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Catégorie : Grammaire
S. f. (Grammaire) La voix humaine comprend deux sortes d'éléments, le son et l'articulation. Le son est une simple émission de la voix, dont les différences essentielles dépendent de la forme du passage que la bouche prête à l'air qui en est la matière. L'articulation est le degré d'explosion que reçoivent les sons, par le mouvement subit et instantané de quelqu'une des parties mobiles de l'organe. Voyez H.

L'écriture qui peint la parole en en représentant les éléments dans leur ordre naturel, par des signes d'une valeur arbitraire et constatée par l'usage que l'on nomme lettres, doit donc comprendre pareillement deux sortes de lettres ; les unes doivent être les signes représentatifs des sons, les autres doivent être les signes représentatifs des articulations : ce sont les voyelles et les consonnes.

Les voyelles sont donc des lettres consacrées par l'usage national à la représentation des sons. " Les voyelles, dit M. du Marsais (CONSONNE), sont ainsi appelées du mot voix, parce qu'elles se font entendre par elles-mêmes ; elles forment toutes seules un son, une voix " : c'est-à-dire, qu'elles représentent des sons qui peuvent se faire entendre sans le secours des articulations ; au lieu que les consonnes, qui sont destinées par l'usage national à la représentation des articulations, ne représentent en conséquence rien qui puisse se faire entendre seul, parce que l'explosion d'un son ne peut exister sans le son, de même qu'aucune modification ne peut exister sans l'être, qui est modifié : de-là vient le nom de consonne, (qui sonne avec) parce que l'articulation représentée ne devient sensible qu'avec le son qu'elle modifie.

J'ai déjà remarqué (LETTRES) que l'on a compris sous le nom général de lettres, les signes et les choses signifiées, ce qui aux yeux de la philosophie est un abus, comme c'en était un aux yeux de Priscien. (Lib. I. de litterâ.) Les choses signifiées auraient dû garder le nom général d'éléments, et les noms particuliers de sons et d'articulations ; et il aurait fallu donner exclusivement aux signes le nom général de lettres, et les noms spécifiques de voyelles et de consonnes. Il est certain que ces dernières dénominations sont en français du genre féminin, à cause du nom général lettres, comme si l'on avait voulu dire lettres voyelles, lettres consonnes.

Cependant l'auteur anonyme d'un traité des sons de la langue française (Paris 160. in-8°.) se plaint au contraire, d'une expression ordinaire qui rentre dans la correction que j'indique : voici comme il s'en explique. (Part. I. pag. 3.) " Plusieurs auteurs disent que les voyelles et les consonnes sont des lettres. C'est comme si on disait que les nombres sont des chiffres. Les voyelles et les consonnes sont des sons que les lettres représentent, comme les chiffres servent à représenter les nombres. En effet, on prononçait des consonnes et des voyelles avant qu'on eut inventé les lettres. "

Il me semble, au contraire, que quand on dit que les voyelles et les consonnes sont des sons, c'est comme si l'on disait que les chiffres sont des nombres ; sans compter que c'est encore un autre abus de désigner indistinctement par le mot de sons tous les éléments de la voix. J'ajoute que l'on prononçait des sons et des articulations avant qu'on eut inventé les lettres, cela est dans l'ordre ; mais loin que l'on prononçât alors des consonnes et des voyelles, on n'en prononce pas même aujourd'hui que les lettres sont connues ; parce que, dans la rigueur philosophique, les voyelles et les consonnes, qui sont des espèces de lettres, ne sont point sonores, ce sont des signes muets des éléments sonores de la voix.

Au reste, le même auteur ajoute : " on peut cependant bien dire que ces lettres a, e, i, etc. sont des voyelles, et que ces autres b, c, d, etc. sont des consonnes, parce que ces lettres réprésentent des voyelles et des consonnes ". Il est assez singulier que l'on puisse dire que des lettres sont voyelles et consonnes, et que l'on ne puisse pas dire réciproquement que les voyelles et les consonnes sont des lettres ? je crois que la critique exige plus de justesse.

Selon le P. Lami, (Rhét. liv. III. chap. IIIe pag. 202.) On peut dire que les voyelles sont au regard des lettres qu'on appelle consonnes, ce qu'est le son d'une flute aux différentes modifications de ce même son, que font les doigts de celui qui joue de cet instrument. Le P. Lami parle ici le langage ordinaire, en désignant les objets par les noms mêmes des signes. M. du Marsais, parlant le même langage, a Ve les choses sous un autre aspect, dans la même comparaison prise de la flute : tant que celui qui en joue, dit-il, (CONSONNE) y souffle de l'air, on entend le propre son au trou que les doigts laissent ouvert.... Voilà précisément la voyelle : chaque voyelle exige que les organes de la bouche soient dans la situation requise pour faire prendre à l'air qui sort de la trachée-artère la modification propre à exciter le son de telle ou telle voyelle. La situation qui doit faire entendre l 'a, n'est pas la même que celle qui doit exciter le son de l 'i. Tant que la situation des organes subsiste dans le même état, on entend la même voyelle aussi longtemps que la respiration peut fournir d'air. Ce qui marquait, selon le P. Lami, la différence des voyelles aux consonnes, ne marque, selon M. du Marsais, que la différence des voyelles entr'elles ; et cela est beaucoup plus juste et plus vrai. Mais l'encyclopédiste n'a rien trouvé dans la flute qui put caractériser les consonnes, et il les a comparées à l'effet que produit le battant d'une cloche, ou le marteau sur l'enclume.

M. Harduin, dans une dissertation sur les voyelles et les consonnes qu'il a publiée (en 1760.) à l'occasion d'un extrait critique de l'abrégé de la Grammaire française par M. l'abbé de Wally, a repris (pag. 7.) la comparaison du P. Lami, et en la rectifiant d'après des vues semblables à celles de M. du Marsais, il étend ainsi la similitude jusqu'aux consonnes : " la bouche et une flute sont deux corps, dans la concavité desquels il faut également faire entrer de l'air pour en tirer du son. Les voyelles répondent aux tons divers causés par la diverse application des doigts sur les trous de la flute ; et les consonnes répondent aux coups de langue qui précèdent ces tons. Plusieurs notes coulées sur la flute sont, à certains égards, comme autant de voyelles qui se suivent immédiatement ; mais si ces notes sont frappées de coups de langue, elles ressemblent à des voyelles entremêlées de consonnes ". Il me semble que voilà la comparaison amenée au plus haut degré de justesse dont elle soit susceptible, et j'ai appuyé volontiers sur cet objet, afin de rendre plus sensible la différence réelle des sons et des articulations, et conséquemment celle des voyelles et des consonnes qui les représentent.

J'ai observé (art. LETTRES) que notre langue parait avoir admis huit sons fondamentaux, qu'on aurait pu représenter par autant de voyelles différentes ; et que les autres sons usités parmi nous dérivent de quelqu'un de ces huit premiers, par des changements si légers et d'ailleurs si uniformes, qu'on aurait pu les figurer par quelques caractères accessoires. Voici les huit sons fondamentaux rangés selon l'analogie des dispositions de la bouche, nécessaires à leur production.

I. La bouche est simplement plus ou moins ouverte pour la génération des quatre premiers sons qui retentissent dans la cavité de la bouche : je les appellerais volontiers des sons retentissants, et les voyelles qui les représenteraient seraient pareillement nommées voyelles retentissantes.

Les lèvres, pour la génération des quatre derniers, se rapprochent ou se portent en avant d'une manière si sensible, qu'on pourrait les nommer sons labiaux, et donner aux voyelles qui les représenteraient le nom de labiales.

II. Les deux premiers sons de chacune de ces deux classes sont susceptibles de variations, dont les autres ne s'accommodent pas. Ainsi l'on pourrait, sous ce nouvel aspect, distinguer les huit sons fondamentaux en deux autres classes ; savoir, quatre sons variables, et quatre sons constants : les voyelles qui les représenteraient recevraient les mêmes dénominations.

1°. Les sons variables que M. Duclos (Rem. sur le chap. j. de la part. I. de la Grammaire gén.) appelle grandes voyelles, sont les deux premiers sons retentissants a, ê, et les deux premiers labiaux eu, o ; chacun de ces sons peut être grave ou aigu, oral ou nasal.

Un son variable est grave, lorsqu'étant obligé d'en trainer davantage la prononciation, et d'appuyer, pour ainsi-dire, dessus, on sent qu'indépendamment de la longueur, l'oreille aperçoit dans la nature même du son quelque chose de plus plein et plus marqué. Un son variable est aigu, lorsque passant plus légèrement sur sa prononciation, l'oreille y aperçoit quelque chose de moins nourri et de moins marqué, qu'elle n'en est, en quelque sorte, que piquée plutôt que remplie. Par exemple, a est grave dans pâte, et aigu dans pate ; ê est grave dans la tête, et aigu dans il tete ; eu est grave dans jeune, (abstinence de manger), aigu dans jeune (qui n'est pas vieux), et muet ou presqu'insensible dans âge, o est grave dans côte (os), et aigu dans cote (jupe).

Un son variable est oral, lorsque l'air qui en est la matière sort entièrement par l'ouverture de la bouche qui est propre à ce son. Un son variable est nasal, lorsque l'air qui en est la matière, sort en partie par l'ouverture propre de la bouche, et en partie par le nez. Par exemple, a est oral dans pâte et dans pate, et il est nasal dans pante de lit ; ê est oral dans tête et dans tète, et il est nasal dans teinte ; eu est oral dans jeune et dans jeune, et nasal dans jeun ; o est oral dans côte et dans cote, et il est nasal dans conte.

2°. Les sons constants, que M. Duclos (ibid.) nomme petites voyelles, sont les deux derniers sons retentissants, é, i, et les deux derniers labiaux u, ou. Je les appelle constants, parce qu'en effet chacun d'eux est constamment oral, sans devenir jamais nasal, et que la constitution en est invariable, soit qu'on en traine ou qu'on en hâte la prononciation.

M. l'abbé Fromant (supplém. 1. j.) pense autrement, et il n'est pas possible de discuter son opinion ; c'est une affaire d'organe, et le mien se trouve d'accord à cet égard avec celui de M. Duclos. J'observerais seulement que par rapport à l'i nasal, qu'il admet et que je rejette, il se fonde sur l'autorité de l'abbé de Dangeau, qui, selon lui, connaissait assurément la prononciation de la cour et de la ville, et sur la pratique constante du théâtre, où l'on prononce en effet l'i nasal.

Mais en accordant à l'abbé de Dangeau tout ce qu'on lui donne ici ; ne peut-on pas dire que l'usage de notre prononciation a changé depuis cet académicien, et en donner pour preuve l'autorité de M. Duclos, qui ne connait pas moins la prononciation de la cour et de la ville, et qui appartient également à l'académie française ?

Pour ce qui regarde la pratique du théâtre, on peut dire, 1°. que jusqu'ici personne ne s'est avisé d'en faire entrer l'influence dans ce qui constitue le bon usage d'une langue ; et l'on a raison : Voyez USAGE. On peut dire, 2°. que le grand Corneille étant en quelque sorte le père et l'instituteur du théâtre français, il ne serait pas surprenant qu'il se fût conservé traditionellement une teinte de la prononciation normande que ce grand homme pourrait y avoir introduite.

Dans le rapport analysé des remarques de M. Duclos et du supplément de M. l'abbé Fromant, que fit à l'académie royale des Sciences, belles-lettres, et arts de Rouen, M. Maillet du Boulay, secrétaire de cette académie pour les belles-lettres, il compare et discute les pensées de ces deux auteurs sur la nature des voyelles. " Cette multiplication de voyelles, dit-il, est-elle bien nécessaire ? et ne serait-il pas plus simple de regarder ces prétendues voyelles (nasales) comme de vraies syllabes, dans lesquelles les voyelles sont modifiées par les lettres m ou n, qui les suivent " ? M. l'abbé de Dangeau avait déjà répondu à cette question d'une manière détaillée et propre, ce me semble, à satisfaire. (Opusc. pag. 19. 32.) Il démontre que les sons que l'on nomme ici, et qu'il nommait pareillement voyelles nasales, sont de véritables sons simples et inarticulés en eux-mêmes ; et ses preuves portent, 1°. sur ce que dans le chant les ports de voix se font tout entiers sur an, ein, on, etc. que l'on entend bien différents de a, è, o, &c ; 2°. sur l'hiatus que produit le choc de ces voyelles nasales, quand elles se trouvent à la fin d'un mot et suivies d'un autre mot commençant par une voyelle. Ces preuves, détaillées comme elles sont dans le premier discours de M. l'abbé de Dangeau, m'ont toujours paru démonstratives ; et je crains bien qu'elles ne l'aient paru moins à M. du Boulay, par la même raison que l'abbé de Dangeau trouva vingt-six de ces hiatus dont je viens de parler dans le Cinna de Corneille, et qu'il n'en rencontra qu'onze dans le Mithridate de Racine, huit dans le Misantrope de Moliere, et beaucoup moins dans les opéra de Quinault.

Voici donc sous un simple coup-d'oeil, le système de nos sons fondamentaux.

Les variations de ceux de ces huit sons fondamentaux qui en sont susceptibles, ont multiplié les sons usuels de notre langue jusqu'à dix-sept bien sensibles, conformément au calcul de M. Duclos. Faudrait-il également dix-sept voyelles dans notre alphabet ? Je crois que ce serait multiplier les signes sans nécessité, et rendre même insensible l'analogie de ceux qui exigent une même disposition dans le tuyau organique de la bouche. En descendant de l'a à l'ou, il est aisé de remarquer que le diamètre du canal de la bouche diminue, et qu'au contraire, le tuyau qu'elle forme s'allonge par des degrés, inappréciables peut-être dans la rigueur géométrique, mais distingués comme les huit sons fondamentaux : au lieu qu'il n'y a dans la disposition de l'organe, aucune différence sensible qui puisse caractériser les variations des sons qui en sont susceptibles ; elles ne paraissent guère venir que de l'affluence plus ou moins considérable de l'air, de la durée plus ou moins longue du son, ou de quelque autre principe également indépendant de la forme actuelle du passage.

Il serait donc raisonnable, pour conserver les traces de l'analogie, que notre alphabet eut seulement huit voyelles, pour représenter les huit sons fondamentaux ; et dans ce cas un signe de nasalité, comme pourrait être notre accent aigu, un signe de longueur, tel que pourrait être notre accent grave, et un signe tel que notre accent circonflexe, pour caractériser l'eu muet, feraient avec nos huit voyelles tout l'appareil alphabétique de ce système. La voyelle qui n'aurait pas le signe de nasalité, représenterait un son oral ; celle qui n'aurait pas le signe de longueur, représenterait un son bref : et quoique Théodore de Bèze (de francicae linguae rectâ pronunciatione tractatus, Genev. 1584.) ait prononcé que eadem syllaba acuta quae producta, et eadem gravis quae correpta, il est cependant certain que ce sont ordinairement les sons graves qui sont longs, et les sons aigus qui sont brefs ; d'où il suit que la présence ou l'absence du signe de longueur servirait encore à désigner que le son variable est grave ou aigu. Ainsi a oral, bref et aigu ; à oral, long et grave ; à nasal. C'est à mon sens, un vrai superflu dans l'alphabet grec, que les deux e et les deux o qui y sont figurés diversement ; , , , .

Notre alphabet peche dans un sens contraire ; nous n'avons pas assez de voyelles, et nous usons de celles qui existent d'une manière assez peu systématique. Le détail des différentes manières dont nous représentons nos sons usuels, ne me parait pas assez encyclopédique pour grossir cet article ; et je me contenterai de renvoyer sur cette matière, aux éclaircissements de l'abbé de Dangeau, (opusc. p. 61-110.) aux remarques de M. Harduin, sur la prononciation et l'orthographe, et au traité des sons de la langue française, dont j'ai parlé ci-dessus. (B. E. R. M.)




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