S. f. (Grammaire) ce mot est grec ; ; composé de la préposition , qui dans la composition marque changement, et de , capio, ou concipio : la métalepse est donc un trope, par lequel on conçoit la chose autrement que le sens propre ne l'annonce ; c'est le caractère de tous les tropes. (Voyez TROPE) ; et les noms propres de chacun rendent presque tous la même idée, parce qu'en effet les tropes ne diffèrent entr'eux que par des nuances délicates et difficiles à assigner. Mais la métalepse, en particulier, est reconnue par M. du Marsais pour une espèce de métonymie (Voyez METONYMIE) ; et peut-être aurait-il été plus à propos de l'y rapporter, que de multiplier sans profit les dénominations. De quelque manière qu'il plaise à chacun d'en décider, ce qui concerne la métalepse, ou l'espèce de métonymie, que l'on désigne ici sous ce nom, mérite d'être connu ; et personne ne peut le faire mieux connaître, que M. du Marsais : c'est lui qui Ve parler ici, jusqu'à la fin de cet article. Tropes, part. II. art. 3.

" La métalepse est une espèce de métonymie, par laquelle on explique ce qui suit, pour faire entendre ce qui précède, ou ce qui précède, pour faire entendre ce qui suit : elle ouvre, pour ainsi-dire, la porte, dit Quintilien, afin que vous passiez d'une idée à une autre ; ex alio in aliud viam praestat, Inst. VIII. 6. c'est l'antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l'antécédent ; et c'est toujours le jeu des idées accessoires dont l'une éveille l'autre.

Le partage des biens se faisait souvent, et se fait encore aujourd'hui, en tirant au sort. Josué se servit de cette manière de partager : Cumque surrexissent viri, ut pergèrent ad describendam terram, praecepit eis Josue dicens : circuite terram, et describite eam, ac revertimini ad me ; ut hic, coram Domino, in Silo vobis mittam sortem. Josué XVIII. 8. Le sort précède le partage ; de-là vient que sors, en latin, se prend souvent pour le partage même, pour la portion qui est échue en partage ; c'est le nom de l'antécédent qui est donné au conséquent.

Sors signifie encore jugement, arrêt ; c'était le sort qui décidait chez les Romains du rang, dans lequel chaque cause devait être plaidée. En voici la preuve dans la remarque de Servius, sur ce vers de Virgile, Aen. Ve 431. Nec vero hae sine sorte datae, sine judice sedes. Sur quoi Servius s'exprime ainsi : Ex more romano non audiebantur causae, nisi per sortem ordinatae. Tempore enim quo causae audiebantur, conveniebant omnes, unde et concilium, et ex sorte dierum ordinem accipiebant, quo post dies triginta suas causas exequerentur ; unde est, urnam movet. Ainsi quand on a dit sors pour jugement, on a pris l'antécédent pour le conséquent.

Sortes en latin, se prend encore pour un oracle ; soit parce qu'il y avait des oracles qui se rendaient par le sort, soit parce que les réponses des oracles étaient comme autant de jugements qui reglaient la destinée, le partage, l'état de ceux qui les consultaient.

On croit avant que de parler ; je crois, dit le prophète, et c'est pour cela que je parle : credidi, propterea quod locutus sum. Psaumes CXV. 1. Il n'y a point là de métalepse ; mais il y a une métalepse quand on se sert de parler ou dire pour signifier croire. Direz-vous après cela que je ne suis pas de vos amis ? c'est-à-dire, croirez-vous, aurez-vous sujet de dire ? "

[On prend ici le conséquent pour l'antécédent]

" Cedo veut dire dans le sens propre, je cede, je me rends ; cependant par une métalepse de l'antécédent pour le conséquent, cedo signifie souvent, dans les meilleurs auteurs, dites, donnez : cette signification vient de ce que quand quelqu'un veut nous parler, et que nous parlons toujours nous-mêmes, nous ne lui donnons pas le temps de s'expliquer : écoutez-moi, nous dit-il, eh bien je vous cede, je vous écoute, parlez : cedo, dic. Quand on veut nous donner quelque chose, nous refusons souvent par civilité ; on nous presse d'accepter, et enfin nous répondons je vous cede, je vous obéis, je me rends, donnez ; cedo, da : cedo qui est le plus poli de ces deux mots, est demeuré tout seul dans le langage ordinaire, sans être suivi de dic ou de da, qu'on supprime par ellipse : cedo signifie alors ou l'un ou l'autre de ces deux mots, selon le sens ; c'est ce qui précéde pour ce qui suit : et voilà pourquoi on dit également cedo, soit qu'on parle à une seule personne ou à plusieurs ; car tout l'usage de ce mot, dit un ancien grammairien, c'est de demander pour soi : cedo, sibi poscit et est immobile. Corn. Fronto, apud autores L. L. pag. 1335. verbo CEDO.

On rapporte de même à la métalepse ces façons de parler, il oublie les bienfaits, c'est-à-dire, il n'est pas reconnaissant : souvenez-vous de notre convention, c'est-à-dire, observez notre convention : Seigneur, ne vous ressouvenez point de nos fautes, c'est-à-dire, ne nous en punissez point, accordez-nous en le pardon : je ne vous connais pas, c'est-à-dire, je ne fais aucun cas de vous, je vous méprise, vous êtes à mon égard comme n'étant point, quem omnes mortales ignorant et ludificant. Plaut. Amphi. act. IV. sc. IIIe 13.

Il a eté, il a vécu, veut dire souvent il est mort ; c'est l'antécédent pour le conséquent. C'en est fait madame, et j'ai vécu. (Rac. Mithrid. act. V. sc. derniere) c'est-à-dire, je me meurs.

Un mort est regretté par ses amis, ils voudraient qu'il fût encore en vie, ils souhaitent celui qu'ils ont perdu, ils le désirent : ce sentiment suppose la mort, ou du moins l'absence de la personne qu'on regrette. Ainsi, la mort, la perte, ou l'absence sont l'antécédent, et le désir, le regret sont le conséquent. Or en latin, desiderari, être souhaité, se prend pour être mort, être perdu, être absent ; c'est le conséquent pour l'antécédent, c'est une métalepse. Ex parte Alexandri triginta omninò et duo, ou selon d'autres, trecenti omninò, ex peditibus desiderati sunt (Q. Curt. III. 11. in fin.) du côté d'Alexandre il n'y eut en tout que trois cent fantassins de tués, Alexandre ne perdit que trois cent hommes d'infanterie. Nulla navis desiderabatur (Caes.), aucun vaisseau n'était désiré, c'est-à-dire aucun vaisseau ne périt, il n'y eut aucun vaisseau de perdu. Je vous avais promis que je ne serais que cinq ou six jours à la campagne, dit Horace à Mécénas, et cependant j'y ai déjà passé tout le mois d'Aout. Epit. I. VIIe

Quinque dies tibi pollicitus me rure futurum,

Sextilem totum, mendax, desideror :

où vous voyez que desideror veut dire, par métalepse, je suis absent de Rome, je me tiens à la campagne.

Par la même figure, desiderari signifie encore deficère, manquer, être tel que les autres aient besoin de nous. Cornélius Népos, Epam. 7, dit que les Thébains, par des intrigues particulières, n'ayant point mis Epaminondas à la tête de leur armée, reconnurent bientôt le besoin qu'ils avaient de son habileté dans l'art militaire, desiderari coepta est Epaminondae diligentia. Il dit encore, (ibid. 5.) que Ménéclide jaloux de la gloire d'Epaminondas, exhortait continuellement les Thébains à la paix, afin qu'ils ne sentissent point le besoin qu'ils avaient de ce général : hortari solebat Thebanos ut pacem bello anteferrent, ne illius imperatoris opera desideraretur.

La métalepse se fait donc lorsqu'on passe, comme par degrés, d'une signification à une autre : par exemple, quand Virgile a dit, Eclog. I. 70. "

Post aliquot, mea regna, vidents mirabor aristas :

" après quelques épis, c'est-à-dire après quelques années : les épis supposent le temps de la moisson, le temps de la moisson suppose l'été, et l'été suppose la révolution de l'année. Les poètes prennent les hivers, les étés, les moissons, les automnes, et tout ce qui n'arrive qu'une fois en une année, pour l'année même. Nous disons dans le discours ordinaire, c'est un vin de quatre feuilles, pour dire c'est un vin de quatre ans ; et dans les coutumes (cout. de Loudun. tit. xiv. art. 3.) on trouve bois de quatre feuilles, c'est-à-dire bois de quatre années.

Ainsi le nom des différentes opérations de l'Agriculture se prend pour le temps de ces opérations, c'est le conséquent pour l'antécédent ; la moisson se prend pour le temps de la moisson, la vendange pour le temps de la vendange ; il est mort pendant la moisson, c'est-à-dire dans le temps de la moisson. La moisson se fait ordinairement dans le mois d'Aout, ainsi par métonymie ou métalepse, on appelle la moisson l'Aout, qu'on prononce l'ou ; alors le temps dans lequel une chose se fait se prend pour la chose même, et toujours à cause de la liaison que les idées accessoires ont entr'elles.

On rapporte aussi à cette figure, ces façons de parler des Poètes, par lesquelles ils prennent l'antécédent pour le conséquent, lorsqu'au lieu d'une description, ils nous mettent devant les yeux le fait que la description suppose. O Ménalque ! si nous vous perdions, dit Virgile, Eclog. IV. 19. qui émaillerait la terre de fleurs ? qui ferait couler les fontaines sous une ombre verdoyante ? Quis humum florentibus herbis spargeret, aut viridi fontes induceret umbrâ ? c'est-à-dire, qui chanterait la terre émaillée de fleurs ? qui nous en ferait des descriptions aussi vives et aussi riantes que celles que vous en faites ? qui nous peindrait, comme vous, ces ruisseaux qui coulent sous une ombre verte ?

Le même poète a dit, Ecl. VI. 6. que Silene enveloppa chacune des sœurs de Phaèton avec une écorce amère, et fit sortir de terre de grands peupliers : Tum Phaètontiadas musco circumdat amarae corticis, atque solo proceras erigit alnos, c'est-à-dire que Silene chanta d'une manière si vive la métamorphose des sœurs de Phaèton en peupliers, qu'on croit voir ce changement. Ces façons de parler, peuvent aussi être rapportées à l'hypothipose ". [Elles ne sont pas l'hypotipose ; mais elles lui prêtent leur secours]. (B. E. R. M.)