S. f. (Grammaire) Il y a trois relations générales que peut avoir à l'acte de la parole le sujet de la proposition ; car ou il prononce lui-même la proposition dont il est le sujet, ou la parole lui est adressée par un autre, ou il est simplement sujet sans prononcer le discours et sans être apostrophé. Dans cette proposition, je suis le seigneur ton Dieu (Exode xx. 2.), C'est Dieu qui en est le sujet, et à qui il est attribué d'être le Seigneur Dieu d'Israèl ; mais en même temps c'est lui qui produit l'acte de la parole qui prononce le discours : dans celle-ci (Psaumes l.), Dieu, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, c'est encore Dieu qui est le sujet, mais ce n'est pas lui qui parle, c'est à lui que la parole est adressée : enfin, dans celle-ci (Ecclésiaste. XVIIe 1.), Dieu a créé l'homme de terre et l'a fait à son image, Dieu est encore le sujet, mais il ne parle point, et le discours ne lui est point adressé.

Les Grammairiens latins ont donné à ces trois relations générales le nom de personnes. Le mot latin persona signifie proprement le masque que prenait un acteur, selon le rôle dont il était chargé dans une pièce de théâtre ; et ce nom est dérivé de sonare, rendre du son, et de la particule ampliative per, d'où personare, rendre un son éclatant ; Bassius, dans Aulu-Gelle, nous apprend que le masque était construit de manière que toute la tête en était enveloppée, et qu'il n'y avait d'ouverture que celle qui était nécessaire à l'émission de la voix ; qu'en conséquence tout l'effort de l'organe se portant vers cette issue, les sons en étaient plus clairs et plus résonnans : ainsi l'on peut dire que sans masque, vox sonabat, mais qu'avec le masque, vox personabat ; et de-là le nom de persona donné à l'instrument qui facilitait le retentissement de la voix, et qui n'avait peut-être été inventé qu'à cette fin, à cause de la vaste étendue des lieux, où l'on représentait les pièces dramatiques. Le même nom de persona fut employé ensuite pour exprimer le rôle même dont l'auteur était chargé ; et c'est une métonymie du signe pour la chose signifiée, parce que la face du masque était adaptée à l'âge et au caractère de celui qui était censé parler, et que quelquefois c'était son portrait même : ainsi le masque était un signe non-équivoque du rôle.

C'est dans ce dernier sens, de personnage ou de rôle, que l'on donne, en Grammaire le nom de personnes aux trois relations dont on vient de parler, parce qu'en effet ce sont comme autant de rôles accidentels dont les sujets se revêtent, suivant l'occurrence, dans la production de la parole qui est la représentation sensible de la pensée. On appelle première personne, la relation du sujet qui parle de lui-même : seconde personne, la relation du sujet à qui l'on parle de lui-même : et troisième personne, la relation du sujet dont on parle, qui ne prononce ou qui n'est pas censé prononcer lui-même le discours, et à qui il n'est point adressé.

On donne aussi le nom de personnes aux différentes terminaisons des verbes, qui indiquent ces relations, et qui servent à mettre les verbes en concordance avec le sujet considéré sous cet aspect : ego amo, tu amas, Petrus amat, voilà le même verbe avec les terminaisons relatives aux trois différentes personnes pour le nombre singulier ; nos amamus, vos amatis, milites amant, le voilà dans les trois personnes pour le nombre pluriel.

Il y a donc en effet quelque différence dans la signification du mot personne, selon qu'il est appliqué au sujet du verbe ou au verbe même. La personne, dans le sujet, c'est sa relation à l'acte de la parole ; dans le verbe, c'est une terminaison qui indique la relation du sujet à l'acte de la parole. Cette différence de sens doit en mettre une dans la manière de s'expliquer, quand on rend compte de l'analyse d'une phrase ; par exemple, nos autem viri fortes satis fecisse videmur : il faut dire que nos est de la première personne du pluriel, et que videmur est à la première personne du pluriel. De indique quelque chose de plus propre, de plus permanent ; à marque quelque chose de plus accidentel et de moins nécessaire. Il faut dire, par la même raison, qu'un nom est de tel genre, par exemple, du genre masculin, et qu'un adjectif est à tel genre, au genre masculin : le genre est fixe dans les noms, et leur appartient en propre ; il est variable et accidentel dans les adjectifs.

Comme la différence des personnes n'opère aucun changement dans la forme des sujets, et qu'elle n'influe que sur les terminaisons des verbes, cela a fait croire au contraire à Sanctius (Minerv. j. 12.), que les verbes seuls ont des personnes, et que les noms n'en ont point, sed sunt alicujus personae verbalis. Il devait donc raisonner de même sur les genres à l'égard des noms et des adjectifs, et dire que les noms n'ont point de genres, puisque leurs terminaisons sont invariables à cet égard, et qu'ils sont propres aux adjectifs, puisqu'ils en font varier les terminaisons. Cependant, par une contradiction surprenante dans un homme si habile, il a pris une route toute opposée, et a regardé le genre comme appartenant aux noms à l'exclusion des adjectifs, quoique l'influence des genres sur les adjectifs soit la même que celle des personnes sur les verbes. Mais outre la contrariété des deux procédés de Sanctius, il n'a trouvé la vérité ni par l'un ni par l'autre. Les genres font, par rapport aux noms, différentes classes dans lesquelles les usages des langues les ont distribués ; et par rapport aux adjectifs, ce sont différentes terminaisons adaptées à la différence des classes de chacun des noms auxquels on peut les rapporter. Pareillement les personnes sont, dans les sujets, des points de vue particuliers sous lesquels il est nécessaire de les envisager ; et dans les verbes, ce sont des terminaisons adaptées à ces divers points de vue en vertu du principe d'identité. Voyez GENRE et IDENTITE.

De-là vient que comme les adjectifs s'accordent en genre avec les noms leurs correlatifs, les verbes s'accordent en personne avec leurs sujets : si un adjectif se rapporte à des noms de différents genres, on le met au pluriel à cause de la pluralité des correlatifs, et au genre le plus noble, frater et soror sunt pii ; de même si un verbe se rapporte à des sujets de diverses personnes, on le met au pluriel à cause de la pluralité des sujets, et à la personne la plus noble, ego et tu ibimus. C'est de part et d'autre, non la même raison, si vous voulez, mais une raison toute pareille. Voyez au surplus PERSONNE et IMPERSONNEL. (B. E. R. M.)

PERSONNES, GENS, (Synonyme) le mot de gens, dit l'abbé Girard, a une couleur très-indéfinie qui le rend incapable d'être uni avec un nombre, et d'avoir un rapport marqué à l'égard du sexe. Celui de personne en a une plus particularisée, qui le rend susceptible de calcul, et de rapport au sexe quand on veut le désigner. Il y a peu d'honnêtes gens à la cour ; les personnes de l'un et de l'autre sexe y sont plus polies qu'ailleurs. Le plaisir de la table n'admet que gens de bonne humeur, et ne souffre pas qu'on soit plus de huit ou dix personnes. Voyez aussi l'article GENS. (D.J.)

PERSONNE, persona, (Théologie) une substance individuelle, une nature raisonnable ou intelligente. Voyez SUBSTANCE et INDIVIDUEL.

Le père et le Fils sont réputés en droit une même personne. Un ambassadeur représente la personne de son prince. Voyez AMBASSADEUR.

En Théologie, la Divinité réside en trois personnes ; mais alors le mot personne emporte une idée particulière, fort différente de celle que l'on y attache en toute autre circonstance. On ne s'en sert qu'au défaut d'un autre terme plus propre et plus expressif. Voyez TRINITE.

On dit que le mot personne, persona, est emprunté de personando, l'action de jouer un personnage ou de le contrefaire ; et l'on prétend que sa première signification était celle d'un masque. C'est dans ce sens que Boèce dit, in larvâ concavâ sonus volvatur ; c'est pourquoi les acteurs qui paraissaient masqués sur le théâtre, étaient quelquefois appelés larvati, et quelquefois personati. Le même auteur ajoute que, comme les différents acteurs représentaient chacun un personnage unique et individuel, comme Oedipe, Chremès, Hécube, Médée : ce fut pour cette raison que d'autres gens qui étaient aussi distingués par quelque chose dans leur figure ou leur caractère, ce qui servait à les faire connaître, furent appelés par les Latins personae, et par les Grecs . De plus, comme ces acteurs ne représentaient guère que des caractères grands et illustres, le mot personne vint enfin à signifier l'esprit, comme la chose de la plus grande importance et de la plus grande dignité dans tout ce qui peut regarder les hommes : ainsi les hommes, les Anges, et la Divinité elle-même, furent appelés personnes.

Les êtres purement corporels, tels qu'une pierre, une plante, un cheval, furent appelés hypostases ou supposita, et non pas personne. Voyez HYPOSTASE, HYPOSTASIS, &c.

C'est ce qui fait conjecturer aux savants que le même nom personne vint à être d'usage pour signifier quelque dignité, par laquelle une personne est distinguée d'une autre, comme un père, un mari, un juge, un magistrat, etc.

C'est en ce sens que l'on doit entendre ces paroles de Cicéron : " César ne parle jamais de Pompée qu'en termes d'honneur et de respect ; mais il exécute des choses fort dures et fort injurieuses à sa personne ". Voyez PERSONNALITE.

Voilà ce que nous avions à dire sur le nom personne : quant à la chose, nous avons déjà défini le mot personne, ce qui signifie une substance individuelle d'une nature raisonnable ; définition qui revient à celle de Boèce.

Maintenant, une chose peut être individuelle de deux manières : 1°. logiquement, en sorte qu'elle ne puisse être dite de toute autre, comme Cicéron, Platon, etc. 2°. physiquement, en ce sens une goutte d'eau, séparée de l'Océan, peut s'appeler une substance individuelle. Dans chacun de ces sens, le mot personne signifie une nature individuelle : logiquement, selon Boèce, puisque le mot personne ne se dit point des universels, mais seulement des natures singulières et individuelles ; on ne dit pas la personne d'un animal ou d'un homme, mais de Cicéron et de Platon : et physiquement, puisque la main ou le pied de Socrate ne sont jamais considérés comme des personnes.

Cette dernière espèce d'individuel se dénomme de deux manières : positivement, comme quand on dit que la personne doit être le principe total de l'action ; car les Philosophes appellent une personne, tout ce à quoi l'on attribue quelque action : et négativement, comme quand on dit avec les Thomistes, etc. qu'une personne consiste en ce qu'elle n'existe pas dans une autre comme un être plus parfait.

Ainsi un homme, quoiqu'il soit composé de deux substances fort différentes, savoir, de corps et d'esprit, ne fait pourtant pas deux personnes, puisqu'aucune de ces deux parties ou substances, prises séparément, n'est pas un principe total d'action, mais une seule personne ; car la manière dont elle est composée de corps et d'esprit, est telle qu'elle constitue un principe total d'action, et qu'elle n'existe point dans un autre comme un être plus parfait : de même, par exemple, que le pied de Socrate existe en Socrate, ou une goutte d'eau dans l'Océan.

Ainsi quoique Jesus-Christ consiste en deux natures différentes, la nature divine et la nature humaine, ce n'est pourtant pas deux personnes, mais une seule personne divine ; la nature humaine en lui n'étant pas un principe total d'action, mais existante dans une autre plus parfaite ; mais de l'union de la nature divine et de la nature humaine il résulte un individu ou un tout, qui est un principe d'action : car quelque chose que fasse l'humanité de Jesus-Christ, la personne divine qui est unie la fait aussi ; de sorte qu'il n'y a en Jesus-Christ qu'une seule personne, et en ce sens une seule opération, que l'on appelle théandrique. Voyez THEANDRIQUE.