatif de la construction simple ; ce n'est que relativement à cet ordre, que lorsqu'il n'est pas suivi, on dit en toute langue qu'il y a inversion, et non par rapport à un prétendu ordre d'intérêt ou de passions qui ne saurait jamais être un ordre certain, auquel on peut opposer le terme d'inversion : incerta haec si tu postules ratione certa facère, nihilo plus agas, quam si des operam ut cum ratione insanias. Ter. Eun. act. I. sc. j. Ve 16.

En effet on trouve dans Cicéron et dans chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit ; on trouve, dis-je, en différents endroits, le même fond de pensée énoncé avec les mêmes mots, mais toujours disposés dans un ordre différent. Quel est celui de ces divers arrangements par rapport auquel on doit dire qu'il y a inversion ? Ce ne peut jamais être que relativement à l'ordre de la construction simple. Il n'y a inversion que lorsque cet ordre n'est pas suivi. Toute autre idée est sans fondement, et n'oppose inversion qu'au caprice ou à un goût particulier et momentanée.

Mais revenons à nos inversions françaises. Madame Deshoulières dit :

Que les fougueux aquilons,

Sous sa nef, ouvrent de l'onde

Les gouffres les plus profonds. Deshoul. Ode.

La construction simple est, que les aquilons fougueux ouvrent sous sa nef les gouffres les plus profonds de l'onde. M. Fléchier, dans une de ses oraisons funèbres, a dit, sacrifice où coula le sang de mille victimes ; la construction est, sacrifice où le sang de mille victimes coula.

Il faut prendre garde que les transpositions et le renversement d'ordre ne donnent pas lieu à des phrases louches, équivoques, et où l'esprit ne puisse pas aisément rétablir l'ordre significatif ; car on ne doit jamais perdre de vue, qu'on ne parle que pour être entendu : ainsi lorsque les transpositions même servent à la clarté, on doit, dans le discours ordinaire, les préférer à la construction simple. Madame Deshoulières a dit :

Dans les transports qu'inspire.

Cette agréable saison,

Où le cœur, à son empire

Assujettit la raison.

L'esprit saisit plus aisément la pensée, que si cette illustre dame avait dit : dans les transports, que cette agréable saison, où le cœur assujettit la raison à son empire, inspire. Cependant en ces occasions-là même l'esprit aperçoit les rapports des mots, selon l'ordre de la construction significative.

V. La cinquième sorte de figure, c'est l'imitation de quelque façon de parler d'une langue étrangère, ou même de la langue qu'on parle. Le commerce et les relations qu'une nation a avec les autres peuples, font souvent passer dans une langue non-seulement des mots, mais encore les façons de parler, qui ne sont pas conformes à la construction ordinaire de cette langue. C'est ainsi que dans les meilleurs auteurs latins on observe des phrases grecques, qu'on appelle des hellenismes : c'est par une telle imitation qu'Horace a dit (l. III. ode 30. Ve 12.) Daunus agrestium regnavit populorum. Les Grecs disent . Il y en a plusieurs autres exemples ; mais dans ces façons de parler grecques, il y a ou un nom substantif sousentendu, ou quelqu'une de ces prépositions grecques qui se construisent avec le génitif, ici on sousentend , comme M. Dacier l'a remarqué, regnavit regnum populorum : Horace a dit ailleurs, regnata rura. (l. II. ode VIe Ve 21.) Ainsi quand on dit que telle façon de parler est une phrase grecque, cela veut dire que l'ellipse d'un certain mot est en usage en grec dans ces occasions, et que cette ellipse n'est pas en usage en latin dans la construction usuelle ; qu'ainsi on ne l'y trouve que par imitation des Grecs. Les Grecs ont plusieurs prépositions qu'ils construisent avec le génitif ; et dans l'usage ordinaire ils suppriment les prépositions, en sorte qu'il ne reste que le génitif. C'est ce que les Latins ont souvent imité. (Voyez Sanctius, et la méthode de P. R. de l'hellenisme, page 559.) Mais soit en latin, soit en grec, on doit toujours tout réduire à la construction pleine et à l'analogie ordinaire. Cette figure est aussi usitée dans la même langue, surtout quand on passe du sens propre au sens figuré. On dit au sens propre, qu'un homme a de l'argent, une montre, un livre ; et l'on dit par imitation, qu'il a envie, qu'il a peur, qu'il a besoin, qu'il a faim, &c.

L'imitation a donné lieu à plusieurs façons de parler, qui ne sont que des formules que l'usage a consacrées. On se sert si souvent du pronom il pour rappeler dans l'esprit la personne déjà nommée, que ce pronom a passé ensuite par imitation dans plusieurs façons de parler, où il ne rappelle l'idée d'aucun individu particulier. Il est plutôt une sorte de nom métaphysique idéal ou d'imitation ; c'est ainsi que l'on dit, il pleut, il tonne, il faut, il y a des gens qui s'imaginent, etc. Ce il, illud, est un mot qu'on emploie par analogie, à l'imitation de la construction usuelle qui donne un nominatif à tout verbe au mode fini. Ainsi il pleut, c'est le ciel ou le temps qui est tel, qu'il fait tomber la pluie ; il faut, c'est-à-dire cela, illud, telle chose est nécessaire, savoir, etc.

VI. On rapporte à l'hellenisme une figure remarquable, qu'on appelle attraction : en effet cette figure est fort ordinaire aux Grecs ; mais parce qu'on en trouve aussi des exemples dans les autres langues, j'en fais ici une figure particulière.

Pour bien comprendre cette figure, il faut observer que souvent le mécanisme des organes de la parole apporte des changements dans les lettres des mots qui précèdent, ou qui suivent d'autres mots ; ainsi au lieu de dire régulièrement ad-loqui aliquem, parler à quelqu'un, on change le d de la préposition ad en l, à cause de l'l qu'on Ve prononcer, et l'on dit al-loqui aliquem plutôt que ad-loqui ; et de même ir-ruere au lieu de in-ruere, col-loqui au lieu de cum ou con-loqui, etc. ainsi l'l attire une autre l, &c.

Ce que le mécanisme de la parole fait faire à l'égard des lettres, la vue de l'esprit tournée vers un mot principal le fait pratiquer à l'égard de la terminaison des mots. On prend un mot selon sa signification, on n'en change point la valeur : mais à cause du cas, ou du genre, ou du nombre, ou enfin de la terminaison d'un autre mot dont l'imagination est occupée, on donne à un mot voisin de celui-là une terminaison différente de celle qu'il aurait eu selon la construction ordinaire ; en sorte que la terminaison du mot dont l'esprit est occupé, attire une terminaison semblable, mais qui n'est pas la régulière. Urbem quam statuo, vestra est (Aeneid. l. I.) ; quam statuo a attiré urbem au lieu de urbs : et de même populo ut placèrent quas fecisset fabulas, au lieu de fabulae. (Ter. And. prol.)

Je sai bien qu'on peut expliquer ces exemples par l'ellipse ; haec urbs, quam urbem statuo, etc. illae fabulae, quas fabulas fecisset : mais l'attraction en est peut-être la véritable raison. Dii non concessere poetis esse mediocribus (Hor. de arte poetica.) ; mediocribus est attiré par poetis. Animal providum et sagax quem vocamus hominem (Cic. leg. I. 7.), où vous voyez que hominem a attiré quem ; parce qu'en effet hominem était dans l'esprit de Ciceron dans le temps qu'il a dit animal providum. Benevolentia qui est amicitiae fons (Ciceron) ; fons a attiré qui au lieu de quae. Benevolentia est fons, qui est fons amicitiae. Il y a un grand nombre d'exemples pareils dans Sanctius, et dans la méthode latine de P. R. on doit en rendre raison par la direction de la vue de l'esprit qui se porte plus particulièrement vers un certain mot, ainsi que nous venons de l'observer. C'est le ressort des idées accessoires.

De la construction usuelle. La troisième sorte de construction est composée des deux précédentes. Je l'appelle construction usuelle, parce que j'entens par cette construction l'arrangement des mots qui est en usage dans les livres, dans les lettres, et dans la conversation des honnêtes gens. Cette construction n'est souvent ni toute simple, ni toute figurée. Les mots doivent être, simples, clairs, naturels, et exciter dans l'esprit plus de sens, que la lettre ne parait en exprimer ; les mots doivent être énoncés dans un ordre qui n'excite pas un sentiment desagréable à l'oreille ; on doit y observer autant que la convenance des différents styles le permet, ce qu'on appelle le nombre, le rythme, l'harmonie, etc. Je ne m'arrêterai point à recueillir les différentes remarques que plusieurs bons auteurs ont faites au sujet de cette construction. Telles sont celles de MM. de l'académie Française, de Vaugelas, de M. l'abbé d'Olivet, du P. Bouhours, de l'abbé de Bellegarde, de M. de Gamaches, etc. Je remarquerai seulement que les figures dont nous avons parlé, se trouvent souvent dans la construction usuelle, mais elles n'y sont pas nécessaires ; et même communément l'élégance est jointe à la simplicité ; et si elle admet des transpositions, des ellipses, ou quelque autre figure, elles sont aisées à ramener à l'ordre de l'analyse énonciative. Les endroits qui sont les plus beaux dans les anciens, sont aussi les plus simples et les plus faciles.

Il y a donc 1°. une construction simple, nécessaire, naturelle, où chaque pensée est analysée relativement à l'énonciation. Les mots forment un tout qui a des parties ; or la perception du rapport que ces parties ont l'une à l'autre, et qui nous en fait concevoir l'ensemble, nous vient uniquement de la construction simple, qui, énonçant les mots suivant l'ordre successif de leurs rapports, nous les présente de la manière la plus propre à nous faire apercevoir ces rapports et à faire naître la pensée totale.

Cette première sorte de construction est le fondement de toute énonciation. Si elle ne sert de base à l'orateur, la chute du discours est certaine, dit Quint. nisi oratori fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxerit corruet. (Quint. Inst. or. l. I. c. IVe de gr.) Mais il ne faut pas croire, avec quelques grammairiens, que ce soit par cette manière simple que quelque langue ait jamais été formée ; ç'a été après des assemblages sans ordre de pierres et de matériaux, qu'ont été faits les édifices les plus réguliers ; sont-ils élevés, l'ordre simple qu'on y observe cache ce qu'il en a couté à l'art. Comme nous saisissons aisément ce qui est simple et bien ordonné, et que nous apercevons sans peine les rapports des parties qui font l'ensemble, nous ne faisons pas assez d'attention que ce qui nous parait avoir été fait sans peine est le fruit de la réflexion, du travail, de l'expérience, et de l'exercice. Rien de plus irrégulier qu'une langue qui se forme ou qui se perd.

Ainsi, quoique dans l'état d'une langue formée, la construction dont nous parlons soit la première à cause de l'ordre qui fait apercevoir la liaison, la dépendance, la suite, et les rapports des mots ; cependant les langues n'ont pas eu d'abord cette première sorte de construction. Il y a une espèce de métaphysique d'instinct et de sentiment qui a présidé à la formation des langues ; surquoi les Grammairiens ont fait ensuite leurs observations, et ont aperçu un ordre grammatical, fondé sur l'analyse de la pensée, sur les parties que la nécessité de l'élocution fait donner à la pensée, sur les signes de ces parties, et sur le rapport et le service de ces signes. Ils ont observé encore l'ordre pratique et d'usage.

2°. La seconde sorte de construction est appelée construction figurée ; celle-ci s'écarte de l'arrangement de la construction simple, et de l'ordre de l'analyse énonciative.

3°. Enfin il y a une construction usuelle, où l'on suit la manière ordinaire de parler des honnêtes gens de la nation dont on parle la langue, soit que les expressions dont on se sert se trouvent conformes à la construction simple, ou qu'on s'énonce par la figurée. Au reste, par les honnêtes gens de la nation, j'entens les personnes que la condition, la fortune ou le mérite élèvent au-dessus du vulgaire, et qui ont l'esprit cultivé par la lecture, par la réflexion, et par le commerce avec d'autres personnes qui ont ces mêmes avantages. Trais points qu'il ne faut pas séparer : 1° distinction au-dessus du vulgaire, ou par la naissance et la fortune, ou par le mérite personnel ; 2° avoir l'esprit cultivé ; 3° être en commerce avec des personnes qui ont ces mêmes avantages.

Toute construction simple n'est pas toujours conforme à la construction usuelle : mais une phrase de la construction usuelle, même de la plus élégante, peut être énoncée selon l'ordre de la construction simple. Turenne est mort ; la fortune chancelle ; la victoire s'arrête ; le courage des troupes est abattu par la douleur, et ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobîle : (Fléch. or. fun. de M. de Tur.) Quoi de plus simple dans la construction ? quoi de plus éloquent et de plus élégant dans l'expression.

Il en est de même de la construction figurée ; une construction figurée peut être ou n'être pas élégante. Les ellipses, les transpositions, et les autres figures se trouvent dans les discours vulgaires, comme elles se trouvent dans les plus sublimes. Je fais ici cette remarque, parce que la plupart des grammairiens confondent la construction élégante avec la construction figurée, et s'imaginent que toute construction figurée est élégante, et que toute construction simple ne l'est pas.

Au reste, la construction figurée est défectueuse quand elle n'est pas autorisée par l'usage. Mais quoique l'usage et l'habitude nous fassent concevoir aisément le sens de ces constructions figurées, il n'est pas toujours si facîle d'en réduire les mots à l'ordre de la construction simple. C'est pourtant à cet ordre qu'il faut tout ramener, si l'on veut pénétrer la raison des différentes modifications que les mots reçoivent dans le discours. Car, comme nous l'avons déjà remarqué, les constructions figurées ne sont entendues que parce que l'esprit en rectifie l'irrégularité par le secours des idées accessoires, qui font concevoir ce qu'on lit et ce qu'on entend, comme si le sens était énoncé dans l'ordre de la construction simple.

C'est par ce motif, sans doute, que dans les écoles où l'on enseigne le latin, surtout selon la méthode de l'explication, les maîtres habiles commencent par arranger les mots selon l'ordre dont nous parlons, et c'est ce qu'on appelle faire la construction ; après quoi on accoutume les jeunes gens à l'élégance, par de fréquentes lectures du texte dont ils entendent alors le sens, bien mieux et avec plus de fruit que si l'on avait commencé par le texte sans le réduire à la construction simple.

Hé ! n'est-ce pas ainsi que quand on enseigne quelqu'un des Arts libéraux, tel que la Danse, la Musique, la Peinture, l'Ecriture, etc. on mène longtemps les jeunes élèves comme par la main, on les fait passer par ce qu'il y a de plus simple et de plus facîle ; on leur montre les fondements et les principes de l'art, et on les mène ensuite sans peine à ce que l'art a de plus sublime.

Ainsi, quoi qu'en puissent dire quelques personnes peu accoutumées à l'exactitude du raisonnement, et à remonter en tout aux vrais principes, la méthode dont je parle est extrêmement utile. Je vais en exposer ici les fondements, et donner les connaissances nécessaires pour la pratiquer avec succès.

Du discours considéré grammaticalement, et des parties qui le composent. Le discours est un assemblage de propositions, d'énonciations, et de périodes, qui toutes doivent se rapporter à un but principal.

La proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différents rapports qu'ils ont entr'eux, énoncent un jugement ou quelque considération particulière de l'esprit, qui regarde un objet comme tel.

Cette considération de l'esprit peut se faire en plusieurs manières différentes, et ce sont ces différentes manières qui ont donné lieu aux modes des verbes.

Les mots, dont l'assemblage forme un sens, sont donc ou le signe d'un jugement, ou l'expression d'un simple regard de l'esprit qui considère un objet avec telle ou telle modification : ce qu'il faut bien distinguer.

Juger, c'est penser qu'un objet est de telle ou telle façon ; c'est affirmer ou nier ; c'est décider relativement à l'état où l'on suppose que les objets sont en eux-mêmes. Nos jugements sont donc ou affirmatifs ou négatifs. La terre tourne autour du soleil ; voilà un jugement affirmatif. Le soleil ne tourne point autour de la terre ; voilà un jugement négatif. Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugements : je chante, je chantais, j'ai chanté, j'avais chanté, je chanterai ; ce sont là autant de propositions affirmatives, qui deviennent négatives par la seule addition des particules ne, non, ne pas, &c.

Ces propositions marquent un état réel de l'objet dont on juge : je veux dire que nous supposons alors que l'objet est ou qu'il a été, ou enfin qu'il sera tel que nous le disons indépendamment de notre manière de penser.

Mais quand je dis soyez sage, ce n'est que dans mon esprit que je rapporte à vous la perception ou idée d'être sage, sans rien énoncer, au moins directement de votre état actuel ; je ne fais que dire ce que je souhaite que vous soyez : l'action de mon esprit n'a que cela pour objet, et non d'énoncer que vous êtes sage ni que vous ne l'êtes point. Il en est de même de ces autres phrases, si vous étiez sage, afin que vous soyez sage ; et même des phrases énoncées dans un sens abstrait par l'infinitif, Pierre être sage. Dans toutes ces phrases il y a toujours le signe de l'action de l'esprit qui applique, qui rapporte, qui adapte une perception ou une qualification à un objet, mais qui l'adapte, ou avec la forme de commandement, ou avec celle de condition, de souhait, de dépendance, etc. mais il n'y a point là de décision qui affirme ou qui nie relativement à l'état positif de l'objet.

Voilà une différence essentielle entre les propositions : les unes sont directement affirmatives ou négatives, et énoncent des jugements ; les autres n'entrent dans le discours que pour y énoncer certaines vues de l'esprit ; ainsi elles peuvent être appelées simplement énonciations.

Tous les modes du verbe, autre que l'indicatif, nous donnent de ces sortes d'énonciations, même l'infinitif, surtout en latin ; ce que nous expliquerons bien-tôt plus en détail. Il suffit maintenant d'observer cette première division générale de la proposition.

Proposition directe énoncée par le mode indicatif.

Proposition oblique ou simple énonciation exprimée par quelqu'un des autres modes du verbe.

Il ne sera pas inutîle d'observer que les propositions et les énonciations sont quelquefois appelées phrases : mais phrase est un mot générique qui se dit de tout assemblage de mots liés entr'eux, soit qu'ils fassent un sens fini, ou que ce sens ne soit qu'incomplet.

Ce mot phrase se dit plus particulièrement d'une façon de parler, d'un tour d'expression, entant que les mots y sont construits et assemblés d'une manière particulière. Par exemple, on dit est une phrase française ; hoc dicitur est une phrase latine : si dice est une phrase italienne : il y a longtemps est une phrase française ; e molto tempo est une phrase italienne : voilà autant de manières différentes d'analyser et de rendre la pensée. Quand on veut rendre raison d'une phrase, il faut toujours la réduire à la proposition, et en achever le sens, pour démêler exactement les rapports que les mots ont entr'eux selon l'usage de la langue dont il s'agit.

Des parties de la proposition et de l'énonciation. La proposition a deux parties essentielles : 1°. le sujet : 2°. l'attribut. Il en est de même de l'énonciation.

1°. Le sujet ; c'est le mot qui marque la personne ou la chose dont on juge, ou que l'on regarde avec telle ou telle qualité ou modification.

2°. L'attribut ; ce sont les mots qui marquent ce que l'on juge du sujet, ou ce que l'on regarde comme mode du sujet.

L'attribut contient essentiellement le verbe, parce que le verbe est dit du sujet, et marque l'action de l'esprit qui considère le sujet comme étant de telle ou telle façon, comme ayant ou faisant telle ou telle chose. Observez donc que l'attribut commence toujours par le verbe.

Différentes sortes de sujets. Il y a quatre sortes de sujets : 1°. sujet simple, tant au singulier qu'au pluriel : 2°. sujet multiple : 3°. sujet complexe : 4°. sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, et qui sont équivalents à un nom.

1°. Sujet simple, énoncé en un seul mot : le soleil est levé, le soleil est le sujet simple au singulier. Les astres brillent, les astres sont le sujet simple au pluriel.

2°. Sujet multiple, c'est lorsque pour abreger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différents : la foi, l'espérance, et la charité sont trois vertus théologales ; ce qui est plus court que si l'on disait la foi est une vertu théologale, l'espérance est une vertu théologale, la charité est une vertu théologale ; ces trois mots ; la foi, l'espérance, la charité sont le sujet multiple. Et de même, S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, etc. étaient apôtres : S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, voilà le sujet multiple ; étaient apôtres, en est l'attribut commun.

3°. Sujet complexe ; ce mot complexe vient du latin complexus, qui signifie embrassé, composé. Un sujet est complexe, lorsqu'il est accompagné de quelque adjectif ou de quelqu'autre modificatif : Alexandre vainquit Darius, Alexandre est un sujet simple ; mais si je dis Alexandre fils de Philippe, ou Alexandre roi de Macédoine, voilà un sujet complexe. Il faut bien distinguer, dans le sujet complexe, le sujet personnel ou individuel, et les mots qui le rendent sujet complexe. Dans l'exemple ci-dessus, Alexandre est le sujet personnel ; fils de Philippe ou roi de Macedoine, ce sont les mots qui n'étant point séparés d'Alexandre, rendent ce mot sujet complexe.

On peut comparer le sujet complexe à une personne habillée. Le mot qui énonce le sujet est pour ainsi dire la personne, et les mots qui rendent le sujet complexe, ce sont comme les habits de la personne. Observez que lorsque le sujet est complexe, on dit que la proposition est complexe ou composée.

L'attribut peut aussi être complexe ; si je dis qu'Alexandre vainquit Darius roi de Perse, l'attribut est complexe, ainsi la proposition est composée par rapport à l'attribut. Une proposition peut aussi être complexe par rapport au sujet et par rapport à l'attribut.

4°. La quatrième sorte de sujet, est un sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, et qui sont équivalents à un nom.

Il n'y a point de langue qui ait un assez grand nombre de mots, pour suffire à exprimer par un nom particulier chaque idée ou pensée qui peut nous venir dans l'esprit : alors on a recours à la périphrase ; par exemple, les Latins n'avaient point de mot pour exprimer la durée du temps pendant lequel un prince exerce son autorité : ils ne pouvaient pas dire comme nous sous le règne d'Auguste ; ils disaient alors, dans le temps qu'Auguste était empereur, imperante Caesare Augusto ; car regnum ne signifie que royaume.

Ce que je veux dire de cette quatrième sorte de sujets, s'entendra mieux par des exemples. Differer de profiter de l'occasion, c'est souvent la laisser échapper sans retour. Différer de profiter de l'occasion, voilà le sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, dont on dit que c'est souvent laisser échapper l'occasion sans retour. C'est un grand art de cacher l'art : ce hoc, à savoir, cacher l'art, voilà le sujet, dont on dit que c'est un grand art. Bien vivre est un moyen sur de désarmer la médisance : bien vivre est le sujet ; est un moyen sur de désarmer la médisance, c'est l'attribut. Il vaut mieux être juste que d'être riche, être raisonnable que d'être savant. Il y a là quatre propositions selon l'analyse grammaticale, deux affirmatives et deux négatives, du moins en français.

1°. Il, illud : ceci, à savoir être juste, vaut mieux que l'avantage d'être riche ne vaut. Etre juste est le sujet de la première proposition, qui est affirmative ; être riche est le sujet de la seconde proposition, qui est négative en français, parce qu'on sous-entend ne vaut ; être riche ne vaut pas tant.

2°. Il en est de même de la suivante, être raisonnable vaut mieux que d'être savant : être raisonnable est le sujet dont on dit vaut mieux, et cette première proposition est affirmative : dans la correlative être savant ne vaut pas tant, être savant est le sujet. Majus est certeque gratius prodesse hominibus, quam opes magnas habere. (Cicér. de nat. deor. l. II. c. xxv.) Prodesse hominibus, être utîle aux hommes, voilà le sujet, c'est de quoi on affirme que c'est une chose plus grande, plus louable, et plus satisfaisante, que de posséder de grands biens. Remarquez, 1°. que dans ces sortes de sujets il n'y a point de sujet personnel que l'on puisse séparer des autres mots. C'est le sens total, qui résulte des divers rapports que les mots ont entr'eux, qui est le sujet de la proposition ; le jugement ne tombe que sur l'ensemble, et non sur aucun mot particulier de la phrase. 2°. Observez que l'on n'a recours à plusieurs mots pour énoncer un sens total, que parce qu'on ne trouve pas dans la langue un nom substantif destiné à l'exprimer. Ainsi les mots qui énoncent ce sens total suppléent à un nom qui manque : par exemple, aimer à obliger et à faire du bien, est une qualité qui marque une grande âme ; aimer à obliger et à faire du bien, voilà le sujet de la proposition. M. l'abbé de S. Pierre a mis en usage le mot de bienfaisance, qui exprime le sens d'aimer à obliger et à faire du bien : ainsi au lieu de ces mots, nous pouvons dire la bienfaisance est une qualité, etc. Si nous n'avions pas le mot de nourrice, nous dirions une femme qui donne à teter à un enfant, et qui prend soin de la première enfance.

Autres sortes de propositions à distinguer pour bien faire la construction.

II. Proposition absolue ou complete : proposition relative ou partielle.

1°. Lorsqu'une proposition est telle, que l'esprit n'a besoin que des mots qui y sont énoncés pour en entendre le sens, nous disons que c'est là une proposition absolue ou complete .

2°. Quand le sens d'une proposition met l'esprit dans la situation d'exiger ou de supposer le sens d'une autre proposition, nous disons que ces propositions sont relatives, et que l'une est la correlative de l'autre. Alors ces propositions sont liées entr'elles par des conjonctions ou par des termes relatifs. Les rapports mutuels que ces propositions ont alors entre elles, forment un sens total que les Logiciens appellent proposition composée ; et ces propositions qui forment le tout, sont chacune des propositions partielles.

L'assemblage de différentes propositions liées entr'elles par des conjonctions ou par d'autres termes relatifs, est appelé période par les Rhéteurs. Il ne sera pas inutîle d'en dire ici ce que le grammairien en doit savoir.

De la période. La période est un assemblage de propositions liées entr'elles par des conjonctions, et qui toutes ensemble font un sens fini : ce sens fini est aussi appelé sens complet. Le sens est fini lorsque l'esprit n'a pas besoin d'autres mots pour l'intelligence complete du sens, en sorte que toutes les parties de l'analyse de la pensée sont énoncées. Je suppose qu'un lecteur entende sa langue ; qu'il soit en état de démêler ce qui est sujet et ce qui est attribut dans une proposition, et qu'il connaisse les signes qui rendent les propositions correlatives. Les autres connaissances sont étrangères à la Grammaire.

Il y a dans une période autant de propositions qu'il y a de verbes, surtout à quelque mode fini ; car tout verbe employé dans une période marque ou un jugement ou un regard de l'esprit qui applique un qualificatif à un sujet. Or tout jugement suppose un sujet, puisqu'on ne peut juger qu'on ne juge de quelqu'un ou de quelque chose. Ainsi le verbe m'indique nécessairement un sujet et un attribut : par conséquent il m'indique une proposition, puisque la proposition n'est qu'un assemblage de mots qui énoncent un jugement porté sur quelque sujet. Ou bien le verbe m'indique une énonciation, puisque le verbe marque l'action de l'esprit qui adapte ou applique un qualificatif à un sujet, de quelque manière que cette application se fasse.

J'ai dit surtout à quelque mode fini ; car l'infinitif est souvent pris pour un nom, je veux lire : et lors même qu'il est verbe, il forme un sens partiel avec un nom, et ce sens est exprimé par une énonciation qui est ou le sujet d'une proposition logique, ou le terme de l'action d'un verbe, ce qui est très-ordinaire en latin. Voici des exemples de l'un et de l'autre ; et premièrement d'une énonciation, qui est le sujet d'une proposition logique. Ovide fait dire au noyer, qu'il est bien fâcheux pour lui de porter des fruits, nocet esse feracem ; mot à mot, être fertîle est nuisible à moi, où vous voyez que ces mots, être fertile, font un sens total qui est le sujet de est nuisible, nocet. Et de même, magna ars est, non apparere artem ; mot à mot, l'art ne point paraitre est un grand art : c'est un grand art de cacher l'art, de travailler de façon qu'on ne reconnaisse pas la peine que l'ouvrier a eue ; il faut qu'il semble que les choses se soient faites ainsi naturellement. Dans un autre sens cacher l'art, c'est ne pas donner lieu de se défier de quelque artifice ; ainsi l'art ne point paraitre, voilà le sujet dont on dit que c'est un grand art. Te duci ad mortem, Catilina, jam pridem oportebat. (Cic. primo Catil.) mot à mot, toi être mené à la mort, est ce qu'on aurait dû faire il y a longtemps. Toi être mené à la mort, voilà le sujet : et quelques lignes après Cicéron ajoute, interfectum te esse Catilina convenit : toi être tué Catilina convient à la république : toi être tué, voilà le sujet ; convient à la république c'est l'attribut. Hominem esse solum, non est bonum ; hominem esse solum, voilà le sujet, non est bonum, c'est l'attribut.

2°. Ce sens formé par un nom avec un infinitif, est aussi fort souvent le terme de l'action d'un verbe : cupio me esse clementem : Cic. prim. Catil. sub initio. Cupio, je désire : et quoi ? me esse clementem, moi être indulgent : où vous voyez que me esse clementem fait un sens total qui est le terme de l'action de cupio. Cupio hoc nempe, me esse clementem. Il y a en latin un très-grand nombre d'exemples de ce sens total, formé par un nom avec un infinitif ; sens qui étant équivalent à un nom, peut également être ou le sujet d'une proposition, ou le terme de l'action d'un verbe.

Ces sortes d'énonciations qui déterminent un verbe, et qui en font une application, comme quand on dit je veux être sage ; être sage, détermine je veux : ces sortes d'énonciations, dis-je, ou de déterminations ne se font pas seulement par des infinitifs, elles se font aussi quelquefois par des propositions même, comme quand on dit, je ne sai qui a fait cela ; et en latin nescio quis fecit, nescio uter, &c.

Il y a donc des propositions ou énonciations qui ne servent qu'à expliquer ou à déterminer un mot d'une proposition précédente : mais avant que de parler de ces sortes de propositions, et de quitter la période, il ne sera pas inutîle de faire les observations suivantes.

Chaque phrase ou assemblage de mots qui forme un sens partiel dans une période, et qui a une certaine étendue, est appelée membre de la période, . Si le sens est énoncé en peu de mots, on l'appelle incise, , segmen, incisum. Si tous les sens particuliers qui composent la période sont ainsi énoncés en peu de mots ; c'est le style coupé : c'est ce que Cicéron appelle incisim dicère, parler par incise. C'est ainsi, comme nous l'avons déjà vu, que M. Fléchier a dit : Turenne est mort ; la victoire s'arrête ; la fortune chancelle ; tout le camp demeure immobîle : voilà quatre propositions qui ne sont regardées que comme des incises, parce qu'elles sont courtes ; le style périodique emploie des phrases plus longues.

Ainsi une période peut être composée, ou seulement de membres, ce qui arrive lorsque chaque membre a une certaine étendue ; ou seulement d'incises, lorsque chaque sens particulier est énoncé en peu de mots ; ou enfin une période est composée de membres et d'incises.

III. Proposition explicative, proposition déterminative. La proposition explicative est différente de la déterminative, en ce que celle qui ne sert qu'à expliquer un mot, laisse le mot dans toute sa valeur sans aucune restriction ; elle ne sert qu'à faire remarquer quelque propriété, quelque qualité de l'objet : par exemple, l'homme, qui est un animal raisonnable, devrait s'attacher à régler ses passions ; qui est un animal raisonnable, c'est une proposition explicative qui ne restreint point l'étendue du mot d'homme. L'on pourrait dire également, l'homme devrait s'attacher à régler ses passions : cette proposition explicative fait seulement remarquer en l'homme une propriété, qui est une raison qui devrait le porter à régler ses passions.

Mais si je dis, l'homme qui m'est venu voir ce matin, ou l'homme que nous venons de rencontrer, ou dont vous m'avez parlé, est fort savant ; ces trois propositions sont déterminatives ; chacune d'elles restreint la signification d'homme à un seul individu de l'espèce humaine ; et je ne puis pas dire simplement l'homme est fort savant, parce que l'homme serait pris alors dans toute son étendue, c'est-à-dire qu'il serait dit de tous les individus de l'espèce humaine. Les hommes qui sont créés pour aimer Dieu, ne doivent point s'attacher aux bagatelles ; qui sont créés pour aimer Dieu, voilà une proposition explicative, qui ne restreint point l'étendue du mot d'hommes. Les hommes qui sont complaisans se font aimer ; qui sont complaisans, c'est une proposition déterminative, qui restreint l'étendue d'hommes à ceux qui sont complaisans ; en sorte que l'attribut se font aimer n'est pas dit de tous les hommes, mais seulement de ceux qui sont complaisans.

Ces énonciations ou propositions, qui ne sont qu'explicatives ou déterminatives, sont communément liées aux mots qu'elles expliquent ou à ceux qu'elles déterminent par qui, ou par que, ou par dont, duquel, &c.

Elles sont liées par qui, lorsque ce mot est le sujet de la proposition explicative ou déterminative ; celui qui craint le seigneur, etc. les jeunes gens qui étudient, &c.

Elles sont liées par que, ce qui arrive en deux manières.

1°. Ce mot que est souvent le terme de l'action du verbe qui suit : par exemple, le livre que je lis ; que est le terme de l'action de lire. C'est ainsi que dont, duquel, desquels, à qui, auquel, auxquels, servent aussi à lier les propositions, selon les rapports que ces pronoms relatifs ont avec les mots qui suivent.

2°. Ce mot que est encore souvent le représentatif de la proposition déterminative qui Ve suivre un verbe : je dis que ; que est d'abord le terme de l'action je dis, dico quod ; la proposition qui le suit est l'explication de que ; je dis que les gens de bien sont estimés. Ainsi il y a des propositions qui servent à expliquer ou à déterminer quelque mot avec lequel elles entrent ensuite dans la composition d'une période.

IV. Proposition principale, proposition incidente. Un mot n'a de rapport grammatical avec un autre mot, que dans la même proposition : il est donc essentiel de rapporter chaque mot à la proposition particulière dont il fait partie, surtout quand le rapport des mots se trouve interrompu par quelque proposition incidente, ou par quelqu'incise ou sens détaché.

La proposition incidente est celle qui se trouve entre le sujet personnel et l'attribut d'une autre proposition qu'on appelle proposition principale, parce que celle-ci contient ordinairement ce que l'on veut principalement faire entendre.

Ce mot incidente vient du latin incidere, tomber dans : par exemple, Alexandre, qui était roi de Macédoine, vainquit Darius ; Alexandre vainquit Darius, voilà la proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c'est l'attribut : mais entre Alexandre et vainquit il y a une autre proposition, qui était le roi de Macedoine ; comme elle tombe entre le sujet et l'attribut de la proposition principale, on l'appelle proposition incidente, qui en est le sujet : ce qui rappelle l'idée d'Alexandre qui, c'est-à-dire lequel Alexandre ; était roi de Macédoine, c'est l'attribut. Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est toutpuissant : Deus est omnipotens, voilà la proposition principale ; quem adoramus, c'est la proposition incidente ; nos adoramus quem Deum, nous adorons lequel Dieu.

Ces propositions incidentes sont aussi des propositions explicatives ou des propositions déterminatives.

V. Proposition explicite, proposition implicite ou elliptique. Une proposition est explicite, lorsque le sujet et l'attribut y sont exprimés.

Elle est implicite, imparfaite, ou elliptique, lorsque le sujet ou le verbe ne sont pas exprimés, et que l'on se contente d'énoncer quelque mot qui, par la liaison que les idées accessoires ont entr'elles, est destiné à réveiller dans l'esprit de celui qui lit le sens de toute la proposition.

Ces propositions elliptiques sont fort en usage dans les devises et dans les proverbes : en ces occasions les mots exprimés doivent réveiller aisément l'idée des autres mots que l'ellipse supprime.

Il faut observer que les mots énoncés doivent être présentés dans la forme qu'ils le seraient si la proposition était explicite, ce qui est sensible en latin : par exemple, dans le proverbe dont nous avons parlé, ne sus Minervam. Minervam n'est à l'accusatif, que parce qu'il y serait dans la proposition explicite, à laquelle ces mots doivent être rapportés ; sus non doceat Minervam, qu'un ignorant ne se mêle point de vouloir instruire Minerve. Et de même ces trois mots Deo optimo maximo, qu'on ne désigne souvent que par les lettres initiales D. O. M. font une proposition implicite dont la construction pleine est, hoc monumentum, ou thesis haec, dicatur, vovetur, consecratur Deo optimo maximo.

Sur le rideau de la comédie Italienne on lit ces mots tirés de l'art poétique d'Horace, sublato jure nocendi, le droit de nuire ôté. Les circonstances du lieu doivent faire entendre au lecteur intelligent, que celui qui a donné cette inscription a eu dessein de faire dire aux comédiens, ridemus vitia, sublato jure nocendi, nous rions ici des défauts d'autrui, sans nous permettre de blesser personne.

La devise est une représentation allégorique, dont on se sert pour faire entendre une pensée par une comparaison. La devise doit avoir un corps et une âme. Le corps de la devise, c'est l'image ou représentation ; l'âme de la devise, sont les paroles qui doivent s'entendre d'abord littéralement de l'image ou corps symbolique ; et en même temps le concours du corps et de l'âme de la devise doit porter l'esprit à l'application que l'on veut faire, c'est-à-dire à l'objet de la comparaison.

L'ame de la devise est ordinairement une proposition elliptique. Je me contenterai de ce seul exemple : on a représenté le soleil au milieu d'un cartouche, et autour du soleil on a peint d'abord les planètes ; ce qu'on a négligé de faire dans la suite : l'âme de cette devise est nec pluribus impar ; mot à mot, il n'est pas insuffisant pour plusieurs. Le roi Louis XIV. fut l'objet de cette allégorie : le dessein de l'auteur fut de faire entendre que comme le soleil peut fournir assez de lumière pour éclairer ces différentes planètes, et qu'il a assez de force pour surmonter tous les obstacles, et produire dans la nature les différents effets que nous voyons tous les jours qu'il produit ; ainsi le Roi est doué de qualités si éminentes, qu'il serait capable de gouverner plusieurs royaumes ; il a d'ailleurs tant de ressources et tant de forces, qu'il peut résister à ce grand nombre d'ennemis ligués contre lui et les vaincre : de sorte que la construction pleine est, sicut sol non est impar pluribus orbibus illuminandis, ita Ludovicus decimus quartus non est impar pluribus regnis regendis ; nec pluribus hostibus profligandis. Ce qui fait bien voir que lorsqu'il s'agit de construction, il faut toujours réduire toutes les phrases et toutes les propositions à la construction pleine.

VI. Proposition considérée grammaticalement, proposition considérée logiquement. On peut considérer une proposition ou grammaticalement ou logiquement : quand on considère une proposition grammaticalement, on n'a égard qu'aux rapports réciproques qui sont entre les mots ; au lieu que dans la proposition logique, on n'a égard qu'au sens total qui résulte de l'assemblage des mots : en sorte que l'on pourrait dire que la proposition considérée grammaticalement est la proposition de l'élocution ; au lieu que la proposition considérée logiquement est celle de l'entendement, qui n'a égard qu'aux différentes parties, je veux dire aux différents points de vue de sa pensée : il en considère une partie comme sujet, l'autre comme attribut, sans avoir égard aux mots ; ou bien il en regarde une comme cause, l'autre comme effet ; ainsi des autres manières qui sont l'objet de la pensée : c'est ce qui Ve être éclairci par des exemples.

Celui qui me suit, dit Jesus-Christ, ne marche point dans les ténèbres : considérons d'abord cette phrase ou cet assemblage de mots grammaticalement, c'est-à-dire selon les rapports que les mots ont entr'eux ; rapports d'où resulte le sens : je trouve que cette phrase, au lieu d'une seule proposition, en contient trois.

1°. Celui est le sujet de ne marche point dans les ténèbres ; et voilà une proposition principale ; celui étant le sujet, est ce que les Grammairiens appellent le nominatif du verbe.

Ne marche point dans les ténèbres, c'est l'attribut ; marche est le verbe qui est au singulier, et à la troisième personne, parce que le sujet est au singulier, et est un nom de la troisième personne, puisqu'il ne marque ni la personne qui parle, ni celle à qui l'on parle ; ne point est la négation, qui nie du sujet l'action de marcher dans les ténèbres.

Dans les ténèbres, est une modification de l'action de celui qui marche, il marche dans les ténèbres ; dans est une préposition qui ne marque d'abord qu'une modification ou manière incomplete ; c'est-à-dire que dans étant une préposition, n'indique d'abord qu'une espèce, une sorte de modification ; qui doit être ensuite singularisée, appliquée, déterminée par un autre mot, qu'on appelle par cette raison le complément de la préposition : ainsi les ténèbres est le complément de dans ; et alors ces mots, dans les ténèbres, forment un sens particulier qui modifie marche, c'est-à-dire qui énonce une manière particulière de marcher.

2°. Qui me suit, ces trois mots font une proposition incidente qui détermine celui, et le restreint à ne signifier que le Disciple de Jesus-Christ, c'est-à-dire celui qui règle sa conduite et ses mœurs sur les maximes de l'Evangîle : ces propositions incidentes énoncées par qui, sont équivalentes à un adjectif.

Qui est le sujet de cette proposition incidente ; me suit est l'attribut : suit est le verbe ; me est le déterminant ou terme de l'action de suit : car selon l'ordre de la pensée et des rapports, me est après suit ; mais selon l'élocution ordinaire ou construction usuelle, ces sortes de pronoms précèdent le verbe. Notre langue a conservé beaucoup plus d'inversions latines qu'on ne pense.

3°. Dit Jesus-Christ, c'est une troisième proposition qui fait une incise ou sens détaché ; c'est un adjoint : en ces occasions la construction usuelle met le sujet de la proposition après le verbe : Jesus-Christ est le sujet, et dit est l'attribut.

Considérons maintenant cette proposition à la manière des Logiciens : commençons d'abord à en séparer l'incise dit Jesus-Christ ; il ne nous restera plus qu'une seule proposition, celui qui me suit : ces mots ne forment qu'un sens total ; qui est le sujet de la proposition logique, sujet complexe ou composé, car on ne juge de celui, qu'entant qu'il est celui qui me suit : voilà le sujet logique ou de l'entendement. C'est de ce sujet que l'on pense et que l'on dit qu'il ne marche point dans les ténèbres.

Il en est de même de cette autre proposition : Alexandre, qui était roi de Macédoine, vainquit Darius. Examinons d'abord cette phrase grammaticalement. J'y trouve deux propositions : Alexandre vainquit Darius, voilà une proposition principale ; Alexandre en est le sujet ; vainquit Darius, c'est l'attribut. Qui était Roi de Macédoine, c'est une proposition incidente ; qui en est le sujet, et était Roi de Macédoine, l'attribut. Mais logiquement ces mots, Alexandre qui était roi de Macédoine, forment un sens total équivalent à Alexandre roi de Macédoine : ce sens total est le sujet complexe de la proposition ; vainquit Darius, c'est l'attribut.

Je crois qu'un Grammairien ne peut pas se dispenser de connaître ces différentes sortes de propositions, s'il veut faire la construction d'une manière raisonnable.

Les divers noms que l'on donne aux différentes propositions, et souvent à la même, sont tirés des divers points de vue sous lesquels on les considère : nous allons rassembler ici celles dont nous venons de parler, et que nous croyons qu'un Grammairien doit connaître.

TABLE des divers noms que l'on donne aux propositions, aux sujets, et aux attributs.

Il faut observer que les Logiciens donnent le nom de proposition composée à tout sens total qui résulte du rapport que deux propositions grammaticales ont entr'elles ; rapports qui sont marqués par la valeur des différentes conjonctions qui unissent les propositions grammaticales.

Ces propositions composées ont divers noms selon la valeur de la conjonction ou de l'adverbe conjonctif, ou du relatif qui unit les simples propositions partielles, et en fait un tout. Par exemple, ou, aut, vel, est une conjonction disjonctive ou de division. On rassemble d'abord deux objets pour donner ensuite l'alternative de l'un ou celle de l'autre. Ainsi après avoir d'abord rassemblé dans mon esprit l'idée du soleil et celle de la terre, je dis que c'est ou le soleil qui tourne, ou que c'est la terre : voilà deux propositions grammaticales relatives dont les Logiciens ne font qu'une proposition composée, qu'ils appellent proposition disjonctive.

Telles sont encore les propositions conditionnelles qui résultent du rapport de deux propositions par la conjonction conditionnelle si ou pourvu que : si vous étudiez bien, vous deviendrez savant ; voilà une proposition composée qu'on appelle conditionnelle. Ces propositions sont composées de deux propositions particulières, dont l'une exprime une condition d'où dépend un effet que l'autre énonce. Celle où est la condition s'appelle l'antécédent, si vous étudiez bien ; celle qui énonce l'effet qui suivra la condition, est appelée le conséquent, vous deviendrez savant.

Il est estimé parce qu'il est savant et vertueux. Voilà une proposition composée que les Logiciens appellent causale, du mot parce que qui sert à exprimer la cause de l'effet que la première proposition énonce. Il est estimé, voilà l'effet ; et pourquoi ? parce qu'il est savant et vertueux, voilà la cause de l'estime.

La fortune peut bien ôter les richesses, mais elle ne peut pas ôter la vertu : voilà une proposition composée qu'on appelle adversative ou discrétive, du latin discretivus (Donat), qui sert à séparer, à distinguer, parce qu'elle est composée de deux propositions dont la seconde marque une distinction, une séparation, une sorte de contrariété et d'opposition, par rapport à la première ; et cette séparation est marquée par la conjonction adversative mais.

Il est facîle de démêler ainsi les autres sortes de propositions composées ; il suffit pour cela de connaître la valeur des conjonctions qui lient les propositions particulières, et qui par cette liaison forment un tout qu'on appelle proposition composée. On fait ensuite aisément la construction détaillée de chacune des propositions particulières, qu'on appelle aussi partielles ou correlatives.

Je ne parle point ici des autres sortes de propositions, comme des propositions universelles, des particulières, des singulières, des indéfinies, des affirmatives, des négatives, des contradictoires, etc. Quoique ces connaissances soient très-utiles, j'ai cru ne devoir parler ici de la proposition, qu'autant qu'il est nécessaire de la connaître pour avoir des principes surs de construction.

DEUX RAPPORTS GENERAUX : entre les mots dans la construction : I. rapport d'identité : II. rapport de détermination. Tous les rapports particuliers de construction se réduisent à deux sortes de rapports généraux.

I. Rapport d'identité. C'est le fondement de l'accord de l'adjectif avec son substantif, car l'adjectif ne fait qu'énoncer ou déclarer ce que l'on dit qu'est le substantif ; en sorte que l'adjectif c'est le substantif analysé, c'est-à-dire considéré comme étant de telle ou telle façon, comme ayant telle ou telle qualité : ainsi l'adjectif ne doit pas marquer, par rapport au genre, au nombre, et au cas, des vues qui soient différentes de celles sous lesquelles l'esprit considère le substantif.

Il en est de même entre le verbe et le sujet de la proposition, parce que le verbe énonce que l'esprit considère le sujet comme étant, ayant, ou faisant quelque chose : ainsi le verbe doit indiquer le même nombre et la même personne que le sujet indique ; et il y a des langues, tel est l'hébreu, où le verbe indique même le genre. Voilà ce que j'appelle rapport ou raison d'identité, du latin idem.

II. La seconde sorte de rapport qui règle la construction des mots, c'est le rapport de détermination.

Le service des mots dans le discours, ne consiste qu'en deux points :

1°. A énoncer une idée ; lumen, lumière ; sol, soleil.

2°. A faire connaître le rapport qu'une idée a avec une autre idée ; ce qui se fait par les signes établis en chaque langue, pour étendre ou restreindre les idées et en faire des applications particulières.

L'esprit conçoit une pensée tout d'un coup, par la simple intelligence, comme nous l'avons déjà remarqué ; mais quand il s'agit d'énoncer une pensée, nous sommes obligés de la diviser, de la présenter en détail par les mots, et de nous servir des signes établis, pour en marquer les divers rapports. Si je veux parler de la lumière du soleil, je dirai en latin, lumen solis, et en français de le soleil, et par contraction, du soleil, selon la construction usuelle : ainsi en latin, la terminaison de solis détermine lumen à ne signifier alors que la lumière du soleil. Cette détermination se marque en français par la préposition de, dont les Latins ont souvent fait le même usage, comme nous l'avons fait voir en parlant de l'article, templum de marmore, un temple de marbre. Virg. etc.

La détermination qui se fait en latin par la terminaison de l'accusatif, diliges Dominum Deum tuum, ou Dominum Deum tuum diliges ; cette détermination, dis-je, se marque en français par la place ou position du mot, qui selon la construction ordinaire se met après le verbe, tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Les autres déterminations ne se font aujourd'hui en français que par le secours des prépositions. Je dis aujourd'hui, parce qu'autrefois un nom substantif placé immédiatement après un autre nom substantif, le déterminait de la même manière qu'en latin ; un nom qui a la terminaison du génitif, détermine le nom auquel il se rapporte, lumen solis, liber Petri, al tens Innocent III. (Villehardouin) au temps d 'Innocent III. l'Incarnation notre Seigneur (Idem), pour l'Incarnation de notre Seigneur ; le service Deu (Id.), pour le service de Dieu ; le frère l'empereor (Baudoin, id. p. 163.) pour le frère de l'empereur : et c'est de là que l'on dit encore l'hôtel-Dieu, etc. Voyez la préface des antiquités gauloises de Borel. Ainsi nos pères ont d'abord imité l'une et l'autre manière des Latins : premièrement, en se servant en ces occasions de la préposition de ; templum de marmore, un temple de marbre : secondement, en plaçant le substantif modifiant immédiatement après le modifié ; frater imperatoris, le frère l'empereor ; domus Dei, l'hôtel-Dieu. Mais alors le latin désignait par une terminaison particulière l'effet du nom modifiant ; avantage qui ne se trouvait point dans les noms français, dont la terminaison ne varie point. On a enfin donné la préférence à la première manière qui marque cette sorte de détermination par le secours de la préposition de : la gloire de Dieu.

La syntaxe d'une langue ne consiste que dans les signes de ces différentes déterminations. Quand on connait bien l'usage et la destination de ces signes, on sait la syntaxe de la langue : j'entends la syntaxe nécessaire, car la syntaxe usuelle et élégante demande encore d'autres observations ; mais ces observations supposent toujours celles de la syntaxe nécessaire, et ne regardent que la netteté, la vivacité, et les grâces de l'élocution ; ce qui n'est pas maintenant de notre sujet.

Un mot doit être suivi d'un ou de plusieurs autres mots déterminans, toutes les fois que par lui même il ne fait qu'une partie de l'analyse d'un sens particulier ; l'esprit se trouve alors dans la nécessité d'attendre et de demander le mot déterminant, pour avoir tout le sens particulier que le premier mot ne lui annonce qu'en partie. C'est ce qui arrive à toutes les prépositions, et à tous les verbes actifs transitifs : il est allé à ; à n'énonce pas tout le sens particulier : et je demande où ? on répond, à la chasse, à Versailles, selon le sens particulier qu'on a à désigner. Alors le mot qui acheve le sens, dont la préposition n'a énoncé qu'une partie, est le complément de la préposition ; c'est-à-dire que la préposition et le mot qui la détermine, font ensemble un sens partiel, qui est ensuite adapté aux autres mots de la phrase ; en sorte que la préposition est, pour ainsi dire, un mot d'espèce ou de sorte, qui doit ensuite être déterminé individuellement : par exemple, cela est dans, dans marque une sorte de manière d'être par rapport au lieu : et si j'ajoute dans la maison, je détermine, j'individualise, pour ainsi dire, cette manière spécifique d'être dans.

Il en est de même des verbes actifs : quelqu'un me dit que le Roi a donné ; ces mots a donné ne font qu'une partie du sens particulier, l'esprit n'est pas satisfait, il n'est qu'ému, on attend, ou l'on demande, 1°. ce que le roi a donné, 2°. à qui il a donné. On répond, par exemple, à la première question, que le roi a donné un régiment : voilà l'esprit satisfait par rapport à la chose donnée ; régiment est donc à cet égard le déterminant de a donné, il détermine a donné. On demande ensuite, à qui le roi a-t-il donné ce régiment ? on répond à monsieur N. ainsi la préposition à, suivie du nom qui la détermine, fait un sens partiel qui est le déterminant de a donné par rapport à la personne, à qui. Ces deux sortes de relations sont encore plus sensibles en latin où elles sont marquées par des terminaisons particulières. Reddite (illa) quae sunt Caesaris, Caesari : et (illa) quae sunt Dei Deo.

Voilà deux sortes de déterminations aussi nécessaires et aussi directes l'une que l'autre, chacune dans son espèce. On peut, à la vérité, ajouter d'autres circonstances à l'action, comme le temps, le motif, la manière. Les mots qui marquent ces circonstances ne sont que des adjoints, que les mots précèdents n'exigent pas nécessairement. Il faut donc bien distinguer les déterminations nécessaires d'avec celles qui n'influent en rien à l'essence de la proposition grammaticale, en sorte que sans ces adjoints on perdrait à la vérité quelques circonstances de sens ; mais la proposition n'en serait pas moins telle proposition.

A l'occasion du rapport de détermination, il ne sera pas inutîle d'observer qu'un nom substantif ne peut déterminer que trois sortes de mots : 1°. un autre nom, 2° un verbe, 3° ou enfin une préposition. Voilà les seules parties du discours qui aient besoin d'être déterminées ; car l'adverbe ajoute quelque circonstance de temps, de lieu, ou de manière, ainsi il détermine lui-même l'action ou ce qu'on dit du sujet, et n'a pas besoin d'être déterminé. Les conjonctions lient les propositions ; et à l'égard de l'adjectif, il se construit avec son substantif par le rapport d'identité.

1°. Lorsqu'un nom substantif détermine un autre nom substantif, le substantif déterminant se met au génitif en latin lumen, solis ; et en français ce rapport se marque par la préposition de surquoi il faut remarquer que lorsque le nom déterminant est un individu de l'espèce qu'il détermine, on peut considérer le nom d'espèce comme un adjectif, et alors on met les deux noms au même cas par rapport d'identité : urbs Roma, Roma quae est urbs ; c'est ce que les Grammairiens appellent apposition. C'est ainsi que nous disons le mont Parnasse, le fleuve Don, le cheval Pegase, etc. Mais en dépit des Grammairiens modernes, les meilleurs auteurs Latins ont aussi mis au génitif le nom de l'individu, par rapport de détermination. In oppido Antiochiae (Cic.) ; et (Virg.) celsam Butroti ascendimus urbem (Aen. l. III. Ve 293) ; exemple remarquable, car urbem Butroti est à la question quo. Aussi les commentateurs qui préférent la règle de nos Grammairiens à Virgile, n'ont pas manqué de mettre dans leurs notes, ascendimus in urbem Butrotum. Pour nous qui préférons l'autorité incontestable et soutenue des auteurs Latins, aux remarques frivoles de nos Grammairiens, nous croyons que quand on dit maneo Lutetiae, il faut sousentendre in urbe.

2°. Quand un nom détermine un verbe, il faut suivre l'usage établi dans une langue pour marquer cette détermination. Un verbe doit être suivi d'autant de noms déterminans, qu'il y a de sortes d'émotions que le verbe excite nécessairement dans l'esprit. J'ai donné : quoi ? et à qui ?

3°. A l'égard de la préposition, nous venons d'en parler. Nous observerons seulement ici qu'une préposition ne détermine qu'un nom substantif, ou un mot pris substantivement ; et que quand on trouve une préposition suivie d'une autre, comme quand on dit pour du pain, par des hommes, etc. alors il y a ellipse pour quelque partie du pain, par quelques-uns des hommes.

Autres remarques pour bien faire la construction. I. Quand on veut faire la construction d'une période, on doit d'abord la lire entièrement ; et s'il y a quelque mot de sousentendu, le sens doit aider à le suppléer. Ainsi l'exemple trivial des rudiments, Deus quem adoramus, est défectueux. On ne voit pas pourquoi Deus est au nominatif ; il faut dire Deus quem adoramus est omnipotens : Deus est omnipotens, voilà une proposition ; quem adoramus en est une autre.

II. Dans les propositions absolues ou complete s, il faut toujours commencer par le sujet de la proposition, et ce sujet est toujours ou un individu, soit réel, soit métaphysique, ou bien un sens total exprimé par plusieurs mots.

III. Mais lorsque les propositions sont relatives, et qu'elles forment des périodes, on commence par les conjonctions ou par les adverbes conjonctifs qui les rendent relatives ; par exemple, si, quand, lorsque, pendant que, etc. on met à part la conjonction ou l'adverbe conjonctif, et l'on examine ensuite chaque proposition séparément ; car il faut bien observer qu'un mot n'a aucun accident grammatical, qu'à cause de son service dans la seule proposition où il est employé.

IV. Divisez d'abord la proposition en sujet et en attribut le plus simplement qu'il sera possible ; après quoi ajoutez au sujet personnel, ou réel, ou abstrait, chaque mot qui y a rapport, soit par la raison de l'identité, ou par la raison de la détermination ; ensuite passez à l'attribut en commençant par le verbe, et ajoutant chaque mot qui y a rapport selon l'ordre le plus simple, et selon les déterminations que les mots se donnent successivement.

S'il y a quelque adjoint ou incise qui ajoute à la proposition quelque circonstance de temps, de manière, ou quelqu'autre ; après avoir fait la construction de cet incise, et après avoir connu la raison de la modification qu'il a, placez-le au commencement ou à la fin de la proposition ou de la période, selon que cela vous paraitra plus simple et plus naturel.

Par exemple, imperante Caesare Augusto, unigenitus Dei filius Christus, in civitate David, quae vocatur Bethleem, natus est. Je cherche d'abord le sujet personnel, et je trouve Christus ; je passe à l'attribut, et je vois est natus : je dis d'abord Christus est natus. Ensuite je connais par la terminaison, que filius unigenitus se rapporte à Christus par rapport d'identité ; et je vois que Dei étant au génitif, se rapporte à filius par rapport de détermination : ce mot Dei détermine filius à signifier ici le fils unique de Dieu ; ainsi j'écris le sujet total, Christus unigenitus filius Dei.

Est natus, voilà l'attribut nécessaire. Natus est au nominatif, par rapport d'identité avec Christus ; car le verbe est marque simplement que le sujet est, et le mot natus dit ce qu'il est né ; est natus, est né, est celui qui naquit ; est natus, comme nous disons il est venu, il est allé. L'indication du temps passé est dans le participe venu, allé, natus, etc.

In civitate David, voilà un adjoint qui marque la circonstance du lieu de la naissance. In, préposition du lieu déterminée par civitate David. David, nom propre qui détermine civitate. David, ce mot se trouve quelquefois décliné à la manière des Latins, David, Davidis ; mais ici il est employé comme nom hébreu, qui passant dans la langue latine sans en prendre les inflexions, est considéré comme indéclinable.

Cette cité de David est déterminée plus singulièrement par la proposition incidente, quae vocatur Bethleem.

Il y a de plus ici un autre adjoint qui énonce une circonstance de temps, imperante Caesare Augusto. On place ces sortes d'adjoints ou au commencement ou à la fin de la proposition, selon que l'on sent que la manière de les placer apporte ou plus de grâce ou plus de clarté.

Je ne voudrais pas que l'on fâtigât les jeunes gens qui commencent, en les obligeant de faire ainsi eux-mêmes la construction, ni d'en rendre raison de la manière que nous venons de le faire ; leur cerveau n'a pas encore assez de consistance pour ces opérations réfléchies. Je voudrais seulement qu'on ne les occupât d'abord qu'à expliquer un texte suivi, construit selon ces idées ; ils commenceront ainsi à les saisir par sentiment : et lorsqu'ils seront en état de concevoir les raisons de la construction, on ne leur en apprendra point d'autres que celles dont la nature et leurs propres lumières leur feront sentir la vérité. Rien de plus facîle que de les leur faire entendre peu-à-peu sur un latin où elles sont observées, et qu'on leur a fait expliquer plusieurs fais. Il en résulte deux grands avantages ; 1°. moins de dégoût et moins de peine : 2°. leur raison se forme, leur esprit ne se gâte point, et ne s'accoutume pas à prendre le faux pour le vrai, les ténèbres pour la lumière, ni à admettre des mots pour des choses. Quand on connait bien les fondements de la construction, on prend le goût de l'élégance par de fréquentes lectures des auteurs qui ont le plus de réputation.

Les principes métaphysiques de la construction sont les mêmes dans toutes les langues. Je vais en faire l'application sur une ydîle de madame Deshoulières.

Construction grammaticale et raisonnée de l'ydîle de madame Deshoulières, Les moutons.

Hélas petits moutons ; que vous êtes heureux !

Vous êtes heureux, c'est la proposition.

Hélas petits moutons, ce sont des adjoints à la proposition, c'est-à-dire que ce sont des mots qui n'entrent grammaticalement ni dans le sujet, ni dans l'attribut de la proposition.

Hélas est une interjection qui marque un sentiment de compassion : ce sentiment a ici pour objet la personne même qui parle ; elle se croit dans un état plus malheureux que la condition des moutons.

Petits moutons, ces deux mots sont une suite de l'exclamation ; ils marquent que c'est aux moutons que l'auteur adresse la parole ; il leur parle comme à des personnes raisonnables.

Moutons, c'est le substantif, c'est-à-dire le suppôt ; l'être existant, c'est le mot qui explique vous.

Petits, c'est l'adjectif ou qualificatif : c'est le mot qui marque que l'on regarde le substantif avec la qualification que ce mot exprime ; c'est le substantif même considéré fous un tel point de vue.

Petit, n'est pas ici un adjectif qui marque directement le volume et la petitesse des moutons ; c'est plutôt un terme d'affection et de tendresse. La nature nous inspire ce sentiment pour les enfants et pour les petits des animaux, qui ont plus besoin de notre secours que les grands.

Petits moutons ; selon l'ordre de l'analyse énonciative de la pensée, il faudrait dire moutons petits, car petits suppose moutons : on ne met petits au pluriel et au masculin, que parce que moutons est au pluriel et au masculin. L'adjectif suit le nombre et le genre de son substantif, parce que l'adjectif n'est que le substantif même considéré avec telle ou telle qualification ; mais parce que ces différentes considérations de l'esprit se font intérieurement dans le même instant, et qu'elles ne sont divisées que par la nécessité de l'énonciation, la construction usuelle place au gré de l'usage certains adjectifs avant, et d'autres après leurs substantifs.

Que vous êtes heureux ! que est pris adverbialement, et vient du latin quantum, ad quantum, à quel point, combien : ainsi que modifie le verbe ; il marque une manière d'être, et vaut autant que l'adverbe combien.

Vous, est le sujet de la proposition, c'est de vous que l'on juge. Vous, est le pronom de la seconde personne : il est ici au pluriel.

Etes heureux, c'est l'attribut ; c'est ce qu'on juge de vous.

Etes, est le verbe qui outre la valeur ou signification particulière de marquer l'existence, fait connaître l'action de l'esprit qui attribue cette existence heureuse à vous ; et c'est par cette propriété que ce mot est verbe : on affirme que vous existez heureux.

Les autres mots ne sont que des dénominations ; mais le verbe, outre la valeur ou signification particulière du qualificatif qu'il renferme, marque encore l'action de l'esprit qui attribue ou applique cette valeur à un sujet.

Etes : la terminaison de ce verbe marque encore le nombre, la personne, et le temps présent.

Heureux est le qualificatif, que l'esprit considère comme uni et identifié à vous, à votre existence ; c'est ce que nous appelons le rapport d'identité.

Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes.

Voici une autre proposition.

Vous en est encore le sujet simple : c'est un pronom substantif ; car c'est le nom de la seconde personne, en tant qu'elle est la personne à qui l'on adresse la parole ; comme roi, pape, sont des noms de personnes en tant qu'elles possèdent ces dignités. Ensuite les circonstances font connaître de quel roi ou de quel pape on entend parler. De même ici les circonstances, les adjoints font connaître que ce vous, ce sont les moutons. C'est se faire une fausse idée des pronoms que de les prendre pour de simples vicegérents, et les regarder comme des mots mis à la place des vrais noms : si cela était, quand les Latins disent Cerès pour le pain, ou Bacchus pour le vin, Cerès et Bacchus seraient des pronoms.

Paissez est le verbe dans un sens neutre, c'est-à-dire que ce verbe marque ici un état de sujet ; il exprime en même temps l'action et le terme de l'action : car vous paissez est autant que vous mangez l'herbe. Si le terme de l'action était exprimé séparément, et qu'on dit vous paissez l'herbe naissante, le verbe serait actif transitif.

Dans nos champs, voilà une circonstance de l'action.

Dans est une préposition qui marque en vue de l'esprit par rapport au lieu : mais dans ne détermine pas le lieu ; c'est un de ces mots incomplets dont nous avons parlé, qui ne font qu'une partie d'un sens particulier, et qui ont besoin d'un autre mot pour former ce sens : ainsi dans est la préposition, et nos champs en est le complément. Alors ces mots dans nos champs font un sens particulier qui entre dans la composition de la proposition. Ces sortes de sens sont souvent exprimés en un seul mot, qu'on appelle adverbe.

Sans souci, voilà encore une préposition avec son complément ; c'est un sens particulier qui fait un incise. Incise vient du latin incisum, qui signifie coupé : c'est un sens détaché qui ajoute une circonstance de plus à la proposition. Si ce sens était supprimé, la proposition aurait une circonstance de moins ; mais elle n'en serait pas moins proposition.

Sans alarmes est une autre incise.

Aussitôt aimés qu'amoureux,

On ne vous force point à répandre des larmes.

Voici une nouvelle période ; elle a deux membres.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est le premier membre, c'est-à-dire le premier sens partiel qui entre dans la composition de la période.

Il y a ici ellipse, c'est-à-dire que pour faire la construction pleine, il faut suppléer des mots que la construction usuelle supprime, mais dont le sens est dans l'esprit.

Aussitôt aimés qu'amoureux, c'est-à-dire comme vous êtes aimés aussitôt que vous êtes amoureux.

Comme est ici un adverbe relatif qui sert au raisonnement, et qui doit avoir un correlatif comme, c'est-à-dire, et parce que vous êtes, &c.

Vous est le sujet, êtes aimés aussitôt est l'attribut : aussitôt est un adverbe relatif de temps, dans le même temps.

Que, autre adverbe de temps ; c'est le correlatif d'aussitôt. Que appartient à la proposition suivante, que vous êtes amoureux : ce que vient du latin in quo, dans lequel, cùm.

Vous êtes amoureux, c'est la proposition correlative de la précédente.

On ne vous force point à répandre des larmes : cette proposition est la correlative du sens total des deux propositions précédentes.

On est le sujet de la proposition. On vient de homo. Nos pères disaient hom : nou y a hom sus la terre. Voyez Borel au mot hom. On se prend dans un sens indéfini, indéterminé ; une personne quelconque, un individu de votre espèce.

Ne vous force point à répandre des larmes. Voilà tout l'attribut : c'est l'attribut total ; c'est ce qu'on juge de on.

Force est le verbe qui est dit de on ; c'est pour cela qu'il est au singulier et à la troisième personne.

Ne point, ces deux mots font une négation : ainsi la proposition est négative. Voyez ce que nous avons dit de point, en parlant de l'article vers la fin.

Vous : ce mot, selon la construction usuelle, est ici avant le verbe ; mais, selon l'ordre de la construction des vues de l'esprit, vous est après le verbe, puisqu'il est le terme ou l'objet de l'action de forcer.

Cette transposition du pronom n'est pas en usage dans toutes les langues. Les Anglais disent, I dress my self ; mot à mot, j'habille moi-même : nous disons je m'habille, selon la construction usuelle ; ce qui est une véritable inversion, que l'habitude nous fait préférer à la construction régulière. On lit trois fois au dernier chapitre de l'évangîle de S. Jean, Simon diligis me ? Simon amas me ? Pierre aimez-vous moi ? nous disons Pierre m'aimez-vous ?

La plupart des étrangers qui viennent du Nord disent j'aime vous, j'aime lui, au lieu de dire je vous aime, je l'aime, selon notre construction usuelle.

A répandre des larmes : répandre des larmes, ces trois mots font un sens total, qui est le complément de la préposition à. Cette préposition met ce sens total en rapport avec force, forcer, à cogère ad. Virgile a dit, cogitur ire in lacrymas (Aen. l. IV. Ve 413.), et vocant ad lacrymas Aen. l. XI. Ve 96.

Répandre des larmes : des larmes n'est pas ici le complément immédiat de répandre ; des larmes est ici dans un sens partitif ; il y a ici ellipse d'un substantif générique : répandre une certaine quantité de les larmes ; ou, comme disent les Poètes Latins, imbrem lacrymarum, une pluie de larmes.

Vous ne formez jamais d'inutiles désirs.

Vous, sujet de la proposition ; les autres mots sont l'attribut.

Formez, est le verbe à la seconde personne du présent de l'indicatif.

Ne, est la négation qui rend la proposition négative. Jamais, est un adverbe de temps. Jamais, en aucun temps. Ce mot vient de deux mots latins, jam, et magis.

D'inutiles désirs, c'est encore un sens partitif ; vous ne formez jamais certains désirs, quelques désirs qui soient du nombre des désirs inutiles. D'inutiles désirs : quand le substantif et l'adjectif sont ainsi le déterminant d'un verbe ou le complément d'une préposition dans un sens affirmatif, si l'adjectif précède le substantif, il tient lieu d'article, et marque la sorte ou espèce, vous formez d'inutiles désirs ; on qualifie d'inutiles les désirs que vous formez. Si au contraire le substantif précède l'adjectif, on lui rend l'article ; c'est le sens individuel : vous formez des désirs inutiles ; on veut dire que les désirs particuliers ou singuliers que vous formez, sont du nombre de les désirs inutiles. Mais dans le sens négatif on dirait, vous ne formez jamais, pas, point, de désirs inutiles : c'est alors le sens spécifique ; il ne s'agit point de déterminer tels ou tels désirs singuliers ; on ne fait que marquer l'espèce ou sorte de désirs que vous formez.

Dans vos tranquilles cœurs l'amour suit la nature.

La construction est, l'amour suit la nature dans vos cœurs tranquilles. L'amour est le sujet de la proposition, et par cette raison il précède le verbe ; la nature est le terme de l'action de suit, et par cette raison ce mot est après le verbe. Cette position est dans toutes les langues, selon l'ordre de l'énonciation et de l'analyse des pensées : mais lorsque cet ordre est interrompu par des transpositions, dans les langues qui ont des cas, il est indiqué par une terminaison particulière qu'on appelle accusatif ; en sorte qu'après que toute la phrase est finie, l'esprit remet le mot à sa place.

Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.

Construction, vous avez ses plaisirs, sans ressentir ses maux. Vous est le sujet ; les autres mots sont l'attribut.

Sans ressentir ses maux. Sans est une préposition, dont ressentir ses maux est le complément. Ressentir ses maux, est un sens particulier équivalent à un nom. Ressentir, est ici un nom verbal. Sans ressentir, est une proposition implicite, sans que vous ressentiez. Ses maux, est après l'infinitif ressentir, parce qu'il en est le déterminant ; il est le terme de l'action de ressentir.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Qui font tant de maux parmi nous,

Ne se rencontrent point chez vous.

Cette période est composée d'une proposition principale et d'une proposition incidente. Nous avons dit qu'une proposition qui tombe entre le sujet et l'attribut d'une autre proposition, est appelée proposition incidente, du latin incidere, tomber dans ; et que la proposition dans laquelle tombe l'incidente est appelée proposition principale, parce qu'ordinairement elle contient ce que l'on veut principalement faire entendre.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,

Ne se rencontrent point chez vous.

Voilà la proposition principale.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture ; c'est là le sujet de la proposition : cette sorte de sujet est appelé sujet multiple, parce que ce sont plusieurs individus qui ont un attribut commun. Ces individus sont ici des individus métaphysiques, des termes abstraits, à l'imitation d'objets réels.

Ne se rencontrent point chez vous, est l'attribut : or on pouvait dire, l'ambition ne se rencontre point chez vous ; l'honneur ne se rencontre point chez vous ; l'intérêt, etc. ce qui aurait fait quatre propositions. En rassemblant les divers sujets dont on veut dire la même chose, on abrège le discours, et on le rend plus vif.

Qui font tant de maux parmi nous, c'est la proposition incidente : qui en est le sujet ; c'est le pronom relatif ; il rappelle à l'esprit l'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture, dont on vient de parler.

Font tant de maux parmi nous, c'est l'attribut de la proposition incidente.

Tant de maux, c'est le déterminant de font, c'est le terme de l'action de font.

Tant, vient de l'adjectif, tantus, a, um. Tant est pris ici substantivement ; tantum malorum, tantum malorum, une si grande quantité de maux.

De maux, est le qualificatif de tant ; c'est un des usages de la préposition de, de servir à la qualification.

Maux, est ici dans un sens spécifique, indéfini, et non dans un sens individuel : ainsi maux n'est pas précédé de l'article les.

Parmi nous, est une circonstance de lieu ; nous est le complément de la préposition parmi.

Cependant nous avons la raison pour partage,

Et vous en ignorez l'usage.

Voilà deux propositions liées entr'elles par la conjonction &.

Cependant, adverbe ou conjonction adversative, c'est-à-dire qui marque restriction ou opposition par rapport à une autre idée ou pensée. Ici cette pensée est, nous avons la raison ; cependant malgré cet avantage, les passions font tant de maux parmi nous. Ainsi cependant marque opposition, contrariété, entre avoir la raison et avoir des passions. Il y a donc ici une de ces propositions que les Logiciens appellent adversative ou discrétive.

Nous, est le sujet ; avons la raison pour partage, est l'attribut.

La raison pour partage : l'auteur pouvait dire la raison en partage ; mais alors il y aurait eu un bâillement ou hiatus, parce que la raison finit par la voyelle nasale on, qui aurait été suivie de en. Les Poètes ne sont pas toujours si exacts, et redoublent l'n en ces occasions, la raison-n-en partage ; ce qui est une prononciation vicieuse : d'un autre côté, en disant pour partage, la rencontre de ces deux syllabes, pour, par, est desagréable à l'oreille.

Vous en ignorez l'usage ; vous, est le sujet ; en ignorez l'usage, est l'attribut. Ignorez, est le verbe ; l'usage, est le déterminant de ignorez ; c'est le terme de la signification d'ignorer ; c'est la chose ignorée. C'est le mot qui détermine ignorez.

En, est une sorte d'adverbe pronominal. Je dis que en est une sorte d'adverbe, parce qu'il signifie autant qu'une préposition et un nom ; en, inde ; de cela, de la raison. En est un adverbe pronominal, parce qu'il n'est employé que pour réveiller l'idée d'un autre mot, vous ignorez l'usage de la raison.

Innocens animaux, n'en soyez point jaloux.

C'est ici une énonciation à l'impératif.

Innocens animaux : ces mots ne dépendent d'aucun autre qui les précède, et sont énoncés sans articles : ils marquent en pareil cas la personne à qui l'on adresse la parole.

Soyez, est le verbe à l'impératif : ne point, c'est la négation.

En, de cela, de ce que nous avons la raison pour partage.

Jaloux, est l'adjectif ; c'est ce qu'on dit que les animaux ne doivent pas être. Ainsi, selon la pensée, jaloux se rapporte à animaux, par rapport d'identité, mais négativement, ne soyez pas jaloux.

Ce n'est pas un grand avantage.

Ce, pronom de la troisième personne ; hoc, ce, cela, à savoir que nous avons la raison n'est pas un grand avantage.

Cette fière raison, dont on fait tant de bruit,

Contre les passions n'est pas un sur remède.

Voici proposition principale et proposition incidente.

Cette fière raison n'est pas un remède sur contre les passions, voilà la proposition principale.

Dont on fait tant de bruit, c'est la proposition incidente.

Dont, est encore un adverbe pronominal ; de laquelle, touchant laquelle. Dont vient de unde, par mutation ou transposition de lettres, dit Nicot ; nous nous en servons pour duquel, de laquelle, de qui, de quoi.

On, est le sujet de cette proposition incidente.

Fait tant de bruit, en est l'attribut. Fait, est le verbe ; tant de bruit, est le déterminant de fait : tant de bruit, tantum jactationis, tantam rem jactationis.

Un peu de vin la trouble. Un peu, peu est un substantif, parum vini, une petite quantité de vin. On dit le peu, de peu, à peu, pour peu. Peu est ordinairement suivi d'un qualificatif : de vin, est le qualificatif de peu. Un peu : un et le sont des adjectifs prépositifs qui indiquent des individus. Le et ce indiquent des individus déterminés ; au lieu que un indique un individu indéterminé : il a le même sens que quelque. Ainsi un peu est bien différent de le peu ; celui-ci précède l'individu déterminé, et l'autre l'individu indéterminé.

Un peu de vin ; ces quatre mots expriment une idée particulière, qui est le sujet de la proposition.

La trouble, c'est l'attribut : trouble, est le verbe ; la, est le terme de l'action du verbe. La est un pronom de la troisième personne ; c'est-à-dire que la rappelle l'idée de la personne ou de la chose dont on a parlé ; trouble la, elle, la raison.

Un enfant (l'Amour) la séduit ; c'est la même construction que dans la proposition précédente.

Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide.

Est tout l'effet qu'elle produit.

La construction de cette petite période mérite attention. Je dis période, grammaticalement parlant, parce que cette phrase est composée de trois propositions grammaticales ; car il y a trois verbes à l'indicatif, appele, est, produit.

Déchirer un cœur est tout l'effet, c'est la première proposition grammaticale ; c'est la proposition principale.

Déchirer un cœur, c'est le sujet énoncé par plusieurs mots, qui font un sens qui pourrait être énoncé par un seul mot, si l'usage en avait établi un. Trouble, agitation, repentir, remords, sont à-peu-près les équivalents de déchirer un cœur.

Déchirer un cœur, est donc le sujet ; et est tout l'effet, c'est l'attribut.

Qui l'appelle à son aide, c'est une proposition incidente.

Qui en est le sujet ; ce qui est le pronom relatif qui rappelle cœur.

L'appelle à son aide, c'est l'attribut de qui ; la est le terme de l'action d'appelle ; appelle elle, appelle la raison.

Qu'elle produit, elle produit lequel effet.

c'est la troisième proposition.

Elle, est le sujet : elle est un pronom qui rappelle raison.

Produit que, c'est l'attribut d'elle : que est le terme de produit ; c'est un pronom qui rappelle effet.

Que étant le déterminant ou terme de l'action de produit, est après produit, dans l'ordre des pensées, et selon la construction simple : mais la construction usuelle l'énonce avant produit ; parce que le que étant un relatif conjonctif, il rappelle effet, et joint elle produit avec effet. Or ce qui joint doit être entre deux termes ; la relation en est plus aisément aperçue, comme nous l'avons déjà remarqué.

Voilà trois propositions grammaticales ; mais logiquement il n'y a là qu'une seule proposition.

Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide : ces mots font un sens total, qui est le sujet de la proposition logique.

Est tout l'effet qu'elle produit, voilà un autre sens total qui est l'attribut ; c'est ce qu'on dit de déchirer un cœur.

Toujours impuissante et sévère ;

Elle s'oppose à tout, et ne surmonte rien.

Il y a encore ici ellipse dans le premier membre de cette phrase. La construction pleine est : La raison est toujours impuissante et sévère ; elle s'oppose à tout, parce qu'elle est sévère ; et elle ne surmonte rien, parce qu'elle est impuissante.

Elle s'oppose à tout ce que nous voudrions faire qui nous serait agréable. Opposer, ponere ob, poser devant, s'opposer, opposer soi, se mettre devant comme un obstacle. Se, est le terme de l'action d'opposer. La construction usuelle le met avant son verbe, comme me, te, le, que, etc. A tout, Cicéron a dit, opponere ad.

Ne surmonte rien ; rien est ici le terme de l'action de surmonte. Rien est toujours accompagné de la négation exprimée ou sousentendue ; rien, nullam rem.

Sur toutes riens garde ces points. Mehun au testament, où vous voyez que sur toutes riens veut dire sur toutes choses.

Sous la garde de votre chien

Vous devez beaucoup moins redouter la colere

Des loups cruels et ravissants,

Que, sous l'autorité d'une telle chimère.

Nous ne devons craindre nos sens.

Il y a ici ellipse et synthèse : la synthèse se fait lorsque les mots se trouvent exprimés ou arrangés selon un certain sens que l'on a dans l'esprit.

De ce que (ex eo quod, propterea quod) vous êtes sous la garde de votre chien, vous devez redouter la colere des loups cruels et ravissants beaucoup moins ; au lieu que nous, qui ne sommes que sous la garde de la raison, qui n'est qu'une chimère, nous n'en devons pas craindre nos sens beaucoup moins.

Nous n'en devons pas moins craindre nos sens, voilà la synthèse ou syllepse qui attire le ne dans cette phrase.

La colere des loups. La poésie se permet cette expression ; l'image en est plus noble et plus vive : mais ce n'est pas par colere que les loups et nous nous mangeons les moutons. Phèdre a dit, fauce improbâ, le gosier, l'avidité ; et la Fontaine a dit la faim.

Beaucoup moins, multo minus, c'est une expression adverbiale qui sert à la comparaison, et qui par conséquent demande un correlatif que, etc. Beaucoup moins, selon un coup moins beau, moins grand. Voyez ce que nous avons dit de BEAUCOUP en parlant de l'article.

Ne vaudrait-il pas mieux vivre, comme vous faites,

Dans une douce oisiveté ?

Voilà une proposition qui fait un sens incomplet, parce que la correlative n'est pas exprimée ; mais elle Ve l'être dans la période suivante, qui a le même tour.

Comme vous faites, est une proposition incidente.

Comme, adverbe ; quomodo, à la manière que vous le faites.

Ne vaudrait-il pas mieux être, comme vous êtes,

Dans une heureuse obscurité,

Que d'avoir, sans tranquillité,

Des richesses, de la naissance,

De l'esprit et de la beauté ?

Il n'y a dans cette période que deux propositions relatives, et une incidente.

Ne vaudrait-il pas mieux être, comme vous êtes, dans une heureuse obscurité ; c'est la première proposition relative, avec l'incidente comme vous êtes.

Notre syntaxe marque l'interrogation en mettant les pronoms personnels après le verbe, même lorsque le nom est exprimé. Le Roi ira-t-il à Fontainebleau ! Aimez-vous la vérité ? Irai-je ?

Voici quel est le sujet de cette proposition : il, illud, ceci, à savoir. Etre dans une heureuse obscurité ; sens total énoncé par plusieurs mots équivalents à un seul ; ce sens total est le sujet de la proposition.

Ne vaudrait-il pas mieux ? voilà l'attribut avec le signe de l'interrogation. Ce ne interrogatif nous vient des Latins, Ego ne ? Térence, est-ce moi ? Adeo ne ? Térence, irai-je ? Superat ne ? Virg. Aenéid. III. vers 339. vit-il encore ? Jam ne vides ? Cic. voyez-vous ? ne voyez-vous pas ?

Que, quam, c'est la conjonction ou particule qui lie la proposition suivante, en sorte que la proposition précédente et celle qui suit sont les deux correlatives de la comparaison.

Que la chose, l'agrément d'avoir, sans tranquillité, l'abondance des richesses, l'avantage de la naissance, de l'esprit, et de la beauté ; voilà le sujet de la proposition correlative.

Ne vaut, qui est sousentendu, en est l'attribut. Ne parce qu'on a dans l'esprit, ne vaut pas tant que votre obscurité vaut.

Ces prétendus trésors, dont on fait vanité,

Valent moins que votre indolence.

Ces prétendus trésors valent moins, voilà une proposition grammaticale relative.

Que votre indolence ne vaut, voilà la correlative.

Votre indolence n'est pas dans le même cas ; elle ne vaut pas ce moins ; elle vaut bien davantage.

Dont on fait vanité, est une proposition incidente : on fait vanité desquels, à cause desquels : on dit faire vanité, tirer vanité de, dont, desquels. On fait vanité ; ce mot vanité entre dans la composition du verbe, et ne marque pas une telle vanité en particulier ; ainsi il n'a point d'article.

Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels.

Ils (ces trésors, ces avantages), ils est le sujet.

Livrent nous sans cesse à, etc. c'est l'attribut.

A des soins criminels, c'est le sens partitif ; c'est-à-dire que les soins auxquels ils nous livrent sont du nombre des soins criminels ; ils en font partie : ces prétendus avantages nous livrent à certains soins, à quelques soins qui sont de la classe des soins criminels.

Sans cesse, façon de parler adverbiale, sine ulla intermissione.

Par eux plus d'un remords nous ronge.

Plus d'un remords, voilà le sujet complexe de la proposition.

Ronge nous par eux ; à l'occasion de ces trésors, c'est l'attribut.

Plus d'un remords ; plus est ici substantif, et signifie une quantité de remords plus grande que celle d'un seul remords.

Nous voulons les rendre éternels,

Sans songer qu'eux et nous passerons comme un songe.

Nous, est le sujet de la proposition.

Voulons les rendre éternels sans songer, etc. c'est l'attribut logique.

Voulons, est un verbe actif. Quand on veut, on veut quelque chose. Les rendre éternels, rendre ces trésors éternels : ces mots forment un sens qui est le terme de l'action de voulons ; c'est la chose que nous voulons.

Sans songer qu'eux et nous passerons comme un songe.

Sans songer : sans, préposition : songer est pris ici substantivement ; c'est le complément de la préposition sans, sans la pensée que. Sans songer peut aussi être regardé comme une proposition implicite ; sans que nous songions.

Que est ici une conjonction, qui unit à songer la chose à quoi l'on ne songe point.

Eux et nous passerons comme un songe : ces mots forment un sens total, qui exprime la chose à quoi l'on devrait songer. Ce sens total est énoncé dans la forme d'une proposition ; ce qui est fort ordinaire en toutes les langues. Je ne sai qui a fait cela, nescio quis fecit ; quis fecit est le terme ou l'objet de nescio : nescio hoc, nempe quis fecit.

Il n'est, dans ce vaste univers,

Rien d'assuré, rien de solide.

Il, illud, nempè, ceci, à savoir, rien d'assuré, rien de solide : quelque chose d'assuré, quelque chose de solide, voilà le sujet de la proposition ; n'est (pas) dans ce vaste univers, en voilà l'attribut : la négation ne rend la proposition négative.

D'assuré : ce mot est pris ici substantivement ; nihilum quidem certi. D'assuré est encore ici dans un sens qualificatif, et non dans un sens individuel, et c'est pour cela qu'il n'est précédé que de la préposition de sans article.

Des choses d'ici bas la fortune décide

Selon ses caprices divers.

La fortune, sujet simple, terme abstrait personnifié ; c'est le sujet de la proposition. Quand nous ne connaissons pas la cause d'un événement, notre imagination vient au secours de notre esprit, qui n'aime pas à demeurer dans un état vague et indéterminé ; elle le fixe à des fantômes qu'elle réalise, et auxquels elle donne des noms, fortune, hasard, bonheur, malheur.

Décide des choses d'ici bas selon ses caprices divers, c'est l'attribut complexe.

Des choses, de les choses ; de signifie ici touchant.

D'ici bas détermine chose : ici bas est pris substantivement.

Selon ses caprices divers, est une manière de décider : selon est la préposition ; ses caprices divers, est le complément de la préposition.

Tout l'effort de notre prudence

Ne peut nous dérober au moindre de ses coups.

Tout l'effort de notre prudence, voilà le sujet complexe ; de notre prudence détermine l'effort, et le rend sujet complexe. L'effort de est un individu métaphysique et par imitation, comme un tel homme ne peut, de même tout l'effort ne peut.

Ne peut dérober nous : et selon la construction usuelle, nous dérober.

Au moindre, à le moindre ; à est la préposition ; le moindre est le complément de la préposition.

Au moindre de ses coups, au moindre coup de ses coups ; de ses coups est dans le sens partitif.

Paissez, moutons, paissez, sans règle et sans science ;

Malgré la trompeuse apparence,

Vous êtes plus heureux et plus sages que nous.

La trompeuse apparence, est ici un individu métaphysique personnifié.

Malgré : ce mot est composé de l'adjectif mauvais, et du substantif gré, qui se prend pour volonté, gout. Avec le mauvais gré de, en retranchant le de, à la manière de nos pères qui supprimaient souvent cette préposition, comme nous l'avons observé en parlant du rapport de détermination. Les anciens disaient maugré, puis on a dit malgré ; malgré moi, avec le mauvais gré de moi, cum meâ malâ gratiâ, me invito. Aujourd'hui on fait de malgré une préposition : malgré la trompeuse apparence, qui ne cherche qu'à en imposer et à nous en faire accroire, vous êtes au fond et dans la réalité plus heureux et plus sages que nous ne le sommes.

Tel est le détail de la construction des mots de cette idylle. Il n'y a point d'ouvrage, en quelque langue que ce puisse être, qu'on ne put réduire aux principes que je viens d'exposer, pourvu que l'on connut les signes des rapports des mots en cette langue, et ce qu'il y a d'arbitraire qui la distingue des autres.

Au reste, si les observations que j'ai faites paraissent trop métaphysiques à quelques personnes, peu accoutumées peut-être à réfléchir sur ce qui se passe en elles-mêmes ; je les prie de considérer qu'on ne saurait traiter raisonnablement de ce qui concerne les mots, que ce ne soit relativement à la forme que l'on donne à la pensée et à l'analyse que l'on est obligé d'en faire par la nécessité de l'élocution, c'est-à-dire pour la faire passer dans l'esprit des autres ; et dès-lors on se trouve dans le pays de la Métaphysique. Je n'ai donc pas été chercher de la métaphysique pour en amener dans une contrée étrangère, je n'ai fait que montrer ce qui est dans l'esprit relativement au discours et à la nécessité de l'élocution. C'est ainsi que l'anatomiste montre les parties du corps humain, sans y en ajouter de nouvelles. Tout ce qu'on dit des mots, qui n'a pas une relation directe avec la pensée ou avec la forme de la pensée ; tout cela, dis-je, n'excite aucune idée nette dans l'esprit. On doit connaître la raison des règles de l'élocution, c'est-à-dire de l'art de parler et d'écrire, afin d'éviter les fautes de construction, et pour acquérir l'habitude de s'énoncer avec une exactitude raisonnable, qui ne contraigne point le génie.

Il est vrai que l'imagination aurait été plus agréablement amusée par quelques réflexions sur la simplicité et la vérité des images, aussi bien que sur les expressions fines et naïves par lesquelles cette illustre dame peint si bien le sentiment.

Mais comme la construction simple et nécessaire est la base et le fondement de toute construction usuelle et élégante ; que les pensées les plus sublimes aussi-bien que les plus simples perdent leur prix, quand elles sont énoncées par des phrases irrégulières ; et que d'ailleurs le public est moins riche en observations sur cette construction fondamentale : j'ai cru qu'après avoir tâché d'en développer les véritables principes, il ne serait pas inutîle d'en faire l'application sur un ouvrage aussi connu et aussi généralement estimé, que l'est l'idylle des moutons de madame Deshoulières. (F)

CONSTRUCTION, s. f. (Géométrie) Ce mot exprime, en Géométrie, les opérations qu'il faut faire pour exécuter la solution d'un problème. Il se dit aussi des lignes qu'on tire, soit pour parvenir à la solution d'un problème, soit pour démontrer quelque proposition. Voyez PROBLEME, etc.

La construction d'une équation, est la méthode d'en trouver les racines par des opérations faites avec la règle et le compas, ou en général par la description de quelque courbe. Voyez ÉQUATION et RACINE. Nous allons donner d'abord la construction des équations du premier et du second degré.

Pour construire une équation du premier degré, il n'y a autre chose à faire que de réduire à une proportion la fraction qui exprime la valeur de l'inconnue, ce qui s'entendra très-facilement par les exemples suivants.

1°. Supposons qu'on ait x = (a b)/c on en tirera c : a = b : x ; ainsi x sera facîle à avoir par la méthode de trouver une quatrième proportionnelle.

2°. Qu'on ait x = (a b c)/(e d) : on commencera par construire (a b)/d à l'aide de la proportion d : a = b : (a b)/d. Ayant trouvé (a b)/d et l'ayant nommé g pour abreger, on fera la proportion e : g = c : Xe c'est-à-dire, que l'on aura x par la quatrième proportionnelle à c, g, e.

3°. Que l'on ait x = (a a - b b)/c : comme a a - b b est le produit de a - b par a + b, on n'aura autre chose à faire qu'à construire la proportion c : a - b = a + b : Xe

4°. Que x = (a2 b - b c2)/ (a d) ; par le premier cas on trouve une ligne g = (a b)/d = (a2 b)/(a d), et une ligne h = (b c)/d. De plus, par le même cas on construit aussi une ligne i = (h c)/a ; donc x qui est alors = g - i, sera la différence des deux lignes g et i construites par ces proportions.

5°. Que x = (a2 b + b c d)/(a f + c g) ; on cherchera d'abord (c g)/a et on fera h = f + (c g)/a, ce qui donnera a h = a f + c g, et par conséquent x = (a2 b + b c d)/(a h) : ainsi la difficulté sera réduite au cas précédent.

6°. Que x = (a2 b - b a d)/(a f + b c) : on cherchera (a f)/b et on fera (a f)/b + c = h, ce qui donnera a f + b c = b h, et par conséquent x = (a2 b - b a d)/(a f + b c) = (a2 - a d)/h, d'où l'on tirera h : a = a - d : Xe

7°. Si x = (a2 + b b)/c : on construira le triangle rectangle A B C (Planc. Algèbre, fig. 1.) dont le côté A B soit a, B C, b et l'hypothenuse sera alors : faisant A C = m on aura x = (m m)/c, et par conséquent c : m = m : Xe

8°. Si x = (a2 - b2)/ c, sur A B = a (fig. 2.) on décrira un demi cercle, et l'on prendra A C = b, ce qui donnera B C = ; faisant donc C B = m, on aura x = (m m)/c, c'est-à-dire c : m = m : Xe

9°. Si x = (a2 b + b c d)/(a f + b c), on cherchera (f a)/b et l'on fera h = (f a)/b + c, ce qui donnera b c + a f = b h, et par conséquent x = (a2 b + b c d)/(b h) = (a 2 + c d)/h. Trouvant alors entre A C = c (fig. 3.) et C B = d la moyenne proportionnelle C D = et faisant C E = a, on aura D E = , qui étant nommée m, donnera x = (m m)/h : et partant h : m = m : Xe

Il est à remarquer que les constructions que nous venons de donner des trois derniers exemples, ne sont que pour plus d'élégance et de simplicité ; car on pourrait les construire, et on en a déjà construit plusieurs autrement ci-dessus, n°. 3 et 5.

La construction des équations du second degré, lorsque l'inconnue est délivrée, ne demande pas d'autres règles que celles qu'on vient de donner. Qu'on ait, par exemple, Xe = a b, on en tirera x = a b que l'on construit en trouvant la moyenne proportionnelle D C entre A C = a et B C = b.

Si l'équation a un second terme comme x x + a x = ± b b, qui donne x = - 1/2 a ± <1/4aa+bbRacine>, toute la difficulté consistera à construire ou . Pour le premier cas on fera comme dans les constructions précédentes, (fig. 1.) A B = 1/2 a et B C = b, ce qui donnera A C = . Dans le second on fera (figure 2.) A C = b et A B = 1/2 a, ce qui donnera C B = .

Les équations du troisième degré peuvent se construire, 1°. par l'intersection d'une ligne droite et d'un lieu du troisième degré. Par exemple, soit Xe + a Xe - b b x + c3 = 0 ; on construira le lieu ou la courbe E M B C F (fig. 4 Algebr.) dont l'équation soit Xe + a Xe - b b x + c3 = y, en prenant les variables A P pour x et P M pour y ; et les points B, C, D, où cette courbe rencontrera son axe, donneront les racines A B, A C, A D, de l'équation ; car dans ces points y est = 0, puisque y exprime en général la distance P M de chaque point M de la courbe à son axe A D : par conséquent on a Xe + a Xe - b b x + c3 = 0 ; 1°. lorsque x est = A B : 2°. lorsque x = A C : 3°. lorsque x = A D. Donc les valeurs de l'inconnue Xe propres à rendre Xe + a x x - b b x + c3 = 0 sont A B, A C, A D. Les racines de l'équation seront positives ou négatives, selon que les points B, C, D, tomberont d'un côté ou de l'autre par rapport à A, et si la courbe ne coupait pas son axe en trois points, ce serait une marque qu'il y aurait des racines imaginaires.

Je rapporte ici cette méthode de construire les équations du troisième degré, parce qu'elle peut s'appliquer généralement aux degrés plus élevés à l'infini, et qu'elle est peut-être aussi commode et aussi simple qu'aucune autre. Ainsi en général l'équation Xe + a x(n - 1) + b b x(n - 2) + etc. + en = 0 peut se construire par la courbe dont l'équation serait Xe + a x(n - 1) + b b x(n - 2) + etc. + en = y, dont les intersections avec son axe donneront les racines de l'équation. Ces sortes de courbes où l'indéterminé y ne monte qu'à un degré, s'appellent courbes de genre parabolique. Et je dois remarquer ici que M. l'abbé de Gua s'est servi avec beaucoup de sagacité de la considération de ces sortes de courbes, pour découvrir et démontrer de fort beaux théorèmes sur les racines des équations. Voyez RACINE ; voyez aussi les Mémoires de l'Acad. des Scienc. de Paris, de 1741, et l'article COURBE.

Mais en général la méthode de résoudre les équations du troisième et du quatriéme degré consiste à y employer deux sections coniques, et ces deux sections coniques doivent être les plus simples qu'il se puisse ; c'est pourquoi on construit toutes ces équations par le moyen du cercle et de la parabole. Voici une légère idée de cette méthode. Sait proposé de construire Xe = b b c : on suppose d'abord Xe = b b c x en multipliant le tout par x ; ensuite on suppose x x = b y, qui est l'équation d'une parabole, et on a par la substitution Xe = b b y y = b b c Xe et y y = c Xe qui est l'équation d'une parabole. Ainsi on pourrait resoudre le problême en construisant les deux paraboles B A C, D A, (fig. 5.), qui ont pour équation y y = c x et x x = b y ; le point d'intersection C de ces paraboles donnerait la valeur O C de l'inconnue Xe Car l'inconnue x doit être telle que x x = b y et que y y = c x : or nommant en général A P, Xe P, R, y, ou A, S, y, S, R, x ; il n'y a que le seul point C où l'on ait à la fois x x = b y et y y = c Xe Mais comme le cercle est plus facîle à construire que la parabole, au lieu d'employer deux paraboles on n'en emploie qu'une ; par exemple, celle qui a pour équation x x = b y, et on combine ensemble les deux équations x x = b y et y y = c x de manière qu'elles donnent une équation au cercle, ce qui se fait en ajoutant une de ces équations à l'autre ou en l'en retranchant, comme on le peut voir expliqué plus au long dans l'application de l'Algèbre à la Géométrie de M. Guisnée, et dans le neuvième livre des sections coniques de M. le marquis de l'Hôpital. Par exemple, dans le cas dont il s'agit ici, on aura c x - x x = y y - b y qui est une équation au cercle ; et si on construit ce cercle, ses points d'intersection avec la parabole qui a pour équation x x = b y donneront les racines de l'équation.

On voit par-là que pour construire une équation du troisième degré, il faut d'abord en la multipliant par x la changer en une du quatrième : on peut en ce cas la regarder comme une équation du quatrième degré, dont une des racines serait = 0. Car, soient x = a, x = b, x = c, les racines d'une équation du troisième degré, Xe + p x x + q x + r = 0, si on multiplie cette équation par Xe on aura Xe + p Xe + q x x + r Xe dont les racines seront x = 0, x = a, x = b, x = c. Aussi lorsque l'équation est du troisième degré, l'équation au cercle qu'on en déduit n'a point de terme constant ; d'où il s'ensuit qu'en faisant dans cette équation y = 0, x est aussi = 0 ; Voyez COURBE et EQUATION ; et comme dans l'équation à la parabole x x = b y, y = 0 rend aussi x = 0, on voit que quand l'équation est du troisième degré, le cercle et la parabole se coupent dans le point qui est l'origine des x et de y, et c'est cette intersection qui donne la racine x = 0 ; les trois autres intersections donnent les trois racines. C'est ainsi qu'en Géométrie tout s'accorde et se rapproche.

Les équations des degrés plus composés se construisent de même par l'intersection de courbes plus élevées ; par exemple, un lieu du sixième degré par l'intersection de deux courbes du troisième, qu'il faut toujours choisir de manière que leur équation soit la plus simple qu'il se puisse, selon plusieurs auteurs : cependant selon d'autres, cette règle ne doit pas être suivie à la rigueur, parce qu'il arrive souvent qu'une courbe dont l'équation est composée, est plus facîle à décrire qu'une courbe dont l'équation est fort simple. Voyez sur cela l'article COURBE, ainsi que sur la construction des équations différentielles. (O)

CONSTRUCTION, terme d'Architecture, est l'art de bâtir par rapport à la matière. Ce mot signifie aussi l'ouvrage bâti. Voyez ARCHITECTURE, MAÇONNERIE, CHARPENTERIE, MENUISERIE, etc.

Construction de pièces de trait, est le développement des lignes rallongées du plan par rapport aux profils d'une pièce de trait. (P)

CONSTRUCTION, en terme de Marine, signifie l'art de bâtir des vaisseaux. L'on a plusieurs ouvrages qui développent les principes généraux de la construction, et qui donnent des méthodes particulières pour construire différentes sortes de bâtiments. Les plus détaillés sont

1°. L'architecture navale du sieur Dassié, imprimée à Paris en 1695. 2°. L'art de bâtir des vaisseaux. 3°. Le traité du navire, de sa construction, et de ses mouvements, par M. Bouguer, de l'académie des Sciences, Paris 1746 ; ouvrage profond, et qu'il serait à souhaiter que tous les constructeurs étudiassent et entendissent bien 4°. Eléments de l'Architecture navale, ou traité pratique de la construction des vaisseaux par M. Duhamel, de la même académ. Paris 1752 : celui-ci dépouillé d'algèbre et de démonstrations, se renferme dans la pratique, et offre des méthodes si simples et si claires, qu'il peut mettre en état quiconque le posséderait bien, de dresser les plans de toutes sortes de bâtiments, et de régler les proportions les plus avantageuses pour toutes les parties qui entrent dans leurs constructions. Ainsi c'est à ces deux excellents ouvrages que nous renvoyons, dont nous emprunterons cependant le plus qu'il nous sera possible pour former le détail de cet article, et de beaucoup d'autres répandus dans ce Dictionnaire.

Le premier objet qui se présente dans la construction des vaisseaux, c'est la grandeur et la proportion qu'on veut donner au bâtiment ; et c'est ce qui a été réglé par l'ordonnance de Louis XIV. pour les armées navales et arsenaux de Marine, du 15 Avril 1689. liv. XIII. tit. IIe art. 1. " Les vaisseaux du premier rang auront 163 pieds de longueur de l'étrave à l'étambord par-dehors, 44 pieds de largeur en-dehors les membres, et 20 pieds 4 pouces de creux à prendre sur la quille au-dessus des bouts du banc en droite ligne. Article 2. Il y aura deux différentes grandeurs de vaisseaux parmi ceux du second et du troisième rang, qui seront distingués par premier et second ordre. Article 3. Les vaisseaux du second rang premier ordre auront 150 pieds de longueur, 41 pieds six pouces de largeur, et 19 pieds de creux. Article 4. Ceux du second rang second ordre auront 146 pieds de longueur, 40 de largeur, et 18 pieds 3 pouces de creux. Art. 5. Les vaisseaux du troisième rang premier ordre auront 140 pieds de longueur, 38 de largeur, et 17 pieds six pouces de creux. Article 6. Ceux du troisième rang second ordre auront 136 pieds de longueur, 37 de largeur, et 16 pieds 6 pouces de creux. Article 7. Les vaisseaux de quatrième rang 120 pieds de longueur, 32 et 1/2 de largeur, et 14 et 1/2 de creux. Article 8. Et ceux du cinquième rang 110 pieds de longueur, 27 et 1/2 de largeur, et 14 de creux.

Il est bon de remarquer que ces proportions sont très-différentes de celles que l'on suit aujourd'hui ; l'expérience ayant fait connaître qu'il était nécessaire de s'en écarter. Ainsi pour déterminer la longueur d'un vaisseau, il faut fixer combien il y a de sabords à la première batterie, quelle largeur doivent avoir ces sabords ; combien de distance on peut donner de l'un à l'autre, à quoi on ajoute deux distances ou deux distances et demie d'entre les sabords pour l'avant, à compter du premier sabord de l'avant au-dehors de l'étrave ; et une distance et demie pour l'arrière, à compter du dernier sabord de l'arrière dans la sainte-barbe, au-dehors de l'étambord. On additionne ensuite toutes ces sommes, et le produit donne la longueur du vaisseau de l'étrave à l'étambord. Ainsi le nombre de canons dont on veut qu'un vaisseau soit monté, et la grosseur de leur calibre, décide de son rang et de sa longueur. Un vaisseau du premier rang de 112 canons (voyez au mot RANG) sera percé à la première batterie de 15 sabords pour des canons de 48 ou 36 livres de balle ; à la deuxième, de 16 pour des canons de 24, à la troisième de 15 sabords, pour des canons de 12 livres de balle, sur le gaillard d'arrière, 5 canons de 8 livres de balles ; sur le château d'avant, 3 de 8 livres ; et sur la dunette, 2 de 4 livres.

La largeur des sabords se fixe suivant la grosseur des canons. Pour des canons du calibre de 48, la largeur des sabords sera de 3 pieds 2 pouces. Pour du 36, 3 pieds ou 3 pieds 1 pouce. Pour du 24, 2 pieds 9 à 10 pouces. Pour du 18, 2 pieds 7 à 8 pouces. Pour du 12, 2 pieds 5 à 6 pouces. Pour du 8, 2 pieds 2 à 3 pouces. Pour du 6, 1 pied 10 pouces ou 2 pieds. Pour du 4, 1 pied 8 à 9 pouces. La largeur des sabords fixée, reste à donner leur distance, qui pour les canons de 36, peut être de 7 pieds 6 à 7 pouces. Pour ceux de 24, 7 pieds 4 à 5 pouces. Pour ceux de 18, 7 pieds 3 à 4 pouces. Pour les canons de 12, 7 pieds 2 à 3 pouces ; et pour ceux de 8 et de 6, 7 pieds. Il est bon d'observer que la distance que l'on vient de donner entre les sabords pour les canons de 12, de 8, et de 6, ne convient que pour les frégates à deux ponts, et qu'elle serait trop grande pour celles qui n'auraient qu'un pont, pour lesquelles il suffirait de mettre 6 pieds 1 pouce pour les canons de 12, six pieds pour ceux de 8, et 5 pieds pour ceux de 6 ; cependant toutes ces mesures peuvent varier, et les divers constructeurs ont différentes méthodes qui réussissent fort bien.

Après ce qu'on vient de dire sur la largeur des sabords et leurs distances, il est aisé de décider la longueur du vaisseau, de la rablure de l'étambord à la rablure de l'étrave : il faut additionner la distance du dernier sabord de l'avant à la rablure de l'étrave ; celle du dernier sabord de l'arrière à la rablure de l'étambord, avec la largeur de tous les sabords de la première batterie, et toutes les distances qui doivent être entre chaque sabord. Le produit de ces sommes donnera la longueur du vaisseau de rablure en rablure. Ainsi un vaisseau de 74 canons, aurait 14 sabords à sa première batterie, et 166 pieds de longueur ; et un vaisseau de 64 aurait 13 sabords et 151 pieds de longueur. Ces deux exemples suffisent.

La longueur que l'on veut donner au vaisseau que l'on projette étant décidée, il faut en fixer la plus grande largeur au maître-bau ; ce qui varie encore suivant les différentes méthodes, dont nous allons rapporter quelques exemples.

Il y a des constructeurs qui pour la plus grande largeur des vaisseaux, prennent entre le tiers et le quart de leur longueur ; c'est-à-dire que si un vaisseau a 168 pieds de longueur, on divise cette somme par 3, ce qui fait 56. On divise ensuite la même somme de 168 par 4, ce qui fait 42. Enfin on ajoute 56 pieds avec 42, dont on prend la moitié, et l'on a 49 pieds pour la largeur d'un vaisseau de 168 pieds de longueur.

Quelques constructeurs ayant trouvé cette largeur trop grande pour les vaisseaux du premier rang, soustraient un douzième de la longueur totale 168, pour la queste et l'élancement ; il reste 154 pieds, surquoi ils opèrent comme nous venons de le dire ; et la largeur alors est de 44 pieds 11 pouces, plus petite de 4 pieds 1 pouce que la précédente.

D'autres donnent de largeur aux vaisseaux du premier rang 3 pouces 3 lignes par pieds de la longueur : par cette méthode le vaisseau de 168 pieds de long aurait 45 pieds 6 pouces de large.

Il y en a qui pour les vaisseaux du premier et du second rang, prennent un tiers de la longueur dont ils soustraient une sixième partie, et le restant est leur largeur : ainsi un vaisseau de 168 pieds de longueur, a 46 pieds 8 pouces de largeur.

Pour les vaisseaux du troisième et du quatrième rang, ils prennent 3 pouces 3 lignes par pieds de la longueur.

A l'égard des frégates qu'on veut faire fines voilières, on leur donne seulement pour largeur un quart de leur longueur.

Enfin il y a des constructeurs qui pour avoir la largeur des vaisseaux de 76 canons et au-dessus, prennent 3 pouces 4 lignes 9 points par pieds de la longueur ; et suivant cette règle, un vaisseau de 168 pieds aurait 47 pieds 6 pouces 7 lignes de largeur.

Pour les vaisseaux de 74 canons, ils prennent 3 pouces 4 lignes par pied de la longueur.

Pour un vaisseau de 62 canons, 3 pouces 3 lignes 5 points.

Pour un vaisseau de 56 canons, 3 pouces 3 lignes et demie.

Pour un vaisseau de 50 canons, 3 pouces 3 lignes.

Pour un vaisseau de 46 canons, 3 pouces 2 lignes 9 points.

Pour une frégate de 32 canons, 3 pouces 2 lignes 6 points.

Pour une frégate de 28 canons, 3 pouces 2 lignes 5 points.

Pour une frégate de 22 canons, 3 pouces 2 lignes 2 points.

Pour une frégate de 16 canons, 3 pouces 2 lignes.

Pour une corvette de 12 canons, 3 pouces 6 lignes

Suivant ce que nous venons de dire, les constructeurs ont beaucoup varié sur la manière d'établir la largeur des vaisseaux, qui se trouve assez différente quand on les compare à la longueur.

Il nous reste encore à parler du creux. Le creux est la distance qu'il y a entre le dessus de la quille et le dessus du bau du premier pont, non compris le bouge de ce pont. Anciennement la plupart des constructeurs faisaient le creux au maître-gabari, égal à la huitième partie de la longueur du vaisseau. Suivant cette règle, un vaisseau du premier rang qui avait 168 pieds de longueur, aurait eu 21 pieds de creux ; mais comme on s'est aperçu que ce creux n'était pas suffisant, on y a ajouté un pied pour donner plus d'élévation à la batterie, et plus de capacité au fond de cale : sur ce pied un vaisseau de 168 pieds de longueur, aurait 22 pieds de creux. Cette règle n'est pas bonne, car le creux serait d'autant plus grand, que le vaisseau serait plus long ; au lieu que le creux doit diminuer à proportion qu'on allonge le vaisseau.

Dans la plupart des vaisseaux, le creux au milieu est égal à la moitié de la largeur : ainsi si la largeur du vaisseau qui nous vient de servir d'exemple était de 47 pieds, le creux serait de 23 pieds et demi à un tel vaisseau ; mais ceux-là font leur varangue plate. Cette règle ne doit pas être générale pour tous les bâtiments ; car un vaisseau qui a peu de largeur, aura immanquablement sa batterie noyée, si on n'augmente pas beaucoup le creux.

Aussi les constructeurs qui donnent au creux la moitié de la largeur du vaisseau, ne suivent exactement cette règle que pour les vaisseaux depuis 46 canons jusqu'au-dessus ; mais pour une frégate de 28 ou de 32 canons, ils prennent pour le creux 5 pouces 8 lignes par pied de la largeur : ainsi on donnerait au vaisseau qui aurait 29 pieds de largeur, 13 pieds 8 pouces 4 lignes de creux. Pour une frégate de 22, de 16, et de 12 canons, ils prennent 6 pouces 6 lignes par pied de la largeur.

Ces trois dimensions du vaisseau (longueur, largeur, et creux,) étant réglées, il s'agit de fixer les proportions des différentes pièces qui entrent dans la construction. On en trouve une table extrêmement étendue dans le traité de construction pratique que nous avons cité ci-dessus, auquel nous renvoyons ceux qui veulent faire une étude particulière de la construction ; et nous nous contentons de donner ici le devis d'un vaisseau où les proportions des membres et des principales parties sont fixées, avec l'ordre dans lequel on les travaille et l'on les met en place.

Devis d'un vaisseau du premier rang de 155 pieds de long. Cette longueur est prise de l'étrave à l'étambord. Le vaisseau a 36 pieds de bau ou de largeur de dedans en-dedans, prise sous le maître-bau, et 12 pieds de creux au premier pont, 17 au second pont, 24 au troisième pont, et 3 pieds 6 pouces de vibord.

La quille est de trois pièces ; les écarts en sont de 10 pieds de long, et à leurs bouts de 4 pouces d'épaisseur : ils sont assemblés chacun par 25 gournables, qui sont une sorte de chevilles à qui l'on donne 1 pouce de diamètre par chaque 100 pieds que le vaisseau a de longueur.

L'étrave mesurée en-dehors sur sa rondeur, est de 37 pieds 2 pouces de long ; et à l'équerre dans l'angle en-dedans, 27 pieds 9 pouces : elle a de ligne courbe 7 pieds ; d'épaisseur en-dehors 1 pied 5 pouces, en-dedans 1 pied 3 pouces ; de largeur par le bas 3 pieds 9 pouces, par le milieu 2 pieds 8 pouces, par le haut 3 pieds 5 pouces ; de queste 22 pieds.

L'étambord a 28 pieds 3 pouces à l'équerre : il a d'épaisseur en-dedans 1 pied 6 pouces, d'épaisseur en-dehors par le haut 1 pied 1 pouce, et par le bas 10 pouces ; sa rablure est de 7 pieds : il a de courbure en-dedans 1 pied 2 pouces, et de queste 3 pieds 6 pouces.

La lisse de hourdi, ou grande barre d'arcasse, a 25 pieds 6 pouces de longueur par derrière ; de largeur 2 pieds ; d'épaisseur par son milieu 1 pied 7 pouces ; par ses bouts 1 pied 5 pouces ; de tonture un pied.

Les estains mesurés depuis leurs bouts du bas en-dehors de la lisse de hourdi jusqu'à leurs bouts du haut, ont 14 pieds 9 pouces ; 1 pied 1 pouce d'épaisseur, 2 pieds 3 pouces de largeur par leur milieu, et 2 pieds par leurs bouts, et 3 pouces de rondeur par derrière.

Les contre-lisses, ou barres de contre-arcasse, ont d'épaisseur sur l'étambord 1 pied 1 pouce, et de haut en bas 1 pied 2 pouces : la plus haute est posée à 2 pieds 2 pouces du dessous de la lisse de hourdi ; les sabords sont à 2 pieds de l'étambord, et ont 2 pieds 4 pouces de largeur, les courbes d'arcasse ont 8 pouces d'épaisseur ; les cornières ou allonges de poupe montent jusqu'à 27 pieds 6 pouces au-dessus de la lisse de hourdi, et il y a 3 pieds 3 pouces de distance entr'elles par le haut.

Des deux grands gabarits, le premier en venant de l'avant, est posé à 36 pieds du dernier écart de l'étrave : il a dans les fleurs 3 pieds 2 pouces à l'équerre ; à demi-pié de hauteur du plafond, il a 30 pieds de largeur ; et à hauteur de 17 pieds, il a 36 pieds aussi de largeur ; l'autre grand gabarit est à 10 pieds de celui-ci vers l'arrière, et entr'eux il y a six varangues dont chacune a 10 pouces de largeur, et elles sont posées à 7 pouces l'une de l'autre.

Le devant du premier gabarit de l'avant est à 8 pouces du dernier écart de l'étrave : il a 28 pieds de longueur jusqu'à la baloire en-dessus, à mesurer de la droite ligne de la baloire par la ligne perpendiculaire sur la trace du milieu de la quille ; de sorte qu'il a 7 pieds 8 pouces de tonture, et 35 pieds 5 pouces de large entre les baloires des deux côtés.

Le dernier gabarit de l'arrière est posé à 18 pieds 6 pouces du talon de la quille ; sa longueur, aussi prise du dessus de la baloire par sa ligne directe sur la perpendiculaire, tombant sur la trace ou le milieu de la quille, est de 38 pieds six pouces ; de manière qu'il y a 5 pieds 3 pouces de tonture, et 31 pieds 9 pouces entre les baloires des deux côtés.

Les baloires, mesures prises dans l'avant, à la ligne ou raie du milieu, à 6 pieds de l'étrave en-dedans, viennent à 6 pieds 6 pouces de hauteur ; et mesurées à 12 pieds de l'étrave, elles sont à 11 pieds 8 pouces de hauteur ; à 18 pieds de l'étrave, elles sont à 15 pieds 7 pouces ; à 24 pieds de l'étrave, elles sont à 17 pieds 4 pouces ; à 30 pieds de l'étrave, elles sont à 17 pieds 10 pouces ; à l'avant elles sont à 1 pied 8 pouces au-dessus du creux du vaisseau, et à l'arrière à 12 pieds.

Les côtés ont sur la quille 1 pied d'épaisseur ; dans les fleurs 10 pouces et 1/2 ; sur la ligne du fort 8 pouces, sur la lisse du vibord 5 pouces : celles de l'avant et de l'arrière sont un peu plus minces.

Chaque coté du vaisseau a été formé sur 15 lisses de gabarit ; savoir 11 au-dessous de la ligne du gros et 4 au-dessus, et encore 1 autre pour chaque herpe.

La carlingue a 1 pied d'épaisseur, et 2 pieds 5 pouces de largeur ; mais elle est un peu plus mince et plus étroite à l'avant et à l'arrière.

Les vaigres du milieu des fleurs ont 6 pouces d'épaisseur, et 1 pied 5 pouces de largeur ; celles qui sont au-dessous et au-dessus de celles-ci, aussi dans les fleurs, ont 5 pouces d'épaisseur et 1 pied 5 pouces de largeur : toutes les vaigres du milieu des côtés ont 4 pouces d'épaisseur, et 3 pouces à l'avant et à l'arrière.

Les serre-bauquières du premier pont ont 5 1/2 d'épaisseur, et 2 pieds de largeur ; elles descendent 4 pouces plus bas que le dessus des baux : celles du second pont ont 6 pouces d'épaisseur, et la même largeur de 2 pieds, descendant aussi de 4 pouces au-dessous des baux : celles du troisième pont ont 5 pouces d'épaisseur, et 1 pied 9 pouces de largeur.

Les baux du premier pont ont 1 pied 3 pouces d'épaisseur, et 1 pied 4 pouces de largeur, peu plus ou peu moins, à la demande du bois : ils ont 7 pouces de tonture ; ils sont à 7 pieds l'un de l'autre, à la grande écoutille, à 9 pieds au-dessus de la soute au biscuit : et la plupart des autres sont à quatre pieds six pouces de distance l'un de l'autre.

Ceux du second pont sont un peu plus forts, et posés droits au-dessus de ceux du bas pont ; à la hauteur de 5 pieds, au milieu du vaisseau, et de 4 pieds 6 pouces à l'avant : ceux qui sont sur les soutes aux biscuits, sont posés une fois plus près l'un de l'autre que ceux du bas-pont.

Les barrots du haut-pont ont 1 pied 1 pouce de largeur, les uns un peu plus, les autres moins, et 10 pouces d'épaisseur ; et sur 28 pieds de longueur, 9 pouces de tonture, la plupart étant à 4 pieds 6 pouces l'un de l'autre : les barrots du château d'avant ont 8 pouces d'épaisseur, et 10 de largeur.

Les barrots du demi-pont et de la chambre du capitaine ont 9 pouces d'épaisseur et 1 pied de largeur : ils ont un peu plus de tonture que ceux du haut-pont, à mesurer de dessus le pont ; et proche du grand mât, ils sont posés à la hauteur de 7 pieds ; et à la hauteur de 7 pieds 6 pouces à l'arrière, aux trépots. Les barrotins des dunettes ont 6 pouces d'épaisseur en carré, et sont à 2 pieds 8 pouces de distance les uns des autres ; ils ont un peu plus de tonture que les barrots de la chambre du capitaine. Les courbatons qui lient les barrotins et les bordages, ont sous la serre-bauquière en-dedans la même épaisseur que les barrotins auxquels ils sont joints par le haut. Les courbatons du demi-pont et de la chambre du capitaine, passent derrière le serrage.

Les aiguillettes qui sont de chaque côté pour renforcer le vaisseau, ont 10 à 11 pouces de largeur prise par la longueur du vaisseau, et 13 à 14 pouces d'épaisseur prise en travers.

Les entremises qui règnent autour des serre-gouttières du pont d'en-bas, ont 2 pieds 8 pouces de long et 8 pouces d'épais ; les entremises du second pont ont 9 pouces d'épaisseur par le côté qui joint le bord et 6 pouces par le côté opposé qui est en-dedans : il en est de même des entremises du premier pont, qui ont aussi en-dedans 3 pouces de moins que du côté du bordage.

Les serre-bauquières du pont d'en-bas ont 9 pouces d'épaisseur, et 2 pieds de largeur ; celles du second pont sont de la même largeur et épaisseur : celles du troisième pont ont 1 pied 9 pouces de largeur, et 5 pouces d'épaisseur.

Les faix du premier et du second pont ont 6 pouces d'épaisseur, et 1 pied 5 pouces de largeur ; ceux du pont d'en-haut ont 5 pouces d'épaisseur : mais devant le mât, où est le caillebotis, leur épaisseur est de 8 pouces, et les carreaux du caillebotis y sont assemblés.

Cinq guerlandes affermissent l'avant ou les joues, et les défendent contre la force de la mer ; la plus haute supporte le bout du second pont ; la plus basse embrasse et couvre l'écart de la quille et de l'étrave ; les deux qui sont au-dessus de cette plus basse, sont jointes pour affermir la carlingue du pied du mât de misene.

Les façons de l'arrière sont aussi fortifiées en-dedans d'un pareil nombre de varangues acculées, et par des fourcats, les varangues ayant à chaque côté leurs genoux de revers, et la dernière de ses courbes.

A l'endroit de l'avant où la première porque est posée, et où commencent les soutes au biscuit, il y a, selon la manière anglaise, une croix pour empêcher que les façons ou virures qui y ont une si grande rondeur ne viennent à s'enfoncer en-dedans, ou qu'à cause de la grande hauteur qui s'y trouve, le dessus ne soit pas assez bien soutenu : cette croix est assemblée à queue d'aronde à la porque et au bau. Les pièces de la croix ont 10 pouces d'épaisseur par la longueur du vaisseau, et 1 pied 2 pouces par son travers.

Le grand cabestan qui passe sur le second pont, y a sept taquets ou fuseaux ; mais sous le pont il n'en a que six : son épaisseur à la tête est de deux pieds 5 pouces, à la carlingue d'un pied 7 pouces, sur l'écuelle d'un pied 5 pouces ; la tête 5 pieds 5 pouces de hauteur.

La tête du petit cabestan a 1 pied 6 pouces d'épaisseur, et 4 pieds 4 pouces de hauteur : il y a 5 fuseaux autour ; il tourne sur une écuelle frappée sur les barrots.

Les têtes des piliers de bittes ont 5 pieds 4 pouces de hauteur, et 1 pied 9 pouces d'épaisseur par la longueur du bâtiment, et 1 pied 8 pouces par le travers ; le traversin a 9 pieds 3 pouces de long, et 1 pied 8 pouces d'épais en carré ; les têtes ont 2 pieds de hauteur au-dessus du traversin, qui à chaque bout s'étend 2 pieds au-delà des piliers, et est garni par derrière d'une planche lavée, pour mieux conserver le câble.

Le diamètre des trous des écubiers est d'un pied 4 pouces ; ils sont percés à deux pieds de l'étrave, et à 8 pouces l'un de l'autre.

Le grand sep de drisse a de hauteur, au-dessus du pont, 4 pieds 8 pouces ; en y comprenant la tête : il a d'épaisseur par la longueur du bâtiment 1 pied 10 pouces, et en travers 2 pieds 1 pouce ; la tête a 1 pied 2 pouces de hauteur.

Le sep de drisse de misene a, du château d'avant jusqu'à ses épaules, 2 pieds 8 pouces de haut, et la tête 1 pied. Les seps ou blocs qui servent à manœuvrer les écoutes et les cargues du grand hunier, ont 1 pied d'épaisseur par la longueur du vaisseau, et dix pieds en travers, et sont posés à 5 pieds l'un de l'autre, à mesurer par leurs côtés. Les trous qui servent aux écoutes de hune, ont 2 pouces et 1/2 de diamètre, et ceux des cargues en ont 1 pouce et demi.

A chaque côté des bords du château d'avant sous la vergue de misene, il y a deux blocs dont les deux premiers servent à manœuvrer les cargues point de misene, et les deux qui sont derrière servent aux balancines : ils ont 7 pouces en carré, et les rouets jouent par la longueur du vaisseau, les trous étant percés en biais pour cet effet.

Derrière le mât de misene au milieu du château d'avant, il y a quatre seps ou blocs d'une même épaisseur, dans chacun desquels il y a deux rouets qui jouent aussi par la longueur du vaisseau, pour manœuvrer tant les cargues bouline, que les cargues fond de misene, la drisse du petit hunier, et les boulines du grand hunier : ces quatre blocs, ou plutôt bittons, ont un traversin qui a 9 pouces en carré.

Vers le bord par derrière et tout proche du grand mât, il y a encore de semblables blocs dont les rouets jouent par le travers du vaisseau.

Il y en a encore deux autres aux bords de chaque côté, proche du mât d'artimon, pareillement carrés, de l'épaisseur de sept pouces, dont les rouets des deux premiers, c'est-à-dire d'un de chaque côté, jouent par la longueur du vaisseau, et servent à manœuvrer les bras du grand hunier ; et les deux qui sont derrière ces deux premiers, et dont les rouets jouent en travers, servent à manœuvrer les écoutes de la voîle du perroquet de foule. Derrière les deux qui sont à babord, est le sep ou bloc de drisse de la vergue d'artimon, qui a 8 pouces d'épais et 10 de large, et dont le rouet joue par la longueur du vaisseau ; et derrière celui-ci il y en a encore un petit, pour la drisse ou perroquet de foule.

La longueur de la chambre du capitaine prise des allonges de poupe en-dedans, est de 21 pieds, aussi-bien que le château d'arrière ; et la longueur du château d'avant est de 33 pieds.

La cuisine qui est à stribord, a 9 pieds 6 pouces de long, et 8 pieds 2 pouces de large. Le derrière de la cheminée est à 4 pieds 5 pouces de la cloison du derrière de la cuisine : la barre de fer de derrière est à 21 pouces de la maçonnerie ; et celle du devant à 7 pouces, et élevée d'un pied au-dessus du pavé : le tuyau par où la fumée passe a 24 pouces de largeur par la longueur du vaisseau, et 31 pouces en travers.

La dépense, qui est vis-à-vis de la cuisine, a 9 pieds de long, et 7 pieds 9 pouces de large, le tout à mesurer en-dehors.

La fosse aux câbles, qui est le second pont, est de 26 pieds 6 pouces, à mesurer de l'étrave en-dedans. La sainte-barbe a 27 pieds de longueur, à mesurer de la lisse de hourdi. La soute aux poudres a 6 pieds de haut, à prendre sur les vaigres proche de la carlingue. L'archipompe a 3 pieds 3 pouces de diamètre : aux deux côtés il y a deux soutes au biscuit, et une troisième droit par derrière ; et dans cette dernière il y a un petit espace où l'on tient les ferrailles. Tous ces ouvrages sont faits de planches fort seches, et doubles l'une sur l'autre. Deux des soutes au biscuit sont garnies de fer-blanc, et la troisième est enduite de poix-résine.

Les sabords du second pont sont percés à 23 pouces au-dessus de la serregouttière, à prendre du dessus des seuillets d'embas. Les seuillets du haut sont à pareille distance de ceux du bas, à-plomb ; et les sabords ont 27 à 28 pouces de largeur par la longueur du bâtiment : ceux de l'arrière sont à 8 pieds 4 pouces des estains en-dedans. La plupart des autres ont environ 8 pieds de distance entr'eux, hormis ceux entre lesquels se trouvent la cuisine et la dépense, qui sont à 14 pieds 6 pouces l'un de l'autre.

Il y a trois sabords de chaque côté dans le château d'avant, et deux dans le château d'arrière ; ils ont de largeur par la longueur du vaisseau, 2 pieds de 12 pouces.

Le grand mât, sur le second pont, est par son côté qui regarde l'avant un pied plus vers l'arrière que la moitié de la longueur du vaisseau, à mesurer de l'étrave à l'étambord. Le mât de misene est posé par le centre de son diamètre, à 12 pieds 7 pouces de l'étrave prise en-dedans. Le milieu de la carlingue du mât d'artimon, pris sur le haut pont, est à la distance de 20 pieds 6 pouces des allonges de poupe en-dedans.

Les pompes sont à 34 pieds de l'étambord, dans le plus bas des façons de l'arrière : elles sont élevées aussi de 34 pouces au-dessus du troisième pont. Les potences s'élèvent de 21 pouces au-dessus des pompes, et y font 14 pouces de saillie sur le devant ; en sorte que dans les verges qui ont 10 pieds 3 pouces de longueur, et 14 pouces d'épaisseur, les trous des chevilles sont à 14 pouces l'un de l'autre. Le trou pour la manche est percé à 16 pouces du bout d'en-haut de la pompe.

Il n'y a sous les sabords d'entre les deux ponts qu'une ceinte, et une autre pièce qui de l'arcasse s'étend en-dedans jusqu'au revêtement. Cette ceinte a 14 pouces de largeur et 8 d'épaisseur. La fermure ou base des sabords a 42 pouces de large par le milieu du vaisseau ; mais vers l'avant et l'arrière elle en a un peu moins, et elle a 4 pouces d'épais. La ceinte qui est au-dessus a 13 pouces de largeur ; et 7 d'épaisseur. Les couples ont 14 pouces de largeur, et 3 1/2 d'épaisseur. La ceinte au-dessus a 12 pouces de largeur, et 6 pouces d'épaisseur. La base des sabords sous la lisse de vibord a 20 pouces de largeur, et 3 d'épaisseur. La lisse de vibord a 10 pouces de largeur, et 6 d'épaisseur.

Le premier bordage qui est au-dessus de la lisse de vibord, et qui la joint par l'arrière, a 14 pouces de largeur, et 2 d'épaisseur ; et l'esquain, dont la plupart est de 9 pouces de large et de 10 pouces à l'arrière, s'emboite dans sa rablure. Il y a dans le vaisseau cinq herpes, dont chacune embrasse deux bordages. Les lisses ont 7 pouces de largeur, et 4 d'épaisseur : le vide ou jour de l'entre-deux est de 8 pouces.

La plus basse des aiguilles de l'éperon a 26 pieds de long, mesurée par son dessus, et le bestion ou lion 12 pieds : il a par son devant 28 pouces d'épaisseur de haut en bas, et 20 pouces par son derrière. L'aiguille a 16 pouces d'épaisseur de haut en bas contre l'étrave, et 11 contre le lion, et 6 entre ses griffes de devant. Les frises ont 21 pouces de largeur contre l'étrave, et 14 en-devant contre le lion.

Les plus hauts porte-vergues qui, à 9 pieds de leur longueur prise par-derrière sont ornés de marmots, ont de largeur avec ces tètes, à l'endroit où elles sont, 20 pouces, et 10 d'épaisseur : ils ont contre le devant de l'étrave 10 pouces de largeur, et 6 d'épaisseur ; et au revers de l'éperon ils en ont 6 de largeur, et 4 d'épaisseur. Le plus bas porte-vergue a de largeur par son bout de derrière 8 pouces 1/2, et par son bout de devant 4 pouces 1/2, et d'épaisseur 4 pouces. Pour soutenir les porte-vergues et fortifier tout l'éperon, il y a cinq couples de joutteraux ou courbatons aux deux côtés, dont le second de la quatrième couple s'entretiennent en-devant chacun par un petit traversin courbé naturellement, et sans le secours de la main du charpentier. Les herpes de l'éperon sont à 13 pieds 3 pouces de l'étrave, et sont par leur bout du haut à la distance de 24 pieds 9 pouces l'une de l'autre.

Les bossoirs, qui ont 15 pouces d'épaisseur en carré, font saillie en mesurant de leur milieu, jusqu'à 36 pouces au-delà les porte-vergues. Le traversin de herpes a 24 pieds de longueur, et 10 ou 11 pouces d'épaisseur en carré, et fait saillie de 11 pieds au-delà des porte-vergues.

Les porte-haubans de misene ont 28 pieds de long, et 20 pouces de large par-devant, et 16 par derrière : ils ont 4 pouces d'épais en-dedans, et 3 1/2 en-dehors : il y a neuf couples de haubans sur chacun de ces porte-haubans, avec une cadene plate pour le palan qui est placée entre le troisième et le quatrième. Les grands porte-haubans ont 35 pieds de long, et la même largeur que ceux de misene, tant par-devant que par derrière ; mais ils ont, tant en-dehors qu'en-dedans, un demi-pouce d'épaisseur, et il y en a dix couples avec une cadene placée comme la précédente. Ceux du mât d'artimon ont 16 pieds 6 pouces de long, et 15 de large par-devant, 12 par derrière, avec 3 pouces et demi d'épaisseur en-dedans et 3 en-dehors. Les pendeurs de palan sont placés entre le second et le troisième couple des haubans, qui y sont au nombre de cinq couples.

Le gouvernail a 52 pouces de largeur par le bas, et 26 pouces à la jaumière : il a par le haut 19 pouces d'épaisseur en-dehors, et 16 en-dedans. La jaumière a 12 pouces de hauteur en-dedans, et 10 de largeur, c'est-à-dire en-travers du vaisseau, mais en-dehors, elle n'a que 10 pouces de hauteur, et 8 de largeur : les gonds de la ferrure pour prendre le gouvernail sont au nombre de sept, et ont 4 pouces moins un quart de diamètre. Le timon ou la barre a de largeur de haut en bas 12 pouces, et 11 en travers, c'est-à-dire proche de la jaumière en-dedans.

Le traversin ou quart de rond de la barre de gouvernail est posé à 21 pieds du voutis, en prenant la mesure du dessus de la lisse de hourdi : il a 9 pouces en carré ; et dans la longueur de 18 pieds qui est entre les chevilles, et qui soutient la barre dans le mouvement qu'elle fait dessus comme celui d'un sas, d'où il est aussi appelé sassoire et tamisaille, il est arqué de 4 pouces.

La manuelle, souvent aussi appelée barre de gouvernail, de même que le timon, a 12 pieds 3 pouces de long, sans y comprendre la boucle. Le moulinet ou la noix qui est dans le hulot, par le moyen de laquelle la barre joue, a 14 pouces de long entre les chevilles. Le retranchement ou couvert où la barre joue, est élevé de 23 pouces au-dessus de la tugue, ayant 11 pieds de long en travers du vaisseau, et 13 pouces de large : il y a une petite écoutille au-dessus, par laquelle le pilote peut facilement parler et se faire entendre du timonnier.

Le grand habitacle qui est devant le timonnier a 6 pieds 6 pouces de longueur, 5 pieds de largeur, et 16 pouces dans les entre-deux, étant séparé en cinq. Le petit habitacle a 3 pieds 6 pouces de long, 3 pieds 4 pouces de haut, et 13 pouces dans les entre-deux : il est aussi divisé en trois appartements ou fenêtres.

L'architrave qui est au-dessus de la lisse de hourdi, a 18 pouces de largeur par son milieu, et 16 pouces à chacun de ses bouts, et 5 pouces d'épaisseur : elle a autant d'arc en arrière que la lisse de hourdi, et autant de tonture au bas que les baux du troisième pont ; mais au haut elle est arquée de deux pouces de plus : elle fait saillie de 5 pieds 6 pouces derrière les allonges de poupe, et par son milieu elle est 10 pouces au-dessus des bordages du pont d'en haut qui y aboutissent : elle est soutenue par 14 montants de revers qui ont 7 pouces de large et 6 d'épais : les deux du milieu, entre lesquels le gouvernail passe en jouant, sont à 32 pouces l'un de l'autre : il y a sur le voutis une bonne planche de chêne, et il est bordé de planches de 2 pouces d'épaisseur.

La planche ou frise qui est au-dessus de l'architrave a 3 pouces et demi d'épaisseur, et fait saillie de 4 pouces par le haut, étant attachée et clouée par le bas à l'architrave, pour être plus ferme, avec des clous frappés en biaisant : elle passe aussi de 11 pouces sur les côtés au-delà des bordages, sur lesquels côtés le pied de la galerie est assemblé à joints perdus.

La simaise qui est au-dessus des fenêtres de la galerie, est en-dedans à 7 pieds du derrière des allonges de poupe ; et à mesurer depuis le haut de la frise qui est au-dessus de l'architrave en biaisant jusqu'au haut de la simaise, celle-ci se trouve placée 6 pieds 4 pouces au-dessus de l'autre, ayant par son milieu 15 pouces de large, par ses bouts 18 pouces, et autant d'arc que l'architrave qui est au-dessous. Son épaisseur qui est de 4 pouces et demi, rentre en-dedans d'un pouce et demi autour des montants de la galerie, l'autre frise qui a 2 pouces d'épaisseur, est par le haut, dans son milieu, 36 pouces au-dessus de la plus basse frise ; et la lisse qui est au-dessus fait par derrière saillie de 12 pouces au-delà des planches.

Le pied ou le support de la galerie a 10 pieds de longueur : il y a en-dedans 7 courbatons de 6 pouces de large et de 5 d'épais, et il y en a autant sous le couvert : ils font saillie de 36 pouces au-delà des allonges de poupe, vers le corps du vaisseau.

Le fronteau de la galerie est placé à 39 pouces en-devant, du côté de derrière des allonges : la planche qui est debout, et ouvragée de reliefs sur le côté de la galerie, est de 18 pouces de large par-derrière, et de 13 pouces par-devant. Les montants, avec leurs figures et ornements, ont 12 pieds de largeur, et autant d'épaisseur que les reliefs ont pu le permettre. Les termes des angles sont de même ; mais les autres sont un peu moins puissants.

La table de la chambre du capitaine a 32 pouces de hauteur, et les bans en ont 22.

Après avoir donné le détail et les proportions des principales pièces qui entrent dans la construction d'un vaisseau du premier rang, il convient de faire voir l'ordre que l'on suit pour disposer et placer chaque partie.

Premièrement on prépare la quille, puis

2. L'étrave.

3. L'étambord.

4. La lisse de hourdi.

5. Les estains.

6. Le taquet de la clé des estains.

7. La clé des estains.

8. Les barres d'arcasse ou contrelisses.

9. Les allonges de poupe. Ensuite

10. On met la quille sur le chantier, c'est-à-dire sur les tins.

11. On ôte les allonges de poupe et les barres d'arcasse.

12. On lève l'étrave.

13. On élève l'étambord ; on y assemble les barres d'arcasse, sur lesquelles on pose les allonges de poupes ou de trepot, autrement les cormières.

14. On pose une courbe sur la quille et contre l'étambord.

15, On fait la trace et le jarlot.

16. On perce les trous pour les gournables dans l'étrave, l'étambord et la quille.

17. On assemble les gabords avec la quille ; puis

18. Les ribords, et l'on fait le platfond au niveau.

19. On pose une varangue sous l'embelle, avec un genou à chaque côté.

20. Puis on borde les fleurs, &

21. On les met à niveau quand elles ont leurs façons. Après cela

22. On fait les gabarits des trois allonges, auxquelles on joint les traversins des triangles.

23. Sur quoi on met les planches de triangle.

24. On met la baloire tout-au-tour, et les autres lisses de gabarit au-dessus, à niveau ;

25. Et aussi les arcboutants aux bouts du haut et les accores.

26. Les varangues, les genoux, les genoux de revers, les fourcats, les barres de contre-arcasses ou les contrelisses.

27. Les entremises et les taquets pour renfler.

28. On apprête les baux.

29. On dresse et l'on coud les bordages des fleurs.

30. On vaigre les fleurs.

31. On fait le triangle pour poser les baux, et de dessus.

32. On dresse les allonges, où la serrebanquière doit être cousue.

33. On attache la serrebanquière.

34. On pose les baux, avec la vaigre de pont au-dessous.

35. On porte le triangle au haut.

36. On présente les gabarits de la seconde et de la troisième allonge.

37. On coud le serrage, d'entre les fleurs et les baux,

38. Aux allonges.

39. On met les lisses de gabarit autour, et on y attache les arcboutants et les accores.

40. On pose en place les courbes, on vaigre le platfond ; on pose les porques, la carlingue ou contrequille, et l'on fait les carlingues des mâts.

41. On dresse la serregoutière du haut pont.

42. On la pose.

43. Et l'on coud une ou deux vaigres au-dessus.

44. On pose les barrots du pont d'en-haut et de la sainte-barbe.

45. Ensuite on coud la serrebauquière.

46. Et les autres serres au-dessous.

47. On gournable les fleurs.

48. On assemble l'arcasse avec les faix de pont.

49. On pose les courbatons, et l'on fait scier les barrotins.

50. On retourne au-dehors, et l'on coud le bordage sous les sabords.

51. On recoud les coutures des fleurs et les rablures.

52. On coud les bordages au-dessous de la première préceinte.

53. On acheve de mettre le bâtiment en état ; puis

54. On le tourne sur le côté.

55. On le redresse.

56. On attache les roses à l'étambord, et une plaque sur la quille.

57. On fait le modèle du gouvernail.

58. On prépare tout pour lancer le bâtiment à l'eau, puis on le lance.

59. Quand il y est, on fait les échafauds au-dehors et par l'arrière.

60. On met les seuillets du haut des sabords tout-au-tour du vaisseau.

61. Et l'on coud les plus bas bordages ; puis après

62. On borde et élève les hauts tout-au-tour ; l'on coud les ceintes, les couples, les lisses de vibord, le premier bordage de l'esquain, l'acastillage, et les herpes.

63. Ensuite on pose la plus haute serregoutière,

64. Et sa vaigre au-dessus.

65. Les barrotins du premier pont,

66. Et les entremises au-dessous.

67. L'écarlingue du cabestan, et celle du mât d'artimon.

68. L'aiguille de l'éperon.

69. Les hiloires des caillebotis du pont d'en haut.

70. Les étembraies du mât d'artimon et du cabestan.

71. On pose les barrots de la chambre du capitaine sur leurs taquets, et de même ceux du château-d'avant.

72. La serrebauquière au-dessous, avec les autres serres.

73. Les barrotins du haut pont.

74. On tient prêts les blocs ou marmots du gaillard d'avant, et on les met en place.

75. Les entremises du gaillard-d'avant. Et au-dessous des barrots

76. On pose les piliers de bittes.

77. Le grand sep de drisse ou bloc, et celui du mât d'avant.

78. On borde le tillac.

79. Ensuite on travaille à la croix des montants ou allonges de poupe dans la chambre du capitaine, et au fronteau.

80. A l'éperon.

81. Aux galeries.

82. Aux sabords.

83. Aux écubiers.

84. Aux courbatons de bittes.

85. Aux accotards.

86. Au traversin de bittes.

87. On borde le château-d'avant ou gaillard.

88. On y pose les gouttières ou gathes,

89. Et sur la dunette, et l'on y assemble les barrots et les barrotins.

90. On y coud la serregoutière et les autres serres au-dessous.

91. On borde par-dessus, et l'on travaille aux haubans.

92. On fait les fronteaux ou cloisons de la chambre du capitaine, et l'on y fait les cabanes ou cajates.

93. On travaille aux étambraies.

94. On y fait passer les pieds des mâts, et on les pose.

95. Et l'on couche le mât de beaupré.

96. On pose le cabestan.

97. On place les cadences des haubans.

98. On fait les fronteaux du demi-pont,

99. Et le fronteau du château-d'avant,

100. Et les caillebotis.

101. Ensuite on fait les écoutilles à panneaux à boite.

102. Les dalots ou gouttières, les pompes, et le tuyau pour l'aisément.

103. Le fronteau de la dunette.

104. Les platbords.

105. Les taquets.

106. Le fronteau de la sainte-barbe.

107. La dépense.

108. La cuisine.

109. Les bossoirs.

110. Le gouvernail.

111. Les blocs ou taquets d'écoutes.

112. On met les fargues, si on le juge nécessaire.

113. Comme aussi les lisses au-dessus du platbord, s'il en est besoin.

114. On fait les dogues d'amure.

115. Les pompes.

116. La soute au biscuit et la fosse à lion.

117. Le traversin des petites bittes sur le gaillard-d'avant.

118. Les bittons, taquets et chevillots.

119. L'arceau au-dessus de la manuelle ou barre du gouvernail, s'il y en faut. Puis on se prend à

120. Recourir tout-autour par le dehors,

121. A souffler ou mettre le doublage, s'il en est besoin.

122. Et l'on garnit l'étambord et le gouvernail de plaques de cuivre.

Après ces pièces principales on travaille aux menus ouvrages, comme fenêtres, portes, bancs, chambres, et retranchement : ensuite on braie, on goudronne, on peint, etc.

Tout ce qu'on vient de voir ne regardant que le corps du vaisseau, il nous reste encore à parler de la matière des voiles et des cordages ; articles qui demandent beaucoup de détail, et pour lesquels nous renvoyons aux mots MATS, VOILES, CORDAGES. V. aussi NAVIRE. (Z)