VE ; (Grammaire) adjectif usité en Grammaire pour qualifier certains mots que l'on regarde communément comme une sorte de pronoms, mais qui sont en effet une sorte d'adjectifs distingués des autres par l'idée précise d'une dépendance relative à l'une des trois personnes.

Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la première personne du singulier, sont mon, ma, mes ; mien, mienne, miens, miennes : ceux qui se rapportent à la première personne du pluriel, sont notre, nos ; nôtre, nôtres.

Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la seconde personne du singulier, sont ton, ta, tes, tien, tienne, tiens, tiennes : ceux qui se rapportent à la seconde personne du pluriel, sont votre, vos ; vôtre, vôtres.

Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la troisième personne du singulier, sont son, sa, ses ; sien, sienne, siens, siennes : ceux qui se rapportent à la troisième personne du pluriel, sont leur, leurs.

Sur cette première division des adjectifs possessifs, il faut remarquer que chacun d'eux a des terminaisons relatives à tous les nombres, quoique la dépendance qu'ils expriment soit relative à une personne d'un seul nombre. Ainsi mon livre veut dire le livre (au singulier) qui appartient à moi (pareillement au singulier) ; mes livres, c'est-à-dire les livres (au pluriel) qui appartiennent à moi (au singulier) : notre livre signifie le livre (au singulier) qui appartient à nous (au pluriel) ; nos livres, c'est la même chose que les livres (au pluriel) qui appartiennent à nous (pareillement au pluriel). C'est que la quotité des êtres qualifiés par l'idée précise de la dépendance, est toute différente de la quotité des personnes auxquelles est relative cette dépendance.

Dans la plupart des langues, il n'y a qu'un adjectif possessif pour chacune des trois personnes du singulier, et un pour chacune des trois personnes du pluriel ; mais en français, nous en avons de deux sortes pour chaque personne : l'un qui ne s'emploie jamais qu'avant un nom, et qui exclut tout autre article ; l'autre qui est toujours précédé de l'un des articles, le, la, les, et qui n'est jamais accompagné d'aucun nom, mais qui est toujours en concordance avec un nom déjà exprimé auquel il se rapporte. C'est la même chose dans la langue allemande.

Les possessifs de la première espèce sont mon, ma, mes, pour la première personne du singulier ; notre, nos, pour la première du pluriel : ton, ta, tes, pour la seconde personne du singulier ; votre, vos, pour la seconde du pluriel : son, sa, ses, pour la troisième du singulier ; et leur, leurs, pour la troisième du pluriel.

Les possessifs de la seconde espèce sont le mien, la mienne, les miens, les miennes, pour la première personne du singulier ; le nôtre, la nôtre, les nôtres, pour la première du pluriel : le tien, la tienne, les tiens, les tiennes, pour la seconde personne du singulier ; le vôtre, la vôtre, les vôtres, pour la seconde du pluriel : le sien, la sienne, les siens, les siennes, pour la troisième personne du singulier ; et le leur, la leur, les leurs, pour la troisième du pluriel.

L'exacte différence qu'il y a entre les deux espèces, c'est que les possessifs de la première espèce me paraissent renfermer dans leur signification celle des possessifs de la seconde et celle de l'article ; en sorte que mon signifie le mien, ton signifie le tien, son signifie le sien, nos signifie les nôtres, etc. Mon livre, selon cette explication, veut donc dire le mien livre ou le livre mien ; nos livres, c'est les livres nôtres, etc. Et c'est ainsi que parlent les Italiens, il mio libro, i nostri libri ; ou bien il libro mio, i libri nostri. " On disait autrefois, comme l'écrivent encore aujourd'hui ceux qui n'ont pas soin de la pureté du langage, un mien frère, une tienne sœur, un sien ami ". (Vaugelas, rem. 338.). Cette observation est fondamentale pour rendre raison des différents usages des deux sortes d'adjectifs.

1°. Ce principe explique à merveille ce que Vaugelas a dit (rem. 513.) qu'il faut répéter le... possessif de la première espèce comme on répète l'article, et aux mêmes endroits où l'on répéterait l'article : par exemple, on dit le père et la mère, et non pas les père et mère ; et il faut dire de même son père et sa mère, et non pas ses père et mère, ce qui est, selon M. Chapelain, du style de pratique, et selon M. de Vaugelas, une des plus mauvaises façons de parler qu'il y ait dans toute notre langue. On dit aussi, les plus beaux et les plus magnifiques habits, ou les plus beaux et plus magnifiques habits, sans répéter l'article au second adjectif ; et l'on doit dire de même ses plus beaux et ses plus magnifiques habits, ou ses plus beaux et plus magnifiques habits, selon la même règle. Cette identité de pratique n'a rien de surprenant, puisque les adjectifs possessifs dont il est ici question, ne sont autre chose que l'article même auquel on a ajouté l'idée accessoire de dépendance relativement à l'une des trois personnes.

2°. C'est pour cela aussi que cette sorte d'adjectif possessif exclut absolument l'article, quand il se trouve lui-même avant le nom ; ce serait une véritable périssologie, puisque l'adjectif possessif comprend l'article dans sa signification.

3°. On explique encore par-là pourquoi ces possessifs opèrent le même effet que l'article pour la formation du superlatif ; ainsi ma plus grande passion, vos meilleurs amis, leur moindre souci, sont des expressions où les adjectifs sont au même degré que dans celles-ci, la plus grande passion, les meilleurs amis, le moindre souci : c'est que l'article qui sert à élever l'adjectif au degré superlatif, est réellement renfermé dans la signification des adjectifs possessifs, mon, ton, son, &c.

C'est apparemment pour donner à la phrase plus de vivacité, et conséquemment plus de vérité, que l'usage a autorisé la contraction de l'article avec le possessif dans les cas où le nom est exprimé ; et c'est pour les intérêts de la clarté que, quand on ne veut pas répéter inutilement un nom déjà exprimé, on exprime chacun à part l'article et le possessif pur, afin que l'énonciation distincte de l'article réveille plus surement l'idée du nom dont il y a ellipse, et qui est annoncée par l'article.

Presque tous les grammairiens regardent comme des pronoms les adjectifs possessifs de l'une et de l'autre espèce, et voici l'origine de cette erreur : ils regardent les noms comme un genre qui comprend les substantifs et les adjectifs, et ils observent qu'il se fait des adjectifs de certains noms qui signifient des substances, comme de terre, terrestre. Ainsi meus est formé de mei, qui est le génitif du pronom ego ; tuus de tui, génitif de tu, etc. Or, dans le système de ces grammairiens, le substantif primitif et l'adjectif qui en est dérivé sont également des noms : et ils en concluent que ego et meus, tu et tuus, etc. sont et doivent être également des pronoms. D'ailleurs ces adjectifs possessifs doivent être mis au rang des pronoms, selon M. Restaut (ch. Ve art. 3), parce qu'ils tiennent la place des pronoms personnels ou des noms au génitif : ainsi mon ouvrage, notre devoir, ton habit, votre maître, son cheval, en parlant de Pierre, leur roi en parlant des Français, signifient l'ouvrage de moi, le devoir de nous, l'habit de toi, le maître de vous, le cheval de lui ou de Pierre, le roi d'eux ou des Français.

Par rapport au premier raisonnement, le principe en est absolument faux ; et l'on peut voir au mot SUBSTANTIF que ce que l'on appelle communément le substantif et l'adjectif sont des parties d'oraison essentiellement différentes. J'ajoute qu'il est évident que bonus, tuus, scribendus et anterior ont une même manière de signifier, de se décliner, de s'accorder en genre, en nombre et en cas avec un sujet déterminé ; et que la nature des mots devant dépendre de la nature et de l'analogie de leur service, on doit regarder ceux-ci comme étant à cet égard de la même espèce. Si on veut regarder tuus comme pronom, parce qu'il est dérivé d'un pronom, c'est une absurdité manifeste, et rejetée ailleurs par ceux même qui la proposent ici, puisqu'ils n'osent dire qu'anterior soit une préposition, quoiqu'il soit dérivé de la préposition ante. Les racines génératives des mots servent à en fixer l'idée individuelle ; mais l'idée spécifique qui les place dans une classe ou dans une autre, dépend absolument et uniquement de la manière de signifier qui est commune à tous les mots de la même classe. Voyez MOT.

Quant au principe prétendu raisonné de M. Restaut, j'y trouve deux vices considérables. Premièrement il suppose que la nature du pronom consiste à tenir la place du nom ; et c'est une erreur que je crois solidement détruite ailleurs. Voyez PRONOM. En second lieu, l'application qu'en fait ici ce grammairien doit être très-suspecte d'abus, puisqu'il en peut sortir des conséquences que cet auteur sans doute ne voudrait pas admettre. Regius, humanus, evandrius, etc. signifient certainement regis, hominis, evandri ; M. Restaut conclurait-il que ces mots sont des pronoms ?

Tous les grammairiens français et allemands reconnaissent dans leurs langues les deux classes de possessifs que j'ai distinguées dès le commencement ; mais c'est sous des dénominations différentes.

Nos grammairiens appellent mon, ton, son, et leurs semblables possessifs absolus ; et ils regardent le mien, le tien, le sien, etc. comme des possessifs relatifs : ceux-ci sont nommés relatifs, parce que n'étant pas joints avec leur substantif, dit M. Restaut, ils le supposent énoncé auparavant, et y ont relation : mais personne ne dit pourquoi on appelle absolus les possessifs de la première espèce ; et M. l'abbé Regnier parait avoir voulu éviter cette dénomination, en les nommant simplement non-relatifs. Le mot de relatif est un terme dont il semble qu'on ne connaisse pas assez la valeur, puisqu'on en abuse si souvent ; tout adjectif est essentiellement relatif au sujet déterminé auquel on l'applique, soit que ce sujet soit positivement exprimé par un nom ou par un pronom, soit que l'ellipse l'ait fait disparaitre et qu'il faille le retrouver dans ce qui précède. Ainsi les deux espèces de possessifs sont également relatives, et la distinction de nos grammairiens est mal caractérisée.

Les grammairiens allemands ont apparemment voulu éviter ce défaut, et M. Gottsched appelle conjonctifs les possessifs de la première espèce, mon, ton, son, etc. et il nomme absolus ceux de la seconde, le mien, le tien, le sien, etc. Les premiers sont nommés conjonctifs, parce qu'ils sont toujours unis avec le nom auquel ils se rapportent ; les autres sont appelés absolus, parce qu'ils sont employés seuls et sans le nom auquel ils ont rapport. Voilà comment les différentes manières de voir une même chose, amènent des dénominations différentes et même opposées. M. de la Touche qui a composé en Angleterre l'art de bien parler français, a adopté cette seconde manière de distinguer les possessifs.

Avec un peu plus de justesse que la première, je ne crois pourtant pas qu'elle doive faire plus de fortune. Les termes techniques de grammaire ne doivent pas être fondés sur des services accidentels, qui peuvent changer au gré de l'usage ; la nomenclature des sciences et des arts doit être immuable comme les natures dont elle est chargée de reveiller les idées, parce qu'elle doit en effet exprimer la nature intrinséque, et non les accidents des choses. Or il est évident que mien, tien, sien, etc. ne sont absolus, au sens des grammairiens allemands, que dans l'usage présent de leur langue et de la nôtre ; et que ces mêmes mots étaient conjonctifs lorsqu'il était permis de dire un mien frère, un sien livre, comme les Italiens disent encore il mio fratello, il suo libro.

M. Duclos, qui apparemment a senti le vice des deux nomenclatures dont je viens de parler, a pris un autre parti. " Mon, ton, son, ne sont point des pronoms, dit-il Remarque sur le chap. VIIIe de la II. part. de la gramm. gén. puisqu'ils ne se mettent pas à la place des noms, mais avec les noms mêmes : ce sont des adjectifs possessifs. Le mien, le tien, le sien, sont de vrais pronoms ". Ce savant académicien juge que ces mots se mettent au lieu du nom qui n'est point exprimé ; mais, comme je l'ai déjà dit, ce n'est point là le caractère distinctif des pronoms : et d'ailleurs les adjectifs mien, tien, sien, etc. ne se mettent pas au lieu du nom. On les emploie sans nom à la vérité, mais ils ont à un nom une relation marquée qui les assujettit aux lois de la concordance comme tous les autres adjectifs ; et l'article qui les accompagne nécessairement est la marque la plus assurée qu'il y a alors ellipse d'un nom appelatif, la seule espèce de mot qui puisse recevoir la détermination qui est indiquée par l'article.

C'est donc la différence que j'ai observée entre les deux espèces de possessifs, qui doit fonder celle des dénominations distinctives de ces espèces. Mon, ton, son, etc. sont des articles possessifs, puisqu'ils renferment en effet dans leur signification, celle de l'article et celle d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel ; que d'ailleurs ils font avec les noms qu'ils accompagnent l'office de l'article, qu'on ne peut plus énoncer sans tomber dans le vice de la périssologie. Mien, tien, sien, etc. sont de purs adjectifs possessifs, puisqu'ils ne servent qu'à qualifier le sujet auquel ils ont rapport, par l'idée d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel.

Content d'avoir examiné la nature des adjectifs possessifs, ce qui est véritablement de l'objet de l'Encyclopédie, je ne m'arrêterai point ici à détailler les différents usages de ces adjectifs par rapport à notre langue ; c'est à nos grammaires françaises à discuter ces lois accidentelles de l'usage ; mais je m'arrêterai à deux points particuliers, dont l'un concerne notre langue, et l'autre la langue allemande.

L'examen du premier point peut servir à faire voir combien il est aisé de se méprendre dans les décisions grammaticales, et combien il faut être attentif pour ne pas tomber dans l'erreur sur ces matières. " Plusieurs ne peuvent comprendre, dit Vaugelas, remarque 320, comment ces.... possessifs, mon, ton, son, qui sont masculins, ne laissent pas de se joindre avec les noms féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet).... Quelques-uns croient qu'ils sont du genre commun, servant toujours au masculin, et quelquefois au féminin, c'est-à-dire à tous les mots féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), afin d'éviter la cacophonie que feraient deux voyelles.... D'autres soutiennent que ces pronoms sont toujours du masculin, mais qu'à cause de la cacophonie on ne laisse pas de les joindre avec les féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), tout de même, disent-ils, que les Espagnols qui se servent de l'article masculin el pour mettre devant les noms féminins commençant par une voyelle, disant el alma, et nom pas la alma. De quelque façon qu'il se fasse, il suffit de savoir qu'il se fait ainsi, et il n'importe guère, ou point du tout, que ce soit plutôt d'une manière que de l'autre ".

Cela peut n'être en effet d'aucune importance s'il ne s'agit que de connaître l'usage de la langue et de s'y conformer : mais cela ne peut être indifférent à la Philosophie, si ce n'est à la philosophie sceptique qui aime à douter de tout. Thomas Corneille crut apparemment qu'une décision valait mieux que l'incertitude, et il décide, dans sa note sur cette remarque, que cet usage de notre langue n'autorise pas à dire que mon, ton, son, sont du genre commun. " Je ne puis comprendre, dit l'abbé Girard à ce sujet, tom. I. discours VIIe pag. 376. par quel gout, encore moins par quelle raison, un de nos puristes veut que mon, ton, son, ne puissent être féminins, et qu'ils sont toujours masculins, même en qualifiant des substantifs féminins. Il dit que la vraie raison qui les fait employer dans ces occasions est pour éviter la cacophonie : j'en conviens ; mais cette raison n'empêche pas qu'ils n'y soient employés au féminin : bien loin de cela, c'est elle qui a déterminé l'usage à les rendre susceptibles de ce genre. Quel inconvénient y a-t-il à les regarder comme propres aux deux, ainsi que leur pluriel ? Quoi ! on aimera mieux confondre et bouleverser ce que la syntaxe a de plus constant, que de convenir d'une chose dont la preuve est dans l'évidence du fait ? Voilà où conduit la méthode de supposer des maximes et des règles indépendantes de l'usage, et de ne point chercher à connaître les mots par la nature de leur emploi ". L'opinion de M. l'abbé Girard, et la conséquence qu'il en tire contre la méthode trop ordinaire des grammairiens, me paraissent également plausibles ; et je révoque volontiers et sans détour, ce que je me rappelle d'avoir écrit de contraire à l'article GALLICISME.

Je passe à l'observation qui concerne la langue allemande : c'est que l'usage y a introduit deux articles et deux adjectifs possessifs qui ont rapport à la troisième personne du singulier ; l'un s'emploie quand la troisième personne est du féminin, et l'autre, quand elle est du masculin. Cette différence ne sert qu'à déterminer le choix du mot, et n'empêche pas qu'il ne s'accorde en genre avec le nom auquel on l'applique. Ainsi son, quand la troisième personne est du masculin, se dit en allemand sein, m. seine, f. et sein, n. et sien se dit seiner, m. seine, f. seines, n. ou bien der seinige, m. die seinige, f. das seinige, n. et tous ces mots sont dérivés du génitif masculin seiner (de lui). Mais si la troisième personne est du feminin, son se dit en allemand ihr, m. ihre, f. ihr, n. et sien se dit ihrer, m. ihre, f. ihres, n. ou bien der ihrige, m. die ihrige, f. das ihrige, n. et tous ces mots sont dérivés du génitif féminin ihrer (d'elle). On peut concevoir, par cette propriété de la langue allemande, combien l'usage a de ressources pour enrichir les langues, pour y mettre de la clarté, de la précision, de la justesse, et combien il importe d'examiner de près les idiotismes pour en demêler les finesses et le véritable sens. C'est la conclusion que j'ai prétendu tirer de cette observation. (B. E. R. M.)